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Lemonde.fr - Par Nicolas Bourcier (Istanbul, correspondant)
Enquête | Sous la houlette du nouveau ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya, des opérations antidrogue d’une ampleur sans précédent sont menées dans cet Etat, devenu sanctuaire pour les barons de la drogue du monde entier.
Le cliché date du 18 novembre 2023. Un homme est agenouillé, les mains menottées dans le dos, encadré par deux policiers, des gaillards encagoulés posant à ses côtés dans un salon luxueux d’Istanbul. Le prisonnier s’appelle Nenad Petrak – ou plutôt Nenat Çelik, depuis ce jour de décembre 2022 où il a obtenu la citoyenneté turque grâce à l’achat d’un appartement d’une valeur de 250 000 dollars, montant minimal à investir dans l’immobilier à l’époque, selon la loi de naturalisation en vigueur en Turquie.
Fort de sa nouvelle nationalité, d’une lettre de son prénom modifiée et d’un patronyme turquisé, il a vécu, pendant près d’un an, une existence que l’on imagine confortable, sur les rives du Bosphore. Considéré comme l’un des barons de la drogue croate, Nenad Petrak importait de la cocaïne d’Amérique du Sud vers l’Europe. Un trafic qui, de source policière, lui aurait rapporté plus de 27 millions d’euros par mois, en 2020.
Ses sbires avaient la particularité d’être d’anciens boxeurs – lui-même possédait une salle de boxe à Zagreb. L’homme était d’ailleurs depuis longtemps recherché par la Croatie et par l’Allemagne pour violences et tentatives de meurtre, avant qu’Interpol ne finisse par émettre une notice rouge le concernant. L’arrestation du mafieux croate est le résultat d’une opération soutenue par Europol, impliquant les autorités judiciaires croates et allemandes.
Alors, quand les dirigeants turcs ont diffusé les images de son arrestation, plusieurs médias se sont interrogés sur la facilité avec laquelle une telle figure du banditisme avait pu s’installer dans le pays et obtenir des papiers turcs en règle, malgré l’exigence d’un casier judiciaire vierge, le système de reconnaissance faciale, l’enregistrement des empreintes digitales, que requiert une demande de naturalisation. Des protections dont aurait bénéficié le suspect en haut lieu ont été évoquées, mais aucune enquête n’a encore été ouverte sur d’éventuelles complicités. Et sa nationalité turque exclut de facto toute extradition.
Depuis, presque chaque jour, les médias se font l’écho de saisies et d’opérations policières spectaculaires, laissant entrevoir à quel point le pays est devenu un sanctuaire pour des barons de la drogue originaires du monde entier. Le groupe criminel Comanchero, installé en Australie, soupçonné de trafic de stupéfiants et de blanchiment d’argent, a essuyé un sérieux revers avec la capture, à Istanbul, de Maximilian Rivkin, suédois d’origine serbe, et de Hakan Ayik, binational turco-australien – le premier ayant acquis la nationalité turque en achetant deux appartements au second. Christijan Palic, chef du cartel de la drogue dit « de l’aile des Balkans occidentaux », a été mis sous les verrous après une opération des forces spéciales, dans le quartier stambouliote de Besiktas.
Le même sort a été réservé à Chamil Amirov, dirigeant de la pègre russe, au Néerlandais Isaac Bignan, bras droit de Joseph Johannes Leijdekkers (lui-même considéré comme un acteur-clé du trafic international de cocaïne et tout-puissant dans le port d’Anvers, repéré par Europol en Turquie), dont l’épouse et les enfants ont obtenu la nationalité turque. Idem, encore, pour l’Allemand Eric Schroeder, trafiquant de cocaïne et de marijuana, propriétaire de deux logements dans la résidence Sapphire, le plus haut gratte-ciel du pays…
La liste n’en finit plus. Le 3 janvier, Ali Yerlikaya, ministre de l’intérieur depuis la réélection du président Recep Tayyip Erdogan, fin mai 2023, a annoncé que ses services avaient, en quelques mois, mis fin aux activités de cinquante-six criminels recherchés par dix-huit pays. « Nous allons tous les mettre en cage, un par un », a-t-il promis sur le réseau social X. La semaine précédente, il s’était enorgueilli de l’arrestation de 376 personnes suspectées de tremper dans un vaste réseau de stupéfiants, dans une quarantaine de provinces turques. En novembre, 118 autres étaient poursuivies par la justice pour paris illégaux et trafic de drogue.
