Un mot d’ordre: «Prends ton drapeau, et viens à Lausanne!»

L’anniversaire du Traité de Lausanne de 1923 s’annonce chaud, avec une double manifestation de Turcs et de Kurdes prévue le 24 juillet.

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La manchette suisse du journal Post, consacrée au rendez-vous lausannois. Ce journal est distribué à raison de 20 000 exemplaires en Suisse. / 24h
Le mot d'ordre est explicite: «Turcs, rencontrons-nous à Lausanne», le 24 juillet prochain, pour y célébrer le Traité du même nom, signé à cette date en 1923. Relayé par un journal turc distribué auprès de la diaspora, lancé notamment par la Société de la pensée d'Atatürk à Berne, cet appel est là pour souligner l'intangibilité d'un Traité que d'aucuns voudraient réviser en faveur de «minorités oubliées». Plusieurs personnalités sont annoncées, dont le professeur Halaçoglu, accusé par les Arméniens de Suisse d'avoir nié le génocide et Rauf Denktash, l'ancien dirigeant nord-chypriote. Cette mobilisation en a provoqué une autre: un groupe de Kurdes entend organiser une contre-manifestation.

« Les Turcs vont se rencontrer à Lausanne!» La manchette de Post , un journal turc distribué dans de nombreuses boîtes aux lettres en Suisse (20 000 exemplaires) va droit au but: «Prends ton drapeau et viens faire connaître au monde entier, et depuis la Suisse, la passion nationale contre ceux qui veulent réveiller le Traité de Sèvres ( lire encadré ).»


Cette accroche renvoie à un article conçu comme une longue liste d'invités attendus à Lausanne, parmi lesquels Rauf Denktash, le dinosaure de la politique nord-chypriote.

Artistes, scientifiques, syndicalistes, dirigeants de la société civile, militaires, tout le paysage social et politique turc serait ainsi représenté le 24 juillet à Lausanne.
Pour l'instant, rien ne permet de dire que cette manifestation sera un succès.

L'organisation même de cet événement apparaît brumeuse. Pour seul répondant, on trouve Ethim Kayali, responsable de la Société de la pensée d'Atatürk, une association bernoise nationaliste turque. «Nous avons bien prévu un tel événement à Lausanne, explique-t-il, un peu surpris par cette soudaine publicité. Nous avons le feu vert des autorités lausannoises.»

Un nationaliste radical attendu

Vraiment? A la police de Lausanne, une demande de manifester est bien enregistrée. Mais aucune réponse n'a encore été donnée. Dans Post , ce journal conservateur financé par Ihlas Holding (Turkiye), on trouve pourtant déjà une mention précise du trajet qu'emprunteront les manifestants. Ils comptent partir de Bellerive pour se rendre au Beau-Rivage avant de remonter vers la Riponne.

Il leur faudra peut-être compter avec une contre-manifestation, organisée par des Kurdes. Défendant le droit des minorités oubliées par le Traité de Lausanne ( encadré ), un groupe d'intellectuels a également déposé une demande de manifester le 24 juillet.

Parmi la liste des invités du Post , on trouve enfin deux noms dont la seule mention pourrait susciter la tension: Yusuf Halaçoglu, le professeur turc dont le «négationnisme» du génocide arménien avait ravivé les tensions entre Berne et Ankara. Et Dogu Perinçek, le chef du Parti des travailleurs (IP), connu en Turquie pour ses positions radicales sur la question arménienne et le droit des minorités.

A Berne, l'ambassade de Turquie a bien entendu parlé de «Lausanne 2005», comme est baptisé cet événement sur un site web turc (www.lozan2005.org). Mais les représentants d'Ankara gardent leur distance en n'assumant aucune responsabilité quant à la tenue de la manifestation.



Minorités oubliées à Rumine
Une histoire qui n’en finit pas de s’écrire.

N. V.

Mais pourquoi les Turcs tiennent-ils autant à célébrer Lausanne et son Traité signé au Palais de Rumine, en cette torride et orageuse journée du 24 juillet 1923?
Parce que, bien entendu, la place de la Riponne est liée aux fondations de la Turquie moderne, dont les frontières actuelles furent définies par l'accord lausannois. Mais ce n'est pas tout. Au contraire du Traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920 entre les Alliés et l'Empire ottoman, celui de Lausanne n'a pas mentionné les Arméniens, les Kurdes et d'autres minorités. A Sèvres, l'Empire avait perdu la Thrace, la Ionie, la région de Smyrne (aujourd'hui Izmir), l'Arménie et ses provinces arabes, dont la Société des Nations confiait l'administration à la France et au Royaume-Uni. Trois ans et une guerre plus tard, les compteurs ont été remis à zéro. Concluant une «conférence pour la paix générale en Orient» ouverte à Lausanne en novembre 1922, la Paix de Lausanne met une fin officielle aux conflits territoriaux nés du démembrement de l'Empire ottoman. Huitante ans plus tard, des minorités oubliées au Palais de Rumine en contestent encore les fondements. Mais pour les Turcs, «Lausanne, pas touche!»