Les rebelles kurdes de Turquie baissent les armes


Laure Marchand  - 29 septembre 2006

Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du Parti des travailleurs kurdes (PKK), demande à ses troupes de renoncer à la violence armée.

DE L'ÎLE-PRISON d'Imrali, au large des côtes turques, où il purge une peine d'emprisonnement à vie, Abdullah Öcalan a exhorté ses troupes à interrompre la lutte armée. «J'appelle le PKK à un cessez-le-feu (...) Tant que nous ne serons pas la cible d'une destruction totale (NDLR : des autorités turques), le PKK ne devrait absolument pas utiliser ses armes», a indiqué le leader séparatiste kurde dans un communiqué transmis par ses avocats. «A ce stade, l'effusion de sang doit s'arrêter et une nouvelle chance doit être donnée à la paix», justifie-t-il, tout en précisant que cette «chance pourrait être la dernière».

 
Des rumeurs de cessez-le-feu, de plus en plus insistantes, circulaient depuis le mois d'août. Il y a quinze jours, le DTP, le parti politique pro-kurde en Turquie, avait également prôné un cessez-le-feu unilatéral. Et, au début de la semaine, le président irakien Jalal Talabani, d'origine kurde, avait estimé qu'une annonce en ce sens pouvait intervenir à brève échéance. Après avoir rencontré des lieutenants d'Öcalan retranchés dans les montagnes du Nord irakien, «nous avons convaincu le PKK d'interrompre le combat et, d'ici à quelques jours, il va officiellement annoncer un cessez-le-feu», avait assuré le chef d'Etat irakien dans un entretien accordé à l'hebdomadaire américain Newsweek.
 
L'appel d'Abdullah Öcalan lancé de sa cellule intervient alors que la Turquie connaît un regain de violence. Depuis janvier, au moins 78 soldats et plus de 100 rebelles du PKK ont perdu la vie dans des accrochages dans les montagnes du Sud-Est anatolien. Au printemps, des émeutes ont replongé de la région kurde dans le climat des années sanglantes de la guerre civile. Et, cet été, des attentats, attribués aux Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), ont semé la terreur dans les stations balnéaires et à Istanbul. L'escalade a connu son paroxysme le 15 septembre avec l'explosion d'une bombe, cachée dans un thermos, à une station de bus de Diyarbakir tuant dix personnes dont sept enfants.
 
«Un charisme intact»
 
«Il est encore trop tôt pour savoir si le cessez-le-feu sera suivi sur le terrain», explique Ümit Firat, un des intellectuels kurdes de premier plan en Turquie. «Malgré sa détention, Abdullah Öcalan conserve un charisme intact auprès de ses affidés. Mais des groupes radicaux au sein du PKK paraissent échapper, au moins en partie, à son contrôle. Il semblerait que la faction radicale des Faucons de la liberté du Kurdistan n'ait pas son aval et soit pilotée depuis le mont Kandil en Irak», avance Ümit Firat. Le nombre de combattants repliés de l'autre côté de la frontière est estimé à 5 000. De cette base arrière, ils mènent des incursions sur le territoire turc. Mais l'approche de l'hiver va bientôt rendre impossible leurs opérations. Ce qui fait dire à plusieurs experts que ce cessez-le-feu est de saison et comporte une dimension tactique non négligeable. Par le passé, quatre annonces similaires n'avaient finalement pas été respectées. Et l'armée turque refuse de leur accorder la moindre valeur. L'état-major promet régulièrement de traquer jusqu'au dernier des «terroristes» kurdes. Ankara est dans une impasse politique totale pour mettre fin à la violence.
 
A un an de l'élection présidentielle, aucune mesure pour sortir du conflit n'est à l'agenda du gouvernement. Mais les bouleversements régionaux contribuent à affaiblir les troupes d'Öcalan et pourraient être bénéfiques pour la Turquie. Un Kurdistan toujours plus autonome émerge dans le Nord de l'Irak et les leaders de cette région «libre» voient désormais dans les activités du PKK sur son sol un facteur d'instabilité. Washington, accusé par Ankara d'inaction contre l'organisation séparatiste, a nommé cet été un émissaire spécial, le général à la retraite Joseph W. Ralston, pour coordonner la lutte contre le PKK en Irak. Enfin, en quête de bonnes relations avec son voisin turc, Bagdad a assuré que tous les bureaux du PKK en Irak seraient fermés. De quoi calmer, au moins pour quelque temps, l'opinion publique turque et les velléités d'intervention militaire de l'autre côté de la frontière.