A cet impressionnant tableau de chasse sont venues s’ajouter les statistiques annuelles : à l’instar de ces cinq dernières années, la Turquie caracole dans le peloton de tête du classement des saisies mondiales d’héroïne. Selon le rapport 2023 de la direction générale de la sécurité, le nombre de saisies de captagon a augmenté de 73,6 % en 2022 par rapport à l’année précédente. Pour la méthamphétamine, il a été multiplié par trois pour la même période.
Il y a manifestement quelque chose de pourri au royaume de Turquie, et le pouvoir a décidé de faire place nette ou, à tout le moins, en affiche-t-il la volonté. La question est de savoir pourquoi tout s’est soudainement accéléré en 2023, avec tant de zèle et pour quels effets ? Pour y répondre, il faut revenir aux origines de ces réseaux criminels et de leurs connivences locales, distinguer comment certains acteurs ont trouvé aide et protection auprès de magistrats et de personnalités influentes jusqu’au sommet de l’Etat.
« Nous vivons un moment charnière, affirme Timur Soykan, journaliste d’investigation du quotidien indépendant BirGün, et spécialiste du crime organisé. Il y a les arrestations, les saisies de plus en plus importantes de toutes sortes de stupéfiants, y compris de cocaïne provenant d’Amérique du Sud – ce qui est nouveau. Tout cela montre, chaque jour un peu plus, le rôle et le poids considérables de la Turquie comme plaque tournante de la drogue, avec ses réseaux, ses protections, sa longue tradition de liens entre l’Etat et les gangs, ses sommes colossales brassées et blanchies, faisant de ce pays un véritable “Mexique de l’Europe”. »
Lorsque le Groupe d’action financière (GAFI) décide, en octobre 2021, d’inscrire la Turquie au rang des « pays soumis à une surveillance accrue », c’est-à-dire de la placer sur sa « liste grise » des Etats s’engageant à remédier aux déficiences stratégiques de leur régime en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les autorités ont regardé ailleurs. Rien n’a été fait pour endiguer l’emprise des réseaux criminels. Cette dégradation infligée par le GAFI – quelques mois après la publication d’un rapport de la Commission européenne, très sévère, à l’égard d’Ankara – s’est traduite par une chute accélérée des investissements étrangers.
Pour ce pays dont l’économie repose essentiellement sur la consommation et le crédit, avec des besoins en infrastructures et liquidités insatiables, les conséquences sont désastreuses. « Trop longtemps, le gouvernement a refusé d’agir, poursuit M. Soykan. Et s’il paraît changer de cap aujourd’hui, c’est qu’il n’a pas d’autre issue : la mafia est devenue puissante au point de menacer les capitaux et les investisseurs. » Malgré les zones d’ombre, certains épisodes mettent en évidence des complicités étendues. Des juges, enquêteurs et hommes politiques ont laissé sciemment l’appareil d’Etat se gangrener au point de menacer le pays de faillite.
Pour donner la mesure de l’emprise des réseaux criminels, Mahmut Cengiz, professeur associé au département de criminologie, de droit et de société de l’université George-Mason, près de Washington, rappelle l’existence de plusieurs facteurs. Pour cet ancien officier de police à Ankara, exilé aux Etats-Unis depuis 2014, auteur de nombreux ouvrages de référence, il y a d’abord la situation géographique du pays. Longtemps elle-même productrice d’opium, la Turquie constitue un carrefour historique et obligé du trafic entre l’Europe, l’Orient et l’Asie.
