Silo Qiz, monument vivant des chansons du Dersim, est décédé

mis à jour le Mercredi 18 decembre 2019 à 18h06

Institutkurde.org

Silo Qiz, le célèbre barde populaire kurde du Dersim, nous a quittés le 14 décembre 2019.

Dersim est cette région kurde alevie qui a tant souffert des expéditions punitives des Ottomans et de la république turque. Silo Qiz, le plus célèbre barde populaire de cette région, vient de déposer, à l’âge de 105 ans, son kemane (violoncelle alto) l’instrument inséparable de sa voix.

Né dans le village Milî, de la tribu milî, Silo Qiz a appris à jouer du kemane avec son père lui aussi musicien-chanteur. Il fut appelé Silo Qiz, ou Silo le Petit, parce que dès l’âge de 5 ans il jouait déjà du kemane puis s'est mis à chanter dans les fêtes et les mariages. Rescapé du génocide des Kurdes de Dersim des années 1937-38, il chanta de nombreuses chansons épiques sur ce massacre. Une de ses chansons, Derê Laç (la vallée de Latch), raconte les épisodes de l'ultime combat de la résistance des tribus du Dersim face à l'armée turque. Cette chanson peut être considérée comme l'équivalent de la Chanson de Roland : un récit tellement puissant qui fait défiler les scènes du combat dans notre imagination.

Mais les armées (turques) sont très nombreuses,

Elles ne nous laissent aucune issue

On s'entre-tue

La rivière du Munzur

Charie des corps et des cadavres

On se bat, partout c'est le deuil.

Silo Qiz cite ensuite les noms des combattants, leur rôle dans la bataille et fait leur éloge. Il déplore la trahison de certaines tribus :

Que les foyers des tribus traîtresses brûlent

Ils nous tuent pour l'argent et le bakchich

Mais quand nous ne serons plus là

Leur tour viendra

Et leur sort sera celui des Arméniens

Et c’est exactement ce qui s'est passé. Une fois la résistance écrasée, l'armée turque s'est retournée contre ses collaborateurs kurdes et les ont tous exterminés.

Dans une autre chanson culte, Silo Qiz raconte l’assassinat du fils de Seyyed Riza, héros légendaire de la résistance du Dersim, Bava Yivraim, victime dès le début de la bataille d’un complot organisé par le pouvoir turc qui a utilisé la rivalité existant alors au sein de la société kurde.

Mais Silo Qiz a également composé et chanté d'innombrables chansons folkloriques, des chansons d'amour et bien d'autres. Son répertoire est énorme. Il conservait dans sa mémoire plusieurs centaines de chansons kurdes à l'époque où la langue kurde était interdite en Turquie. A partir des années 1960, avec l’apparition des magnétophones, certaines de ces chansons ont pu être enregistrées et donc sauvées. Et c’est ainsi que les chanteurs des générations suivantes ont retrouvé les chansons du répertoire de Silo Qiz et les ont chantées. Malheureusement, à cause de la politique répressive des gouvernements turcs beaucoup de ses chansons ont disparu.

Le décès de Silo Qiz survient à un moment où la répression contre les Kurdes prend de l’ampleur en Turquie. Les artistes sont également victimes de celle-ci. Ainsi le célèbre chanteur Ferhat Tunç a été obligé de s'exiler. Un autre grand chanteur, Yilmaz Çelik originaire de Dersim, a été arrêté la semaine dernière. Tous les deux, admirateurs des œuvres de Silo Qiz, ont interprété les chansons de son répertoire. Ces chanteurs subissent aujourd’hui le même sort qu’Ahmet Kaya, arrêté et exilé il y a 20 ans.

Nous rendons ici hommage à Silo Qiz, ce monument de l’art kurde très aimé de tous les Dersimis, et qui a énormément contribué à la survie du patrimoine culturel oral du Dersim.

DERÊ LAÇÎ

Wela wela, wela yaman o

Ordî gurlax amo

Dormê ma qapan o

Bextê Heyder û Demenani rê

Kes xirave nê vano

Ordîyê tirkî zafo

Tzaye welaxe ma nê dano

Ma zuvinî qirkeme

Tzeme munzirî tzendeg û lesu ano

Ondêri de dame pêro

Têde şîn û şîvano

Derê laçî bivêso

Yivisêmi gavan o

Bira pêrodeê, na qewxa aşîre nîya

Merevê Kirmanc û nu zalimanê Tirkan o

Destê xora xo mecêrê

Sar marê qolaye vano

Pepug bêro binîso

Cêncunê ma rê biwano

Qemerê Hesenî verê mixara de gino waro

Malo şerê mino beran o

Hesê Kalî kuno qewxa

Beşliye ho doş ser ano

Hemê tzivê kej persenê

Xismê ordi û taburan o

Yiviş xo sano sano Pulê Pil Xatûne

Hem dano pêro, hem kî qeydu vano

Reye qosro tzinê

Şerê ma hala se vano

Vano « tu hirê ordî ontê ma serde

Axirî ye mak dîn û islam o

Destê haqi danîme pêro

Ordîye tora neferê nêverdanu »

