tags: N° 142-143 | janvier-février 1997
INCARCÉRÉ depuis le 14 octobre 1995 à la prison d'Ankara où il purge une peine de 3 ans pour délit d'opinion, Ibrahim Aksoy, ex-député kurde de Malatya et ancien président du parti DDP, vient de se voir signifier qu'en raison de récidive dans ses délits d'opinion séparatiste, l'amende de 216 666 666 LT à laquelle il avait été condamné a été commuée en 5 ans de prison. Par ailleurs, la condamnation à 2 ans de prison avec sursis prononcée par la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul pour son article "l'alévisme et la question kurde" a été ratifiée par la Cour de cassation turque. Celle-ci doit bientôt statuer sur une autre condamnation, à 16 mois de prison et à une amende de 133. 333. 333 LT, de cet homme politique kurde pacifiste pour un article intitulé "Bosnie-Somalie-Kurdistan". En l'état actuel de ses dossiers, Ibrahim Aksoy devrait rester en prison jusqu'au 17 février 2001! Si évidemment la machine judiciaire turque ne le condamne pas à d'autres peines pour ses écrits et ses déclarations. Chargée de faire taire les opposants, la justice turque dispose toujours d'une batterie de dossiers sur les opposants lui permettant de garder ceux-ci en prison aussi longtemps que le souhaite le Conseil de Sécurité nationale à dominante militaire. En raison de cette singulière logique, le sociologue turc Ismail Besikçi, actuellement incarcéré à Bursa, est condamné à plus de siècles de prison pour ses écrits sur les Kurdes. L'ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, qui a déjà passé 15 années de sa vie derrière les barreaux, fait l'objet d'une série de nouvelles poursuites judiciaires qui ont à ce jour déjà abouti à des condamnations à 4,5 ans de prison pour deux livres de témoignage sur les prisons turques et les grèves de la faim qui y ont eu lieu.
Par ailleurs, la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul a décidé, le 16 janvier, la saisie de tous les exemplaires d'un ouvrage intitulé Özgürlügün Bedeli (Le prix de la liberté) écrit par la journaliste allemande Lissy Schmidt. Celle-ci, après avoir travaillé pendant des années en Turquie, s'était, à partir de 1992, installée au Kurdistan irakien où, jusqu'à son meurtre mystérieux en 1994, elle travaillait pour plusieurs organes de presse européens dont l'AFP. Selon la cour turque, le livre de L. Schmidt ferait de "la propagande séparatiste" et son éditeur turc doit comparaître pour répondre de ce chef d'accusation.
Le même jour, Muslim Gündüz, écrivain islamiste et leader de la confrérie religieuse Aczemendi, a été condamné à 18 mois de prison par le tribunal correctionnel de Sisli (Istanbul) pour avoir, dans une interview accordée en 1994 à la revue Taraf, "insulté la mémoire d'Atatürk". Dans cette interview, M. Gündüz avait déclaré " Je vais bientôt écrire un livre, ce livre sera intitulé Zübeyde l'immorale et son fils illégitime". Le tribunal turc a estimé que l'auteur par cette phrase visait Atatürk et sa mère Zübeyde et que cela constitue une insulté à la mémoire d'Atatürk, punie par la loi. L'accusé s'est défendu que Zübeyde dont il envisageait de faire le personnage central de son livre n'était pas Zübeyde Hanim (Madame Zübeyde), mère d'Atatürk car le prénom de Zubeyde est assez courant chez les musulmans. Mais le tribunal n'a voulu rien entendre. Il a condamné l'écrivain islamiste à 18 mois de prison ferme. Il a en outre condamné le même Gündüz à une peine supplémentaire de 6 mois pour avoir approuvé ses disciples qui ont battu des policiers lors d'une manifestation.
Le 17 janvier, 16 jeunes originaires de la ville turque de Manisa ont comparu devant la Cour de Sûreté de l'État d'Izmir, pour appartenance à une organisation illégale et slogans hostiles à l'État. A l'exception d'un enseignant de 32 ans, ces jeunes qui sont actuellement âgés de 15 à 24 ans avaient été arrêtés le 24 décembre 1995 par la section anti-terroriste de la Sûreté générale de Manisa qui les suspecte d'appartenance à une organisation turque d'extrême gauche, DHKP-C, et qui les avait sévèrement torturés. La torture infligée, pendant les 12 jours de garde-à-vue, à ces jeunes Turcs, dans une ville de l'Ouest turc, non soumis à l'état d'urgence, avait à l'époque choqué l'opinion publique. Au cours du procès, l'accusation n'a pu apporter la moindre preuve des allégations d'appartenance à une organisation illégale. La défense a, de son côté, dénoncé "la dérive d'un système qui veut condamner ces jeunes gens, qui ne sont même pas porteurs d'un canif, pour appartenance à une organisation illégale et arméee sur la base de simples dénonciations sans aucune preuve". Appelés à la barre, les prévenus ont déclaré qu'ils ne comprenaient toujours pas ce qu'ils leur arrivait, qu'ils étaient innocents et qu'ils souhaitaient que le cauchemar qu'ils vivent depuis un an prenne fin. L'un d'eux, Hüseyin Korkut, actuellement étudiant à l'université d'Istanbul, a déclaré, en pleurs, avant de s'évanouir sous le coup de l'émotion: "Après ma remise en liberté, j'ai déménagé à Istanbul pour essayer d'oublier tout cela. Mais là-bas aussi j'ai été en butte à la persécution de la police, il y a 3 jours, les policiers sont venus perquisitionner une nouvelle fois chez nous, en mettant tout sens dessus dessous. Ils m'ont à nouveau gardé à vue. Et pendant la garde à vue, ils m'ont menacé: "tu crois que vous allez en arriver à quelque chose en suivant ces avocates p... et ce député, Sabri Ergül (député CHP d'Izmir). Sais-tu combien d'individus comme toi nous avons fait disparaître?". La Cour a acquitté 5 des 16 prévenus. 10 prévenus ont été condamnés à des peines de prison allant de 2,5 à 12,5 ans de prison. Parmi eux, trois lycéennes âgées de 18 et 19 ans ont été condamnées à 2,5 ans de prison. Le dossier d'un lycéen âgé de 15 ans, M. G, sera transmis à une autre juridiction. Le verdict a suscité de vives réactions de la salle qui a protesté aux cris: "Justice, policiers-tortionnaires même combat". Il a été également mal accueilli par une large fraction de l'opinion. Tandis que Bülent Ecevit critique "le triste dysfonctionnement d'une justice qui condamne à 12 ans de prison ces jeunes gens dont le seul crime est d'avoir crié des slogans", le député d'Istanbul, E. Karakas, déclare que "la conscience publique est choquée par ces lourdes condamnations alors que les gangs et la mafia courent librement nos rues". Les avocats vont faire appel devant la Cour de cassation et envisagent de saisir ensuite la Cour européenne des droits de l'homme.