Avec l’explosion de la production d’opiacés en Afghanistan, dans les années 1960-1970, la route dite « des Balkans » vers l’Europe occidentale, très vite contrôlée par les trafiquants turcs, s’impose d’elle-même. « La position centrale du pays, souligne l’expert, a permis aux membres des diasporas, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, de créer des réseaux de collaboration et de transferts de la Turquie vers ces pays de destination. »
Par ailleurs, la puissance du secteur maritime national dote les trafiquants turcs d’une large autonomie dans l’acheminement des stupéfiants, évitant l’externalisation du transport des marchandises à d’autres partenaires, en particulier aux mafias italiennes. Au trafic des opiacés est ensuite venu se greffer celui, plus récent, des méthamphétamines produites en Iran.
Il y a ensuite l’économie du pays, caractérisée par une hausse constante de l’inflation depuis 2019 et par une augmentation des taxes, qui élargissent, selon M. Cengiz, le nombre de secteurs où sévissent les fraudes : « Prenez le pétrole et les cigarettes, la Turquie impose les taxes les plus élevées sur ces deux produits. Les gains engendrés par le pétrole de contrebande – pour ne prendre que cet exemple – incitent des fonctionnaires à y participer. »
Il y a enfin les conflits dans les Etats voisins – notamment la guerre civile en Syrie – qui ont donné naissance à des réseaux criminels florissants, impliquant trafiquants d’antiquités, d’armes et passeurs de migrants. « Mais le facteur majeur, c’est la corruption endémique du pays qui contribue à créer ce climat propice à l’installation et au développement de groupes criminels », insiste M. Cengiz. Selon les indices de Transparency International, la situation de la Turquie n’a cessé de se dégrader ces dernières années.
Dans le classement de l’ONG anticorruption, Ankara a obtenu ses meilleurs résultats au début des années 2010. Le pays s’est hissé au 54e rang sur 176, en 2012. L’époque est encore au rapprochement avec l’Union européenne (UE) et ses critères d’adhésion. Arrivé au pouvoir fin 2002, le Parti de la justice et du développement (AKP), la formation créée par Erdogan, avait adopté un train de réformes démocratiques.
L’ UE est alors un formidable levier pour faire avancer le pays, mais aussi un instrument garantissant la survie de l’AKP. L’instauration de nouvelles normes et de nouveaux cadres au sein de la police et de la justice entraîne une augmentation des saisies de contrebande et de stupéfiants, ainsi qu’une multiplication des procédures devant les tribunaux. La séduisante promesse « un Etat propre, une société propre », le slogan de campagne d’Erdogan du temps où il était maire d’Istanbul, semble se concrétiser.
L’âge d’or va durer jusqu’en 2013. Cette année-là, le besoin de devises – déjà – pousse le gouvernement à adopter une loi controversée dite « d’amnistie sur la fortune », destinée à encourager le rapatriement de fonds turcs placés à l’étranger en les exonérant de sanctions financières ou de taxes élevées. Dans la pratique, le fait que les actifs rapatriés ne soient plus questionnés sur leur provenance ouvre la voie à l’arrivée d’argent sale – une manne, qui sera même élargie aux résidents étrangers un peu plus tard.
Dans la rue, cette année 2013 est également marquée par les soulèvements antigouvernementaux du parc Gezi, à Istanbul. Le pouvoir est ébranlé, la reprise en main brutale. Elle marque une étape décisive dans le raidissement autoritaire d’Erdogan. Dès le mois de décembre, une affaire en apporte la démonstration. Pendant plus d’une semaine, le pays est secoué par un énorme scandale de corruption. Les plus hauts représentants de l’Etat, dont le premier ministre, assistent au déballage de conversations privées extraites de leurs téléphones. Le pays découvre l’existence d’un vaste trafic d’or avec l’Iran. Quatre ministres sont mis en cause. Impliqués, les fils de trois d’entre eux sont interpellés. Des liasses de devises sont saisies à leur domicile.
Pour le chef du gouvernement, il s’agit d’une « tentative de coup d’Etat judiciaire sécuritaire ». En quelques mois, le juge de l’affaire est remplacé, les principaux acteurs du dossier absous, le dossier enterré. M. Erdogan affirmera plus tard qu’il s’agissait en fait de « complots externes et internes » ourdis par son ancien allié, le prédicateur Fethullah Gülen, réfugié aux Etats-Unis depuis 1999. La chasse aux supposés ennemis de l’intérieur peut commencer.
