Recep Tayyip Erdogan est à Washington cette semaine à l’invitation de Donald Trump.
(Photo by Dominique JACOVIDES / POOL / AFP) (DOMINIQUE JACOVIDES / AFP)
La Turquie de Recep Tayyip Erdogan, membre de l’Otan, est au carrefour de toutes les contradictions stratégiques de l’heure : montée de l’autoritarisme, alliances chancelantes, unilatéralisme, islam politique… Et s’il existe bel et bien un « problème turc », il est en train d’éclater au grand jour, contraignant tous les acteurs à prendre position.
C’est la Turquie d’Erdogan qui est à l’origine de la sortie fracassante d’Emmanuel Macron, le 7 novembre, dans l’hebdomadaire britannique « The Economist », dans laquelle il décrit l’Otan en état de « mort cérébrale ». Le président français n’a pas digéré la manière dont l’allié turc, avec le feu vert de Donald Trump, a « agressé » – c’est son mot – les combattants kurdes syriens, fers de lance de la coalition internationale contre Daech. Au point de questionner la validité de l’article 5 du traité d’Alliance atlantique, qui prévoit la solidarité automatique des Etats membres en cas d’agression contre l’un des leurs :
« Si le régime deBachar al-Assad décide de répliquer à la Turquie, est-ce que nous allons nous engager ? C’est une vraie question », s’interroge à haute voix le président de la République, brisant un tabou vieux de soixante-dix ans.
Emmanuel Macron n’a pas mâché ses mots et il a suscité la consternation de ses partenaires européens, à commencer par Angela Merkel, qui ne sont pas prêts à échanger le « parapluie » américain contre une « ombrelle » européenne dans laquelle la France serait la force principale. Ce sera le débat essentiel des prochains mois : l’Europe se vit- elle, ou pas, comme une « puissance » au xxie siècle ? Mais le débat le plus immédiat est celui qui concerne la Turquie. Recep Tayyip Erdogan se livre depuis trois ans à un incroyable numéro d’équilibrisme : allié des Etats-Unis, qui disposent de têtes nucléaires dans la grande base turque de
l’Otan à Incirlik, il achète du matériel militaire russe, se moque de toute alliance en menant une opération militaire en Syrie sans concertation, agite la double menace d’ouvrir le « robinet à réfogiés » en direction de l’Europe, et de renvoyer vers ces mêmes pays « leurs » djihadistes présents dans les prisons turques. Avec des alliés comme ça, qui a besoin d’ennemis ?
Les Etats-Unis sont dans une étrange situation : l’appareil militaire a perdu confiance dans la Turquie, alors que son « commandant en chef », le président américain, le protège, tout en menaçant sur Twitter de « détruire son économie », s’il allait trop loin... Recep Tayyip Erdogan se trouvait à Washington cette semaine à l’invitation de Donald Tnamp, malgré le vote du Congrès sur le génocide arménien, malgré l’installation de systèmes antimissiles russes S-400 (sur un territoire de l’Otan, c’est une première !), malgré, enfin, les ambiguïtés stratégiques d’Ankara.
Début décembre, l’Alliance atlantique célébrera à Londres ses 70 ans : l’ambiance ne sera pas à la fête. La charge d’Emmanuel Macron sera dans tous les esprits, mais aussi la mauvaise humeur de Donald Trump contre les « mauvais payeurs » européens, et l’attitude provocatrice d’Erdogan.
Depuis des mois, le président français confie à ses visiteurs qu’il pense que l’Otan n’existera plus dans cinq ans. Ce pronostic pouvait sembler initialement excessif, mais on peut se demander aujourd’hui s’il n’est pas devenu inéluctable. A la fin de la guerre froide, le président tchèque Vâclav Havel avait proposé de dissoudre simultanément les deux alliances militaires rivales, le pacte de Varsovie et l’Otan. Il n’a pas été écouté, laissant passer une occasion de repenser l’architecture de sécurité de l’Europe. La question se pose de nouveau, dans un contexte beaucoup plus tendu. P. H.