Saddam Hussein, un verdict qui divise l'Irak


Lundi 6 novembre 2006

Par Jean-Pierre PERRIN
Le procès du dictateur devait réunir la population. Sa condamnation à mort risque d'exacerber la guerre civile.

De rares affrontements à Bagdad dans deux quartiers sunnites, et pas la moindre manifestation d'envergure en sa faveur dans le monde arabo-musulman. Saddam Hussein ne fait plus figure de héros, et sa condamnation à mort, hier, n'a pas mobilisé les populations arabes. Fini le démiurge qui recevait le soutien des principales capitales arabes ­ hormis Damas ­ pendant la longue guerre contre l'Iran. Abandonné le demi-dieu qui, faisant tirer des missiles sur Israël lors de la guerre du Golfe, enthousiasmait Le Caire ou Gaza. Même si l'ensemble du monde arabe considère son procès comme inique, téléguidé par Washington, et comme la revanche des chiites et des Kurdes sur les sunnites, c'est un dictateur déchu qui n'inspire plus de crainte, un dirigeant vaincu sans troupes derrière lui que le Haut Tribunal a puni de mort. Seul le Hamas a regretté le verdict, mais la direction du Fatah n'a pas bronché, alors que l'ex-président avait été le champion de la cause palestinienne. L'éditorialiste saoudien Khaled al-Dakhil résumait hier le sentiment général dans la région en qualifiant le procès de «farce politique et judiciaire, pas si différente des procès d'opposants du temps de Saddam Hussein». Il ajoutait qu'il «était clair que la vengeance était la principale motivation du procès et de la peine de mort». 
 
Liesse. C'est donc davantage la main américaine qui est dénoncée, plus que le regret de ce que fut le régime de Saddam. En Irak, bien sûr, c'est différent. Chiites et Kurdes se sont félicités de sa condamnation à mort, et des scènes de liesse se sont produites dans plusieurs quartiers de la capitale. Chez les sunnites, le sentiment est autre, et les autorités irakiennes ont dû fermer deux chaînes de télévision privées sunnites, accusées d' «incitation à la violence et au meurtre», après leur couverture du verdict. Cela reste une réaction plutôt faible, au regard d'un homme qui a dirigé l'Irak pendant trente-cinq ans, qui confirme bien que l'ex-dictateur est sorti du jeu politique. Dès le début, la rébellion, d'inspiration islamiste ou islamo-nationaliste, s'est bien gardée d'utiliser son nom comme étendard, alors que Saddam n'a cessé devant les juges de brandir le Coran et d'émailler sa défense de versets.

Saddamisme. 
Le procès s'inscrit dans la guerre confessionnelle que connaît actuellement l'Irak. Dès lors, même s'il tourne la page de l'ère Saddam, il risque d'avoir plus d'impacts négatifs que positifs. En effet, s'il a mis en lumière certains des innombrables crimes perpétrés par Saddam et son clan, il s'est gardé de juger le système, ce que l'on a appelé le saddamisme. Plus grave, prévu pour être le point d'arrivée d'un nouvel Irak démocratique et pluraliste, ce procès n'a même pas été le point de départ du processus. «Quelle piètre justice ! Elle laisse un goût amer. Le procès devait réunir les Irakiens. Or il a été géré de telle façon qu'il va les diviser encore», souligne l'anthropologue irakien Hosham Dawod, chercheur au CNRS, qui rappelle que le juge était kurde, le procureur, chiite ­ de surcroît d'une famille sainte, donc très partisane ­, les avocats du prévenu, sunnites, le principal appartenant à la tribu des Al-Doulaïmi, fer de lance de la rébellion... «Une composition caricaturale, ajoute-t-il . Dans le combat pour gérer l'image de Saddam, le tribunal a échoué. Il voulait que Saddam sorte par le bas de l'Histoire en le faisant apparaître comme un criminel de guerre. Or l'accusé, en tenant tête sans cesse à ses juges, s'en est sorti par le haut, donnant l'image d'un vieux guerrier arabe, d'un chef militaire tombé sur le champ de bataille.»

Alibi. D'où la volonté des juges de le condamner au gibet, alors qu'il avait clairement signifié qu'il préférait le peloton d'exécution. Cette dernière décision risque d'aggraver encore chez les sunnites le sentiment que le tribunal s'est vengé au lieu de rendre justice, et, par la même occasion, les divisions entre communautés. Dans un contexte de guerre civile, cela risque de fournir un alibi supplémentaire à une guérilla sunnite qui ne cesse de marquer des points.