Installé en Suède depuis 1977, Uzun, 53 ans, a parcouru son sud-est natal, le coeur de la région kurde, à plusieurs reprises avant de poser ses bagages pour de bon à Istanbul.
"J'ai vu dans les yeux des gens de là-bas la douleur intense, la souffrance, mais aussi la patience et l'espoir", raconte-t-il. "J'ai vu surtout que les gens font des efforts pour construire un nouvel ordre social, (...) qu'ils partent à la redécouverte de leur héritage culturel".
La région a été le théâtre entre 1984 et 1999 d'une guerre sanglante -elle a fait près de 37.000 morts- opposant les séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l'armée.
Ce retour aux origines a également été l'occasion d'une remise en question pour l'écrivain, qui a passé plus de la moitié de sa vie en Europe et se définit désormais comme "Kurde, Turc et Scandinave".
"Je veux être à la hauteur de la douleur de ces gens et créer une littérature qui leur soit conforme, les aide à supporter leur vie", clame-t-il, affirmant avoir plus appris auprès de son peuple que "dans toutes les universités" européennes qu'il a fréquenté lors de son long exil.
Militant dans une revue pour la reconnaissance des droits culturels des Kurdes, Uzun, accusé de "séparatisme", a effectué un premier séjour en prison en 1972, avant de s'enfuir à la faveur d'une libération conditionnelle et d'obtenir le statut de réfugié politique en Suède en 1977.
Déchu de sa nationalité turque au lendemain du coup d'Etat militaire de 1980 avant d'être réintégré dans sa citoyenneté en 1992, ses livres lui vaudront une douzaine de procès. Le dernier en date s'est conclu sur son acquittement en 2003.
Le jeune militant s'est en effet mué au cours de sa retraite scandinave en un écrivain prolifique, auteur d'une quinzaine de romans et d'essais en langue kurde, qui font de lui l'un des fondateurs de la littérature kurde moderne.
"Quand j'ai commencé à écrire, je n'avais devant moi qu'une langue parlée, interdite, exclue de la vie publique depuis si longtemps que le vocabulaire de mes parents se limitait à 150 ou 200 mots", se souvient l'intellectuel.
"Il a fallu que je crée une langue romanesque moderne, en redécouvrant les traditions orales, la musique, les fables, les divers patois" qui forment la culture kurde, explique-t-il.
L'auteur refuse cependant de se voir accoller le qualificatif d'"écrivain kurde", confiné dans son folklore ou reconnu en tant que "victime innocente".
"Si je n'avais pas baigné dans l'héritage culturel européen, je ne serai pas devenu l'auteur que je suis", résume-t-il. "C'est le mélange de l'Orient et de l'Occident qui a fondé ma vie d'auteur".
Interrogé sur le regain de violences survenu au début du printemps dans le sud-est, alors que les combats avaient pratiquement cessé après un cessez-le-feu unilatéral du PKK (1999-2004) et n'avaient que faiblement repris depuis son abrogation, Mehmet Uzun ne cache pas son inquiétude.
"Les armes ont repris leurs droits ces derniers temps, et les gens ont recommencé à vivre dans l'angoisse", constate-t-il.