Derê Laçî bivêso Yivisêmi çeto Ordî gurlax amo Dorme ro ma gureto Destê xora xo mecerê Ma hêfê az û azê xo gureto Qirkeme qirnêkeme Nêqedino, ordiyê dewleto Kamke mara bimiro Tzaye xo tzenneto Laçi sero dame pêro Asmenra roz vineto

Ordî vireniya todero Yivisê mi xo bi çarne kemere

Ordî vireniya todero,

Bawo gorî Xo biçarne peyê kemere

Seke polate ginêro Yivisê mi

Eskerê Tirkî koyt be dere Kam ma û pîye toro bero,

Cîgerami xevere

Vano “bawo pêrode ma pêrodime

Meyitê mi yîta tzameverdê

Haq kenê tey berê”

Dinade tzoru nîna wuntene

Xi malê darva cîgere Yivisê mi kîşîyo

Eskerê Tirkî koyto dere

Laçî verde Yivisê mi şuya

Hîre Laze mi dest û bojî ye xo semernê

Koytora wertê tavure Biko lerze meke,

Ravêr meso, rew memire

Ordîye na zalim zaf o

Dina ma sero kerda sojia sure

Çe aşîrunê xayinu birijiyo

Qirkerdena ma arda risvet û père

Simake teseliya xo mara gurete

Meste, bîro hale sima je halê Hermeniyan o

Ma do pêro, hêfê ho hawt qat gureto

Merdena koy pers kenê, marê saltanet o

La vallée du Latch

Oh, c'est terrible, c'est terrible

Voici les armées (turques), elles sont arrivées

Nous sommes encerclés

Personne ne pourra dire du mal

Ni des paroles du courage, de la combativité

Des tribus de Demenan et Haydaran

Les armées (turques) sont très nombreuses

Elles ne nous laissent aucune issue

On s'entretue

La rivière du Munzur

Charie des corps et des cadavres,

On se bat, partout c'est le deuil

XXX

Que la vallée du Latch soit brûlée, (maudite)

Mon cher Yvis est comme un rempart

Vous vous battez, mes frères Nous nous battrons

Cela n'est pas un combat entre tribus

C'est un règlement de compte

Entre les Kurdes et les tyrans turcs

Il ne faudrait pas nous affaiblir nous-mêmes

Car les étrangers pourraient dire du mal de nous

Pébugue (le coucou) viendra se poser

Et chantera sur nos jeunes morts au combat

+++++

Quéméré Hesén tomba devant la grotte

Il est comme un lion de Béran

Hessé Kali entre dans le combat

Emportant sa carabine sur le dos.

Si vous demandez des nouvelles de Hémé Tzivé Guéjj : il vaut à lui seul des brigades et même des armées

Yvis s'est accroché au cœur de la montée de Pil Khatoun

En se battant, il chante

Tendons l’oreille à ce que dit notre héros

Tu as envoyé contre nous trois armées

Enfin, nous aussi nous appartenons à l'islam

Grâce à Dieu nous nous battrons,

Et je ne laisserai aucun soldat de tes armées vivant

++++

Que la vallée du Latch soit brulée

Mon cher Yvis nous sommes encerclés

Les armées sont arrivées très nombreuses

Elles nous entourent

Il ne faudra pas faiblir

Et nous sommes déjà vengés

Jusqu'à la troisième génération

On tue sans arrêt l'ennemi

Mais on n'arrive pas à en finir

Car ils sont très nombreux dans cette armée

Celui qui meurt à nos cotés

Sa place sera au Royaume

On se bat pour la vallée du Latch,

Le soleil s'est arrêté dans le ciel

++++

L'armée (turque) devant toi mon cher Yvis

Retourne derrière le rocher

L'armée (turque) est devant toi

Mon cœur, retourne derrière le rocher

Quand mon Yvis fut touché par l'acier

Les armées (turques) ont pénétré dans la vallée

Qui va informer ta mère et ton père

Mon père bats-toi, battons-nous

Ne me laissez pas mort et emportez-moi avec vous

C'est insupportable, les blessures du cœur

Aujourd'hui les troupes de Pétéré

Nous ont accablés

Mon cher Yvis a été tué

Les armées (turques) sont entrées dans la vallée

Devant la vallée du Latch

Mon cher Yvis, c'est Shuya Hîra,

Que mon fils retrousse ses manches

Et plonge dans la bataille

« Mon fils ne te précipite pas

N'avance pas trop

Ne meurs pas trop tôt

Les armées de ce tyran sont très nombreuses

On sent l'artillerie ennemie

Transformer le monde en un fer rouge au-dessus de nos têtes

Que les foyers des tribus traîtres brûlent

Ils nous tuent pour l'argent et le bakchich.

Mais quand nous ne serons plus là

Votre tour viendra

Et votre sort sera celui des Arméniens

Nous nous sommes battus,

Et nous nous sommes vengés sept fois

Si vous demandez

Qu'est-ce que cela signifie mourir à la montagne ? Pour nous c'est une dignité royale