C'est en 1999 que le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] a renoncé à la lutte armée et au séparatisme par la voix d'Abdullah Öcalan, son chef emprisonné. A la fin de la même année, la Turquie est officiellement devenue candidate à l'entrée dans l'Union européenne. Pourquoi donc ce qui s'était arrêté en 1999 a-t-il été réactivé en 2007 ? Pourquoi les jeunes de ce pays doivent-ils perdre la vie dans de lâches embuscades, comme celle qui vient d'avoir lieu [faisant au moins 13 morts] dans le mont Gabbar [dans le sud-est du pays] ? En réalité, cette nouvelle phase sanglante a recommencé le 1er juin 2004 lorsque le PKK a annoncé la reprise de la lutte armée. L'année – comme c'est bizarre ! – où la Turquie entamait des pourparlers d'adhésion à l'Union européenne. N'y aurait-il donc aucun lien entre toutes ces dates ?
En renonçant à la violence mais surtout à l'idée d'un "Kurdistan indépendant", le leader emprisonné du PKK annonçait son "nouvel objectif politique" derrière la formule assez creuse de "confédération démocratique". Il ajoutait encore il y a peu que si un chapitre garantissant la "protection de la diversité culturelle" venait à être inscrit dans la nouvelle Constitution [actuellement en gestation], il ne lui faudrait que deux mois pour que les militants armés du PKK descendent de la montagne et renoncent au combat. Ce genre de "nouvel objectif" nécessite-t-il donc vraiment que tant de vies soient sacrifiées ? Qu'en vertu de ces "objectifs" des militants armés du PKK continuent de poser des mines et de tuer est tout bonnement incompréhensible. En réalité, outre les soldats turcs, les embuscades du PKK visent surtout la démocratie en Turquie. Le piège vise à déstabiliser le processus démocratique dont les citoyens kurdes de Turquie sont d'ailleurs les principaux bénéficiaires.
A l'issue des élections législatives du 22 juillet dernier, un nouveau parti [le DTP, Parti pour une société démocratique], dont certains membres entretiennent une proximité pour le moins affective avec le PKK, a fait son entrée au Parlement turc. Cette réalité créée une nouvelle donne. Désormais, la question kurde peut davantage être abordée dans un cadre démocratique. Dans ce contexte, pourquoi assiste-t-on à une telle effusion de sang ? Quelle est la véritable intention de ceux qui veulent attirer la Turquie vers le gouffre d'une dangereuse polarisation ethnique turco-kurde ?
Tant que le bon diagnostic concernant les véritables intentions du PKK n'aura pas été établi, la Turquie sera perdante et la première victime en sera le gouvernement AKP. Cette embuscade vise en fait à attirer la Turquie dans le bourbier irakien. Il ne faut donc pas succomber à la colère et ne pas tomber dans le piège tendu par le PKK. En ne surfant pas outre mesure sur la sensibilité de l'opinion publique et en résistant aux pressions du lobby favorable à une réaction violente, le gouvernement a fait preuve de sagesse. Une intervention dans le nord de l'Irak serait de toute façon peu rentable du point de vue sécuritaire. En effet, les vingt-quatre incursions précédentes n'ont donné que peu de résultat malgré le soutien des Kurdes d'Irak et l'aval des Etats-Unis. Ce type d'action risquerait surtout d'affaiblir la Turquie sur le plan politique et diplomatique, et ne contribuerait finalement qu'à tirer le tapis sous les pieds de la toute fraîche majorité gouvernementale. Il faudrait alors dire adieu à une nouvelle Constitution, au processus démocratique et à l'objectif d'adhésion à l'Union européenne.
En 1925, la révolte de Cheikh Saïd [vaste soulèvement islamo-kurde] et la répression qui a suivi a eu pour conséquence d'orienter la nature du jeune régime républicain vers davantage d'autoritarisme. La Turquie n'a toujours pas compensé le déficit démocratique engendré par ce soulèvement kurde. Aujourd'hui, le PKK tend un piège à une Turquie qui est en train d'entrevoir son horizon démocratique. Dans ces conditions, la priorité consiste à ne pas tomber dans le piège.
Cengiz Candar, Referans