Sociologie politique du Moyen-Orient
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Hamit Bozarslan aurait pu ajouter une quatrième source de contestation des sociétés moyen-orientales face aux autoritarismes locaux dans sa dernière étude sur la sociologie du Moyen-Orient.
Outre la résilience, la contestation culturelle et le millénarisme, la combinaison de ces trois types de résistances offre une quatrième voie, celle de la révolution, en vogue depuis plus d'un mois de l'autre côté de la Méditerranée. Car le réveil du monde arabe n'aurait jamais pu sonner sans la conjonction de ce triangle de la contestation sociale. Ce sont tous les courants et les couches de la société tunisienne puis égyptienne qui sont descendues dans les rues pour "dégager" Ben Ali et Moubarak et réinventer le Moyen-Orient.
L'historien démontre qu'à chaque cycle de formation du Moyen-Orient son imaginaire géopolitique s'élargit, alors que ses fondements se durcissent sur la base de concepts sinon mal utilisés du moins réducteurs, donc trompeurs. C'est justement ce piège que Hamit Bozarslan évite à l'aide d'une méthodologie qui dépasse les paradigmes de la modernité, de l'islamité, de la tribalité ou encore d'une doctrine spécifique au pouvoir local, l'asabiyya ou "esprit de corps".
Dans une inspiration durkheimienne, ce chercheur revient sur la notion d'Etat comme enjeu de la lutte politique, mais jamais comme lieu de réconciliation car la bourgeoisie répond plus à l'autorité suprême qu'à ses propres intérêts. L'Etat moyen-oriental est un modèle postpatrimonial fondé sur le pouvoir du prince et la rente sécuritaire s'il appartient au camp occidental post-11-Septembre (Tunisie, Egypte, Jordanie) ou la rente souverainiste s'il rejoint le camp des diplomaties contestataires (Iran, Syrie). La typologie de l'Etat que Hamit Bozarslan propose à partir du prisme autoritaire classe la Turquie, l'Iran et le Pakistan dans la catégorie des régimes à double souveraineté, et l'Egypte, la Tunisie et l'Algérie dans celle des régimes de pluralisme officiel, qui manifestement rime avec révolutions.
Long sommeil
D'où la question de la légitimité de l'Etat et de sa reproduction, deux notions à examiner séparément, écrit-il, mais contre lesquelles tous les modèles universalistes ont été expérimentés au nom d'un introuvable contrat social. Qu'il s'agisse du royalisme, du socialisme version baasiste, du nationalisme ou bien de l'islamisme, aucune de ces idéologies mobilisatrices n'est parvenue à assurer à l'Etat le monopole de la violence légitime.
L'Etat, insiste-t-il, détient celui de la capacité d'action par le verrouillage du pouvoir et de la société dans une logique de domination policière qui fait le bonheur de l'Occident, tant que les faits du prince ne se tournent pas contre lui. Si bien qu'une forme de lassitude sociale s'est emparée de la rue, assurant aux régimes en place leurs propres recettes de reproduction, soit l'immobilisme avec la reconduction à vie du président, soit la succession dynastique avec un pouvoir transmis de père en fils. Or, les sociétés tunisienne et égyptienne sont finalement sorties de leur long sommeil, transformant ainsi les nuits de Ben Ali et Moubarak en véritables cauchemars.
Reste l'indétermination du changement, souligne Hamit Bozarslan. Le futur du Moyen-Orient est toujours incertain. Aux acteurs des révolutions arabes de s'emparer de ce livre pour y trouver, sinon les clés de leur avenir, du moins les leçons d'un passé à tirer.
SOCIOLOGIE POLITIQUE DU MOYEN-ORIENT d'Hamit Bozarslan. La Découverte, collection "Repères", 128 p., 9,50 €. Gaidz Minassian