mercredi 3 janvier 2007
Par Jean-Pierre PERRIN, Marc SEMO
Retour sur l'exécution précipitée de Saddam Hussein, qui sert avant tout les intérêts du pouvoir chiite.
La pendaison de Saddam Hussein continue d'alimenter les polémiques relancées par une vidéo pirate de l'exécution, avec des invectives contre l'ex-raïs au pied du gibet. Libération revient sur les circonstances de cette mise à mort précipitée.
POURQUOI UNE EXÉCUTION AUSSI RAPIDE?
Si l'on en croit le président (kurde) irakien, c'est pour éviter une possible fuite de Saddam Hussein que l'ex-raïs a été exécuté aussi rapidement. Selon une agence de presse iranienne, Jalal Talabani aurait invoqué ce prétexte à son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad. On peut mettre en doute une telle explication. Demeure qu'une telle précipitation est étonnante, tout comme le mutisme des autorités irakiennes et américaines sur ce point, d'autant qu'un magistrat du Haut Tribunal irakien avait indiqué, quelques jours avant l'exécution, que la sentence serait exécutée «sous 30 jours». Sans doute faut-il y voir d'abord la volonté du Premier ministre (chiite) Nouri al-Maliki, qui passe pour manquer de détermination, de montrer qu'il est capable de fermeté. Reste que l'exécution aurait pu être différée de quelques jours pour éviter de coïncider avec la fête du Sacrifice, qui, pour les sunnites, commençait samedi, et de froisser ainsi les sentiments de cette communauté majoritaire dans le monde musulman. «C'est parce que la pendaison répond à un agenda chiite. Elle est une façon de coller une couleur chiite au nouveau pouvoir irakien, de montrer que désormais le pays est chiite, que le gouvernement s'identifie à cette société et que l'ex-raïs n'était que le représentant de la minorité sunnite», commente l'anthropologue Hosham Dawood.
Derrière le refus de retarder la pendaison, le gouvernement chiite a montré son goût immodéré pour le pouvoir. L'exécution a aussi permis une identification confessionnelle : les chiites se sont identifiés aux bourreaux, en lesquels ils ont vu des justiciers ; les sunnites, au supplicié. Des deux côtés, on peut voir la même volonté de se confronter à l'autre camp.
LA PENDAISON ÉTAIT-ELLE LÉGALE?
Capturé par l'armée américaine et gardé pour raisons de sécurité jusqu'au dernier moment dans un camp américain, Saddam Hussein n'était plus un prisonnier de guerre. Puissance occupante, la coalition dominée par les Etats-Unis a transféré dès juillet 2004 le pouvoir à un gouvernement irakien souverain, reconnu comme tel par les Nations unies. Légitimées par deux élections libres ainsi qu'un référendum constitutionnel, ces autorités ont décidé du sort de l'ex-raïs.
Mis sur pied par les Américains pour juger les crimes les plus graves commis par le régime baasiste (1968-2003), le Tribunal spécial irakien est passé sous l'autorité de Bagdad et ses responsables rappellent que «les procès sont contrôlés par les Irakiens et conduits par des juges irakiens». Pourtant, il n'échappe pas au piège communautaire, la plupart des magistrats étant kurdes ou chiites. Les ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty soulignent aussi que le poids de l'assistance et du soutien financier américains «sape son impartialité». Les conditions des audiences dans un climat de guerre civile, les assassinats de quatre avocats défenseurs ont rendu impossible la tenue d'un procès équitable. La mise en oeuvre précipitée du verdict n'en est que plus scandaleuse. Elle est néanmoins légale au regard de la loi irakienne. L'indignation n'en est pas moins quasi générale, d'autant que Saddam Hussein, condamné là pour crime contre l'humanité pour ses responsabilités dans le massacre de 148 villageois chiites du village de Doujaïl, en 1982, ne sera jamais jugé pour ses pires forfaits comme l'extermination de quelque 200 000 Kurdes lors de l'opération Al-Anfal, en 1988, avec l'emploi d'armes chimiques, ou les massacres de centaines de milliers de chiites au printemps 1991, après la guerre du Golfe.
A QUOI SERVENT CES IMAGES ?
La télévision publique Al-Iraqiya a diffusé une séquence d'une vingtaine de secondes, filmée par les services de communication du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, montrant, sans le son, les derniers instants du dictateur déchu, mais pas la pendaison ni le cadavre. Il s'agissait de prouver que le «tyran [était] bien mort».
Une très large majorité de la population, notamment les chiites (60 % de la population) et les Kurdes (20 %), principales victimes du défunt régime, était favorable à la pendaison de l'ex-raïs, responsable de la mort de centaines de milliers d'Irakiens. La vidéo pirate de 2"30 illustre de façon beaucoup plus crue les conditions d'une mise à mort évoquant clairement une vengeance communautaire, scandée par des cris à la gloire du jeune imam chiite radical Moqtada al-Sadr. «L'exécution aurait dû avoir lieu conformément aux critères les plus élevés de discipline et de respect pour le condamné, à la fois avant et après sa mort», a déclaré hier Khoudaïer al-Khouzaï, qui assure l'intérim du ministre de la Justice, annonçant l'ouverture d'une enquête.
L'auteur de la vidéo était au premier rang parmi une dizaine de personnes qui assistaient à l'exécution. Il s'agit vraisemblablement d'un gardien ou d'un notable chiite et, manifestement, on l'a laissé faire ou on n'a pas osé l'empêcher d'immortaliser ainsi le moment tant attendu. Passant de portable à portable, cette vidéo est déjà devenue un document dans les villes et quartiers chiites de tout l'Irak.