Maxime Azadi
© Capture d'écran Facebook. | Maxime Azadi, journaliste franco-turc d'origine kurde.
France24.com | Leela JACINTO
La détention du reporter franco-turc d'origine kurde Maxime Azadi a suscité l’indignation des organisations de défense de la liberté de la presse. Elle met surtout en lumière les pratiques de la Turquie pour museler la liberté d'expression.
Le 15 décembre 2016, Maxime Azadi se trouvait dans la ville belge de Turnhout, au nord d’Anvers, en Belgique,quand il a été interpellé par la police lors d’un contrôle routier. Entendu le lendemain par un juge, il a été placé en garde à vue. Son avocat a, depuis, déposé une demande de remise en liberté, qui doit être examinée vendredi. Ce traitement n’a rien avoir avec celui réservé habituellement aux journalistes en Europe. Il pourrait en revanche le devenir à l’encontre des reporters turcs, si la Turquie étend ses mesures répressives envers la presse au-delà de ses frontières.
La signature de Maxime Azadi est connue au sein de la communauté kurde européenne : le journaliste, qui dirige l’agence Firat News Agency (ANF), un site d’informations des Kurdes en Europe, tient également un blog sur le site français Mediapart, intitulé "Au-delà de l’information". "Azadi" – qui signifie liberté dans plusieurs langues et notamment en kurde – est en fait un nom d’emprunt que toute la presse reprend pour protéger son identité pour des raisons de sécurité.
Selon son avocat Luc Walleyn, joint par France 24, son interpellation fait suite à un mandat Interpol émis à la demande des autorités turques, qui le suspectent de "coopération avec une organisation terroriste". Aucun détail n’a été spécifié sur cette "coopération" mais selon Firat News Agency, son arrestation "est totalement liée à des reportages publiés par notre agence".
Si sa détention est confirmée, les autorités belges devront répondre à la demande d’extradition d’Ankara. Dans le cadre des accords judiciaires entre l’Union européenne et la Turquie, les États membres sont requis de tenir les personnes concernées par ce type de demande à disposition des autorités.
Offensive sur les médias kurdes
Journaliste engagé, Maxime Azadi est proche du parti HDP, ce parti de gauche pro-kurde qui a soutenu les révoltes de la jeunesse turque et dont les principaux dirigeants et parlementaires sont aujourd’hui arrêtés ou sous le coup de poursuites judiciaires. Ces derniers mois, depuis la reprise de la guerre dans la région à majorité kurde et les offensives militaires lancées par Ankara, Maxime Azadi a abondamment relayé la répression mais aussi les interdictions successives des médias kurdes.
Le black out sur l’information étant quasi total au Kurdistan, le gouvernement turc élargit désormais la chasse aux médias kurdes installés en Europe. C’est ainsi qu’à la demande de l’autorité turque réglementant la radio et la télévision (RTÜK), l’opérateur français de satellites Eutelsat a mis fin, en octobre, à la diffusion de deux chaînes de télévision Med Nuçe et Newroz, et des poursuites ont également été engagées contre des journalistes kurdes travaillant en Europe. Motif invoqué : ces chaînes seraient soutenues par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un mouvement inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (UE).
Mais un mois plus tard, le tribunal de commerce de Paris a ordonné à Eutelsat de rétablir la transmission des programmes de Newroz, interrompue le 11 octobre "sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard".
La Turquie, plus grande prison au monde pour les journalistes
En plus de cet épineux sujet, Maxime Azadi a aussi largement couvert l’assassinat de trois activistes kurdes dans un centre culturel kurde à Paris en 2013. Parmi les victimes figure Sakine Cansiz, femme politique également co-fondatrice du Parti des Travailleurs du Kurdistan. Samedi dernier, le seul meurtrier présumé, Omer Güney, est décédé dans un hôpital parisien d'une grave maladie au cerveau. Sa mort a mis fin au procès qui devait se tenir le 23 janvier 2017. Face à cette annonce, les familles des victimes se sont dit "consternées de voir, qu’une fois encore, la France n’est pas capable de juger un crime politique commis sur son territoire par des services secrets étrangers".
De son côté, la communauté européenne a dénoncé les violations des droits de l’Homme en Turquie à la suite du coup d’État du 15 juillet 2016. Cette année, la Turquie a détrôné la Chine au rang "des plus grandes prisons du monde" pour les journalistes, selon le rapport annuel émis par le Comité de Protection des journalistes. Parmi les 259 journalistes emprisonnés au 1er décembre dans le monde, au moins 81 le sont dans les prisons turques. Un chiffre qui pourrait en fait s’élever à 140, selon plusieurs organisations de défense des droits de la presse. Plus de 120 font l’objet de poursuites judiciaires tandis que des dizaines de milliers sont sans emploi à la suite de la vague de licenciements de fermeture dans tous les médias.
"Un précédent dangereux"
Mais cette offensive contre la presse semble s’étendre en Europe, notamment en Allemagne et en France qui accueillent de fortes communautés turques (environ 3 millions de Turcs en Allemagne contre 400 000 en France). Depuis le coup d’État de juillet, nombre de journalistes turcs travaillant en Europe ont vu leur passeport annulé, a noté Ernest Sagaga, responsable des droits de l’Homme et de la sécurité à la Fédération internationale des journalistes (IFJ). "C’est un problème qui nous concerne particulièrement, a-t-il expliqué. Les médias professionnels sont vraiment dans le viseur d’Ankara".
Or, "la Turquie est membre du Conseil de l’Europe et, à ce titre, elle se doit de respecter les droits fondamentaux : la liberté de la presse et la liberté d’expression", a tenu à rappeler la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Et d'ajouter : l’arrestation de Maxime Azadi pose "un précédent dangereux qui pourrait menacer la sécurité des journalistes kurdes et turcs exilés en Europe".