Tensions dans le sud-est de la Turquie après un attentat d`origine suspecte

DIYARBAKIR (Turquie), 10 nov 2005 (AFP) - 18h26 - Les habitants de Semdinli, une ville du sud-est anatolien à majorité kurde, ne décoléraient pas jeudi après un attentat survenu la veille dans leur commune, certains élus locaux évoquant une possible "provocation" de la part d'officines travaillant pour l'Etat turc.

L'explosion d'une bombe a fait un mort et six blessés, mercredi dans une librairie appartenant, selon la chaîne d'information CNN-Türk, à un ancien militant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Des habitants de Semdinli, une localité aux confins de l'Iran et de l'Irak, ont tenté de lyncher une personne qu'ils accusaient d'avoir posé l'engin et qui a finalement été placée en garde à vue par la police.

Trois fusils-mitrailleurs, deux grenades et des documents ont été découverts dans sa voiture, sérieusement endommagée par une foule en colère qui s'est ensuite retournée contre les forces de sécurité, qui ont tiré en l'air pour disperser les manifestants. Une personne a été tuée et une dizaine d'autres, dont le maire de Semdinli, ont été blessées dans ces incidents.

L'accès à la ville a été interdit par les autorités locales pour prévenir de plus graves débordements, ce qui n'a pas empêché des dizaines de manifestants de mettre le feu, dans la soirée, à trois voitures, puis le lendemain à un point de contrôle de la police, selon des sources locales de sécurité.

Echauffés par une rumeur assurant que l'armée ou les services secrets pourraient être à l'origine de l'attentat, le manifestants scandaient des slogans favorables au PKK, ont précisé ces sources, qui ont ajouté qu'aucun blessé n'avait été déploré au cours des derniers incidents.

Intervenu à Semdinli pour calmer la population, le maire de la commune voisine de Yüksekova Salih Yildiz, membre du Parti démocratique du peuple (Dehap, pro-kurde), a attribué l'attentat à une nébuleuse luttant contre les séparatistes kurdes en marge de l'action officielle de l'Etat.

"Il s'est produit ici un événement qui ressemble à Susurluk", a déclaré l'édile, selon CNN-Türk, faisant référence à un scandale survenu à la fin des années 1990 près de la ville de Susurluk (ouest de la Turquie), et qui avait mis en évidence des liens entre les forces de sécurité, des groupuscules d'extrême-droite et la mafia.

Le député d'opposition Esat Canan, du Parti républicain du peuplesocial-démocrate), a lui aussi évoqué, dans le quotidien Radikal, "une provocation ouverte".

Les autorités turques ont réagi avec une célérité peu commune pour demander des éclaircissements sur cette affaire.

"L'ordre du Premier ministre est le suivant: la lumière doit être fait sur cette affaire", a déclaré Akif Beki, le porte-parole du chef de gouvernement Recep Tayyip Erdogan, cité par l'agence de presse Anatolie. "Il a dit que tout devait être fait pour que les responsables soit découverts".

Selon Anatolie, deux inspecteurs en chef ont été dépêchés sur les lieux par le ministère de l'Intérieur.

Le président de la commission parlementaire des droits de l'homme Mehmet Elkatmis a pour sa part indiqué qu'une délégation de députés allait se rendre à Semdinli pour enquêter.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre, un attentat attribué par les autorités au PKK avait déjà frappé la ville, faisant 23 blessés.

Le sud-est anatolien est le théâtre d'un conflit sanglant entre les forces de sécurité turques et les rebelles kurdes du PKK qui a fait près de 37.000 morts depuis 1984.

Le PKK, considéré comme une organisation terroriste par Ankara, l'Union européenne et les Etats-Unis, a multiplié ses opérations dans la région au cours des derniers mois après avoir observé un cessez-le-feu unilatéral de 1999 à juin 2004.

Le groupe a mis fin début octobre à une nouvelle trêve de six semaines.