par Christophe AYAD et Christophe BOLTANSKI
QUOTIDIEN : lundi 24 avril 2006
Réputé sectaire, le nouveau Premier ministre nommé samedi, un chiite, devra faire avec un président tenace, un Kurde, et un chef du Parlement salafiste.
L'Irak s'est doté, ce week-end, d'une nouvelle troïka. Le nouvel homme fort du pays, le Premier ministre chiite Jawad al-Maliki, dispose d'un mois pour former un gouvernement le plus large possible, qui aura pour mission d'enrayer l'engrenage des violences intercommunautaires qui ensanglantent le pays depuis le dynamitage du mausolée chiite de Samarra, le 22 février.
Jawad al-Maliki, un sectaire chargé de rassembler
Relativement mal connu, le nouveau Premier ministre, Jawad al-Maliki, est souvent décrit comme un homme à poigne. Là où son prédécesseur (et chef de son parti) Ibrahim al-Jaafari apparaissait comme un intellectuel volontiers austère, émaillant ses propos de métaphores et de références religieuses, Jawad al-Maliki s'est imposé, ces deux dernières années, comme le héraut de la communauté chiite, dénonçant sans mâcher ses mots les attentats et les violences dont elle a été la cible de la part des extrémistes sunnites. A la tête de la Commission de la sécurité du Parlement transitoire, élu le 30 janvier 2005, il a été l'instigateur d'une loi antiterroriste particulièrement répressive. En 2003-2004, il avait siégé comme adjoint au comité chargé de purger l'administration des baasistes. C'est cet organisme qui avait entériné la dissolution de l'armée irakienne, donnant un essor décisif à la rébellion armée.
Jawad al-Maliki Nouri Kamel de son vrai prénom n'est rentré en Irak qu'en 2003, après la chute de Saddam Hussein. Il était parti en exil en Syrie puis en Iran au début des années 80, lorsque Saddam Hussein avait décimé les rangs du parti Dawa. Ce père de cinq enfants, titulaire d'un doctorat de littérature arabe, est originaire de la région de Hilla, à l'entrée du «pays chiite», au sud de Bagdad.
C'est cet homme souvent accusé de sectarisme qui va devoir incarner l'union nationale, au moment où le pays est plus que jamais menacé par une guerre civile et confessionnelle entre chiites et sunnites. Dès sa nomination, Jawad al-Maliki a averti que les ministres de son futur gouvernement devraient être des technocrates forts et «capables de relever les défis». «Ils doivent servir le peuple», a-t-il martelé, affirmant qu'il n'accepterait pas que les ministères soient gérés sur des bases confessionnelles ou ethniques. Il a enfin promis d'intégrer les «onze milices armées appartenant à des partis politiques» dans les forces de sécurité. Un programme qui risque fort de heurter les partis chiites qui l'ont porté au pouvoir. Sans compter la mise en garde du président de la République, le Kurde Jalal Talabani, qui a précisé, hier, que les peshmergas (les combattants kurdes) n'étaient pas une milice mais une «force régulière».
Mahmoud Machhadani, un sunnite salafiste au Parlement
Inconnu du grand public, Mahmoud Machhadani, le nouveau président du Parlement, est un médecin sunnite, aux convictions religieuses ultraconservatrices. Originaire de Bagdad, il avait été emprisonné à deux reprises sous Saddam Hussein en raison de ses «idées salafistes». Il a été élu député sur la liste sunnite du Front de la concorde, qui a obtenu 44 sièges. Ses deux adjoints sont le cheikh chiite Khaled al-Attiya, universitaire et professeur en religion, affilié à l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak d'Abdel Aziz al-Hakim, et le Kurde Aref Tayfour, un ex-peshmerga du PDK de Massoud Barzani.
Jalal Talabani, le premier président kurde d'Irak
Reconduit à la tête de l'Etat, Jalal Talabani s'est imposé comme l'un des acteurs clés de l'après-Saddam Hussein. Bien qu'il occupe une fonction surtout honorifique, ce dirigeant de 73 ans tout en rondeur a joué un rôle décisif dans la démission d'Ibrahim al-Jaafari et les efforts pour associer les sunnites au gouvernement. Cet ex-peshmerga a rompu en 1974 avec Moustafa Barzani, fondateur du nationalisme kurde, dont il contestait le pouvoir tribal, et a créé un mouvement teinté de socialisme, l'Union patriotique du Kurdistan. Après des affrontements parfois sanglants, il est parvenu à surmonter sa vieille rivalité avec Massoud Barzani, successeur de son père à la tête du Parti démocratique du Kurdistan. Devenu le premier président non arabe d'un pays arabe, il a cédé à Barzani la direction du Kurdistan autonome. Cette alliance a permis aux Kurdes de s'imposer comme la deuxième force politique d'Irak, après les chiites.