Une chanson ultranationaliste met le pays en émoi


17 sept. 2007

Dans un de ses morceaux récents, le chanteur populaire Ismail Türüt fait une apologie à peine voilée du meurtre du journaliste turc arménien Hrant Dink et d'un prêtre catholique. Un fan en a fait une vidéo plus explicite encore. 

Une nouvelle chanson du chanteur populaire turc Ismail Türüt faisant l'éloge à mots couverts des meurtriers du journaliste turc arménien Hrant Dink suscite colère, ressentiment et tristesse dans une grande partie de la société turque. L'émoi est d'autant plus grand qu'un fan anonyme a utilisé la chanson dans un clip vidéo montrant Hrant Dink et le père Andrea Santoro, un prêtre italien qui fut assassiné [en février 2006 à Trébizonde]. Le ministère de la Justice et celui de l'Intérieur ont ouvert une enquête. Dans le même temps, Ertugrul Günay, ministre de la Culture et du Tourisme, reconnaissait qu'il avait été "horrifié" de ce qu'il avait lu dans les journaux, ajoutant que le gouvernement ferait tout ce qui est en son pouvoir pour interdire l'accès au clip vidéo sur Internet.

"Cette chanson flatte les sentiments de haine et d'hostilité au sein de la société", a souligné Günay. L'Association turque des droits de l'homme a appelé au boycott de Türüt et annoncé qu'elle allait intenter une action en justice contre le chanteur. "Comment une société peut-elle fonctionner correctement quand des gens qui ont l'audace de vanter un meurtre lâche et abject sont respectés dans divers milieux et disposent de leurs propres émissions de télévision ?" s'interroge le journaliste Ergun Babahan [du quotidien Sabah].

Beaucoup de proches de Dink sont profondément attristés. Les avocats de la famille Dink ont appelé le ministère public à intervenir. "Cette chanson est une incitation au meurtre", a réagi Kazim Bayraktar, qui dirige l'Association du barreau contemporain.

Les paroles de la chanson de Türüt, écrites par Ozan Arif, poète très apprécié des ultranationalistes, sont sans équivoque. Elles font l'éloge de l'adolescent qui a abattu Hrant Dink le 19 janvier dernier. Türüt dément que sa chanson soit raciste, bien que le nom de l'adolescent et celui de Yasin Hayal, accusé d'avoir commandité le meurtre, soient cités, dissimulés par des jeux de mots assez transparents.

La chanson fait par ailleurs clairement référence à l'assassinat du père Santoro. "Arrêtez de sonner les cloches, assez d'être proarméniens, les gens ne vont pas gober ça, pas dans la région de la mer Noire". Dans la vidéo, une photo du père Santoro apparaît au moment où Türüt entonne : "Arrêtez de sonner les cloches". On peut également y voir des images des obsèques de Dink, auxquelles avaient pris part des centaines de milliers de personnes brandissant des banderoles "Nous sommes tous des Arméniens" et défilant en une longue procession dans les rues d'Istanbul. Une photo du cadavre de Dink devant son journal, Agos, apparaît ensuite, alors que Türüt chante : "Si quelqu'un brade notre patrie, il mourra sur-le-champ".

Le quotidien Star a révélé que le fan qui a réalisé la vidéo était un ouvrier turc vivant à Vienne. Dans une première version, le clip montrait une image d'Evren Ilhan, l'auteur présumé du film incriminé. "Je n'ai rien à voir avec la vidéo", se défend Türüt. Arif, le parolier, explique : "Je n'ai pas entendu parler du clip. C'est sans doute le fait d'un de ces 'zozos' d'Internet. C'est moi qui ai écrit les paroles de ce morceau. J'en reconnais chaque strophe, chaque mot." Se disant désolé de l'assassinat de Dink, le parolier poursuit : "Quoi qu'il en soit, on peut se poser des questions sur le slogan : 'Nous sommes tous des Arméniens'. Il est illogique d'établir un parallèle entre le meurtre et la chanson."