Le 20 janvier, un jeune Kurde, Murat Akman, a été tué à son domicile dans la ville de Savur, province de Mardin, par un peloton d'équipes spéciales et de policiers. Sa famille a alerté les associations humanitaires et les avocats pour dénoncer "cette exécution sommaire". Cependant, celle-ci était présentée par les autorités locales comme "une mort survenue au cours d'affrontements avec les forces de l'ordre". L'Association turque des droits de l'homme a dépêché sur place une mission d'enquête. Les conclusions de l'enquête sont accablantes pour les forces de sécurité. L'enquête établit que celles-ci ont effectué, au petit matin, une perquisition chez les Akman. N'ayant rien trouvé, elles ont fait sortir les autres membres de la famille et abattu le jeune Murat dans sa chambre. Puis pour donner à cette exécution l'apparence d'un affrontement, elles ont mitraillé les murs de la pièce, placé à côté du corps inanimé de Murat une Kalashnikov et 3 chargeurs, photographié le tout, puis repris l'arme et les munitions avant d'aller annoncer que "lors des affrontements avec le PKK, un terroriste avait été tué". Or, relève la mission d'enquête dans une conférence de presse donnée le 26 janvier à Istanbul, Murat Akman était un citoyen ordinaire qui avait terminé 5 mois plus tôt son service militaire dans l'armée où il avait dû combattre le PKK dans la province de Sirnak. A ce titre, il détenait une carte verte de soins gratuits accordés aux anciens combattants. Citoyen ordinaire, ce jeune Kurde a été victime de la haine et de l'obsession ordinaires des forces turques qui voient en chaque Kurde un "terroriste du PKK". "Et, même s'il était du PKK, peut-on tuer quelqu'un sans jugement dans un État qui se dit de droit?" demandent les enquêteurs de l'IHD.
Par ailleurs, le 14 janvier au cours de descentes dans les locaux de 7 syndicats, dans la ville de Mus, la police a arrêté et gardé à vue 26 personnes dont 3 institutrices. Pendant cette garde à vue, les jeunes femmes ont été mises à nue et longtemps interrogées sur leur vie sexuelle. Puis trois femmes policières ont "vérifié", au milieu des ricanements, d'insultes et d'agressions verbales, la virginité des institutrices. Selon le quotidien Sabah du 26 janvier qui donne cette information, "l'inquisition sexuelle des institutrices dans les locaux de la sûreté générale de Mus a duré 4,5 heures". Le parquet local n'a pas jugé nécessaire d'instruire la plainte des victimes. Ni le préfet de Mus, ni le ministre de l'Intérieur, Mme. Aksenr, n'ont diligenté d'enquête contre les policiers de Mus.
SELON son président, le patronat turc a " honte de ce qui se passe chaque jour dans le pays". Il a "honte de l'hégémonie des gangs et des confréries". Et pour sortir le pays de cet engrenage destructeur et le rapprocher de ses partenaires occidentaux le patronat (TUSIAD) propose un vaste "projet de démocratisation" que son président Halis Komili, a, le 20 janvier, solennellement remis au président de l'Assemblée nationale, Mustafa Kalemli, ainsi qu'au général Karadayi, chef d'état-major général des armées. Dans sa conférence de presse du 21 janvier à laquelle les médias turcs consacrent une large place (1, 5 p. dans le quotidien Milliyet), M. Komili ne mâche pas ses mots sur la gravité de la situation, sur "le manque de confiance de tous les secteurs de la société dans le système actuel" et appelle à la mobilisation de tous pour engager rapidement les réformes indispensables pour "une démocratie à l'européenne". Rappelant que "l'économie de marché ne peut se développer sans la stabilité politique" que "la politique ne doit pas être considérée comme l'apanage de certains milieux mais l'affaire de tous". M. Komili a souligné que le pays avait besoin d'un "véritable régime civil". "Actuellement le Conseil de Sécurité nationale (organe non élu à dominante militaire) est élevé au rang du conseil des ministres. C'est une situation qu'on ne rencontre que dans des pays comme la Corée du Sud et l'Algérie alors que dans les pays démocratiques comme la France, l'Italie et les États-Unis ce genre de conseils ne sont formés que de techniciens" a-t-il ajouté. Un régime civil, cela notamment veut dire que l'état-major des armées doit être placé sous l'autorité du ministère de la défense, et non plus sous celle, théorique, du Premier ministre a poursuivi M. Komili pour résumer les grandes lignes des réformes proposées par le patronat. Parmi les mesures les plus significatives du patronat: abolition des articles 26 et 28 de la Constitution sur "les langues interdites" afin de permettre aux citoyens kurdes le libre usage de leur langue dans tous les domaines de la vie; liberté pour les Kurdes de donner à leurs enfants des noms de leur choix et d'utiliser, à la place des appellations turques imposées, les noms kurdes de leurs villes, villages et de lieux géographiques; abolition de l'article 8 de la loi anti-terreur et refonte des articles 158, 159, 311 et 312 du Code pénal afin d'assurer une véritable liberté d'expression; refonte de la loi électorale et de la loi sur les partis et les associations de façon à assurer effectivement la liberté d'association et une représentations équitable des citoyens; refonte de l'actuelle loi sur les prérogatives de la police héritée de la période du parti unique (1924-1945) afin de garantir le droit à la vie et l'intégrité physique des citoyens. Enfin, le patronat estimant que le concept même d'une "idéologie officielle de l'État" est incompatible avec une véritable démocratie pluraliste qui doit être fondée sur la neutralité de l'État vis-à-vis de toute idéologie et de toute religion, demande la suppression du 5ème paragraphe du Préambule de la Constitution qui institue "le nationalisme d'Atatürk, les valeurs historiques et morales de la turquicité" en une idéologie officielle qui ne saurait en aucune manière être remise en cause. L'article 14 de la Constitution qui restreint gravement la liberté d'expression "afin d'empêcher un mauvais usage des libertés" doit également être abolie, souligne le "projet de démocratisation" du patronat qui, par ailleurs, demande une décentralisation des structures de l'État.
La démarche du patronat turc est saluée par la plupart des commentateurs comme "une action de salut public" bienvenue. Le président du Parlement s'est engagé à soumettre ces idées aux délibérations des députés. Cependant, l'état-major des armées a fait savoir que "ce projet est étranger aux réalités du pays", tandis que certains éditorialistes proches de l'armée raillent "ces patrons qui se mettent à la mode des intellectuels libéraux coupés des réalités du pays pour se faire bien voir de l'Europe".
A l'issue du procès de 3 trafiquants de drogue se déroulant depuis octobre dernier devant la 17ème chambre du Tribunal de Francfort, le président de cette Cour, le juge Rolf Schwalbe, en annonçant le verdict, a notamment déclaré: "Le trafic de drogue de Turquie vers l'Allemagne et vers les autres pays européens est organisé par les familles Senoglu et Baybasin et ces familles, selon les dépositions des témoins, sont protégées par le gouvernement turc et cela rend difficile de faire apparaître toute l'étendue de ce trafic. On affirme que ces deux familles de trafiquants ont des relations extrêmement étroites avec un ministre turc féminin". A la question de savoir qui est cette dame, le juge allemand a répondu: Tansu Çiller. La dépêche de l'agence allemande DPA datée du 21 janvier qui donne cette information indique que selon la Cour, ce réseau a introduit au moins 100 kg d'héroïne en Allemagne et en Belgique et que l'enquête sur les ramifications du réseau se poursuivait. Les trois membres de ce réseau arrêtés à Francfort, un Turc, un Italien et un Belge, ont été respectivement condamnés à 9 ans, 7 ans et 2 mois et 4 ans et 11 mois de prison.
