Silo Qiz
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Silo Qiz, le célèbre barde populaire kurde du Dersim, nous a quittés le 14 décembre 2019.
Dersim est cette région kurde alevie qui a tant souffert des expéditions punitives des Ottomans et de la république turque. Silo Qiz, le plus célèbre barde populaire de cette région, vient de déposer, à l’âge de 105 ans, son kemane (violoncelle alto) l’instrument inséparable de sa voix.
Né dans le village Milî, de la tribu milî, Silo Qiz a appris à jouer du kemane avec son père lui aussi musicien-chanteur. Il fut appelé Silo Qiz, ou Silo le Petit, parce que dès l’âge de 5 ans il jouait déjà du kemane puis s'est mis à chanter dans les fêtes et les mariages. Rescapé du génocide des Kurdes de Dersim des années 1937-38, il chanta de nombreuses chansons épiques sur ce massacre. Une de ses chansons, Derê Laç (la vallée de Latch), raconte les épisodes de l'ultime combat de la résistance des tribus du Dersim face à l'armée turque. Cette chanson peut être considérée comme l'équivalent de la Chanson de Roland : un récit tellement puissant qui fait défiler les scènes du combat dans notre imagination.
Mais les armées (turques) sont très nombreuses,
Elles ne nous laissent aucune issue
On s'entre-tue
La rivière du Munzur
Charie des corps et des cadavres
On se bat, partout c'est le deuil.
Silo Qiz cite ensuite les noms des combattants, leur rôle dans la bataille et fait leur éloge. Il déplore la trahison de certaines tribus :
Que les foyers des tribus traîtresses brûlent
Ils nous tuent pour l'argent et le bakchich
Mais quand nous ne serons plus là
Leur tour viendra
Et leur sort sera celui des Arméniens
Et c’est exactement ce qui s'est passé. Une fois la résistance écrasée, l'armée turque s'est retournée contre ses collaborateurs kurdes et les ont tous exterminés.
Dans une autre chanson culte, Silo Qiz raconte l’assassinat du fils de Seyyed Riza, héros légendaire de la résistance du Dersim, Bava Yivraim, victime dès le début de la bataille d’un complot organisé par le pouvoir turc qui a utilisé la rivalité existant alors au sein de la société kurde.
Mais Silo Qiz a également composé et chanté d'innombrables chansons folkloriques, des chansons d'amour et bien d'autres. Son répertoire est énorme. Il conservait dans sa mémoire plusieurs centaines de chansons kurdes à l'époque où la langue kurde était interdite en Turquie. A partir des années 1960, avec l’apparition des magnétophones, certaines de ces chansons ont pu être enregistrées et donc sauvées. Et c’est ainsi que les chanteurs des générations suivantes ont retrouvé les chansons du répertoire de Silo Qiz et les ont chantées. Malheureusement, à cause de la politique répressive des gouvernements turcs beaucoup de ses chansons ont disparu.
Le décès de Silo Qiz survient à un moment où la répression contre les Kurdes prend de l’ampleur en Turquie. Les artistes sont également victimes de celle-ci. Ainsi le célèbre chanteur Ferhat Tunç a été obligé de s'exiler. Un autre grand chanteur, Yilmaz Çelik originaire de Dersim, a été arrêté la semaine dernière. Tous les deux, admirateurs des œuvres de Silo Qiz, ont interprété les chansons de son répertoire. Ces chanteurs subissent aujourd’hui le même sort qu’Ahmet Kaya, arrêté et exilé il y a 20 ans.
Nous rendons ici hommage à Silo Qiz, ce monument de l’art kurde très aimé de tous les Dersimis, et qui a énormément contribué à la survie du patrimoine culturel oral du Dersim.
