Le point de passage de Bab Al-Hawa, en juillet 2019. AAREF WATAD / AFP
Des Syriens manifestent contre la politique russe visant à faire fermer les points de passage permettant d’acheminer l’aide humanitaire, le 10 juillet à Idlib. ABDULAZIZ KETAZ / AFP
Le Monde | Par Carrie Nooten | Publié 13/07/2020
Sur pression de la Russie, et après plusieurs jours de tractations, le Conseil de sécurité des Nations unies a réduit encore l’accès des convois d’aide extérieure vers le territoire syrien.
A l’ONU, la Russie a remporté une victoire pour son allié Bachar Al-Assad samedi 11 juillet, à l’issue d’une semaine de négociations, forçant le Conseil de sécurité à limiter les livraisons d’aide humanitaire dans le nord-ouest de la Syrie, tenu par les rebelles. Pourtant, plusieurs diplomates des Nations unies, différentes ONG, et la grande majorité du Conseil lui-même, avaient répété que les deux points de passage à ce jour situés sur la frontière turco-syrienne étaient essentiels pour apporter le soutien dont ont besoin les 4,3 millions de réfugiés – et ce, alors qu’un premier cas de Covid-19 aurait été dépisté dans la région.
Mais pour la deuxième fois de l’année, Moscou n’a absolument pas transigé, et continue à expliquer que l’aide humanitaire doit transiter par Damas, pour « respecter sa souveraineté ». En janvier déjà, sous pression russe, le Conseil avait été contraint de revoir le dispositif onusien à la baisse, passant de quatre points de passage, avec la Turquie, à deux.
Des mères donnent de l’herbe à leurs enfants
Le Conseil a été briefé sur l’état catastrophique de la situation. « Les mères expliquent qu’elles ne trouvent ni nourriture ni médicaments dans les marchés, et qu’elles dépendent entièrement des paquets de nourritures distribués à la frontière, a exposé le secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des affaires humanitaires (OCHA), Mark Lowcock, lundi 29 juin, lors d’un compte rendu régulier. Certaines cuisinent de l’herbe pour agrémenter les portions de nourriture. Tel est le niveau de désespoir. » Mark Lowcock avait alors émis le souhait que le mécanisme onusien conserve les deux points de passage à la frontière turque, et qu’on réactive également le point de Yaroubiya à la frontière syro-irakienne, pour pouvoir faire face à une éventuelle progression de la pandémie.
Cette semaine, une majorité écrasante du Conseil (13 membres sur 15) a voté deux fois le maintien de ce système de points de passage transfrontaliers, mais la Russie, ainsi que la Chine, ont opposé leur veto à deux textes successifs – les 15e et 16e vetos russes depuis le début du conflit syrien, en 2011. Les points de Bab Al-Hawa (à proximité d’Idlib) et de Bab Al-Salamah (près d’Alep) ont justement dû être fermés quelques heures samedi 11 juillet, faute d’avoir été de nouveau autorisés à temps par les diplomates : les treize membres du Conseil en faveur d’un dispositif maximal ont osé risquer la fermeture du dispositif quelques heures, le temps de tenter une ultime négociation. Le dernier texte, voté par 12 membres du Conseil, réinstalle Bab Al-Hawa, reconduit pour un an.
« Nous restons engagés auprès des victimes »
Ironiquement, cette bataille autour de la résolution 2504 intervient onze jours à peine après le vote du texte établissant une trêve humanitaire mondiale de quatre-vingt-dix jours en raison de la pandémie de Covid-19. « Nous avons finalement proposé un compromis pour préserver le mécanisme transfrontalier onusien, a expliqué le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, souvent en contact direct avec Moscou lors de ces négociations. Mais nous sommes convaincus que plus de points sont nécessaires. Nous restons engagés auprès des victimes de la guerre en Syrie. » Le secrétaire général, Antonio Guterres, a rappelé qu’il fallait assurer un accès à l’aide, selon le droit international humanitaire. « L’ONU et les Etats membres doivent explorer de nouveaux acheminements pour assurer que le plus d’aide possible atteignent ceux qui en ont besoin, au nord-est et au nord-ouest du pays », a déclaré, à l’issue du vote, Louis Charbonneau, directeur de Human Rights Watch (HRW) pour l’ONU.
« Les négociateurs auraient pu offrir d’autres garanties aux Russes pour tenter un compromis, peut-être via une médiation turque », avance un observateur. Difficile de savoir si l’Allemagne et la Belgique auraient pu contourner la volonté de la Russie et de son veto.
La volonté de ménager la Russie
D’autant que les corédacteurs du texte ont essayé au contraire de la ménager : alors qu’ils avaient le projet de demander la réouverture du troisième point de Yaroubiya, ils ont préféré uniquement demander le simple renouvellement des deux points encore en activité la semaine dernière, pour que la Russie ne se sente pas « provoquée ». « L’Allemagne et la Belgique ont essayé de montrer du doigt la Russie le moins directement possible, analyse Richard Gowan, directeur ONU d’International Crisis Group. En janvier, elles l’avaient attaquée frontalement, et avaient dû capituler. » Les corédacteurs du texte ont dû se défendre sur un autre front également : diplomates russes et chinois ont tenté à plusieurs reprises de faire inscrire dans le texte que les sanctions américaines et européennes empêchaient un bon accès à l’aide humanitaire. Le Conseil ne les a pas laissés faire.
Depuis janvier, 8 486 camions ont traversé la frontière turque pour apporter de l’aide à 4,3 millions de personnes dans le nord-ouest, en grande majorité des personnes déplacées. A en croire un responsable d’ONG souhaitant rester anonyme, et qui travaille régulièrement avec le régime de Bachar Al-Assad, « pour l’instant, le transit exclusif par Damas ne fonctionne pas du tout. »« Certains chuchotent qu’un “gentleman agreement” [accord informel] a été passé au cas où l’épidémie de Covid-19 s’étendrait en Syrie – ce qui n’est pour l’instant pas le cas, confie l’observateur. Ils pensent pouvoir alors redemander l’ouverture de Bab Al-Salamah en urgence. »