La mise en cause du gouvernement turc en général et de Mme. Çiller en particulier dans le trafic de drogue a été largement répercutée par les média allemands et turcs. Une télévision allemande, NTV, a diffusé l'information dans ses bulletins avec l'image choc d'une seringue d'héroïne sur fond de drapeau turc. Mme. Çiller a écrit à son homologue allemand, M. Kinkel, pour "protester contre ces accusations sans fondements" et le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères a qualifié "d'inconvenantes et contraires aux usages diplomatiques les déclarations du juge allemand". Celui-ci a refusé de recevoir le consul général turc à Francfort mais il a confirmé au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung les informations diffusées par DPA. De son côté, le juge M. Dox Nevelling, porte parole du juge Schwalbe, a indiqué à l'AFP que l'enquête avait établi des liens entre les trafiquants de drogue et le gouvernement turc et que des éléments révélés par l'instruction ont tout à fait convaincu la Cour à ce sujet. A la question de savoir si les graves accusations lancées par la Cour n'allaient pas engendrer des réactions politiques, le juge répond "Cela se peut. Mais nous n'avons peur de rien. La justice allemande est indépendante". En Turquie, la nouvelle de la mise en cause de Mme. Çiller ne semble pas surprendre outre mesure les journaux. Dans son éditorial du 23 janvier, E. Özkök, directeur de Hürriyet, rappelle que déjà l'année dernière deux tribunaux allemands, ceux de Hannover et de Trier, avaient accusé le gouvernement turc de "soutenir les trafiquants de drogue. Cette fois-ci, la nouveauté est que le juge met en cause nommément Tansu Çiller (..) Quand on voit le lendemain sur la chaîne de télévision privée Kanal D l'étrange photo d'un extrémiste de droite, recherché pour meurtre par l'État et pour trafic de drogue par la communauté internationale, en compagnie de policiers officiels de l'État (..), quand on voit un certain Yasar Öz, porteur d'un passeport vert (de service) fourni par l'État, négocier aux États-Unis la vente d'héroïne avec des limiers du Bureau des narcotiques, quelles explications pourrons-nous donner? (..) Désormais, le nom de notre pays figure d'une part aux côtés des États terroristes comme l'Iran, la Syrie et la Lybie, et d'autre part aux côtés des narco-Etats comme l'Équateur, le Pérou et le Guatemala. Le pire est qu'il n'y a pas un autre État impliqué à la fois dans le trafic de stupéfiants et dans la terreur". Son collègue Oktay Eksi, écrit dans le même quotidien, que "cette infamie salit le nom de tout le pays" et que "tous les porteurs de passeports turcs sont considérés par les douaniers comme des trafiquants de drogue potentiels". Il rappelle que l'Allemagne n'est pas le seul pays à pointer du doigt le gouvernement turc. "Notre journal avait, dans son numéro du 27 décembre 1996 écrit que les Pays-Bas n'avaient aucunement l'intention d'extrader vers la Turquie Husseyin Baybasin (NDLR. L'un des gros bonnets de la mafia) (..) Selon une conviction qui n'est pas exprimée officiellement, la Turquie est un pays où le trafic de drogue est mené par l'État lui-même. C'est pourquoi ils ne vont pas faire confiance à la Turquie pour lui renvoyer Baybasin. La politique pratiquée suit quasiment le principe suivant: au lieu de laisser le PKK tirer profit du trafic de drogue, profitons-en nous-mêmes. D'autant que nous disposons de tous les moyens de l'État. Il suffirait de s'assurer que la drogue transportée d'une frontière à l'autre ne soit pas saisie. Qui pourrait nous tenir tête?".
Le Milliyet du 24 janvier annonce en gros titre "le piège des trafiquants qui se referme sur la Turquie". Il fait état de l'information du Daily Telegraph du 23 janvier indiquant que "80% de l'héroïne vendue en Grande-Bretagne provient de la Turquie" et d'un rapport du Département d'État rappelant que "la plus grosse partie du trafic d'héroïne en Europe est contrôlée par les trafiquants turcs". L'influent éditorialiste Cengiz Çandar affirme dans le Sabah du 25 janvier que "L'Occident assiège la Turquie sur la drogue". Selon lui, si le 23 janvier la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis a tenu sur ce sujet une audition à huis clos avec des chefs de la CIA, du DEA (Drug Enforcement Agency) et des responsables du Département d'État c'est que la situation est très grave. A qui la faute ? ajoute-t-il. "Nous n'avons pas pris au sérieux les avertissements précédents des tribunaux allemands de Trier et de Hannover sur les liens des trafiquants de drogue avec le gouvernement turc. En outre, récemment, une fuite (de source gouvernementale allemande) a conduit plusieurs publications, dont l'hebdomadaire allemand Focus, à écrire qu'un dénommé Hüseyin Duman, recherché pour trafic de matériaux nucléaires, a rencontré à Baden Baden Özer Çiller (époux de Mme. Çiller). Le message politique de Bonn était clair: l'Allemagne a mis une croix sur le nom de Çiller. Voilà pourquoi le chancelier Kohl refuse avec insistance tout rendez-vous avec Çiller".
En Grande-Bretagne, la BBC estime que "la Turquie est devenue la Colombie du Moyen-Orient", tandis que Tom Sackville, ministre adjoint de l'Intérieur, dans une interview à Sunday Times du 26 janvier, souligne la responsabilité des autorités turques dans ce trafic. Extraits: "80% de l'héroïne saisie en Grande-Bretagne provient de Turquie. Il y a des faits qui ont été dévoilés à la suite des événements et des investigations. Nous savons que des informations confidentielles concernant des opérations de narcotiques sont tombées dans les mains des trafiquants de drogue. Ce que je veux dire c'est que quand nous avons informé les autorités turques de ces opérations elles ont filtré l'information aux trafiquants de drogue et les opérations ont échoué". Remarquant que "l'implication des officiels du gouvernement et des hommes politiques avec des criminels condamnés par la justice ternissait l'image internationale de la Turquie" et précisant que l'inquiétude britannique vient des "rapports troublants affirmant que des membres de la police et même des membres du gouvernement sont impliqués dans le trafic de drogue", M. Sackville a ajouté qu'ils "ne pouvaient être sûrs de l'exactitude des informations transmises par les organismes de sécurité turcs aux autorités britanniques au sujet du trafic de drogue".
De son côté, l'Observatoire géopolitique de drogue, basé à Paris, a également accusé la Turquie d'être impliquée dans le trafic de drogue. Un dirigeant de l'Observatoire, cité par le Turkish Daily News du 27 janvier, indique que "70% de la drogue arrivant en Europe provient de Turquie et cela est impossible sans connexion politique". Soulignant que "la drogue saisie en Turquie n'est jamais ni détruite ni rapportée aux agences internationales" le porte-parole de l'Observatoire ajoute : "L'argent de la drogue saisie est donné à la milice officieuse qui combat le PKK. Cela est connu en Europe. Un vaste réseau de narcotiques a été découvert, et c'est un réseau tellement vaste que chacun y est impliqué d'une manière ou d'une autre".
Reste que si cette "Turkish connection n'a fait pas que ternir l'image du pays, elle aggrave aussi des conditions de vie de millions de citoyens turcs vivant à l'étranger" commente, à juste titre, la BBC. Désormais tous les porteurs de passeports turcs sont considérés par les policiers européens comme de "possibles trafiquants de drogue". A qui la faute? Pas aux Européens dit l'ancien Premier ministre turc Mesut Yilmaz. "Comment peut-on donner à des trafiquants notoires de drogue des passeports de service réservés à des hauts fonctionnaires de l'État et s'étonner ensuite que l'on nous critique pour l'implication de notre gouvernement dans ce trafic" s'interroge-t-il.
