Mike Pompeo (à d.), lors de sa visite surprise en Irak, parle avec Joey Wood, le chargé d’affaire de l’ambassade américaine de Bagdad, le 7 mai 2019. Mandel Ngan / AP
lemonde.fr | Par Hélène Sallon | 16/05/2019
Les Etats-Unis, qui ont rappelé leur personnel diplomatique non essentiel, sont soupçonnés d’exagérer la menace des milices chiites.
Ligne de friction et terrain de rivalité entre les Etats-Unis et l’Iran, l’Irak pouvait difficilement s’extraire de la montée des tensions entre ses deux parrains. Après une série d’incidents visant des intérêts pétroliers dans le Golfe ces derniers jours, les Etats-Unis ont invoqué un « flux de menaces accru » en Irak pour rappeler leur personnel diplomatique non essentiel de l’ambassade de Bagdad et du consulat d’Erbil, au Kurdistan irakien, mercredi 15 mai.
Soupçonnée d’alimenter l’escalade en exagérant le niveau de la menace, l’administration américaine a justifié « une menace imminente contre [son] personnel ». Cette menace « est réelle », a insisté un haut responsable américain à Washington, évoquant la responsabilité de « milices irakiennes sous commandement et contrôle des gardiens de la révolution iraniens ».
Depuis la proclamation de la victoire contre l’organisation Etat islamique (EI) en décembre 2017, à laquelle Washington et Téhéran ont indirectement coopéré, les deux parrains se livrent une guerre d’influence en Irak. La décision du président américain, Donald Trump, de réinstaurer des sanctions économiques contre l’Iran, après son retrait de l’accord nucléaire en mai 2018, puis l’inscription, en avril, des gardiens de la révolution sur la liste américaine des « organisations terroristes » ont avivé les tensions.
« Pression maximale » de Washington
Washington fait pression pour que Bagdad limite ses échanges avec son voisin iranien, partenaire économique incontournable dans des secteurs-clés, et réduise l’influence des milices chiites pro-iraniennes au sein de l’appareil sécuritaire. Ces dernières, entrées en force au Parlement en mai 2018, ont multiplié les provocations contre les Américains, sans toutefois réussir à rallier une majorité pour imposer le départ des troupes étrangères – dont 5 200 soldats américains.
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Dans le contexte de « pression maximale » exercée depuis dix jours par Washington, présentée comme une réponse à des préparatifs iraniens d’attaques aux contours encore flous contre ses intérêts dans la région, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a effectué une visite surprise à Bagdad le 5 mai, pour partager avec les dirigeants irakiens « les informations qui indiquent une escalade des activités de l’Iran ». Selon plusieurs responsables militaires américains, le renseignement a constaté des mouvements d’armes et de groupes pro-iraniens à terre et en mer, et des instructions pour attaquer des intérêts américains comme des ambassades, des consulats ou des soldats.
Au terme de sa visite, Mike Pompeo a déclaré avoir reçu l’« assurance » des autorités de Bagdad qu’elles protégeaient « de manière adéquate les Américains dans leur pays ». Cette assurance a été réitérée mardi par le premier ministre, Adel Abdel Mahdi, qui a indiqué que Bagdad n’avait relevé aucune activité menaçante des milices chiites pro-iraniennes. Une analyse qu’a partagée le général Chris Ghika, un porte-parole britannique de la coalition internationale, qui a démenti mardi toute « aggravation de la menace posée par les forces pro-iraniennes ».
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Le Pentagone et le département d’Etat se sont relayés pour minimiser et contredire ses propos. De leur côté, les armées allemande et néerlandaise, alliées des Etats-Unis au sein de la coalition anti-EI, ont annoncé avoir suspendu jusqu’à nouvel ordre leurs opérations de formation militaire en Irak. Berlin, qui déploie actuellement quelque 160 instructeurs sur place, a invoqué une « vigilance accrue », tandis qu’Amsterdam, qui dispose de 50 instructeurs, a évoqué des « menaces ». Le ministère français des armées a fait savoir à l’agence Reuters qu’« aucun changement de l’engagement français en Irak n’a lieu actuellement ».
« Guerre psychologique »
La position de neutralité dans laquelle M. Abdel Mahdi s’évertue à maintenir l’Irak pour éviter qu’elle ne devienne un terrain de confrontation entre les deux rivaux est un difficile équilibre. « Le problème est qu’il est considéré à Washington comme une excroissance iranienne. Sa marge de manœuvre est limitée. Il n’est pas en mesure d’imposer aux milices d’épargner le pays et de garder l’Irak neutre », estime Hosham Dawood, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
« Les accusations américaines sont sans fondement », Laith al Athari, porte-parole du groupe pro-iranien Asaïb Ahl Al-Haq
Les milices chiites proches de l’Iran ont nié toute intention de s’en prendre aux intérêts américains et accusé Washington de se livrer à une « guerre psychologique ». « Les accusations américaines sont sans fondement. Cela nous rappelle le mensonge des armes de destruction massive en Irak », a déclaré Laith al Athari, porte-parole du groupe pro-iranien Asaïb Ahl Al-Haq, en rappelant le prétexte utilisé par les Etats-Unis pour envahir l’Irak de Saddam Hussein en 2003.
De leur côté, les responsables américains ont assuré mercredi que ce rappel de diplomates n’était pas motivé par une action militaire imminente des Etats-Unis contre l’Iran ou ses groupes alliés, tandis que le président Trump a renouvelé ses appels au dialogue. « Je suis sûr que l’Iran voudra bientôt discuter », a-t-il lancé sur Twitter.