Le coup d’Etat raté du 15 juillet 2016 entraîne une vague d’arrestations et de purges sans précédent dans les institutions : 10 % des deux millions de fonctionnaires sont démis de leurs fonctions, 12 % des juges arrêtés, près de 3 400 mis à pied, quatre fois plus de policiers. « Les gülénistes, relève M. Soykan, qui s’étaient pendant toutes ces années substitués aux cadres et représentants de l’Etat traditionnels, supprimant et remplaçant la tutelle militaire, ont soudain été sortis du système. » De quoi provoquer des remous dans le fonctionnement même de l’Etat.
Les cadres victimes de la purge sont en partie évincés par les fidèles du pouvoir en place, au premier rang desquels les hommes du nouvel allié de l’AKP, le Parti de l’action nationaliste (MHP) conduit par Devlet Bahçeli. Cette formation d’extrême droite traîne avec elle son cortège de rumeurs, son goût prononcé pour les descentes coups-de-poing, ses nervis et ses collusions avec les milieux de la pègre. Aux élections de 2018, l’unique revendication de M. Bahçeli ne surprend personne : le vieux chef demande la libération d’Alaattin Çakici, ancien parrain du grand banditisme et membre de la milice des « Loups gris », arrêté en France, vingt ans plus tôt, en possession d’un passeport diplomatique délivré par le MIT, les services secrets d’Ankara.
Les années suivantes, des scandales de corruption impliquant des acteurs criminels, aussi bien turcs qu’étrangers, s’invitent à la « une » des journaux, mais sans réelles retombées. Les rapports de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies ont beau pointer du doigt l’« implication croissante de groupes criminels organisés turcs dans le trafic de cocaïne à travers l’Atlantique », aucune action n’est entreprise pour les démanteler. Sur Twitter (aujourd’hui X), des membres des « Loups gris » saluent en toute impunité le puissant cartel mexicain de Sinaloa et son chef, Ismael Zambada Garcia, surnommé « El Mayo ». Sur le même réseau social, des hommes du cartel en armes louent leurs partenaires turcs.
Il faut attendre les vidéos de Sedat Peker, mafieux notoire lié aux ultranationalistes et exilé à Abou Dhabi, en 2021, pour que la question des collusions entre les milieux politiques et la pègre reviennent sur le devant de la scène. Dans ses interventions sur sa chaîne YouTube, vues près de 100 millions de fois, cet ancien soutien inconditionnel de l’AKP y déballe le linge sale. Trafic de drogue, extorsions, assassinats… l’homme accuse le pouvoir d’être associé à la mafia. Il raconte entre autres comment l’un des fils de l’ancien premier ministre Binali Yildirim (2016-2018 ; AKP) était lié à un vaste trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et la Turquie. Dans une autre vidéo, il affirme que Süleyman Soylu, le prédécesseur d’Ali Yerlikaya au ministère de l’intérieur, l’a prévenu, en personne, de l’ouverture d’une enquête à charge contre lui, avant de faciliter sa cavale.
« Il serait réducteur de dire que l’actuel ministre de l’intérieur est bon et son prédécesseur mauvais, relativise l’autre grand journaliste turc d’investigation, Cengiz Erdinç, dans une enquête publiée en octobre sur le média en ligne Kisa Dalga. Süleyman Soylu était soutenu par le MHP et travaillait avec des policiers et des juges. Des opérations ont été menées sous son mandat, mais elles n’ont pas été aussi efficaces et intenses… Aujourd’hui, on ressent une réelle usure : la mafia, le crime organisé et ces problèmes de drogue qui s’étendent aux villes anatoliennes… Le pays est devenu à la fois un marché important et un lieu de transit du commerce international de la drogue, une situation qui crée un malaise, et ce au sein même de la base de l’AKP. » Comme son confrère Timur Soykan, il dénonce le manque d’entrain des autorités à mener des investigations en profondeur. Il n’y a pas eu de procès d’envergure concernant une affaire de corruption ou de trafic depuis 2016.