La Turkish Connection semble aussi sévir aux Pays-Bas. Un rapport du "Comité d'investigations d'organisations criminelles d'origines étrangères" publié par le Parlement hollandais, souligne le rôle de "pays transit" joué par la Turquie dans le trafic de drogue international et l'implication des partis politiques turcs dans ce trafic. Le rapport met notamment en cause un groupe de militants du MHP (Parti d'action nationaliste du Colonel Türkes) protégé par le gouvernement turc et impliqué dans le trafic de drogue. Rappelant que ce parti d'extrême droite dispose d'une implantation substantielle dans la diaspora turque sous le nom d'organisation des "Loups Gris" (nom que se donnent les jeunes militants du MHP), le rapport affirme que les structures politiques du MHP ont pu servir de couverture à la mafia et que les services de renseignements hollandais suivaient tout cela de près depuis les années 70. "Les revenus des entreprises criminelles qui proviennent particulièrement du trafic de drogue dans les années 70 et 80, sont utilisés dans les activités politiques" ajoute le rapport qui met aussi en cause d'autres partis politiques en Turquie: "les groupes mafieux qui étaient impliqués dans le trafic de drogue sont en contact avec tous les partis politiques, en particulier les partis d'extrême droite". D'autres détails accablants sont également mentionnés dans le rapport: "Les gros bonnets du trafic de drogue soutiennent les Loups Gris qui sont actifs dans ce domaine. Par exemple, Oflu et Drej Ali étaient des militants du MHP à Istanbul durant des années. Alaattin Çakici avait sur lui un passeport diplomatique fourni par le gouvernement turc. Celui-ci affirmait toujours qu'il avait une mission qui lui a été confiée par la nation turque. Les Loups Gris ont un nombre important de militants au sein de la jeunesse turque aux Pays-Bas. Ils sont impliqués dans le trafic de drogue, d'armes et d'extorsion de fonds".
Après la publication de ce rapport la police néerlandaise a procédé à des rafles dans les milieux nationalistes d'extrême droite turcs, arrêtant 80 personnes. Les Loups Gris fournissent le gros des combattants des Équipes spéciales (Özel Tim) sévissant au Kurdistan, réputées pour leur férocité et leur haine des Kurdes. Leurs militants les plus endurcis (Alaettin Çakici, Abdullah Çatli, Oral Çelik) ont été recrutés par l'ex-ministre turc de l'Intérieur dans "l'organisation extrajudiciaire" chargée de "combattre la terreur par les méthodes terroristes" décrit par le chef de police H. Avci et à qui sont imputés plusieurs milliers d'assassinats politiques en Turquie ainsi que des attentats contre les objectifs arméniens et kurdes en Europe. Certains de leurs éléments, agissant à la demande des services spéciaux turcs, ont participé à la tentative du coup d'État contre le président azerbaïdjanais Aliev (considéré par les ultra-nationalistes turcs comme moins pan-turquiste que son prédécesseur Elchibey) ainsi que dans la guerre de Tchétchénie.
LE Département d'État américain dans son rapport annuel sur les droits de l'homme en 1996, rendu public le 30 janvier, fait en 30 pages un bilan exhaustif des violations des droits de l'homme en Turquie. Le gouvernement turc, qui avait procédé à un toilettage juridique de quelques lois répressives en 1995, s'est montré incapable de faire de même en 1996 et "dans certains cas, la situation s'est détériorée" affirme le rapport. En ce qui concerne la situation dans le Kurdistan le rapport note que "la situation dans le Sud-Est était particulièrement préoccupante. Le gouvernement a depuis longtemps privé la population kurde, située dans sa majorité au Sud-Est, de ses droits culturels et linguistiques élémentaires. Dans sa lutte contre le PKK, le gouvernement a déplacé de force un grand nombre de non-combattants, torturé des civils et restreint la liberté d'expression. De son côté le PKK a commis des violations à une grande échelle et usé du terrorisme d'une façon régulière contre les autorités et les civils, qui sont kurdes pour la plupart". Le nombre des déplacés kurdes se situerait autour de 3 millions de personnes et quant aux villages évacués par l'armée, le rapport cite les sources du ministère des Affaires étrangères qui les évalue à 2600 villages et les organisations des droits de l'homme qui les évaluent à plus de 3000. Toutefois, les violations des droits de l'homme même si elles ont été commises en majorité dans le Sud-Est, ne sont pas limitées à cette région. Les assassinats extrajudiciaires, y compris en détention, dus à l'usage excessif de la torture, ont continué "avec un rythme inquiétant" ajoute le rapport. L'absence ou la rareté de poursuites judiciaires à l'encontre des gardiens de prison ou des policiers et la mise au secret des détenus pendant la garde-à-vue de 15 à 30 jours, sans aucun de contact avec un avocat, sont un facteur majeur dans "l'usage de la torture par la police et les forces de sécurité" ajoute encore le rapport. Le ministère des Affaires étrangères, dont Mme. Çiller est en charge, considère ce rapport "inacceptable" et "les allégations par certaines ONG à l'étranger que la Turquie harcèle les défenseurs des droits de l'homme et les avocats sont inacceptables" a encore ajouté le communiqué du ministère des Affaires étrangères, publié le lendemain de la parution du rapport du Département d'État.
DÉPOSANT devant la Commission d'enquête parlemen-taire, le 4 février, Hanefi Avci, chef-adjoindu Bureau du Renseignement de la Direction générale de la Sûreté, a fait des révélations importantes sur ce qu'il appelle lui-même "l'organisation extrajudiciaire de l'État". Extraits: "Nous avons réalisé qu'on ne pouvait aller nulle part dans la lutte contre la terreur en restant dans le cadre du Droit. Pour cette raison, nous avons été conduits à créer une organisation hors Droit (extrajudiciaire) en vue de combattre la terreur et de recueillir des renseignements. Nous avons opté pour la règle d'anéantir la terreur par les méthodes des terroristes. Cette décision a été prise aux échelons supérieurs de l'État. Les principaux chefs de cette organisation extrajudiciaire étaient Mehmet Agar (directeur général de la Sûreté) pour la police, Mehmet Eymür pour le Service des renseignements (MIT, dont il dirige le Bureau de contre-terreur), le commandant Ersever pour les services de renseignements et d'action de la gendarmerie (JITEM) et le général Veli Kuçuk pour l'armée. Mehmet Agar était le coordinateur politique de cette organisation jusqu'à sa nomination au poste de ministre de l'Intérieur. Les gens de JITEM ont été les premiers à passer à l'action. De nombreux meurtres "mystérieux" ont été perpétrés dans le Sud-Est, touchant en particulier les gens du DEP (Parti de la démocratie, pro-kurde). J'ai alors demandé à Ersever, du JITEM; "est-ce bien vous qui faites ces choses?". Il n'a pas nié. Après le JITEM, le MIT, puis la Sûreté se sont mis à utiliser ces méthodes. Mehmet Agar a formé sa propre équipe. L'un des membres de cette équipe, Korkut Eken, a été chargé de la direction des Ülkücü (Ndt. militants d'extrême droite, dits Loups gris, de l'organisation fascisante du Colonel Türkes) tandis que sa branche policière a été placée sous la direction d'Ibrahim Sahin. Cette organisation a progressivement échappé au contrôle de l'autorité politique. Elle s'est mise à coopérer avec des organisations criminelles illégales. Après avoir combattu le PKK dans le Sud-Est, ces gens ont étendu leurs activités à l'Ouest du pays dans des affaires mafieuses et crapuleuses". Pour illustrer son propos, M. Avci cite le général Kuçuk qui a formé dans la région de la Mer Noire "des groupes qui rançonnent les gens" et le baron de la mafia Alaettin Çakici qui a pu, grâce à l'entremise de l'époux de Mme. Çiller, créer une banque avec un homme d'affaires de Bursa (Ndt. Les barons de la mafia, pour blanchir leur argent sale ont recours à la création de leur propre banque, à durée de vie éphémère, généralement dans le nord de Chypre sous occupation turque devenue un véritable paradis du blanchiment de l'argent de la drogue). Il évoque aussi le cas d'un propriétaire de télévision privée de Gazi Antep, Mehmet Ali Yaprak, enlevé d'abord sur ordre de Mehmet Agar par des gens de son équipe, libéré contre le paiement d'une forte rançon (de plusieurs millions de marks) et enlevé ensuite par les hommes du MIT d'Eymur, toujours pour lui faire payer une rançon.
