Istanbul . L’exaspération des sentiments « patriotiques » s’accentue sur fond d’échec des pourparlers avec Bagdad. Des renforts militaires sont acheminés vers la frontière du Kurdistan irakien.
Turquie, envoyé spécial.
La tension est vive et perceptible à Istanbul en cette période de tensions irako-turques sachant qu’une partie de la population de la cité est d’origine kurde. Vendredi, pour la deuxième fois consécutive, des milliers de manifestants ont envahi la rue Divanyolu qui mène vers le quartier touristique de Sultanahmet, conspuant le PKK. Emblèmes nationaux, portraits géants d’Atatürk, scandant « PKK terroriste », portant des banderoles dénonçant la complicité des États-Unis avec les « rebelles kurdes », ces jeunes, pour la plupart sympathisants du CHP (le parti kémaliste) et du MHP (nationaliste, ex-loups gris) appelaient ouvertement à une intervention militaire.
« Le PKK est un mouvement terroriste. Si Bush vient à Istanbul, on le lynche », lâche Osman, employé d’une agence bancaire. Des manifestations similaires à celles d’Istanbul ont eu lieu à Ankara et dans plusieurs villes du pays, témoignant si besoin est du climat de préguerre régnant dans le pays.
Les images montrant la douleur des familles lors des obsèques des soldats tués lors des affrontements avec le PKK ont révolté une opinion publique travaillée au corps par des médias proches des milieux nationalistes. Les articles se multiplient à la gloire de l’armée turque gardienne de l’unité nationale. Des interviews de simples citoyens stigmatisent le PKK et la « mollesse » du gouvernement de Tayyip Erdogan, suspecté de temporiser au lieu d’ordonner rapidement une intervention militaire.
L’inquiétude s’est emparée de nombreux Stambouliotes d’origine kurde. Ils n’osent pas réagir et font le dos rond, attendant que ça passe. « Ça craint. Ça sent mauvais », dit Ender, étudiant qui a voté DTP (Parti pour la société démocratique, kurde). Il ajoute : « Des journaux proches de l’armée et des partis nationalistes ont demandé l’exclusion des députés du DTP du Parlement. À l’université, les étudiants kurdes craignent d’être agressés par les extrémistes nationalistes. »
Par deux fois par le passé, la Turquie est intervenue en Irak dans le but d’en finir avec le PKK. En mars 1995, l’armée turque est intervenue massivement dans le nord de l’Irak dans le but d’écraser les « rebelles » kurdes. Sans résultats probants puisque deux ans plus tard, en mai 1997, plusieurs dizaines de milliers de soldats turcs appuyés par l’aviation envahissaient de nouveau le nord de l’Irak. Sans autre résultat que celui de différer les problèmes.
Aujourd’hui, la donne est peut-être différente. Tout porte à croire qu’à travers une nouvelle intervention militaire plusieurs objectifs seraient visés. Au-delà du PKK, la perspective redoutée par Ankara que le Kurdistan irakien devienne indépendant n’est naturellement pas étrangère également aux bruits de bottes. En finir avec le PKK et avec toute revendication des droits culturels et politiques kurdes, et contraindre les dirigeants du Kurdistan autonome irakien à renoncer à toute velléité d’indépendance semblent être les deux faces d’un même scénario.
En attendant, sur le terrain, l’armée turque a annoncé avoir tué, le week-end dernier, une vingtaine de combattants du PKK au cours d’une opération ayant mobilisé plus de 8 000 soldats. Dans le même temps, elle accélère les préparatifs militaires pour une opération de plus grande envergure. Après avoir décrété le 9 juin dernier plusieurs zones de sécurité dans le Sud-Est anatolien, elle vient d’en ajouter 26 autres. Des renforts de troupes sont acheminés vers la frontière. Des chasseurs bombardiers et des hélicoptères de combat survolent en permanence la région, tandis que le Conseil national de sécurité (MGK) a décidé des mesures de rétorsion économique contre Bagdad.
le pire est
À craindre
De plus, vendredi, le fait que les entretiens turco-irakiens se soient soldés par un échec après six heures de discussions ajoute à la tension et fait désormais craindre le pire. Les propositions de Bagdad consistant à créer de nouveaux postes militaires à la frontière et de les faire surveiller par les forces multinationales, la livraison de 18 membres du PKK, alors qu’Ankara réclame l’extradition de 150 dirigeants dont la liste a été remise aux Irakiens, ont été jugées insuffisantes par les Turcs.
« Nous disposons de différents instruments. Nous pouvons utiliser la voie diplomatique ou nous pouvons avoir recours à la force militaire », a déclaré à Téhéran le ministre turc des Affaires étrangères Ali Babacan, à l’issue d’un entretien avec son homologue iranien Manouchehr Mottaki. Tandis que le premier ministre, Tayyip Erdogan, qui demande aux États-Unis de faire pression sur le président du Kurdistan autonome irakien, Massoud Barzani, pour qu’il agisse contre le PKK, ne manque aucune occasion de hausser le ton envers Bagdad.