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Liberation.fr | Par un Collectif d’historiens
Nous, historiens spécialistes du génocide des Arméniens engagés depuis de nombreuses années dans la recherche et la publication d’ouvrages sur ce sujet, tenons à exprimer notre complet désaccord avec les déclarations publiques tendant à faire de la réalité du génocide des Arméniens une thèse à discuter ou l’objet de quelque commission bipartite Turquie-Arménie devant statuer sur son existence, d’autant que derrière cette proposition apparemment objective se dissimule clairement le déni d’un Etat qui gagnerait à assumer son passé.
Nous nous élevons contre cette manœuvre de diversion qui prouve une grave ignorance des acquis de la recherche et finit par recourir à certains ressorts du négationnisme du génocide des Arméniens, instillant le mensonge, le soupçon et la rumeur. De telles méthodes déshonorent la raison critique et flirtent avec les tendances les plus criantes du négationnisme et du révisionnisme dont le but est de contester une évidence, en l’occurrence la réalité du génocide des Arméniens.
Nous rappelons solennellement que toute opinion ne vaut pas démonstration. De telles déclarations remettent en question la masse déjà importante des travaux universitaires sur la réalité de ce génocide commis entre 1915 et 1916, déjà qualifié en son temps de «meurtre d’une nation». La nécessaire poursuite des travaux sur cet événement ne peut s’appuyer sur l’occultation ou le refus perpétuels des acquis de la recherche, par l’invocation d’une liberté scientifique que le négationnisme détourne et pervertit et que le gouvernement turc, qui plus est, réprime violemment, à l’image de ces universitaires et éditeurs indépendants aujourd’hui emprisonnés. La matérialité et l’intention du génocide commis contre les Arméniens de l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale ont été amplement démontrées par des historiens qui ont pris la peine de travailler sur ce sujet et savent de quoi ils parlent quand ils associent le concept de génocide au cas arménien, à la différence des auteurs de ces déclarations approximatives, forts d’une notoriété acquise sur d’autres sujets mais dont aucun n’a mis son nez dans les archives ou publié sur le sujet.
Répandre l’idée que la réalité du génocide des Arméniens serait contestable constitue une véritable insulte pour les historiens et l’Histoire. La liberté pour l’Histoire n’est pas celle de dire n’importe quoi. L’autonomie de la recherche impose aussi la rigueur scientifique et l’honnêteté intellectuelle. Un génocide constitue un événement de portée mondiale qui exige une recherche internationale. Plus que jamais, la recherche sur les génocides avec une dimension comparatiste mérite une place plus importante en France, à l’université, à l’école, dans le monde de l’édition, au service du savoir et de la formation des citoyens. Le soutien à la recherche dans ce domaine devrait être une priorité de la République.
Nous lançons aussi un appel aux pouvoirs publics en France pour la création d’une chaire d’histoire sur l’étude des génocides. Elle permettrait de former, d’éduquer et d’en finir avec les propos négationnistes. Enfin, nous invitons l’ensemble des collègues reconnus en France et à l’étranger par leurs travaux sur le génocide des Arméniens ainsi que les chercheurs en sciences sociales et humaines concernés par cette approche, à s’associer à cet «Appel pour l’Histoire du génocide des Arméniens».
Annette Becker professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense, membre du comité scientifique du Mémorial de la Shoah ; Hamit Bozarslan directeur d’études à l’EHESS, docteur en histoire et sciences politiques ; Vincent Duclert professeur agrégé à l’EHESS et professeur associé à Columbia University-Paris ; Raymond Kévorkian historien et enseignant à l’Institut français de géopolitique ; Claire Mouradian directrice de recherche au CNRS ; Yves Ternon historien et membre de la direction du Mémorial de la Shoah
Ecrire à : histoiredugenocidearmenien@gmail.com