A la question des députés "Pourquoi n'avez-vous pas informé les autorités de ce que vous saviez ?" le responsable policier répond amèrement: "dénoncer qui à qui? Voulez-vous que je dénonce le directeur général de la Sûreté (M. Agar) au directeur général de la Sûreté?". Confirmant que les gangsters et mafiosi endurcis A. Çakici et A. Çatli travaillaient pour la Sûreté et pour le MIT, A. Avci attribue les développements récents de l'affaire des gangs aux rivalités entre la Sûreté et le MIT et plus particulièrement entre les clans Agar, Eymür et Eken. Ces scandales lui paraissent la partie visible de l'iceberg. "Je ne crois pas que vous arriverez à démêler ces affaires sans remonter au sommet du pouvoir" lance-t-il aux députés pour conclure sa déposition. Ces derniers se gardent de lui poser des questions sur l'identité des gens du "sommet du pouvoir".
Ces révélations qualifiées de "terribles" par le quotidien Hürriyet du 6 février auraient, dans tout autre pays, provoqué une véritable crise politique Voilà donc un chef de police qui reconnaît devant les députés l'existence d'une "organisation extrajudiciaire" créée "sur décision des échelons supérieurs de l'État" impliquée dans plusieurs milliers d'assassinats et des affaires crapuleuses de racket, de rançons, de trafic de drogue, dont les chefs et les principaux animateurs nommément désignés ne sont nullement inquiétés, alors que la justice turque veut condamner à la peine capitale deux jeunes Kurdes coupables d'avoir décroché le drapeau turc dans la salle du congrès d'un parti pro-kurde.
Cette "organisation extrajudiciaire" semble posséder une influence considérable au sein des principaux rouages de l'État. Deux journalistes de Milliyet qui ont voulu enquêter sur l'un de ses exécuteurs au Kurdistan, Mahmut Yildirim, dit Yesil (le Vert), accusé de plusieurs dizaines d'assassinats politiques, l'ont appris à leurs dépens. Extraits de leur reportage paru dans le numéro du 31 janvier de ce quotidien: " Nous sommes arrivés vers 16h à Solhan, pays de Yesil, sans révéler à personne l'objet de notre visite. Le maire de la bourgade nous avait promis son hospitalité et le commandant de la gendarmerie local "son aide en cas de difficulté". Après avoir traversé des rues vides, nous arrivons dans le bureau d'un journaliste local. A peine deux minutes plus tard, le téléphone sonne et on nous demande. Une voix que nous ne connaissons pas et parlant un turc parfait nous menace: "Je suis un citoyen. Je sais depuis Istanbul que vous êtes venus dans cette bourgade pour Yesil. Si vous remuez cette affaire, vous finirez mal. Si vous ne quittez pas immédiatement cette bourgade, il vous arrivera des choses terribles. Personne ne pourra vous sauver". Nul ne savait qu'on était des journalistes car nous n'avions pas encore eu l'occasion de discuter avec les gens (..) Le lendemain matin, nous sommes allés à la mairie et à la sous-préfecture. Le maire avait l'air de nous en vouloir avant même de nous avoir rencontrés. Dans la rue, les gens nous étaient hostiles et nous étions constamment suivis par des voitures immatriculées à Ankara. Quelques habitants courageux nous ont appris sous le couvert de l'anonymat, comment les tueurs recrutés par Yesil, d'extraction pauvre, sont devenus des propriétaires de plusieurs Renaults 19 et de stations d'essence. Devant des récits qui donnent le frisson dans le dos, nous sommes allés à la gendarmerie pour connaître sa version. Personne ne voulait nous recevoir. Le lendemain matin, nous étions convoqués à 8h au bureau du maire qui n'avait visiblement pas dormi de la nuit et qui nous a demandé de quitter immédiatement la ville pour éviter le pire. "Vous êtes en grand danger, je ne pourrais pas vous protéger". Stupéfaits, nous avons tout de suite pris la route de Mus. Tout au long de cette route de 56 Km, nous avons été suivis de près par un véhicule gris immatriculée à Ankara. Logés à la maison des instituteurs, nous allions, après quelques heures de repos, sortir pour dîner. Le portier nous fixant des yeux stupéfaits, nous demande: "Qui êtes-vous donc! Pourquoi la police demande à chaque minute de vos nouvelles?".
Confirmant à sa manière les révélations du chef de police Avci, un baron de la mafia turc, Nurettin Güven, exilé à Londres, dénonce dans le quotidien Hürriyet et sur la chaîne de télévision privée Kanal D "La liste rouge des hommes à abattre" par l'organisation spéciale turque. Il affirme que son compatriote O. Topal, patron des salles de jeux, a été enlevé par l'équipe de Mehmet Agar, qu'il a payé une rançon de $ 17 millions et qu'il a été malgré cela abattu alors même que Agar était ministre de l'Intérieur, probablement parce que "la rançon a paru insuffisante à ces gens cupides". Il raconte aussi comment, au temps de sa collaboration avec la police, il a pu avoir un passeport de service (réservé en principe aux hauts fonctionnaires de l'État) pour mener à bien ses affaires (de trafic de drogue) alors que la justice française l'avait déjà condamné par contumace à 16 ans de prison pour trafic de stupéfiants.
