Imaginez que les membres du conseil municipal de Montréal soient congédiés pour avoir voulu utiliser le français dans leurs échanges avec la population. C'est en quelque sorte ce qui arrive à Abdullah Demirbas, maire de Sur, une petite commune du sud-est de la Turquie.
L'élu kurde a été poursuivi en justice pour avoir voté une résolution permettant l'usage de sa langue natale dans les communications officielles.
Il vient d'être forcé de démissionner pour ne pas avoir respecté la loi imposant le turc comme seule langue officielle. Et le conseil municipal a été dissous.
La décision fait rugir M. Demirbas, qui parle d'un verdict «politique et antidémocratique». «Si le fait de parler kurde est un crime, nous commettons un crime chaque jour et nous continuerons de le commettre dans le futur», affirme-t-il.
Le politicien craint de voir de plus en plus de ses concitoyens se détourner du processus démocratique pour se rallier au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce groupe armé kurde lutte contre l'État turc depuis près de 20 ans. Mais on assiste à une recrudescence des combats depuis le début de l'année dans le sud-est du pays, où la population kurde est concentrée.
Tahir Elci, un avocat kurde, estime que les membres de sa communauté ¬ qui représenteraient jusqu'à 20% de la population de la Turquie ¬ ne veulent pas se séparer du reste du pays. Selon lui, les Kurdes cherchent plutôt à obtenir une reconnaissance officielle de leur existence et des droits accrus, incluant celui de faire éduquer leurs enfants dans leur langue maternelle.
La dissolution du conseil municipal de Sur montre cependant encore une fois que la Turquie n'est pas prête à rompre avec l'idée qu'il n'y a «qu'une identité turque, qu'une culture turque», ajoute M. Elci.
Le dossier pourrait évoluer après les élections législatives puisque le Parti pour une société démocratique, formation kurde, espère faire élire une vingtaine de candidats indépendants à l'occasion des élections législatives d'aujourd'hui.
Les élus de la communauté sont absents du Parlement depuis près de 20 ans. À l'époque, une expérience similaire avait tourné court. Plusieurs députés kurdes avaient été condamnés à de longues peines de prison après avoir été accusés de collaborer avec le PKK.
La perspective de faire face aux tribunaux ne fait pas frémir Dogan Erbas, un candidat kurde d'Istanbul qui ne croit pas à la possibilité de résoudre la question kurde par les armes.
«Une poursuite de plus, ça ne changerait pas grand chose», dit cet avocat qui affirme avoir été ciblé une vingtaine de fois par la justice turque, notamment pour avoir participé à la défense juridique d'Abdullah Ocalan, leader historique du PKK.