DERÊ LAÇÎ
Wela wela, wela yaman o
Ordî gurlax amo
Dormê ma qapan o
Bextê Heyder û Demenani rê
Kes xirave nê vano
Ordîyê tirkî zafo
Tzaye welaxe ma nê dano
Ma zuvinî qirkeme
Tzeme munzirî tzendeg û lesu ano
Ondêri de dame pêro
Têde şîn û şîvano
Derê laçî bivêso
Yivisêmi gavan o
Bira pêrodeê, na qewxa aşîre nîya
Merevê Kirmanc û nu zalimanê Tirkan o
Destê xora xo mecêrê
Sar marê qolaye vano
Pepug bêro binîso
Cêncunê ma rê biwano
Qemerê Hesenî verê mixara de gino waro
Malo şerê mino beran o
Hesê Kalî kuno qewxa
Beşliye ho doş ser ano
Hemê tzivê kej persenê
Xismê ordi û taburan o
Yiviş xo sano sano Pulê Pil Xatûne
Hem dano pêro, hem kî qeydu vano
Reye qosro tzinê
Şerê ma hala se vano
Vano « tu hirê ordî ontê ma serde
Axirî ye mak dîn û islam o
Destê haqi danîme pêro
Ordîye tora neferê nêverdanu »
Derê Laçî bivêso Yivisêmi çeto Ordî gurlax amo Dorme ro ma gureto Destê xora xo mecerê Ma hêfê az û azê xo gureto Qirkeme qirnêkeme Nêqedino, ordiyê dewleto Kamke mara bimiro Tzaye xo tzenneto Laçi sero dame pêro Asmenra roz vineto
Ordî vireniya todero Yivisê mi xo bi çarne kemere
Ordî vireniya todero,
Bawo gorî Xo biçarne peyê kemere
Seke polate ginêro Yivisê mi
Eskerê Tirkî koyt be dere Kam ma û pîye toro bero,
Cîgerami xevere
Vano “bawo pêrode ma pêrodime
Meyitê mi yîta tzameverdê
Haq kenê tey berê”
Dinade tzoru nîna wuntene
Xi malê darva cîgere Yivisê mi kîşîyo
Eskerê Tirkî koyto dere
Laçî verde Yivisê mi şuya
Hîre Laze mi dest û bojî ye xo semernê
Koytora wertê tavure Biko lerze meke,
Ravêr meso, rew memire
Ordîye na zalim zaf o
Dina ma sero kerda sojia sure
Çe aşîrunê xayinu birijiyo
Qirkerdena ma arda risvet û père
Simake teseliya xo mara gurete
Meste, bîro hale sima je halê Hermeniyan o
Ma do pêro, hêfê ho hawt qat gureto
Merdena koy pers kenê, marê saltanet o
La vallée du Latch
Oh, c'est terrible, c'est terrible
Voici les armées (turques), elles sont arrivées
Nous sommes encerclés
Personne ne pourra dire du mal
Ni des paroles du courage, de la combativité
Des tribus de Demenan et Haydaran
Les armées (turques) sont très nombreuses
Elles ne nous laissent aucune issue
On s'entretue
La rivière du Munzur
Charie des corps et des cadavres,
On se bat, partout c'est le deuil
XXX
Que la vallée du Latch soit brûlée, (maudite)
Mon cher Yvis est comme un rempart
Vous vous battez, mes frères Nous nous battrons
Cela n'est pas un combat entre tribus
C'est un règlement de compte
Entre les Kurdes et les tyrans turcs
Il ne faudrait pas nous affaiblir nous-mêmes
Car les étrangers pourraient dire du mal de nous
Pébugue (le coucou) viendra se poser
Et chantera sur nos jeunes morts au combat
+++++
Quéméré Hesén tomba devant la grotte
Il est comme un lion de Béran
Hessé Kali entre dans le combat
Emportant sa carabine sur le dos.
Si vous demandez des nouvelles de Hémé Tzivé Guéjj : il vaut à lui seul des brigades et même des armées
Yvis s'est accroché au cœur de la montée de Pil Khatoun
En se battant, il chante
Tendons l’oreille à ce que dit notre héros
Tu as envoyé contre nous trois armées
Enfin, nous aussi nous appartenons à l'islam
Grâce à Dieu nous nous battrons,
Et je ne laisserai aucun soldat de tes armées vivant
++++
Que la vallée du Latch soit brulée
Mon cher Yvis nous sommes encerclés
Les armées sont arrivées très nombreuses
Elles nous entourent
Il ne faudra pas faiblir
Et nous sommes déjà vengés
Jusqu'à la troisième génération
On tue sans arrêt l'ennemi
Mais on n'arrive pas à en finir
Car ils sont très nombreux dans cette armée
Celui qui meurt à nos cotés
Sa place sera au Royaume
On se bat pour la vallée du Latch,
Le soleil s'est arrêté dans le ciel
++++
L'armée (turque) devant toi mon cher Yvis
Retourne derrière le rocher
L'armée (turque) est devant toi
Mon cœur, retourne derrière le rocher
Quand mon Yvis fut touché par l'acier
Les armées (turques) ont pénétré dans la vallée
Qui va informer ta mère et ton père
Mon père bats-toi, battons-nous
Ne me laissez pas mort et emportez-moi avec vous
C'est insupportable, les blessures du cœur
Aujourd'hui les troupes de Pétéré
Nous ont accablés
Mon cher Yvis a été tué
Les armées (turques) sont entrées dans la vallée
Devant la vallée du Latch
Mon cher Yvis, c'est Shuya Hîra,
Que mon fils retrousse ses manches
Et plonge dans la bataille
« Mon fils ne te précipite pas
N'avance pas trop
Ne meurs pas trop tôt
Les armées de ce tyran sont très nombreuses
On sent l'artillerie ennemie
Transformer le monde en un fer rouge au-dessus de nos têtes
Que les foyers des tribus traîtres brûlent
Ils nous tuent pour l'argent et le bakchich.
Mais quand nous ne serons plus là
Votre tour viendra
Et votre sort sera celui des Arméniens
Nous nous sommes battus,
Et nous nous sommes vengés sept fois
Si vous demandez
Qu'est-ce que cela signifie mourir à la montagne ? Pour nous c'est une dignité royale