LE procès intenté aux 47 dirigeants du Parti populaire de la démocratie (HADEP), pro-kurde, approche de sa fin. Au cours de l'audience du 14 février devant la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara, le procureur Nuh Mete Yuksel a requis la peine capitale pour "trahison à la patrie" à l'encontre des prévenus Faysal Akcan et G. Mordeniz. Le premier est accusé d'avoir, le 23 juin 1996, lors du 2ème congrès du HADEP, décroché le drapeau turc se trouvant sur un mur de la salle du congrès et accroché à sa place un drapeau du PKK ainsi qu'un portrait d'A. Ocalan, chef de cette organisation. Le second est accusé par le procureur d'avoir "ordonné cette action de haute trahison". Le procureur demande par ailleurs la condamnation à 22,6 ans de prison de 23 dirigeants du HADEP, dont son président Murat Bozlak, pour "constitution d'une organisation illégale", et la condamnation à 15 ans de prison de 19 autres responsables du HADEP pour "appartenance à une organisation illégale". Pour le procureur, la cause est entendue: le HADEP est la branche politique du PKK. Et pour preuves, il cite des publications saisies au siège de ce parti ainsi que des "aveux des repentis" communiqués par la police sans qu'aucun d'entre eux n'apparaisse devant la Cour pour confirmer ces déclarations ou être confrontés aux prévenus. Autres preuves du "complot séparatiste" des prévenus: "leurs déclarations en faveur de la paix et contre la guerre sale", les discours en kurde au cours du congrès, la revendication en faveur de l'enseignement du kurde; dénonciation du coût de la guerre. "La Turquie est une chemise où les Turcs se sentent à l'étroit. Il n'est pas possible d'arracher une pièce à cette chemise. Il n'y a pas de place dans les frontières de la Turquie tracées par le Pacte national d'Atatürk à des délires sur l'éducation en kurde et la fédération" affirme le procureur, dans son réquisitoire, avant d'ajouter: "En demandant l'arrêt de l'effusion de sang, de mettre un terme à la guerre sale qui absorbe une grande partie du budget, les dirigeants du Hadep cherchent en fait à légitimer le PKK et à le présenter comme un interlocuteur. Or la seule condition de la paix est que le chef des bandits se rende avec sa bande. Les prévenus n'ont jamais évoqué cette condition. Nous allons, bien entendu, faire des sacrifices et dépenser tout ce qui est nécessaire jusqu'à ce que les bandits soient anéantis. S'il le faut, tout le budget de l'État sera mis à la disposition de la grande armée turque et des forces de sécurité pour qu'elles accomplissent leur devoir d'assurer l'unité indivisible de notre territoire et de notre nation". Après ce réquisitoire, qui se passe de commentaires, la Cour, par la voix de son président, D. Karadeniz, a estimé "lourdes" les réquisitions du procureur. Elle souhaiterait juger 42 prévenus d'aide à des membres d'une organisation illégale (PKK), crime passible de 3 à 5 ans de prison. Quant aux deux principaux prévenus incriminés dans l'incident du drapeau, ils seront poursuivis pour "appartenance à organisation illégale" et pourraient être condamnés à 10 ans de réclusion. Après avoir rejeté les demandes de citations de témoins présentées par la défense, la Cour a renvoyé au 14 mars la prochaine audience au cours de laquelle les prévenus pourront présenter leur défense en fonction de la nouvelle qualification des chefs d'accusation sous lesquels ils seront jugés. Le verdict pourrait intervenir soit le 14 mars, soit à l'issue d'une audience ultime quelques semaines plus tard. Ainsi, le scénario appliqué lors du procès des députés kurdes du DEP est suivi jusqu'à la caricature pour décapiter cette fois-ci le HADEP et interdire aux Kurdes toute possibilité de combat politique légal et pacifique. Dans un État de droit, la justice cherche à établir la vérité sur les faits reprochés aux prévenus et à les juger en fonction des faits établis, incontestables. Dans le système turc, les Cours de Sûreté décident, en fonction des instructions reçues du Conseil de sécurité nationale, pour combien d'années mettre en prison tel ou tel Kurde indésirable et puis les juges trouvent les qualifications corres-pondant à ces peines.
POÈTE, dramaturge et écrivain humaniste kurde Musa Anter avait été assassiné à l'âge 74 ans le 20 septembre 1992 à Diyarbakir où il se trouvait pour participer à un festival culturel. Sa mort avait suscité une vive émotion en Turquie et les autorités politiques avaient promis d'arrêter rapidement "les auteurs de ce lâche assassinat" tandis que les Kurdes montraient du doigt l'État turc. Finalement, encouragé par le climat de déballage qui se développe depuis l'affaire de Susurluk, un dénommé Murat Ipek, dans des déclarations à plusieurs quotidiens (Radikal, Yeni Yüzyil, Özgür Politika et Demokrasi du 11 février) avoue être l'un de ses assassins. Extraits de ses aveux: "Après avoir essayé vainement pendant toute la soirée du premier jour où nous avions reçu des instructions de l'amener d'obtenir un rendez-vous de Musa Anter, nous sommes revenus à la charge le lendemain avec un mot d'Alaettin Kanat (repenti du PKK employé par les escadrons de la mort de la police). Après un certain temps, Musa Anter a accepté notre demande d'entrevue, il est venu à la réception de son hôtel avec quelqu'un (Orhan Miroglu). A la sortie de l'hôtel, je l'ai fait monter dans une voiture. Nous étions précédés par une voiture à bord de laquelle se trouvait A. Kanat et suivis d'un autre véhicule. A la sortie de Diyarbakir, nous avons bifurqué en direction d'Ergani. Après un certain temps, nous nous sommes arrêtés. A. Kanat est monté dans notre voiture. En le voyant, Musa Anter a compris ce qui se passait car il connaissait Kanat. Il s'est penché la tête et s'est tu. Son compagnon discutait avec nous. Notre voiture s'est engagée dans la route de Silvan. Après un moment, on s'est arrêté. Kanat a pris le bras de Musa Anter. Anter nous a dit alors: "les enfants, vous faites une erreur". Ils étaient devant, nous les suivions. Après avoir marché quelque temps, nous avons reçu le signal. A. Kanat a tiré la première balle dans la tête de Musa Anter. Puis, à notre tour, nous avons tiré. Anter a été tué de 4 balles et Miroglu s'est mis à fuir, nous avons tiré dans sa direction. Les sentinelles d'un camp militaire proche ont tiré en l'air. Pris de panique, nous sommes montés dans notre voiture et nous avons repris la route de Silvan. Nous nous sommes arrêtés devant la Faculté de médecine de l'université Dicle. Après un bref intervalle, des policiers en civil sont venus à bord d'un minibus rouge. Nous sommes montés dans le minibus et les policiers ont pris notre voiture. Puis, nous nous sommes éloignés des lieux. Nous avons au total utilisé trois véhicules pour cette opération. L'un d'eux était volé, les deux autres appartenaient à l'armée. Nos armes étaient fournies par la police".
Affirmant appartenir à un escadron de 22 tueurs dirigé par A. Kanat, qui reçoit lui-même ses ordres de "Yesil" responsable de JITEM et du super-préfet régional, M. Ipek donne les détails suivants sur quelques-unes des opérations auxquelles il a participé: "Après le Newroz (NDLR. Le nouvel an kurde célébré le 21 mars) de 1992 Ünal Erkan (NDLR. Super-préfet régional) était venu à Sirnak. La population était rassemblée dans le stadium. Puis, il a demandé "qui sont les meneurs de ces événements ?". Les policiers ont répondu: Biseng Anik. "Faites-le disparaître" a-t-il ordonné. Et comme je venais d'être recruté, ils ont voulu me mettre à l'épreuve en me confiant cette mission. Le domicile de B. Anik est devant la mosquée. Avec des policiers en civil, nous sommes allés le chercher. Au commissariat, ils l'ont torturé. Ils ont taillé son dos et la plante de ses pieds avec des lames de rasoir. On m'a donné un fusil G3 se trouvant au commissariat et j'ai tué B. Anik avec une seule balle tirée dans sa tête avec ce fusil. Quelques mois plus tard, le 18 août 1992, nous avons exécuté l'avocat A. Rahim Demir et Mehmet Ertak. Le directeur départemental de la Sûreté N. Altintas nous avait dit que le frère aîné de M. Ertak était dans le maquis et qu'il fallait de ce fait le tuer. Nous l'avons embarqué dans un Panzer et l'amené en dehors de la ville près de la mine de charbon où nous l'avons débarqué et tué. Puis, nous l'avons vêtu d'une tenue de guérillero, mis une Kalashnikov entre ses mains et annoncé que nous venions de tuer un terroriste".
