lemonde.fr | Par Jacques Follorou | 16/05/2019
Une information judiciaire a été ouverte, mardi 14 mai, sur le meurtre de trois militantes kurdes, à Paris, en janvier 2013.
Dans le monde de l’espionnage, il est une règle non dite : tout est accepté sauf lorsque des services étrangers viennent tuer des gens sur votre sol. C’est sans doute ce qui a poussé la justice a rouvrir, mardi 14 mai, une enquête que l’on croyait close, celle de l’assassinat, le 9 janvier 2013, à Paris, de trois cadres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Söylemez. L’unique suspect, le Turc Omer Güney, avait été renvoyé devant la cour d’assises spéciale de Paris, mais, décédé d’un cancer du cerveau en décembre 2016, la veille de son procès, l’action publique s’était éteinte.
L’affaire, rouverte pour des faits de complicité d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste et d’association de malfaiteurs terroriste criminelle, et confiée à un juge antiterroriste, vise la possible responsabilité des services secrets turcs, le MIT. Son rôle éventuel est souligné dans plusieurs pièces versées par les familles des victimes dans une nouvelle plainte qui avait été déposée en mars 2018. D’autres éléments à charge ont été transmis par les justices belge et allemande, elles aussi confrontées à des assassinats ou à des tentatives à l’encontre de responsables kurdes dans leur pays.
Les soupçons formels contre les services secrets turcs remontent à 2014. Lors d’une demande de déclassification de documents, la juge d’instruction française saisie du dossier Güney indiquait : « L’enquête judiciaire a mis en évidence que l’un des mobiles les plus plausibles de ce triple assassinat pouvait être mis en relation avec les activités supposées d’Omer Güney [le tireur présumé] en France au sein des services secrets turcs [MIT]. »
Liens étroits avec le MIT
Ses liens avec la communauté kurde apparaissaient comme très récents au moment des faits, laissant la place à l’hypothèse d’une infiltration préméditée. Les investigations avaient, de plus, permis d’établir qu’il avait multiplié les allers et retours avec la Turquie dans l’année qui a précédé le meurtre.
Par ailleurs, la sonorisation de ses parloirs, lors de son incarcération à Fresnes (Val-de-Marne), avait montré les liens étroits existant entre le suspect et des agents du MIT en Allemagne et en Belgique. Des perquisitions menées par la police allemande avaient confirmé le projet d’évasion de Güney monté avec l’appui logistique du MIT, prévue lors d’un séjour à l’hôpital parisien de la Salpêtrière. Enfin, un « ordre de mission » du MIT mentionnant le projet d’assassinat confié à l’accusé était versé à la procédure française après avoir été authentifié par les services secrets allemands. Cette pièce attestait la présence en France d’un diplomate pouvant jouer le rôle de coordination des actions menées contre les chefs du PKK réfugiés en Europe.
Ces accusations étaient renforcées par des informations transmises par la justice belge, saisie, en 2016, d’une plainte pour menaces de mort contre un responsable kurde, Remzi Kartal. Le 14 juin 2017, les policiers belges contrôlaient trois suspects, à Bruxelles, dans un véhicule immatriculé en France. Deux d’entre eux, qui communiquaient avec des numéros de téléphone français, montrèrent leur carte de police turque en guise de papier d’identité. Le chauffeur et propriétaire de la voiture résidait, lui, à Argenteuil (Val-d’Oise). Deux jours plus tard, selon la justice belge, ces deux hommes rencontraient quatre autres Turcs à Paris. Parmi eux se trouvaient un policier turc de haut rang et « un tireur d’élite ».
Les soupçons visant la Turquie et le MIT ont été démentis par les autorités d’Ankara dès 2014. Aucun responsable des services secrets turcs n’a été, à ce jour, interrogé par la justice et donc susceptible de répondre aux accusations. Sollicité par Le Monde, mercredi, l’ambassadeur de Turquie, en France, Ismail Hakki Musa, n’a pas souhaité s’exprimer sur cette affaire.