A l’impunité se mêlent les négligences coupables. Le cas de Sedat Sahin est exemplaire. Originaire de la mer Noire, ce chef de la troisième plus grande organisation mafieuse de Turquie a été condamné lourdement à de nombreuses reprises – en particulier pour une dizaine de meurtres. Il a été libéré, en juillet 2023. Ses avocats avaient profité des vacances des membres du tribunal pour déposer une demande de sortie anticipée.
Une fois dehors, il a réservé sa première visite à M. Bahçeli, dans son bureau, à Ankara. Le magistrat qui a pris la décision de le libérer a été aussitôt promu et nommé à la Cour suprême. Six mois plus tard, le 2 janvier, changement de paradigme : comme par un étrange retour de balancier, le ministre de l’intérieur annonçait l’arrestation de quinze membres du réseau criminel du même Sahin.
« Un retour en arrière »
« Nous sommes peut-être arrivés à une situation pire que celle qu’a connue le pays durant les décennies 1970 et 1980 », avance l’historien Ryan Gingeras. Auteur de Heroin, Organized Crime and the Making of Modern Turkey (« héroïne, crime organisé et la genèse de la Turquie moderne », Oxford University Press, 2014, non traduit), première enquête à souligner la continuité de l’existence des gangs, trafiquants et réseaux mafieux depuis la création de la république, en 1923.
Plusieurs de ses enquêtes décrivent ces années sombres qui ont entouré le coup d’Etat militaire de 1980. Les alliances entre dirigeants et groupes criminels se sont alors multipliées : « C’est comme si le pays vivait un retour en arrière, à l’époque où les gens commençaient à parler d’Etat profond, le derin devlet, ces réseaux d’influence informels infiltrés au sein des institutions sécuritaires et politiques du pays. »
Le parallèle avec ces années noires d’une violence inouïe a de quoi faire sourciller, mais il donne une idée assez exacte de la manière dont ces pratiques illégales se sont installées dans le pays. Un peu à l’instar de l’Etat japonais, qui a utilisé des éléments des gangs de yakuzas, intimement lié aux droites nippones, note M. Gingeras, les services de sécurité turcs ont établi des liens avec divers groupes ultranationalistes : « Les deux Etats avaient en commun cette peur existentielle des mouvements de gauche, alors en plein essor et perçus comme une force déstabilisatrice. »
Protégés par des acteurs étatiques, les groupes de l’ombre se sont très vite sentis dépositaires de l’autorité publique en Turquie. « Cette structure, dans laquelle les organisations illégales et les institutions du pouvoir se sont développées, encourageant les trafics de drogue, d’armes et les attaques contre les mouvements de gauche ou révolutionnaires, s’est érigée en propriétaire et en gardienne de l’Etat », avance M. Soykan.
En novembre 1996, le mystérieux « accident de la route » de Susurluk révéla les relations entre de hauts dirigeants – le ministre de l’intérieur et de la justice, Mehmet Agar, figure du MHP, et la cheffe du gouvernement, Tansu Ciller – avec la mafia et les ultranationalistes. Les travaux de la commission parlementaire chargée d’enquêter sur ce scandale firent d’abord grand bruit. Ils furent tout bonnement enterrés. Seul le chauffeur de camion, accusé d’être à l’origine de l’accident, fut emprisonné.
Dans ce pays, mal en point financièrement, la tentation a longtemps été grande de ne pas lutter contre l’« économie grise » en général. « Les sommes brassées par les réseaux criminels sont devenues colossales, observe le spécialiste. Il y a encore quelques années, on disait que celles-ci s’élevaient à 5 milliards de dollars par an. Aujourd’hui, ce montant est bien plus élevé. » Ce qui semble avoir poussé les autorités à réagir. En attendant, Nenat Çelik a fait appel. Ses avocats avancent qu’il n’a commis aucun délit dans le pays. Et comme il est citoyen turc, donc protégé d’une extradition, ils ont tout naturellement déposé une demande de libération.