Une affiche à l’effigie de Massoud Barzani, lors d’un meeting du Parti démocratique du Kurdistan, le 25 septembre à Erbil. SAFIN HAMED / AFP
Le président irakien Barham Salih reçoit des peshmergas au palais présidentiel, à Bagdad, le 11 octobre. Karim Kadim / AP
Le Monde | par Hélène Sallon | 24/10/2018
L'ex-président de la région autonome est en position de force pour négocier des portefeuilles dans le futur gouvernement de Bagdad.
Le scrutin du 30 septembre marque un retour au bipartisme des deux partis-clans qui se partagent le Kurdistan
Un an après le fiasco du référendum sur l'autodétermination du Kurdistan irakien du 25 septembre 2017, Massoud Barzani engrange les dividendes de son entêtement à porter coûte que coûte le rêve d'indépendance kurde. La formation de l'ancien président kurde, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), a remporté une victoire écrasante sur son rival, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), aux élections législatives de la région autonome, selon les résultats définitifs, publiés dimanche 21 octobre.
Vainqueur à l'échelle locale, le PDK est en position de force pour obtenir des portefeuilles au sein du futur gouvernement fédéral. Or l'avenir pour le camp kurde, miné par les divisions, se joue plus que jamais à Bagdad. Massoud Barzani a su tirer profit de son pari perdu de septembre 2017, en dépit de la reconquête consécutive par Bagdad des territoires disputés – dont la province pétrolifère de Kirkouk – que les forces kurdes occupaient depuis 2014 et la guerre contre l'organisation Etat islamique.
Après trois semaines de recomptage des votes sur fond d'allégations de fraude, la commission électorale kurde a confirmé, dimanche, la victoire du PDK avec 45 sièges sur les 111 au Parlement local. Second avec 21 sièges, l'UPK n'obtient que trois sièges supplémentaires. Le parti rival de la famille Talabani paie le prix de ce que M. Barzani avait dénoncé comme une " haute trahison " en octobre 2017, quand les combattants kurdes peshmergas de l'UPK s'étaient retirés sans combattre de Kirkouk face à l'avancée des forces fédérales.
" Erreur stratégique "
L'UPK conserve cependant sa -position dominante dans ses bastions traditionnels du sud du Kurdistan. Le scrutin du 30 septembre marque ainsi un retour au bipartisme entre deux clans, qui se partagent politiquement, économiquement et militairement la région autonome. Il voit aussi la montée en puissance de personnalités sécuritaires au -détriment de membres de la -société civile. Le parti d'opposition Goran (" changement ") a perdu la moitié de ses sièges, avec 12 députés élus. Les deux partis islamistes sont également en recul. Outsider, le parti Nouvelle Génération réalise une -percée, avec huit sièges. Dénonçant des fraudes, tous ont annoncé leur intention de contester les résultats. La victoire des deux partis historiques est nuancée par un fort taux d'abstention – 42 % selon les chiffres officiels –, signe d'une défiance accrue de la population envers les responsables politiques.
Avec les 11 députés issus des minorités, le PDK est en position d'obtenir la majorité au Parlement et de former seul le futur gouvernement de la région autonome. Pour la première fois depuis vingt-six ans, le PDK dit -exclure de former un gouvernement d'union nationale avec l'UPK. " Ce serait une erreur -stratégique. On voit mal comment le PDK peut gérer le sud du Kurdistan qui est contrôlé politiquement, militairement et économiquement par l'UPK. Ce serait prendre le risque d'un retour à la guerre civile des années 1990 et de la division en deux gouvernements - celui du PDK à Erbil et -celui de l'UPK à Souleimaniyé de 1994 à 2006 - .Le PDK est dans l'obligation de cohabiter avec l'UPK ", estime Adel Bakawan, chercheur associé à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
" Toutes les discussions kurdes sur leur avenir passent désormais par Bagdad, et non plus par Erbil. Ce déplacement du centre de gravité est lourd de conséquences dans le camp kurde ", analyse Hosham Dawood, chercheur à l'EHESS. De fait, la rivalité entre les deux partis a été aiguisée par la bataille inédite qu'ils se sont livrée pour la présidence de l'Irak, dévolue à un Kurde, le 2 octobre au Parlement fédéral à Bagdad. Après avoir démissionné de la présidence du Kurdistan irakien en novembre 2017, Massoud Barzani avait décidé de remettre en cause l'arrangement tacite qui, depuis 2005, garantissait ce poste honorifique à l'UPK.
Appuyé en principe au Parlement par la coalition de partis chiites pro-iraniens et leurs alliés sunnites, qui voient dans le PDK la seule force à même de stabiliser le Kurdistan, M. Barzani pensait pouvoir imposer son candidat, son fidèle conseiller Fouad Hussein. C'était sans compter les ambitions du candidat de l'UPK, Barham Salih, qui a rejeté l'accord que négociaient les deux partis kurdes pour présenter un candidat unique. " C'était, pour M. Salih, le moment ou jamais. S'il n'avait pas ce poste, il était mort politiquement ", analyse Adel Bakawan. Partisan de l'intégrité de l'Irak, M. Salih a pu compter sur le profond rejet de M. Barzanichez les députés chiites, qui ont ignoré les consignes de vote. Il l'a emporté avec 219 voix sur 329, infligeant un revers cinglant au candidat du PDK.
Ce camouflet a été dénoncé comme une nouvelle trahison de l'UPK par Massoud Barzani. Face au risque d'une escalade entre les deux rivaux, acteurs locaux et régionaux s'évertuent à apaiser les tensions. Ami proche de M. Barzani, le nouveau premier ministre irakien, Adel Abdul Mahdi, " a joué un rôle positif de dédramatisation de ses rapports avec l'UPK, assure M. Bakawan. Et l'UPK est disposé à lâcher beaucoup de lest envers le PDK. "