Saddam Hussein va être inculpé de "génocide" contre les Kurdes irakiens

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LE MONDE [5 avril 2006]

Compte rendu
BEYROUTH CORRESPONDANTE

Le juge irakien Raëd Al-Jouhi a annoncé, mardi 4 avril, que Saddam Hussein et six autres responsables du régime déchu allaient être bientôt déférés en justice pour l'un des plus grands crimes dont ils sont tenus responsables : une campagne antikurde dite "Al-Anfal", menée dans les années 1987-1988, au cours de laquelle des dizaines de milliers de personnes - entre 150 000 et 200 000 selon certaines sources - ont été tuées.
L'instruction est terminée, l'une des chambres du tribunal est déjà constituée, et les intéressés devraient être jugés pour "génocide et crime contre l'humanité", a indiqué le juge. Cette annonce a été faite à la veille de la reprise, mercredi, du premier procès intenté à l'ancien dictateur et à sept coaccusés pour l'assassinat de cent quarante-huit habitants de la localité de Doujaïl, au nord de Bagdad.

Davantage que l'affaire de Doujaïl, le procès d'Al-Anfal devrait être emblématique des crimes imputés à l'ancien régime. Accusant les Kurdes d'être sécessionnistes, le pouvoir baasiste, dès les années 1970, avait lancé une campagne de déplacement des populations kurdes du nord de l'Irak. En 1978, quelque 1 400 villages avaient été détruits, et près de 600 000 habitants déplacés vers des camps de regroupement à l'intérieur du Kurdistan ou dans le sud du pays. Dans les dernières années de la guerre déclenchée en 1980 contre l'Iran, cette campagne s'est considérablement accélérée et durcie.

En mars 1987, Saddam Hussein nomme son cousin Ali Hassan Al-Majid - dit "Ali le chimique" pour avoir ordonné l'utilisation d'armes chimiques contre les Kurdes - comme commandant de la région nord. Les Kurdes ayant alors été accusés de collusion avec l'Iran, quelque quatre cents villages sont rayés de la carte, leurs populations déplacées, les habitations rasées et les puits contaminés. C'était un prélude à la campagne d'Al-Anfal, qui allait connaître son point d'orgue en 1988. Près de 3 850 villages sont alors détruits, selon des sources kurdes. Les victimes périssent sous les bombardements ou sont exécutées après leur déplacement vers des zones éloignées. Le point d'orgue de cette campagne est le gazage de la localité d'Halabja en mars 1988, qui a fait quelque 5 000 victimes. Selon le juge Al-Jouhi, l'affaire d'Halabja sera jugée séparément.

Ali Hassan Al-Majid comparaîtra, ainsi que cinq responsables moins connus du grand public, au côté de Saddam Hussein dans le procès d'Al-Anfal. S'il est quasi établi que cette affaire relève d'un crime contre l'humanité, il sera plus difficile, selon certains experts, d'établir le crime de génocide. Quoi qu'il en soit, aucun des coaccusés de l'ancien président dans le futur procès d'Al-Anfal n'est actuellement jugé pour l'affaire de Doujaïl, dont les victimes ont payé pour un attentat manqué contre l'ancien dictateur, alors qu'il était en visite dans cette localité en 1982.

Lors de la dix-huitième audience, qui s'est ouverte mercredi, Saddam Hussein devait comparaître seul pour continuer de répondre aux accusations portées contre lui. Si sa responsabilité est établie, il encourt la peine de mort. L'exécution du verdict a fait toutefois l'objet d'interprétations divergentes. Selon le procureur Jaafar Al-Moussaoui, Saddam Hussein serait immédiatement exécuté sans attendre les autres procès. Le président Jalal Talabani affirme le contraire. Cette divergence pourrait être dissipée via les dispositions de la loi. Celle-ci ne prévoit en effet aucune date limite pour l'énoncé du verdict. Elle dispose en outre d'un possible recours en cassation, sans fixer non plus de délai au prononcé de la sentence. Ce qui ouvre le champ au procès d'Al-Anfal. Néanmoins, une fois la sentence confirmée en cassation, elle devra être exécutée dans un délai de trente jours.


Mouna Naïm

Les crimes en jugement

La tuerie de Doujaïl. Les audiences sur cette tuerie, devant le Haut Tribunal pénal irakien, ont commencé le 19 octobre 2005. Les 148 victimes avaient été interpellées puis assassinées après une tentative d'attentat manquée contre Saddam Hussein en 1982, alors en visite dans cette localité.

L'opération Al-Anfal. En 1987, Saddam Hussein confie à son cousin Ali Hassan Al-Majid, dit "Ali le chimique", commandant de la région Nord, la mission de déplacer les populations kurdes accusées de collusion avec l'Iran. Plus de 3 000 villages sont détruits. Entre 100 000 et 200 000 Kurdes ont été tués dans cette répression qui a duré jusqu'en mars 1988. Certains ont péri dans des bombardements, d'autres ont été exécutés après avoir été déplacés.

Article paru dans l'édition du 06.04.06