Rajo aujourd'hui © Rûdaw
Depuis son invasion du canton kurde syrien d’Afrin en mars 2018, la Turquie procède à un nettoyage ethnique de ce territoire situé au nord d’Alep.
Depuis son invasion du canton kurde syrien d’Afrin en mars 2018, la Turquie procède à un nettoyage ethnique de ce territoire situé au nord d’Alep.
Avant cette invasion, le canton avait une population d’environ 300.000 habitants à près de 98% de Kurdes et il accueillait aussi, selon les statistiques de l’ONU, 125.000 déplacés internes en grande partie des Kurdes fuyant les bombardements du régime syrien notamment dans la province d’Alep. Dans ce canton resté à l’écart de la guerre une administration locale kurde élue par la population gérait les affaires locales et une milice d’auto-défense formée de jeunes hommes et de filles originaires du canton assurait la sécurité de ce territoire fertile riche en eau et en ressources naturelles convoitées et attaqué régulièrement par des milices syriennes islamistes et djihadistes. Les femmes occupaient une place éminente dans les instances politiques et militaires laïques du canton où l’enseignement faisait une large place à la langue kurde réprimée et ignorée dans l’espace public sous la dictature des Assad.
Le régime turc a considéré l’autonomie de ce petit territoire comme une « une menace existentielle pour l’Etat turc » et a décidé de l’envahir avec le feu vert des Russes. Les Occidentaux, pourtant alliés des Kurdes syriens dans la guerre contre Daech, ont laissé faire, se contentant de quelques admonestations verbales sans conséquence. Aucun Etat n’est allé jusqu’à saisir le Conseil de Sécurité au sujet de cette violation flagrante du droit international.
A la suite de cette invasion, dans un premier temps, selon les chiffres de l’ONU, 130.000 Kurdes ont dû fuir vers la province d’Alep où ils survivent dans des camps de fortune. La politique de terreur, de confiscation de biens, d’arrestations, d’enlèvements, de tortures, de pillages pratiqués sous l’égide de l’armée turque d’occupation par les milices arabes et turkmènes islamistes ont poussé environ 120.000 autres Kurdes autochtones et déplacés kurdes à s’en aller. Leurs maisons, leurs terres et leurs commerces ont été offerts à ces miliciens que le Pentagone qualifie de « la racaille de la pire espèce », à leurs familles et à des réfugiés arabes venant de la Ghouta et d’Idlib.
Selon les chiffres indiquées lors d’une conférence consacrée à la situation dans les territoires kurdes sous occupation turque tenue le 30 janvier 2021 à Qamishlo avec la participation de nombreuses ONG et témoins de terrain, la Turquie a installé environ 400.000 Arabes et Turkmènes dans le canton d’Afrin où les Kurdes ne représenteraient plus qu’à peine le quart de la population. Le canton est pratiquement rattaché au gouvernorat de Hatay (ancien Antioche, annexé en 1939 à la Turquie). Le drapeau turc flotte sur les bâtiments, les écoles enseignent en arabe et en turc, les réseaux d’électricité et de téléphone connectés à ceux de la Turquie. Les imams et prêcheurs des mosquées sont nommés et payés par la Direction des Affaires religieuses (Diyanet) de Turquie. La livre (lira) turque est devenue la monnaie d’échanges commerciaux. Les femmes ont disparu de l’espace public où les milices syriennes à la solde de l’armée turque font appliquer les règles de la charia islamique. La principale milice sévissant dans la région est Ahrar al-Sharqiya, formée en grande partie des anciens de Daech recyclés par les services turcs.
Le cas de Rajo
La ville de Rajo du canton d’Afrin, située à 3 km de la frontière turque et à 30 km d’Afrin était avant l’invasion turque peuplée quasi-exclusivement de Kurdes. Depuis, la Turquie y a installé 40.000 Arabes et Turkmènes et il n’y reste plus qu’environ 12.000 Kurdes.
Selon la chaîne d’info kurde irakienne RUDAW TV, peu suspecte de sympathie pro-PKK ou pro-YPG mais sensible au sort de la population civile kurde, qui a pu recouper de nombreux témoignages émanant des survivants kurdes de cette campagne de nettoyage ethnique systématique dans les 15 villages des alentours de Rajo où vivaient 1780 familles kurdes, il n’en reste plus que 308 familles composées essentiellement de personnes âgées incapables de se déplacer et qui préfèrent rester au risque de leur vie.
L’un de ces villages appelé Derwis, qui comptait avant l’invasion turque environ 1000 habitants, a été entièrement vidé de sa population par l’armée turque qui l’occupe depuis le 23 février 2018 et transformé en camp militaire 1300 oliviers du village ont été coupés pour empêcher tout retour ultérieur des paysans kurdes dépossédés.
Les milices pro-turques ont fait main basse sur plus de 100.000 oliviers et sur les pressoirs à olive de ce territoire. La station du train de Rajo, jadis jalon important sur le trajet de Bagdad Bahn, liant l’Orient Express à Bagdad, a été transformé en prison et en centre de torture pour les Kurdes refusant d’obéir aux forces d’occupation.
Le nettoyage ethnique est en droit international un crime contre l’humanité. La confiscation des biens, la spoliation, les pillages, la torture, les assassinats des civils perpétrés depuis trois ans par les milices islamistes auxiliaires de l’armée turque sont des crimes de guerre caractérisés dont la responsabilité incombe à la puissance d’occupation qu’est la Turquie.
Le président Macron a certes qualifié la Turquie d’ « Etat criminel » mais il n’y a pas eu de suite diplomatique ou judiciaire. Divisée, l’UE reste inaudible face à Ankara et l’OTAN supposée être une famille de démocraties attachées aux droits de l’homme, continue à garder le silence sur les crimes de son allié turc.