Photo : Véhicules des forces armées américaines, à Manbij, dans le nord de la Syrie, le 3 avril. DELIL SOULEIMAN / AFP
Le Monde | Par Gilles Paris (Washington, correspondant) | 5 avril 2018
La Maison Blanche et le Pentagone divergent sur le retrait de leurs forces
Donald Trump avait créé la stupeur, le 29 mars, en assurant au détour d'une intervention consacrée aux infrastructures que les Etats-Unis retireraient " très bientôt " leurs soldats déployés à l'est de la Syrie. Il a ajouté au trouble mardi en faisant part de nouveau de ses vœux de " ramener nos troupes à la maison " à l'occasion d'une conférence de presse commune avec ses homologues baltes en visite à la Maison Blanche.
" Il est temps ", a-t-il ajouté à propos de cette force estimée à 2 000 hommes, principalement des membres des forces spéciales. " Notre première mission était de nous débarrasser - de l'organisation Etat islamique (EI) - . Nous y sommes presque parvenus. Et nous prendrons une décision très rapidement en coordination avec d'autres dans la région sur ce que nous allons faire ", a ajouté le président.
En janvier, Rex Tillerson, qui était encore secrétaire d'Etat, avait annoncé dans un discours prononcé au Hoover Institute de la Stanford University que les forces américaines déployées dans le nord-est du territoire syrien étaient vouées, au contraire, à rester durablement sur place. Rex Tillerson avait avancé cinq raisons pour leur maintien : empêcher la résurgence de groupes djihadistes, endiguer l'Iran, pouvoir peser en faveur d'une transition politique à Damas, faciliter le retour des déplacés et réfugiés, et parachever l'élimination des armes chimiques toujours en possession du régime syrien.
Mardi, alors que Donald Trump répétait son souhait de retrait, le responsable du commandement central (CentCom) qui englobe le Moyen-Orient, le général Joseph Votel, tenait un autre discours. " La situation devient de plus en plus complexe " en Syrie, a-t-il indiqué au cours d'un colloque organisé à quelques centaines de mètres seulement de la Maison Blanche, au United States Institute of Peace.
Le militaire a indiqué que les affrontements entre l'armée turque et des miliciens kurdes considérés comme des terroristes par Ankara, ont " ralenti nos opérations " contre l'EI, compte tenu de la place prise par les combattants kurdes dans les offensives supervisées par les Etats-Unis. " Nous sommes en Syrie pour combattre l'EI. C'est notre mission et elle n'est pas terminée ", a ajouté l'envoyé spécial des Etats-Unis chargé de la coalition internationale mobilisée contre l'EI, Brett McGurk, présent aux côtés du général.
Gel de 200 millions de dollars
" Le plus dur est devant nous ", a insisté Joseph Votel, avant d'énumérer les défis à venir : " stabiliser la situation ", " consolider nos gains ", " permettre aux gens " déplacés par les combats contre les djihadistes " de revenir dans leurs maisons ". Le chef du CentCom a également mentionné la reconstruction alors que selon le Wall Street Journal, -Donald Trump a exigé du département d'Etat qu'il gèle la somme de 200 millions de dollars (162,8 millions d'euros) prévus à cet effet.
Interrogé, le département d'Etat s'est efforcé mardi de relativiser cette décision, assurant qu'elle s'inscrivait dans le cadre d'un réexamen général de toute forme d'aide extérieure. Un porte-parole a assuré en substance que les Etats-Unis travaillent sur le terrain, avec la communauté internationale, pour aider à stabiliser les zones libérées de l'EI, et identifier des moyens de faciliter la reconstruction une fois qu'une transition politique pacifique sera intervenue.
Alors qu'un retrait de Washington affaiblirait considérablement ses auxiliaires kurdes, l'agence de presse étatique turque Anadolu affirme que les Etats-Unis ont commencé à construire deux bases dans la région de Manbij, contrôlée par les Kurdes mais désormais sous la menace d'Ankara. Sollicité, le Pentagone a refusé de s'exprimer sur des " mouvements ou des positions spécifiques en Syrie ". Un porte-parole a cependant ajouté que les forces sur place " ont l'autorité et la responsabilité " de se positionner de manière à " accomplir leur mission et se protéger ".
Depuis son entrée en politique, Donald Trump a multiplié les déclarations contradictoires à propos du rôle des Etats-Unis au Moyen-Orient, comme en Afghanistan. Il n'a cessé de déplorer, comme il l'a encore fait mardi, un engagement ruineux qui n'a produit aucun résultat jugé probant depuis l'invasion de l'Irak en 2003. Mais il a aussi éreinté le retrait jugé prématuré des troupes américaines de ce même pays en décembre 2011, décidé par son prédécesseur démocrate, Barack Obama.
Il critique de même avec virulence l'accord nucléaire conclu avec l'Iran en 2015 par le même président tout en envisageant un retrait de Syrie qui permettrait au régime iranien de conforter une emprise régionale dénoncée par Israël et l'Arabie saoudite. Mardi, Donald Trump a d'ailleurs ajouté une dimension mercantile à l'équation syrienne. " Vous voulez que nous restions ", a-t-il indiqué à l'attention des autorités saoudiennes, " peut-être qu'il va falloir que vous payiez ".
Ces divergences publiques, cette fois-ci à propos de la Syrie, ne sont pas les premières au sein de l'administration américaine. A l'exception notable de l'envoi de renforts en Afghanistan obtenu par le Pentagone, cet été, Donald Trump a souvent tranché conformément à ses instincts.