Turquie: ultime chantage européen

Union européenne. L'Autriche menace de bloquer l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union, prévue lundi à Luxembourg.

Liberation.fr | Par Nathalie DUBOIS - vendredi 30 septembre 2005

Ni fleurs, ni tapis rouge. Méfiance et ressentiment vont dominer l'ouverture, prévue lundi à Luxembourg, des pourparlers d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Si tant est que la cérémonie se tienne... Car, à quatre jours de l'événement, l'Autriche a bloqué hier l'adoption du mandat de négociation européen : officiellement, Vienne exige que soit mentionnée, noir sur blanc, la possibilité de conclure un simple «partenariat privilégié» avec Ankara.

Totalement inacceptable pour les Turcs, cette exigence sert en fait de moyen de chantage au chancelier conservateur Wolfgang Schüssel pour pousser un dossier cher à l'Autriche : l'adhésion à l'UE de la Croatie, son alliée catholique. «Si nous faisons confiance à la Turquie pour faire des progrès, nous devons également faire confiance à la Croatie. Il est dans l'intérêt de l'Europe d'ouvrir des négociations immédiatement [avec Zagreb]», affirmait Schüssel dans le Financial Times d'hier.

Sanction. Le Royaume-Uni, qui a fait du démarrage des pourparlers UE-Turquie une priorité de sa présidence de l'Union, a convoqué les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Cinq à un dîner de la dernière chance dimanche à Luxembourg. Quant au problème croate, Londres essaiera de le dénouer lundi matin, avant l'arrivée du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Les Européens peuvent-ils rouvrir la porte qu'ils ont claquée au nez de Zagreb en mars dernier ? A l'époque, une grosse majorité d'Etats membres avaient ­ au grand dam de l'Autriche ­ voulu sanctionner la passivité du régime croate dans la recherche de l'ancien général Ante Gotovina, criminel de guerre réclamé par le Tribunal pénal international de La Haye. Tout dépendra donc du rapport que viendra faire lundi aux Vingt-Cinq la procureure du TPI Carla Del Ponte. En cas d'avis positif, l'Union pourrait redonner rendez-vous à la Croatie, levant du même coup le blocage autrichien sur la Turquie.

Cet ultime écueil n'est de fait que le énième épisode d'un psychodrame qui se déroule depuis fin août. Avec 80 % de son opinion hostile à l'adhésion turque, l'Autriche a pris la tête d'un combat dans lequel elle est loin d'être seule, puisque 52 % des citoyens européens refusent cet élargissement, selon le dernier Eurobaromètre.

Long chemin. En France, Jacques Chirac est de plus en plus isolé, y compris au sein de son parti (lire ci-contre). C'est donc bordés de précautions oratoires et de clauses suspensives que les Européens vont s'engager, à reculons, dans une négociation que beaucoup souhaitent la plus longue possible. L'obstacle final sur le chemin européen de la Turquie étant la consultation des électeurs français, promise par Chirac dans le vain espoir de sauver son référendum sur la Constitution...

Drapés dans leur orgueil national, les Turcs ont menacé hier de ne même pas se rendre à Luxembourg si les Européens s'avisaient de leur poser de nouvelles conditions, sur la reconnaissance de Chypre ou celle du génocide arménien, comme a tenté de le faire mercredi le Parlement européen. Mais, pour Paris, «il ne serait pas correct de revenir sur l'engagement pris par les Vingt-Cinq en décembre 2004» : à savoir «l'objectif d'une pleine adhésion» si les négociations débouchent sur un traité... ce qui n'est «pas garanti».

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