Vian DAKHIL
Députée kurde yézidie de Sindjar
Les élections parlementaires anticipées du 10 octobre se sont, dans l’ensemble, déroulées dans le calme, sans incident majeur et sans enthousiasme.
Malgré la réforme du code électoral permettant désormais aux candidats indépendants de se présenter, la participation n’a été que de 41% contre 44,56 % en 2018. Une bonne partie de la population semble désespérer de la classe politique largement corrompue et incompétente qui, malgré l’amélioration notable de la situation sécuritaire, n’a pas réussi à assurer les services de base et reconstruire un pays et une société dévastés par plus de 40 ans de guerres.
Dans ce contexte difficile, les partis disposant de bases populaires fidélisées ont su mobiliser leurs électeurs et sortir vainqueurs d’un scrutin marqué par une très grande fragmentation politique.
167 partis et plus de 3200 candidats étaient en lice pour l’élection de 329 députés.
La Haute commission électorale indépendante, après avoir examiné divers recours et procédé à des vérifications, a annoncé, le 16 octobre, les résultats quasi définitifs au cours d’une conférence de presse à Bagdad. Son président a certifié la sincérité de ce scrutin où, pour la première fois, les électeurs étaient dotés de cartes d’identité biométriques empêchant en principe des votes multiples ou des bourrages d’urnes.
Selon ces résultats, dans la Région du Kurdistan et dans les territoires kurdes sous administration fédérale comme Kirkouk ou Sinjar, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) a obtenu 33 sièges, son rival historique, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), 16 sièges, une formation récente d’opposition Nouvelle Génération 9 sièges, l’Union Islamique (Yekgirtû) 4 sièges et un autre groupe islamique Komala 1 siège. Le parti Goran (Changement), qui était arrivé en 3ème position lors du précédent scrutin au Kurdistan, n’a pu obtenir aucun siège malgré son alliance avec l’UPK. La disparition de son chef charismatique Nowshirvan Mustafa et les querelles de succession qui ont suivi ont eu un impact néfaste sur l’audience de ce parti issu d’une scission de l’UPK. Cette dernière formation est également en net recul car aux élections de 2018 elle avait obtenu 18 sièges.
Dans son fief traditionnel de Suleimanieh , le taux de participation n’a été que de 37% contre 54% à Duhok et 46% à Erbil, fiefs du PDK. L’UPK a obtenu 1 siège sur 11 à Dohuk et 2 sièges sur 15 à Erbil.
Duhok le PDK obtient 8 sièges sur 11, Union islamique 2 sièges. A Erbil, le PDK obtient 11 sièges sur 15, Nouvelle Génération 3 sièges.
Le PDK a gagné 2 sièges sur 18 à Suleimanieh. Le PDK a surtout emporté dans le gouvernorat mixte kurdo-arabe de Ninive, qui inclut Mosssoul, 10 sièges sur 31 dont les 3 sièges dans le canton à majorité kurde yézidie de Sinjar. L'UPK y obtient 1 siège.
A Kirkouk, qui a perdu depuis 2017 une partie de sa population kurde, le taux de participation a été de 44%. Contrairement aux élections précédentes où les partis kurdes se présentaient sur une liste commune pour optimiser leurs chances de victoire, cette fois-ci ils y sont allés en ordre dispersé et cette dispersion leur a coûté 2 sièges. L’UPK a obtenu 3 sièges, le PDK 2 sièges et Nouvelle Génération 1 siège, 4 candidats arabes ont été élus ainsi que 2 Turkmènes dont 1 seul du Front turkmène fortement soutenu et financé par la Turquie. En 2013, la liste unie de l’Alliance du Kurdistan, dirigée par le regretté Dr. Najmaldine Karim, avait obtenu 8 sièges sur 12. Les candidats des petits partis pro-PKK n’ont obtenu aucun siège.
Au total, les députés kurdes seront 63 sur un total de 329 au Parlement irakien, voire même 64 en y ajoutant une candidate kurde indépendante Nasik Mehdî Kherib élue dans le gouvernorat de Salahedin. Dans le Parlement sortant, ils étaient 58.
La communauté chrétienne a, de son côté, élu sur quota 2 députés, dont 1 à Erbil et 1 à Mossoul.
Le nouveau Parlement irakien comptera 97 femmes, soit 29,4% des élus dépassant ainsi le quota minimum obligatoire des 25% inscrit dans la Constitution irakienne de 2005 à l’initiative des partis kurdes. Avec 22 députées sur 64, les femmes représentent 34,37% des élus kurdes. Elles visent la parité d’ici 10 ans.
Dans la partie arabe de l’Irak, c’est la liste du Mouvement sadriste, qui est une coalition regroupée autour de l’influent chef chiite Moqtada al-Sadr, arrive en premier avec 73 sièges. L’alliance sunnite al-Taqadum (Progrès), dirigée par le président du Parlement, réalise un bel exploit avec 38 sièges. En troisième position, on trouve la coalition Etat de Droit dirigée par l’ancien Premier Ministre Maliki qui obtient 34 sièges contre 26 en 2018. Arrivé premier au Kurdistan, le PDK, avec ses 33 sièges, se classe comme 4ème groupe parlementaire en Irak. Le plus ancien parti politique de l’Irak (fondé en 1946) après le PCI, actuellement en déshérence, le PDK s’affirme ainsi comme le premier parti au niveau irakien car, contrairement aux autres groupes parlementaires formés de coalitions de partis, le PDK s’est présenté seul aux élections.
L’alliance Fatah (Conquête) regroupant les diverses milices pro-iraniennes est en forte baisse avec seulement 17 sièges. Les candidats indépendants ont obtenu 40 sièges.
Plusieurs partis chiites, dont l’Alliance Fatah, dénoncent les résultats des élections comme « frauduleuses ». La Haute Commission électorale va examiner d’ici quelques jours les 356 plaintes déposées. Ensuite, il appartiendra à la Cour suprême fédérale irakienne de ratifier les résultats définitifs.
En raison de la fragmentation de la scène politique, on s’attend à des tractations difficiles et longues de plusieurs semaines ou mois pour la formation du futur gouvernement. En attendant, les partis kurdes ont commencé à se réunir pour définir une ligne commune à Bagdad.