La rédaction du journal a donné toute latitude à M. Pamuk, qui a fait des études de journalisme mais n'a jamais travaillé dans la presse, de faire la une comme il l'entendait. Le journal ouvrait ses pages à de grandes plumes à l'occasion de son dixième anniversaire.
Orhan Pamuk, 54 ans, traduit en justice l'année dernière pour un délit d'opinion, a profité de l'espace qui lui était alloué pour dénoncer l'absence de liberté d'expression en Turquie et critiquer le sort qui y est fait aux intellectuels dissidents.
Il a cité un article de 1951 au sujet du célèbre poète turc Nazim Hikmet, traduit en justice pour ses idées de gauche, considéré comme un traître et forcé à s'enfuir en Russie où il est mort en exil en 1963.
L'article, accompagné d'une photo du poète dont les oeuvres sont longtemps restées interdites en Turquie, demandait aux lecteurs «de lui cracher dessus sans retenue».
«Ce comportement résume le statut des écrivains et des artistes aux yeux de l'État et de la presse», commente Orhan Pamuk.
M. Pamuk a également cité d'autres intellectuels comme Yasar Kemal, un auteur de renom également traîné en justice pour ses remarques sur la rébellion kurde dans le sud-est du pays.
Il a indiqué qu'il avait lui-même une réputation de «traître» dans les cercles nationalistes et rappelé qu'il avait été accusé d'avoir «insulté la turquité» en confiant l'an dernier à une revue suisse qu'«un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes» avaient été tués en Turquie.
Ses remarques avaient été considérées comme une reconnaissance du génocide arménien par les Turcs ottomans au cours de la Première Guerre mondiale alors qu'Ankara est violemment opposé à cette reconnaissance.
Le procès intenté contre Orhan Pamuk, au cours duquel il risquait une peine de trois ans de prison, a été abandonné en janvier pour vice de forme.