Depuis une quinzaine de jours, l'aviation et l'artillerie turques bombardent dans l'enclave nord-ouest de la Syrie autour d'Afrine (ici le 31 décembre), les positions des Kurdes du PYD, la branche locale du PKK. AHMAD SHAFIE BILAL/AFP
Le Figaro | Georges Malbrunot | lundi 5 février 2018
Lors de leur échange téléphonique, le président turc ne s’est pas engagé sur une date de fin de l’offensive antikurde.
DIPLOMATIE Recep Tayyip Erdogan veut obtenir « des garanties sur la gouvernance locale d’Afrine » avant d’arrêter l’offensive militaire qu’Ankara mène depuis le 20 janvier contre cette enclave dans le nord-ouest de la Syrie, dominée par ses ennemis, les combattants kurdes du PYD. C’est en substance, selon une source diplomatique informée, ce que le président turc a réclamé samedi lors d’un entretien téléphonique d’une heure avec Emmanuel Macron. « Si les Turcs obtiennent ces garanties, l’opération militaire s’arrêtera », souligne-t-on à l’Élysée. « Mais tant que le PYD sera maître de cette zone, peuplée non seulement de Kurdes, mais aussi d’Arabes, la Turquie ne sera pas satisfaite », ajoute-t-on.
Depuis quinze jours, l’aviation et l’artillerie turques bombardent des positions du PYD, la branche locale du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré par Ankara comme une organisation terroriste. Ouverte sur cinq fronts le long de la frontière entre les deux pays, l’opération « Rameau d’olivier » vise à déloger les combattants du PYD de la région d’Afrine. Mais son extension plus à l’est, notamment contre la ville de Manbij tenue par le PYD, où sont stationnés 200 soldats américains, suscite de vives inquiétudes. Mercredi dans Le Figaro, Emmanuel Macron a mis en garde contre toute velléité « d’invasion » turque en Syrie. Cela souleva la colère du ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu, qui fustigea « les insultes » de Paris. « D’habitude, les messages les plus importants sont transmis de vive voix et non via la presse », confie un officiel turc.
L’échange téléphonique de samedi a donc été l’occasion d’une mise au point. « Macron et Erdogan se sont parlé, comme à l’habitude, d’une manière extrêmement franche », reconnaît-on à l’Élysée. Erdogan a dit à Macron qu’il avait été « un peu surpris et même étonné » de l’entendre parler « d’invasion » de la Syrie par son pays. Le président turc a rappelé à son homologue qu’il « ne voyait pas pourquoi il avait utilisé le mot invasion », alors que l’offensive turque s’inscrit dans le contexte de la lutte antiterroriste menée par la coalition internationale - dont la France fait partie - contre Daech en Syrie et en Irak. Ce à quoi Macron a répondu qu’il avait utilisé le conditionnel dans son entretien au Figaro lorsqu’il disait que « s’il s’avérait que cette opération turque devait prendre un autre tour […] à ce moment, cela nous pose un réel problème ».
« Nettoyer Afrine » seulement
Au-delà, Erdogan a assuré à Macron que la Turquie « ne convoitait pas le territoire d’un autre pays », selon des propos rapportés par l’agence de presse officielle Anadolu. Il a ajouté que l’opération en cours « ne visait qu’à nettoyer » la région d’Afrine « des éléments terroristes », tels ceux du PYD. Le chef de l’État français a-t-il été rassuré par Erdogan ? « Nous n’utiliserions pas le mot “rassuré” », répond-on à l’Élysée, où l’on rappelle qu’à l’issue d’un précédent entretien téléphonique, Macron s’était déjà dit « rassuré » par des promesses d’Erdogan, restées depuis « hypothétiques ». Bref, la prudence reste de mise.
Tout en comprenant les « intérêts sécuritaires » de la Turquie, Macron a rappelé que ceux-ci ne devaient pas masquer « d’autres intentions », c’est-à-dire une présence durable et étendue des forces turques dans le nord-est de la Syrie. « Erdogan l’a bien compris », veut-on croire à l’Élysée. Mais le président turc s’est bien gardé de dévoiler la suite de son plan de bataille. « Erdogan ne répond pas précisément à l’horizon temporel (de cette opération, NDLR), mais il a réaffirmé qu’il s’agissait d’une opération ponctuelle et ciblée. » Une assurance réitérée dans l’entretien que le leader turc a accordé au quotidien La Stampa, à la veille de sa visite, ce lundi, en Italie.
Mais dans le même temps, son premier ministre adjoint, Bekir Bozdag, s’est fait menaçant, déclarant à la chaîne CNN-Turk que « si les forces du PYD ne se retirent pas de Manbij, alors nous irons à Manbij et à l’est de l’Euphrate ». Et d’avertir les États-Unis, qui disposent de 2 000 hommes dans ces régions, que « si des soldats américains portent des uniformes terroristes ou se trouvent parmi les terroristes au cours d’une attaque contre l’armée, alors il n’y aura aucune façon de faire la distinction ». Face au risque de débordements, Macron a rappelé à Erdogan que la « Turquie ne devait pas se lancer dans de nouvelles opérations territoriales » plus à l’est de la Syrie. Les deux dirigeants auront un nouveau contact téléphonique au cours des prochaines semaines.