onné pour mort le 7 avril 2003 par les autorités britanniques, Ali le chimique, responsable du gazage de la population en Irak, a été capturé deux mois plus tard par l'armée américaine. Nous republions l"article paru dans Le Monde après l'annonce de la mort d'Ali le chimique.
"Oui, comme tous les gens d'Halabja, je suis heureux que les troupes de la coalition aient pu tuer quelqu'un comme Ali Hassan Al-Majid. S'il avait été arrêté et jugé, peut-être aurait-il fait un long séjour en prison avant d'être libéré. Je me méfie de la justice." Omar Abdallah, 40 ans, tient désormais une revanche longtemps espérée après la mort d'Al-Majid - dont le décès a été confirmé, lundi 7 avril, par les Britanniques.Cet individu, surnommé "Ali le chimique", fut en sa qualité de cousin de Saddam Hussein et de représentant au Kurdistan à la fin des années 1980 le responsable du gazage de la population d'Halabja, le 16 mars 1988, pour collaboration présumée avec l'Iran. Au moins cinq mille personnes, civiles en majorité, trouvèrent la mort dans le bombardement à l'arme chimique. Plusieurs milliers d'autres - qui continuent à mourir aujourd'hui - furent blessées dans cette ville de l'est du Kurdistan, tout près de la frontière iranienne.
Quatorze ans après la tragédie, Omar s'exprime avec la pondération de l'homme qui a fait son deuil, a franchi les frontières de la souffrance et peut désormais narrer avec précision une indicible histoire. "J'aurais voulu écrire un livre, dit-il. Je ne l'ai pas fait. Alors je parle, je parle aux journalistes, à tout le monde, pour que ce que j'ai vécu soit dit."
"Peshmerga" à l'époque dans l'opposition kurde au régime, il réchappa au massacre en se couvrant la bouche d'un tissu imbibé d'eau. Son père, sa mère, son frère aîné, sa femme et l'un de ses enfants, un bébé de six mois, ne comprirent pas assez vite que les bombes qui s'écrasaient sur leur ville ne contenaient pas que de l'explosif "classique". Tous, ils succombèrent.
"On me demande parfois pourquoi j'ai beaucoup de cheveux blancs, remarque Omar. C'est parce que j'ai vu des choses que personne d'autre au monde n'a pu voir." Il ouvre un album de photos : les clichés montrent un amas de corps figés par le gaz moutarde dans les rues, des conducteurs pris au piège dans leurs voitures, des visages d'enfants aux yeux grands ouverts, la bouche béante sur l'horreur. Tous surpris par le gaz, dans leurs derniers gestes.
Au moment du bombardement, vers 17 heures, Omar n'était pas chez lui. Il n'a pas pu protéger sa famille. Sa femme, retrouvée agonisante un peu plus tard, est morte en arrivant en Iran. Entre-temps, presque aveugle, il s'était évanoui en pleine rue, et quelqu'un l'avait recouvert d'une couverture, le croyant mort. Halabja n'était plus qu'un cimetière plongé dans un silence irréel. "Plus de chants d'oiseaux, plus de voix, plus de cris, plus rien", se souvient Omar, qui sortit en pleine nuit de sa torpeur et parvint à fuir la ville.
"Al-Majid a vécu par l'épée et il est mort par l'épée", déclarait, lundi, Baram Saleh, "premier ministre" du gouvernement de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), au pouvoir dans la région est du Kurdistan "autonome". ""Ali le chimique", ajoutait-il, avait été chargé par Saddam Hussein d'instaurer la "solution finale" du "problème kurde" et orchestra la campagne génocidaire contre le peuple kurde entre février et août 1988." Une campagne baptisé "Anfal", du nom d'un verset du Coran signifiant "butin", ce qui voulait tout dire : 182 000 personnes y trouvèrent la mort selon les autorités kurdes, environ une centaine de milliers selon l'organisation des droits de l'homme, Human Rights Watch.
Certains auraient préféré un sort différent pour "Ali le chimique". "C'est dommage qu'il ait été tué, j'aurais souhaité le voir jugé par un tribunal international, à La Haye, par exemple", indiquait au Monde, mardi, le chef militaire de l'UPK, Said Khader Moustapha.
"Ce qu'Ali Al-Majid a fait à Halabja, personne au monde n'avait osé le faire avant lui", soutient Amil Jamil Moufti, une personnalité musulmane modérée qui se dit en faveur de la loi du talion, "comme nous l'enseigne le Coran". "Si on avait ramené Ali à Halabja, il ne serait rien resté de son cadavre." Ce jour-là, ajoute-t-il, "c'était comme si nous avions assisté de nos propres yeux au jour du jugement dernier. Je prie pour qu'un pareil massacre ne se répète jamais, et je pense aux juifs qui ont eux aussi beaucoup souffert." "J'ai vu tomber des femmes, des enfants, je n'ai rien pu faire pour les sauver. Dans ces moments-là, on pense d'abord à soi."
Bruno Philip