Marine de Tilly et Leïla Mustapha se retrouvent dans le goût de la liberté et la foi en la vie.
Jean-Matthieu Gautier/Stock
Lefigaro.fr | Par Arnaud De La Grange
RÉCIT - Grand reporter, Marine de Tilly a rencontré Leïla Mustapha, Kurde musulmane, maire de Raqqa, un temps capitale de l’État islamique en Syrie. Une leçon de vie et d’action.
En homme qui s’y entendait en heures difficiles, Churchill disait: «Ce n’est que quand il fait nuit que les étoiles brillent.» Dans la nuit du Proche-Orient, celle des hommes en noir de Daech et des sombres autocrates, luisent quelques astres. Leïla Mustapha est l’une de ces lumières qui tentent d’éclairer des terres en apparence vouées au chaos éternel.
Leïla est femme, jeune, kurde, autant de qualités guère faciles à porter dans la Syrie en guerre. Depuis trois ans, elle est pourtant maire de Raqqa, cette ville qui fut le symbole de la lutte contre les tueurs de l’État islamique, qui en avaient fait leur capitale syrienne. C’était aux temps où les combattants kurdes jouaient les fantassins pour les Occidentaux. C’était avant que ces derniers ne les lâchent comme de vulgaires supplétifs, en une lamentable trahison. Leïla le dit avec tristesse, on les a « aidés à faire la guerre, mais pas à faire la paix ».
Toute la richesse de ce livre est d’avoir deux versants. C’est d’abord un témoignage pour l’histoire sur un grand jeu tragique où tant se joue, l’avenir du Levant comme la résurgence terroriste. Tout n’est pas si gris, tant s’en faut. Même s’il ne cache pas les ombres, c’est un récit de renaissance. Les stigmates des combats sont omniprésents mais la vie repousse dans les fissures. La maire-courage de Raqqa - qu’elle codirige avec un Arabe - veut relever l’espoir en même temps que les ruines. Elle emploie des mots étranges, réconciliation, coexistence, mixité, égalité hommes-femmes, multi-ethnisme, pluri-confessionnalisme. « Elle croit à la démocratie comme elle croit à la vie », dit joliment Marine de Tilly.
Dans le Nord-Est syrien, une ingénieur agronome de 30 ans défie donc tous les oracles. Personne ne donnait cher de cette expérience d’auto-administration, sans aide internationale ou presque, sans nul autre secours que la foi et la volonté. D’autant qu’autour les dangers rôdent. Il y a le poison intérieur, celui des « cellules dormantes » djihadistes, mot étrange quand le Mal semble jamais ne prendre de repos. Il y a aussi les menaces extérieures, le retrait de la coalition ayant ouvert les portes aux soldats du sultan. À l’automne dernier, les troupes d’Erdogan ne se sont arrêtées qu’à cinquante kilomètres de Raqqa.
Son titre le dit, ce livre est aussi une formidable histoire de liberté et de courage féminin. Et d’amitié, avec la rencontre entre deux femmes aux origines et cultures si différentes. L’une est kurde, musulmane, célibataire, et vit dans un pays en guerre. L’autre est française, catholique, mère de quatre enfants qui grandissent dans une nation en paix. Elles se retrouvent dans le goût de la liberté et la foi en la vie. La personnalité solaire de Leïla a fasciné Marine de Tilly. Sa douceur fait sa force, ses rêves fondent son réalisme. La jeune édile n’est pas naïve, elle sait « que le chemin de la confiance est à trouver, chaque jour, car personne ne l’a jamais emprunté ». Mais quand tout devrait la décourager, rien ne la désespère. Il faut l’imaginer, seule femme parmi les cent trente membres du « conseil civil » de la ville, bousculant les vieux chefs tribaux et les notables aux souples allégeances. Il faut la voir, arpentant la cité meurtrie du haut de sa jeunesse, traitant chaque habitant comme une mère ou un frère.
Ce récit du Levant peut se lire en miroir de nos errements d’Occident. Quand la résignation sociale et la lâcheté politique minent nos sociétés, l’énergie de Leïla claque comme un étendard. Ces pages sont avant tout une leçon de vie et d’action.