Le Monde | Par Marc Semo | Le 15/10/2019
Il s'agit de marquer le coup vis- à-vis des autorités turques alors que l'opération contre les Kurdes syriens s'intensifie. A l'occasion d'un dîner avec la chance- lière allemande Angela Merkel, le 13 octobre, Emmanuel Macron a fait part de la volonté commune de Paris et Berlin de voir cesser l'offensive, soulignant qu'elle risquait de faire naître « des situations humanitaires insoutenables ». Peu après, le chef de l'Etat a présidé un conseil restreint de défense qui a rappelé, selon le communiqué de l'Elysée, que « la priorité absolue doit être d'empêcher la résurgence de Daech dans la région ».
Les autorités françaises vont en outre prendre « dans les prochaines heures » des mesures pour garantir la sécurité des personnels civils et militaires français au nord-est de la Syrie alors que les Etats-unis retirent 1 000 soldats supplémentaires. Quelque 300 militaires des forces spéciales sont déployés sur zone, chiffre jamais confirmé officiellement par Paris.
La veille, Paris a décidé « de suspendre tout projet d'exportation vers la Turquie de matériels de guerre ». La Norvège - non membre de l'UE - avait été la première à annoncer un tel embargo, suivie par les Pays-Bas puis l'Allemagne.
« Question de survie »
Ces mesures de suspension des contrats d'armement sont avant tout symboliques. Dans les deux sens du terme. Elles sonnent comme une mise en garde montrant l'isolement croissant - y compris au sein de ses alliés - de la Turquie, pilier depuis 1952 du flanc sud-est de l'OTAN. Elles n'auront néanmoins guère d'effets sur l'offensive en cours. « L'opération était manifestement préparée de longue date et les forces armées turques comme le président Recep Tayyip Erdogan ont évidemment pris leurs précautions et disposent de tous les stocks nécessaires », relève Marc Pierini, ancien représentant de l'Union européenne à Ankara.
Selon le dernier rapport au Parlement du ministère des armées sur les exportations d'armement, la Turquie a commandé pour 45,1 millions d'euros de matériel militaire français en 2018. Elle est un client relativement marginal. En revanche, Ankara reste le principal acheteur d'armement allemand au sein de l'OTAN avec, pour l'année 2018, quelque 242,8 millions d'euros, soit près d'un tiers de l'ensemble des exportations allemandes d'armes de guerre (770,8 millions d'euros). D'où la réaction du ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, qui a tenté d'expliquer à la radio allemande Deutsche Welle que cette offensive dans le Nord syrien était « une question de sécurité nationale, une question de survie ».
Les pressions des Européens ne devraient guère aller au-delà, faute surtout d'unité. « Je crains qu'il sera impossible d'arriver à une décision commune des Etats-membres pour un embargo sur les armes à la Turquie, car, même si le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne suivent l'exemple de Paris et de Berlin, il y aura toujours des pays européens qui continueront à en vendre à Ankara », explique Marc Pierini.
Recep Tayyip Erdogan a de très bonnes relations avec les leaders populistes de pays d'Europe centrale, à commencer par la Hongrie et la Pologne. Le président turc se sent donc en position de force et continue ses rodomontades. « Depuis que nous avons lancé notre opération, nous faisons face à des menaces de sanctions économiques ou d'embargos sur les armes. Ceux qui pensent pouvoir nous contraindre à reculer avec ces menaces se trompent », a martelé M. Erdogan, le 13 octobre, dans un discours à Istanbul.