16 janvier 2007
Feurat Alani, envoyé spécial à Bagdad
IRAK. Deux proches de l'ex-dictateur ont été pendus alors que d'autres crimes contre l'humanité n'ont pas été jugés. Tentative d'explication.
Après Saddam Hussein, Barzan al-Tikriti et Awad al-Bandar ont été pendus à leur tour dans le plus grand secret par les autorités irakiennes. Barzan, le demi-frère de l'ex-raïs, ancien patron des services secrets, a eu la tête décapitée lors de sa pendaison. Tous deux avaient été condamnés, avec l'ex-dictateur, à la peine capitale pour «crime contre l'humanité». Leurs corps ont été transférés à Tikrit où ils ont été enterrés auprès du tombeau de l'ancien président. Le gouvernement a tourné une vidéo de la double exécution qui n'a été montrée qu'à quelques journalistes.
Passé compromettant
Alors que la plupart des pays occidentaux multiplient les condamnations à l'encontre de la peine de mort, la confusion règne toujours quant à la poursuite des différents procès du défunt raïs et de ses proches. Et les questions fusent. Pourquoi avoir exécuté Saddam Hussein et deux de ses coaccusés alors que des procès à leur encontre sont toujours en cours? Qu'est-ce qui a provoqué une telle rapidité d'exécution? Mais, surtout, ces actes ne visent-ils pas à camoufler le passé pour éviter que n'apparaissent au grand jour les connexions entre Saddam et l'Occident?
Force est de constater que le Haut Tribunal spécial irakien ainsi que ses juges avaient été mis en place sous le contrôle étroit des Etats-Unis avec des compétences limitées. Ce tribunal ne peut par exemple inculper, ou même évoquer, des pays étrangers comme... les Etats-Unis. Sans oublier que nombre de pays occidentaux entretenaient de bonnes relations avec l'ancien régime baassiste. A commencer par la France et le Royaume-Uni.
Raad Jiddah, professeur de droit constitutionnel à Bagdad et ancien membre du parti Baas, explique l'irrégularité du procès par l'obsession des Etats-Unis à ne pas divulguer certaines «affaires». «Les procès en cours n'évoqueront jamais la question des relations de Saddam avec les pays occidentaux tout simplement parce que ce n'est pas dans l'intérêt des Américains. Et que ce tribunal est complètement sous le contrôle de l'occupant. Ce sont d'ailleurs les Américains qui détenaient Saddam Hussein. Pas les Irakiens», analyse Raad Jiddah.
Selon le professeur, les deux «affaires» sensibles que les Américains souhaitaient éviter concernent le gazage des Kurdes à Halabja en 1988 et le massacre des chiites lors de leur soulèvement contre le régime baassiste en 1991. Les pays occidentaux concernés auraient participé indirectement à ces massacres en vendant des armes de destruction massive à l'Irak, en particulier les armes chimiques qui ont servi à gazer les Kurdes à Halabja. Concernant ce que les chiites nomment l'«Intifada», ce soulèvement fut encouragé par George Bush père dans un appel, relayé par radio et tracts, qui déclencha la révolte chiite, et dans la foulée celle des Kurdes le 15 février 1991.
Dans ce contexte politique, la question autour des exécutions précipitées de Saddam et de ses proches peut trouver une éventuelle réponse: les dossiers concernant l'implication des puissances occidentales dans les crimes commis par le régime baassiste demeurent clos. C'est également l'avis de Jacques Vergès, l'avocat qui s'était porté candidat pour défendre Saddam Hussein. Dans un entretien, il expliquait que le procès de l'ancien raïs était illégal. «Je pense qu'il s'agit d'une guerre injuste et que le procès qu'on veut faire à Saddam Hussein est manipulé pour cacher les responsabilités des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans la situation en Irak. S'il y a un véritable procès, Donald Rumsfeld (ndlr: l'ex-chef du Pentagone) et d'autres devraient être sur le banc des accusés», avait-il déclaré.
Les Irakiens divisés
Loin des sphères politiques et juridiques, la rue irakienne reste très divisée sur la poursuite des procès en cours. Les Kurdes, se sentant lésés de ne pas voir Saddam Hussein jugé pour les affaires d'Al-Anfal et de Halabja, souhaiteraient voir les procès aboutir. «Mon père a été tué par les membres des services de sécurité de l'ancien régime. Je veux que cela soit officiellement reconnu et que les coupables soient jugés, morts ou vifs», proteste un jeune Kurde d'Erbil, capitale du Kurdistan autonome.
La communauté chiite, dans sa grande majorité, se réjouit du sort de l'ex-raïs. Quant aux sunnites, également victimes de l'ancien régime, ils sont loin d'avoir digéré l'exécution de Saddam le jour de l'Aïd-al-Adha, fête du sacrifice. Avis partagé par maintes personnalités, dont George Bush lui-même, ces exécutions n'arrêteront pas les violences en Irak. Certes, une page noire de l'histoire du pays a été tournée, mais une autre tout aussi sombre pourrait bien s'ouvrir.