Le Parlement irakien issu des urnes est à l'image d'un pays plus que jamais morcelé selon ses clivages communautaires. Au vu des résultats officiels des législatives du 15 décembre, les Irakiens ont voté non pour des partis ou des programmes, mais en fonction de leurs appartenances ethniques ou confessionnelles.
Bonne surprise. D'après les chiffres fournis vendredi par la commission électorale indépendante, la coalition islamiste chiite arrive largement en tête. Cette alliance qui rassemble à la fois des partisans de l'imam radical Moqtada al-Sadr, du Dawa, le parti du Premier ministre sortant Ibrahim al-Jaafari, et de l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii) rafle 128 des 275 sièges à pourvoir, mais ne recueille pas la majorité absolue. Même s'ils ne retrouvent pas leur score précédent (146 élus), les chiites ont tout lieu d'être satisfaits. «C'est pour eux une bonne surprise. Au moment de la constitution de la liste, les partis qui la composent s'étaient âprement disputé les cent premiers sièges car ils ne pensaient pas avoir davantage», indique l'anthropologue irakien Hosham Dawod. Lors du précédent scrutin, ils avaient bénéficié, ainsi que les nationalistes kurdes, de l'absence des sunnites arabes, la troisième communauté du pays. Pour les mêmes raisons, les deux grands partis kurdes, regroupés au sein d'un même bloc, n'obtiennent que 53 élus, contre 75 précédemment.Grand perdant. Le scrutin confirme la perte de pouvoir des sunnites, qui avaient dominé l'Irak depuis sa création. Alors qu'ils avaient boycotté les premières élections libres de janvier 2005, ils ont participé en masse à ces législatives. Les deux grandes listes sunnites totalisent à peine plus que le bloc kurde. Le Front irakien de la concorde et le Front pour le dialogue national récoltent respectivement 44 et 11 sièges. L'ex-Premier ministre Iyad Allaoui, chiite mais laïque, apparaît aussi comme le grand perdant du scrutin. Ce nationaliste irakien, partisan d'un exécutif fort, n'obtient que 25 députés. Ahmed Chalabi, l'ex-favori des néoconservateurs américains, subit une défaite encore plus cinglante. Sa liste recueille 0,5 % des suffrages.
De concert avec les chefs sunnites, Allaoui dénonce une fraude massive et réclame l'annulation des élections. Près de 2000 plaintes pour violences, intimidations, bourrage d'urnes, ont été enregistrées. La mission internationale d'experts n'a pas été en mesure de mettre fin à la polémique. Elle s'est déclarée jeudi incapable «dans les circonstances actuelles» d'évaluer l'étendue des irrégularités commises.
Marchandages. Les soupçons qui pèsent sur le scrutin et les risques de guerre civile plaident en faveur d'un gouvernement d'union nationale. Cette solution, qui a la faveur de la plupart des leaders irakiens et des Etats-Unis, va nécessiter de longs et laborieux marchandages. La coalition chiite, qui revendique le poste de Premier ministre, n'est toujours pas parvenue à s'entendre sur un candidat. Le chef du Dawa, Ibrahim al-Jaafari, compte bien se succéder à lui-même et peut compter sur le soutien de Moqtada al-Sadr. Mais l'Asrii réclame le poste pour l'un des siens, Adel Abdel Mahdi. L'autre grand enjeu sera de savoir qui contrôlera les appareils de sécurité. Le ministre sortant de l'Intérieur, Bayan Jaber, autre membre de l'Asrii, est accusé d'avoir favorisé le noyautage de la police par son ancienne milice, Al-Badr, et de couvrir les exactions de véritables escadrons de la mort.
Un homme sort vainqueur des législatives. Moqtada al-Sadr, le rebelle qui, à l'été 2004, était avec ses hommes encerclé par l'armée américaine à Najaf, dirige aujourd'hui le premier parti du pays. Le Parlement compte une cinquantaine de députés «sadristes» et apparentés. Le roi Abdallah d'Arabie Saoudite ne s'y est pas trompé. Pendant le pèlerinage à La Mecque, il s'est longuement entretenu avec le jeune imam.