TURQUIE. Le chef de la diplomatie et un général sont rentrés bredouilles de Washington.
L'opération séduction de la Turquie envers les Etats-Unis n'a pas porté ses fruits. Au contraire, certains commentateurs qualifient de véritable «fiasco» les récentes visites à Washington, à une semaine d'intervalle, du chef de la diplomatie turque, Abdullah Gül, et du commandant en chef des armées, le général Buyukanit.
Bredouilles, les Turcs l'ont tout d'abord été sur la question arménienne alors que le Congrès américain se prépare à passer une résolution reconnaissant le génocide des Arméniens en 1915. «Les relations turco-américaines ne devraient pas être prises en otage par ce sujet», a déclaré Abdullah Gül, qui a qualifié cette résolution de «véritable menace» à l'encontre des relations entre les deux pays, alliés de longue date, notamment au sein de l'OTAN.
Confronté à une opinion publique turque très réactive sur le sujet et à quelques mois des élections législatives, Ankara a laissé entendre que le vote de cette résolution pourrait remettre en cause l'utilisation de la base militaire turque d'Incirlik par l'armée américaine dans le cadre de ses opérations en Irak. Une menace que le chef de la diplomatie turque n'aura pas réussi à faire entendre à Nancy Pelosi, la speaker de la Chambre des représentants et porte-parole de la cause arménienne américaine, qui a tout simplement refusé de s'entretenir avec lui, par «manque de temps».
L'épine du PKK
Bredouilles, les Turcs l'ont également été sur la question de la lutte contre le PKK, mouvement séparatiste kurde qui compterait plus de 3000 membres dans le nord de l'Irak. Les Etats-Unis sont restés sur leur position, à savoir un soutien officiel envers Ankara concernant la lutte contre le terrorisme mais un refus de voir intervenir l'armée turque dans les montagnes de Kandil afin de déloger les combattants kurdes. «Le PKK dispose d'explosifs de type C-4 et de missiles Stinger, s'est emporté le député Turhan Comez, présent dans la délégation turque. Leurs fournisseurs d'armes n'ont pas été bloqués, et ils disposent au contraire d'un réseau de communication bien établi qui pourrait facilement être mis hors jeu. De nombreuses choses pourraient être faites mais nous sommes incapables d'agir. Le peuple turc est déçu.»
Déçus, les Turcs le sont aussi au sujet de Kirkouk, ville pétrolière du nord de l'Irak, dont l'avenir doit être débattu à la fin de l'année lors d'un référendum qu'Ankara souhaite voir reporté. «La structure démographique de la ville a été modifiée», a expliqué le général Buyukanit en référence à l'afflux massif ces derniers mois de populations kurdes. «A la fin de l'année 2007, il y aura dans cette ville des affrontements sectaires et ethniques qui détruiront l'unité de l'Irak. Un Irak divisé n'est pas dans l'intérêt de la Turquie.» Des propos entendus mais jusqu'à présent pas pris en compte par Washington.
Parti aux Etats-Unis prêcher la même cause que le chef de la diplomatie turque, le général Buyukanit n'aura pas attendu longtemps pour révéler ses divergences d'opinion. A peine de retour des Etats-Unis, le chef d'état-major a critiqué la volonté, affichée la semaine dernière par le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, d'entrer en contact avec l'administration kurde d'Irak, qui avait récemment déclaré que le PKK n'était pas un problème de terrorisme mais un problème politique. Le message a cette fois été très bien entendu puisque, dans la foulée, le gouvernement turc a annulé une rencontre prévue à la fin du mois avec des membres des partis kurdes d'Irak. Le sujet sera débattu vendredi au sein du Conseil national de sécurité qui réunit membres du gouvernement... et généraux.