Bozan Tekin
© CLAUDE-OLIVIER VOLLUZ | Le No 2 du PKK dit avoir renoncé à créer un Etat kurde indépendant en Turquie. L’autonomie démocratique au sein de l’Etat existant lui suffirait aujourd’hui. «Nous ne sommes plus un mouvement nationaliste.»
24heures.ch | CLAUDE-OLIVIER VOLLUZ QANDIL
TÉMOIGNAGE | Le PKK demande l’aide de l’Europe pour négocier l’arrêt des combats avec l’armée turque. Entretien exclusif avec le No 2 de l’une des plus vieilles guérillas du monde.
C’est l’un des hommes les plus recherchés par l’armée turque. Bozan Tekin, le No 2 du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), apparaît entouré d’une dizaine d’hommes en armes dans l’une des petites maisons en torchis donnant accès à Qandil, une région montagneuse du nord de l’Irak, à proximité des frontières turque et iranienne.
C’est là que sont venus se réfugier les combattants du PKK, au plus fort de la guerre contre l’armée turque dans les années 1990. Cette zone est désormais leur fief, leur réduit. Le visage creusé, Bozan Tekin a fière allure. Le charisme du guérillero sûr du bien-fondé de sa lutte.
«Vous êtes Suisse? De Lausanne? Nous connaissons bien cette ville», déclare-t-il, un rictus aux lèvres, en référence au Traité signé en 1923 dans la capitale vaudoise, dans le sillage du démembrement de l’Empire ottoman. Un texte constitutif de la Turquie moderne, qui allait contraindre les Kurdes à renoncer à un Etat indépendant dans le sud-est de la Turquie. Une injustice pour le PKK qui en a fait la base de sa lutte armée. Mais depuis, ses objectifs ont évolué.
– Vous n’évoquez plus la création d’un Etat dans le sud-est de la Turquie. Cette revendication était pourtant à la base de la création de votre mouvement?
– Nous avons renoncé à cet objectif. Nous ne sommes plus un mouvement nationaliste. Nous nous battons désormais pour que les Kurdes puissent bénéficier d’une autonomie démocratique à l’intérieur des Etats déjà existants, en Turquie mais aussi en Syrie et en Iran. En Irak, cela existe déjà. Nous voulons que les autorités locales dans les régions kurdes disposent de plus de pouvoir. Nous réclamons aussi la reconnaissance de notre identité kurde à l’intérieur de ces Etats.
– Le président turc Abdullah Gul a appelé les intellectuels et les partis d’opposition de Turquie à faire des propositions constructives pour résoudre la question kurde. Qu’en pensez-vous?
– Nous sommes aussi de cet avis. Les élections municipales de mars dernier en Turquie nous ont prouvé que la question kurde peut être réglée politiquement. Le parti DTP (prokurde, 21 sièges au parlement) a réalisé de très bons scores dans les provinces du sud-est et cela démontre que le peuple kurde attend un règlement pacifique et démocratique de cette question. C’est pour cela que nous avons déclaré unilatéralement un cessez-le-feu au lendemain de ces élections. Pour laisser une porte ouverte aux négociations.
– Selon vous, l’Europe doit jouer un rôle dans la résolution de cette question. Pourquoi?
– L’Europe porte une grande part de responsabilité dans ce qui nous est arrivé. Toutes les attaques dont nous avons été victimes ont été réalisées avec son soutien. L’Europe doit maintenant changer d’attitude, prendre ses responsabilités et encourager la Turquie à négocier.
– Vous êtes toutefois considéré en ennemi en Turquie, mais aussi en Europe et aux Etats-Unis où votre organisation est qualifiée de terroriste. Seriez-vous d’accord de vous mettre en retrait de ces discussions pour leur laisser plus de chances de démarrer?
– Si le gouvernement turc ne veut pas négocier avec notre leader, Abdullah Öcallan (ndlr: arrêté en 1999, condamné à la prison à vie et maintenu en détention sur l’île d’Imrali), il peut le faire par l’entremise du parti DTP, qui est légal et représenté au parlement turc. Et nous sommes prêts à aller encore plus loin. Nous proposons désormais de créer un comité d’intellectuels et de diplomates indépendants pour faire l’intermédiaire. Nous sommes même prêts à ce que des Turcs y soient intégrés.
– Le gouvernement turc envisagerait d’ouvrir de nouvelles heures d’antennes pour les émissions en kurde et de créer des instituts de kurdologie. S’agit-il de signaux positifs?
– Croyez-vous vraiment que cela peut signifier quelque chose pour le peuple kurde? Les Turcs ont créé TRT6, une télévision en kurde, mais les Kurdes ne lui donnent aucune valeur. Personne ne la regarde. L’Etat turc dit aussi vouloir redonner des noms kurdes aux villages du sud-est. Mais personne n’acceptera les noms que les Turcs vont donner à ces communes. Personne ne peut faire les choses à la place du peuple kurde.