M. Ipek affirme que son chef direct, A. Kanat, vit actuellement dans le secteur résidentiel militaire de Diyarbakir. Il est au service du capitaine de gendarmerie Ersin Bacaksiz qui commande aussi à un autre escadron de la mort dirigé par un certain Cemil. C'est cet escadron qui a enlevé le 1er octobre 1996 quatre instituteurs du village Hantepe qu'il a sommairement assassinés ajoute-t-il. Ce quadruple assassinat, survenu le jour même du lancement de la campagne d'Amensty International sur les violations des droits de l'homme en Turquie, avait été attribué par Ankara au PKK qui l'avait aussitôt rejeté. Les organisations turques des droits de l'homme avaient été empêchées par les autorités de mener une enquête indépendante sur cette affaire.
SELON une étude réalisée par World Strategic Information Institute l'armée turque, forte de 780.000 hommes, est la dixième armée la lus nombreuse du monde. Avec 16 sous-marins la Marine turque est la neuvième du monde tandis que par ses 4280 chars l'armée de terre occupe la cinquième place.
Selon le Turkish Daily News du 14 janvier qui publie cette information, l'armée turque est engagée dans un vaste projet de modernisation de ses armements. Le coût de ce projet est évalué à 150 milliards de dollars pour les 25 prochaines années. Au cours de cette période, l'armée de terre disposera de 60 milliards de dollars, l'armée de l'aire de $65 milliards et la marine de $25 milliards. L'état-major turc indique qu'il a déjà progammé 1523 projets d'un coût total de $67 milliards d'ici l'an 2004.
En Turquie malgré la grave crise économique, malgré le niveau de vie frôlant la misère de la majorité de la population, l'état-major de l'armée fixe souverainement le budjet de ses projets d'armement pour les années à venir, sans débat parlementaire. Et aucun gouvernement civil n'a le courage de mettre en cause cet état de fait. C'est dans le cadre de ce vaste programme que Ankara a signé avec Eurocopter un contrat de 430 millions de dollards. Un accord de principe sur les grandes lignes de ce projet avait été conclu en juin 1995 entre le président français Chirac et l'ancien Premier ministre turc Tansu Çiller. Après la chute du gouvernement Çiller, les termes de l'accord ont été changés et les deux parties se sont mis d'accord sur une production conjointe en Turquie. C'est sur cette base que le groupe franco-allemand Eurocopter, filiale d'Aérospatiale, a signé jeudi 13 février, à Ankara, un contrat de 430 millions de dollars pour la vente et la coproduction en Turquie de 30 hélicoptères Cougar AS-532 MK1. Cet accord prévoit l'achat direct par la Turquie de deux premiers appareils qui seront livrés en juillet 1999, les 28 autres seront fabriqués conjointement dans les usines de la compagnie Turkish Aerospace Industries (TAI). Cette compagnie assemble également des chasseurs F-16 aux termes d'un accord avec la firme américaine Lockheed Martin. La Turquie s'engage maintenant dans des négociations avec la France pour la coproduction des missiles Exocet.
A la suite de l'arrestation d'un citoyen danois d'origine kurde, Kemal Koc, pendant un mois et demi, suivie de l'arrestation et de l'expulsion d'un député danois qui avait assisté au procès de celui-ci, le Danemark a décidé de poursuivre la Turquie devant la Cour européenne des droits de l'homme. Selon Copenhague, le ressortissant danois, Kemal Koc, a été détenu et torturé par les autorités turques durant son arrestation, au cours de l'été 1996. Le ministre danois des Affaires étrangères, Niels Helveg Petersen, a précisé à la presse que cette démarche serait effectuée mardi à Strasbourg, siège de la Cour. Il espère une instruction rapide de ce dossier. Il s'agit d'une violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, interdisant l'usage de la torture, a estimé M. Helveg Petersen, indiquant qu'Ankara avait été prévenu vendredi, 3 janvier 1997, de la démarche danoise.
C'est ce que montre un classement portant sur la valeur d'échange par rapport au dollar de 203 monnaies nationales actuellement en circulation dan le monde que publie le quotidien Milliyet du 14 janvier. La livre turque arrive juste avant dernière devant le kwanza angolais. Actuellement un dollar vaut 209. 925 kwanza et 110. 630 livres turques, contre 0, 47 livre chypriote, 247 drachmes grecques, 24 livres syriennes, 24 dinars irakiens, 3000 rials iraniens, 446 drams arméniens ou 5585 roubles russes, pour prendre l'exemple des voisins géographiques de la Turquie. A l'heure où la dépréciation constante de la monnaie turque oblige la Banque centrale d'Ankara à émettre des billets de 5 millions de livres, la presse reproche aux autorités de ne pas réagir à l'image déplorable du pays et de sa monnaie. Et les humoristes ajoutent: "notre régime a peut-être échoué dans beaucoup de domaines, mais il peut se prévaloir d'au moins d'un succès incontesté: nous sommes l'un des rares pays du monde où le plus pauvre des citoyens est multimillionnaire!" Le bas niveau de vie fait de la Turquie l'un des pays le moins cher pour le tourisme. En 1996, selon l'estimation du ministre du tourisme, rendue poublique le 6 janvier, 8,6 millions de touristes sont venus en Turquie.
Selon le ministre, cette affluence touristique a apporté entre 6 et 6,5 milliards de dollars en devises à l'économie turque. Ce chiffre, en nette augmentation par rapport aux années précédentes, représente cependant tout juste le quart des 25 milliards de dollars que la Turquie tire de son rôle de "pays de transit" du trafic international de drogue, selon l'estimation qu'un haut dirigeant des services de renseignements turcs "MIT", Mehmet Eymür, cité par le quotidien Hürriyet du 27 décembre 1996, a avancé lors de son audition devant la Commission d'enquête du Parlement turc.
Selon les données rendues publiques par le ministère de la Justice, au 1er 1997 la Turquie comptait 56 082 détenus dans ses 562 prisons. 24 992 de ces derniers sont en détention préventive dans l'attente de la conclusion de leurs procès. Les prisonniers politiques, au nombre de 9241, constituent environ un cinquième de la population pénitentiaire du pays. Le ministère classe 523 de ces prisonniers politiques à droite, les 8713 restants à gauche. 2920 prisonniers politiques ont été jugés, 6321 sont en détention préventive.
Les "Écrits de prison", parus d'abord en français, en novembre 1995, aux éditions des Femmes, viennent d'être publiés en allemand sous le titre "Eine Kurdin meldet sich zu Wort Leyla Zana, Briefe und Schriften aus dem Gefängnis" aux éditions Montage Verlag, Dötlingen, Allemagne, 122p. L'édition anglaise des "Écrits de prison", actuellement en cours de réalisation, paraîtra en automne prochain au État-Unis. Le 25 avril 1997 à 9h aura lieu à Strasbourg l'audience de la Cour européenne des droits de l'homme sur la première partie de l'affaire de Leyla Zana et de ses amis. La Cour statuera d'abord sur la légalité et la durée excessive ( de 12 à 15 jours) de la garde-à-vue et sur la détention préventive des députés kurdes. Ensuite, dans quelques mois, elle examinera le fond de l'affaire, à savoir la compatibilité du verdict des tribunaux turcs avec la Convention européenne des droits de l'homme dont la Turquie est consignataire.
