Les deux victimes, identifiées par la police néerlandaise comme Ali Motamed, 56 ans, et Ahmad Molla Nissi, 52 ans, étaient des opposants au régime iranien.
RAHEB HOMAVANDI / REUTERS
Lemonde.fr | Par Louis Imbert et Jean-Pierre Stroobants
Téhéran est également soupçonné d’avoir tenté d’assassiner d’autres opposants en France et au Danemark. Mardi, l’Union européenne a pris de nouvelles sanctions contre Téhéran.
Les autorités néerlandaises se sont longtemps tues, mais, mardi 8 janvier, le ministre des affaires étrangères, Stef Blok, a confirmé les informations selon lesquelles Téhéran était responsable de l’assassinat de deux opposants iraniens vivant aux Pays-Bas. Dans une lettre cosignée avec sa collègue de l’intérieur, Kajsa Ollongren, et adressée à la Chambre des députés, M. Blok a d’abord mentionné l’implication des services iraniens dans l’assassinat, à Almere, en 2015, d’Ali Motamed, 56 ans, un électricien dont la véritable identité était Mohammad Reza Kolahi Samadi, selon le renseignement néerlandais.
Les services iraniens recherchaient cet homme depuis le 28 juin 1981. Téhéran l’accusait d’avoir perpétré un attentat contre le siège du parti de la République islamique dans la capitale iranienne, deux ans après la révolution de 1979. L’attentat avait tué 73 personnes, dont l’ayatollah Mohammad Beheshti, l’un des clercs les plus influents de l’époque.
En 2017, un second opposant, Ahmad Mola Nissi, 52 ans, était tué par balles en plein centre de La Haye. Vivant aux Pays-Bas depuis 2006, il était l’un des dirigeants du Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahvaz (Amsla), un mouvement politique et militaire financé principalement par l’Arabie saoudite, selon les services néerlandais. Cette formation réclame l’autodétermination du Khouzistan, une province pétrolière du sud-ouest de l’Iran, frontalière de l’Irak, où réside une forte minorité arabe de confession chiite.
La mouvance séparatiste locale s’est liée à des groupes djihadistes d’Irak depuis la chute de son ancien patron, le dictateur irakien Saddam Hussein, en 2003. Les autorités iraniennes la tiennent pour responsable d’un attentat perpétré contre une parade militaire à Ahvaz, en septembre 2018. Revendiquée par l’organisation Etat islamique, l’attaque avait fait 24 morts. Trois membres de l’Amsla vivant en exil au Danemark avaient été, par la suite, visés par un projet d’assassinat, déjoué en octobre, ont affirmé les autorités de Copenhague.
Invoquant la nécessité de ne pas influer sur des enquêtes judiciaires en cours, le gouvernement de Mark Rutte avait refusé jusqu’ici de confirmer le rôle de l’Iran dans les assassinats commis aux Pays-Bas. Durant l’été 2018, deux diplomates ont toutefois été renvoyés à Téhéran et l’ambassadeur iranien a été convoqué au ministère des affaires étrangères.
« Collaboration intensive »
M. Blok souligne, par ailleurs, que son pays a largement contribué à l’adoption d’un nouveau volet de sanctions européennes, dévoilé mardi 8 janvier. L’UE vise la direction pour la sécurité intérieure du ministère du renseignement iranien, ainsi que son chef, le vice-ministre Saeid Hashemi Moghadam, et un diplomate anciennement en poste à Vienne, Assadollah Asadi. Les fonds et autres actifs financiers du service et de ses responsables ont été gelés.
La France s’est jointe aux Pays-Bas, à la Belgique, au Danemark, au Royaume-Uni et à l’Allemagne pour exprimer de « sérieuses inquiétudes » quant à l’attitude de Téhéran
Les autorités françaises se sont félicitées, mardi, de l’adoption de ces nouvelles sanctions. Fin juin, elles avaient annoncé avoir déjoué un projet d’attentat organisé par les services de renseignement de Téhéran et visant un rassemblement de l’Organisation des moudjahidin du peuple iranien, à Villepinte (Seine-Saint-Denis). M. Asadi, le diplomate iranien, est actuellement détenu en Belgique, d’où devait partir un couple transportant du matériel explosif. Il est soupçonné de les avoir manipulés. L’enquête, confiée au parquet d’Anvers, se déroule dans le plus grand secret.
Aux Pays-Bas, Dick Schoof, le directeur des services de renseignement, a évoqué la « collaboration intensive » qui se poursuivrait entre les services européens pour éclairer l’implication de l’Iran dans les meurtres commis en Europe.
Mardi, la France s’est jointe aux Pays-Bas, à la Belgique, au Danemark, au Royaume-Uni et à l’Allemagne pour exprimer de « sérieuses inquiétudes » quant à l’attitude de Téhéran. Leur prise de position mentionne toutefois que « ces éléments ne remettent pas en cause » l’engagement des Européens à poursuivre le dialogue avec l’Iran et à préserver l’accord international sur le nucléaire de juillet 2015, « tant que les autorités de Téhéran s’acquitteront à cet égard de leurs obligations », a assuré Paris.
L’Union européenne travaille, elle, toujours à la mise au point d’un système – ou « véhicule spécial » – censé préserver ses relations économiques et commerciales avec l’Iran. L’élaboration de cet outil complexe sera-t-elle compromise par les révélations sur les actions des services iraniens sur le sol européen ? Pour le service d’action extérieure, dirigé par la haute représentante Federica Mogherini, il ne faut pas perdre de vue les objectifs essentiels qui sont d’assurer la stabilité régionale et d’empêcher à tout prix le régime de se doter d’un armement nucléaire. Une parole de plus en plus difficile à tenir.
Louis Imbert et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)