Une alliance politique entre chiites et sunnites irakiens contrarie les ambitions territoriales et pétrolières kurdes


15 janvier 2008 | Cécile Hennion

Le "projet national" signé, dimanche 13 janvier, à Bagdad, par une alliance de 150 députés irakiens issus de douze partis de tous bords n'est pas "officiellement" dirigé contre le gouvernement autonome du Kurdistan. Mais personne ne s'y est trompé. En réclamant le règlement du statut de la ville stratégique de Kirkouk sur la base d'un consensus politique au sein du Parlement, et que la signature des accords pétroliers soit réservée au seul gouvernement de Bagdad, ce document vise les intérêts des Kurdes d'Irak.


D.R.
Vue non datée de la ville de Kirkouk, au Kurdistan.

La question, potentiellement explosive, du rattachement de Kirkouk à la région du Kurdistan devait faire, selon la Constitution, l'objet d'un référendum avant fin 2007. Revendication essentielle des dirigeants kurdes, le référendum, reporté au mois de juin, paraît compromis. Après quinze accords pétroliers passés avec vingt compagnies étrangères depuis le mois d'août, le Kurdistan est, une fois de plus, rappelé à l'ordre.

La demande des 150 députés, confortée par la menace du ministre du pétrole, Hussein Al-Chahristani, d'exclure toutes les sociétés pétrolières présentes au Kurdistan de futurs contrats, augure également d'autres complications. Au Kurdistan, le président de la région, Massoud Barzani, a aussitôt prévenu que "les tentatives visant à empêcher (le référendum sur Kirkouk) seront vouées à l'échec". Les journaux ont dénoncé une "alliance des ennemis des Kurdes". "On voit ressurgir de la mémoire collective kurde, la grande machine à se fabriquer un ennemi éternel : les Arabes", note Adel Bakawan, spécialiste de la question kurde.

Sur le plan politique, le revers est rude. Non seulement le "Projet national" est soutenu par un grand nombre de formations (sunnites, chiites, mais aussi turcoman et yazidi), mais parmi les signataires figure le Daawa, parti du premier ministre Nouri Al-Maliki, auprès duquel les Kurdes faisaient figures d'alliés privilégiés. Avec la nouvelle alliance se profile une reconfiguration de l'échiquier politique irakien, où la coalition kurde paraît être mise en sérieuse difficulté.

"2007 a été l'année de l'échec politique des Kurdes d'Irak, analyse M. Bakawan. Sur le plan régional, les relations avec la Turquie, l'Iran et la Syrie se sont dégradées. Sur le plan national, le Kurdistan a échoué sur les questions de Kirkouk et de la loi pétrolière." Premiers alliés de Washington en Irak, les Kurdes ont là encore essuyé un revers, avec le soutien américain aux frappes aériennes turques contre les positions du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) retranchées dans leur région.

Enfin, une nouvelle inquiétude est apparue, avec la volonté américaine de former des milices sunnites, dites "Al-Sahwa" (Réveil), chargées de la lutte contre Al-Qaida à Mossoul et à Kirkouk, en lisière du Kurdistan. M. Barzani a fait savoir, dimanche, que les Kurdes "n'accepteront pas" la présence de ces milices.

"Les zones concernées représentent l'espace de domination militaire kurde, explique M. Bakawan. Les peshmergas y constituent la deuxième force armée après les troupes américaines. Les milices sunnites pourraient représenter une alternative à celle des peshmergas kurdes et une situation de compétition dangereuse. Par ailleurs, les régions de Mossoul et de Kirkouk contiennent des "territoires disputés" que les Kurdes veulent intégrer au Kurdistan (et qui doivent également faire l'objet d'un référendum). La présence de ces milices rendra impossible cette intégration."