"Le Parti des travailleurs du Kurdistan et la Turquie doivent déposer les armes"

mis à jour le Samedi 15 août 2009 à 14h25

Lemonde.fr | Qandil (nord de l'Irak) Envoyé spécial |  Propos recueillis par Guillaume Perrier

 

Retranché dans la montagne de Qandil, dans la région kurde d'Irak, Murat Karayilan commande le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) depuis l'arrestation d'Abdullah Öcalan en 1999. Il exhorte la Turquie à accepter le plan de paix que le leader emprisonné devrait bientôt rendre public pour trouver une issue au conflit déclenché il y a tout juste vingt-cinq ans.

 

L'ouverture affichée par Ankara peut-elle déboucher sur une solution au problème kurde ?

Pour régler la question, il n'y a que deux voies possibles : écraser les Kurdes, méthode utilisée jusqu'ici, sans résultat ; ou ouvrir le dialogue, ce que fait l'Etat turc. Il faut une réelle discussion entre les deux parties, or, le gouvernement turc cherche pour l'instant à régler la question tout seul. Nous pensons qu'il s'agit d'une manoeuvre pour tromper la communauté internationale. Ils veulent atténuer la portée de la feuille de route, de notre président. Il faut aussi une pression plus forte des Etats-Unis et des Européens.

Le règlement de la question kurde est une nécessité : la sortie des troupes américaines d'Irak modifie la donne. La Turquie est aussi devenue un corridor énergétique de première importance comme le montre l'accord récent sur le (gazoduc) Nabucco. L'Ouest a besoin de stabilité dans la région.

Que réclame la feuille de route ?

Elle s'appuie sur la Constitution turque de 1921, restée en vigueur trois ans. Ce texte contient la solution : il offre une définition plus ouverte de la citoyenneté. Il faut une reconnaissance de l'identité kurde, des droits politiques et culturels... Et un projet de société pour la Turquie. Pour l'instant, l'Etat ne fait que fixer la ligne rouge et énumère tout ce qu'il ne fera pas : pas de libération d'Öcalan, pas d'éducation en langue kurde, pas d'autonomie... Pourquoi les Kurdes ne pourraient-ils pas être éduqués dans leur langue ?

Nous ne réclamons pas qu'on redessine la géographie de la région, nous ne sommes plus séparatistes depuis plus de dix ans. La solution se trouve dans les frontières actuelles, mais uniquement si la Turquie adopte les standards démocratiques européens.

Les deux parties doivent déposer les armes. Or, pour l'instant, l'Etat continue ses négociations secrètes avec les Etats-Unis, l'Irak et l'Iran pour attaquer notre mouvement. Tout ce que nous voulons, c'est de la sincérité. Si la Turquie tente d'utiliser ses vieilles méthodes, nous lui ferons face, militairement et socialement.

Faut-il une loi d'amnistie pour les rebelles ?

Une amnistie pour qui ? Qui doit pardonner qui ? Qui parlera des 17 000 victimes civiles tuées par de mystérieux assaillants ? De ces hommes d'affaires, avocats, syndicalistes, médecins, instituteurs assassinés au coeur des villes ? Les deux parties doivent se pardonner. L'Etat turc doit d'abord présenter des excuses. L'exemple de l'Afrique du Sud peut être une solution : il faudrait une commission Vérité et réconciliation.

Quelle est la situation militaire du PKK ?

Après l'arrestation d'Abdullah Öcalan, en 1999, les pays occidentaux pensaient que le PKK disparaîtrait dans les six mois. Pendant dix ans, les grandes puissances ont essayé de nous annihiler. Sans le soutien d'aucun Etat, nous avons résisté. Nous avons 7 000 à 8 000 hommes, la moitié dans la partie irakienne du Kurdistan, l'autre dans la partie turque. Nous pouvons facilement accroître ce nombre en cas de besoin.

La lutte contre Ankara n'a-t-elle pas montré son inefficacité ?

En 1984, c'était un crime de dire qu'on était kurde en Turquie. Le coup d'Etat fasciste de 1980 a provoqué un génocide culturel. L'Etat turc avait élaboré une théorie "scientifique" de négation des Kurdes. On nous appelait les "Turcs des montagnes". On disait que le mot kurde provenait du bruit des pas dans la neige. Grâce à notre lutte, les Kurdes ont redécouvert leur identité. Cette résistance a fait évoluer l'Etat turc : aujourd'hui il reconnaît l'existence de la question kurde, une solution peut être envisagée.

Qu'attendre des Européens ?

L'Allemagne et la France sont opposées à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne et ne soutiennent pas assez activement une solution au conflit. La guerre avec le PKK est un bon argument pour refuser l'adhésion, alors qu'une Turquie qui aura résolu la question pourra plus facilement entrer dans l'UE. Pour cette raison, nous soutenons l'adhésion de la Turquie. Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, l'approche de la France a changé. Il y a 26 politiciens kurdes détenus en France pour "activités terroristes". En attaquant les organisations kurdes au moment où nous avons déclaré un cessez-le-feu, Paris envoie un message de soutien à ceux qui souhaitent que la guerre continue. Si la France n'a pas d'inimitié envers les Kurdes, elle doit changer de politique.