Par Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale)
Au lendemain de la signature d’un mémorandum avec Ankara, le gouvernement suédois est critiqué sur son flanc gauche pour s’être incliné face à la Turquie.
La Suède « n’a pas cédé à Erdogan », martelait, mercredi 29 juin, la ministre suédoise des affaires étrangères, Ann Linde, depuis Madrid, alors que de nombreuses voix, à gauche surtout, fustigeaient l’accord, signé la veille, avec la Turquie et la Finlande, ouvrant la porte de l’OTAN aux deux pays nordiques. La cheffe de la diplomatie est priée de venir s’expliquer devant les députés, dès son retour d’Espagne.
Au Parlement, les réactions les plus virulentes émanent du parti des Vert et du Parti de gauche, alliés du gouvernement social-démocrate et opposés à la candidature suédoise à l’OTAN. Avant que la demande d’adhésion soit officialisée, le 18 mai, les deux formations avaient notamment mis en garde contre les risques de s’allier à la Turquie. Aujourd’hui, elles voient leurs craintes confirmées.
« Nous passons d’une tradition de travail pour le maintien de la paix à une situation où nous nous inclinons devant un régime autoritaire, qui a une si longue liste de violations des droits de l’homme sur sa conscience », s’est insurgée la porte-parole des Verts, Märta Stenevi. Le député du Parti de gauche Hakan Svenneling estime que l’accord passé avec Ankara « réduit au silence la voix de la Suède pour les droits des Kurdes dans la région, mais aussi pour la démocratie et les droits de l’homme en Turquie ».
La Société suédoise de paix et d’arbitrage, une ONG, ne ménage pas non plus ses critiques : « En cédant aux exigences, le gouvernement suédois permet à la Turquie, un régime antidémocratique qui ne respecte pas les droits de l’homme et qui a violé le droit international par son agression militaire illégale contre la Syrie, de contrôler la politique étrangère suédoise », dénonce Gabriella Irsten, l’une de ses responsables.
Extraditions rejetées depuis deux ans
Parmi les points qui suscitent le plus de craintes : l’engagement d’Helsinki et de Stockholm à traiter « de manière approfondie » les demandes d’extraditions de personnes soupçonnées de terrorisme par Ankara, « en tenant compte des informations, des preuves et des renseignements fournis par la Turquie ». Depuis Madrid, la première ministre, Magdalena Andersson, a assuré que son gouvernement suivrait « la législation suédoise et les conventions internationales » et rappelé que la Suède n’extradait jamais ses ressortissants. « Si on ne se consacre pas à une activité terroriste, il n’y a aucune raison d’être inquiet », a-t-elle observé.
Au même moment, à Ankara, le ministre de la justice, Bekir Bozdag, annonçait que son gouvernement, « dans le cadre du nouvel accord », allait demander à la Finlande l’extradition de « six membres du PKK [le Parti des travailleurs du Kurdistan, classé comme terroriste par la Turquie et la Suède] et six membres de Fetö [le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen qu’Ankara désigne comme terroriste] », et à la Suède, celle de « dix membres du Fetö et onze du PKK ».
Si les informations fournies par la Turquie sont de nature à « entraîner l’expulsion de ces personnes conformément à la loi suédoise, cela se produira bien sûr », a promis Mme Andersson. Le journaliste suédois d’origine kurde Kurdo Baksi s’étonne : « Parmi les Kurdes que la Turquie veut voir expulser de Suède, trois vivent à l’étranger, un est mort, et tous sauf un ont la nationalité suédoise. » Il rappelle que, ces deux dernières années, Stockholm a rejeté toutes les demandes d’extradition vers la Turquie ayant un motif politique, ce qui n’empêche pas les 100 000 Kurdes installés en Suède de « se sentir trahis », dit-il.
Reprise des exportations d’armes
Sur la liste, le journaliste turc et militant des droits de l’homme Ragip Zarakolu, réfugié en Suède depuis 2013, assure au quotidien Dagens Nyheter qu’il n’a « pas peur » et parle de « harcèlement » de la part d’Ankara. En 2018, la Turquie avait tenté d’obtenir son extradition, l’accusant d’être un sympathisant du PKK. La Cour suprême suédoise avait refusé. D’autres sont plus inquiets de figurer sur la liste.
La reprise des exportations d’armes vers la Turquie, alors même qu’Ankara menace de lancer une offensive militaire dans le nord de la Syrie, suscite la controverse. Même chose concernant l’engagement de Stockholm et d’Helsinki à « ne pas fournir de soutien » au Parti de l’union démocratique kurde en Syrie (PYD) et sa branche armée (YPG) pourtant alliés des Occidentaux en Syrie.
Le Parti social-démocrate est accusé d’avoir trahi sa promesse : en novembre 2021, il avait passé un accord avec la députée indépendante d’origine kurde, Amineh Kakabaveh, promettant une coopération accrue avec le PYD, en échange de son vote pour élire Mme Andersson. Dénonçant le « sacrifice des Kurdes pour l’adhésion à l’OTAN », Mme Kakabaveh appelle à une motion de défiance contre Ann Linde. Mais il faudrait encore que trente-cinq députés la soutiennent, ce qui semble peu probable, sachant que 88 % des parlementaires sont favorables à l’OTAN – contre seulement 53 % des Suédois, selon un sondage réalisé début mai.