19.03.03 14h40Vous êtes directeur de l'Institut kurde à Paris. Quelle est votre position sur une intervention en Irak ?
Ma position, c'est "oui" à une intervention sous l'égide de l'ONU pour une transition démocratique en Irak et "non" à une action unilatérale. Saddam Hussein a besoin de ses armes pour conserver le pouvoir. Le maintenir au pouvoir, c'est condamner le peuple irakien à une mort lente et à l'absence d'avenir. Sait-on que quatre millions d'Irakiens ont quitté le pays faute de futur. On a vu certains de ceux-là passer au centre de Sangatte. Mais on n'entend guère la voix des émigrés irakiens parce que beaucoup d'entre eux ont peur pour leur famille.
Que pensez-vous de la position française ?
Elle vise, sans nécessairement l'avoir voulu, le maintien de cette dictature, qui est un désastre. Les Irakiens qui parlent clandestinement disent que leur principal problème, c'est Jacques Chirac, parce que si on poursuit indéfiniment les inspections, on va progressivement lever les sanctions, redonner à Saddam Hussein le libre usage de ses armes. Quant aux Kurdes, ils sont écartelés entre deux positions mauvaises : la perpétuation de la dictature et une intervention dans laquelle les Américains, n'ayant plus que les Turcs pour alliés, seront contraints d'en passer par les conditions d'Ankara.
A quoi attribuez-vous le peu d'audience des thèses de l'opposition irakienne en France ?
En France, la gauche et la droite ont été compromises avec le régime de Saddam Hussein, et un véritable consensus existait sur ce sujet dans les années 1980. Je remarque, d'ailleurs, qu'il n'y a pas eu d'enquête parlementaire après la première guerre du Golfe. A la différence de ce qui s'est passé dans le monde anglo-saxon, il n'y a pas eu non plus d'effort d'information. J'en ai fait moi-même l'expérience. Depuis cinq ans, nous avons cherché à faire éditer Génocide en Irak – Les campagnes d'Anfal (paru finalement, il y a deux mois, aux éditions Karthala). Fin novembre 2002, nous avions organisé un grand colloque à l'Assemblée nationale sur la question kurde. Trois députés y ont assisté... En revanche, l'expédition farfelue d'une poignée de pacifistes en Irak – que la population irakienne considère, hors caméra, comme des mercenaires du régime – a fait l'objet d'une couverture médiatique énorme. Il y a un problème de fonctionnement médiatique qui a entretenu ce manque d'intérêt. Des personnalités de premier plan de l'opposition irakienne, comme le professeur Kanan Makiya [professeur aux universités américaines Brandeis et Harvard], estiment que la situation en France est cadenassée et qu'il est inutile d'y venir. En 1991, toutes les antennes nous étaient ouvertes. Aujourd'hui, elles le sont, de fait, beaucoup moins.
Propos recueillis par Nicolas Weill
(Not: Article paru dans l'edition du 20.03.03)