Considéré comme le "super gouvernement" de la Turquie, le Conseil de sécurité nationale, à dominante militaire, s'est réuni le 27 janvier à Ankara sous la présidence de M. Demirel. D'après le communiqué rendu public à l'issue de cette réunion qui a duré 4,5 h, trois sujets ont été débattus: les conséquences de la mise en cause du gouvernement turc par plusieurs pays européens (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Pays-Bas), dans le trafic de drogue; la situation à Chypre et les mesures à prendre pour interdire l'accès au territoire turc des "publications et émissions destructives et séparatistes". Sur le premier sujet, le CSN a entendu un rapport du directeur de la Sûreté générale vantant "la lutte exemplaire de ses services contre la drogue" qui auraient au cours des deux dernières années saisi le tiers de l'ensemble de l'héroïne saisie par les polices européennes. Ensuite, le CSN a adopté des "mesures fermes" concernant Chypre qui seront appliquées quel que soit le gouvernement car "la question chypriote relève de la politique nationale de la Turquie". Enfin, le Conseil après avoir entendu les rapports du ministre des télécommunications sur "les mesures légales, administratives et techniques à prendre contre toute émission électromagnétique, y compris des émissions de radio et de télévision, destructives, séparatistes et illégales diffusées à partir de la Turquie ou de l'extérieur". Le CSN demande la modification à bref délai de la loi 3984 sur la radiodiffusion afin d'autoriser le Conseil supérieur de radiotélévision à "fermer les radios et les télévisions diffusant des émissions à caractère séparatiste et destructif". En ce qui concerne les radiotélévisions émettant de l'extérieur de la Turquie, la Direction générale des communications sans fil est chargée de les brouiller afin de les rendre inaccessibles aux habitants de la Turquie. Sous ces généralités, le régime turc vise d'une part les télévisions privées turques qui de temps à autre organisent des débats sur la question kurde ou sur "la situation dans le Sud-Est", d'autre part MED-TV, chaîne de télévision kurde émettant par satellite à partir d'Europe et qui est regardée par nombre de Kurdes. Le 11 février, Necati Bilican, le super-préfet des provinces kurdes, lors de sa visite en compagnie du général Altan Tokat dans la province de Hakkari a déclaré à ce sujet : "Nous poursuivons nos travaux pour purifier les citoyens de cette région des émissions séparatistes et des programmes destructifs contre l'unité indivisible du pays. Pour empêcher des émissions sales restant en dehors des émissions nationales, les antennes paraboliques peuvent être interdites si nécessaires" a-t-il déclaré. Depuis, la police demande aux vendeurs d'antennes paraboliques de lui communiquer les noms et adresses des acheteurs de ce matériel.
Au cours d'une conférence de presse, tenue mardi 4 février à Istanbul, Reporters Sans Frontières affirme que "154 journalistes membres de la presse d'opposition ont été victimes des violences policières en 1996 dont un, Metin Goktepe, a été battu à mort". "31 journalistes ont été torturés en détention, 53 interpellés avec brutalité et 69 agressés, menacés ou harcelés par la police" ajoute encore le rapport. La torture en détention est exercée comme "moyen d'intimidation" à l'encontre des journalistes pro-kurdes et d'une presse considérée par le gouvernement comme "hostile". Le procès des policiers accusés du meurtre du journaliste Metin Goktepe, initialement intenté à Istanbul, lieu du meurtre, s'était ouvert une première fois le 18 octobre dernier à Aydin, à 600 km à l'ouest d'Istanbul, officiellement pour des raisons de sécurité. Ce procès devait se poursuivre le 6 février et cette fois dans la ville d'Afyon à 300 km d'Istanbul. S'exprimant au nom de Reporters sans frontières, M. Jean Chichizola a déclaré que son organisme était "inquiet du fait que le lieu du procès a été changé deux fois, de ville en ville", et "du fait qu'un an après son ouverture, il n'en sera qu'à sa deuxième audience" le 6 février et que "Reporters sans frontières veut croire à un procès équitable, impartial et rapide".
C'est ce qu'a déclaré, le 19 février, le député de Batman Musa Okcu au nom de la Commission parlementaire des droits de l'homme du Parlement turc appelée à mener une enquête sur cette affaire. L'affaire a eu lieu à la fin du mois de décembre dernier lorsque des soldats turcs ont contraint une cinquantaine d'hommes du village de Tekevler, dans le district de Sason, de les devancer dans leurs opérations de déminage dans cette région. Interrogé par Reuters, M. Okcu a déclaré que "les villageois m'ont expliqué que les forces de sécurité les ont forcés d'être leurs détecteurs humains". Les villageois ont porté plainte auprès du sous-préfet de Sason qui leur a déclaré: "Je ne suis pas compétent pour intervenir dans les affaires des militaires". Selon le quotidien Özgür Politika du 20 février, le 31 janvier des habitants des villages Gundê Nû et Kelhesna, toujours dans le district de Sason, ont subi le même sort.Ces paysans ont tous un point commmun: leur refus de devenir des protecteurs de village, malgré la menace de destruction de leurs villages par l'armée. Celle-ci semble vouloir les punir en les utilisant comme des cobayes.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel de Turquie a, le 24 février, condamné les chaînes de télévision privée Kanal D et Show TV à une interdiction de diffusion d'une journée pour avoir interviewé un baron de la drogue, H. Baybasin. Ce dernier, menacé de mort et actuellement réfugié aux Pays-Bas, avait, dans ces interviews diffusées, le 29 décembre 1996, fait des révélations retentissantes sur les ministres, hommes politiques et responsables de forces de sécurité turques impliqués dans le trafic de l'héroïne. Il avait en particulier expliqué comment depuis le début des années 1980 de hauts responsables policiers les avaient recrutés, organisés et protégés pour ce trafic, comment des voitures officielles et des passeports diplomatiques avaient été mis à leur disposition. Parmi les complices de ce trafic, le chef de police Agar, devenu plus tard ministre de la justice, puis ministre de l'Intérieur, un ministre d'État, un neveu du président Demirel, le super-préfet des provinces kurdes et plusieurs policiers et militaires de haut rang. A l'appui de ses dires, Baybasin avait produit dans les médias turcs, à une chaîne de télévision allemande et devant la justice néerlandaise des photos le montrant en compagnie de ces hauts responsables de l'État turc. Sans se prononcer sur la véracité de ces allégations, le Conseil supérieur de l'Audiovisuel turc condamne les deux chaînes privées pour atteinte à la réputation de l'État. En conséquence, Show TV devra cesser ses émissions le 13 mars à partir de minuit pour 24h et Kanal D est condamné à la même peine pour le 14 mars. Par ailleurs, le Conseil turc a condamné la télévision locale de Diyarbakir, Metro TV, à un mois de suspension de diffusion pour avoir permis "des émissions de nature à inciter la société à la violence, à la terreur, à la discrimination ethnique et à des sentiments de haine". Sok Radio, radio locale d'Içel, sur la côte méditerranéenne a été également interdite de diffusion pendant un mois pour "des émissions faisant l'éloge du séparatisme et dénigrant les forces de sécurité". Ces condamnations interviennent à la suite des mesures adoptées en décembre dernier par le Conseil de sécurité nationale pour "une surveillance plus étroite des médias". Dans le cadre de cette politique, la police et les soldats ont saisi et détruit des centaines d'antennes paraboliques dans les provinces kurdes arguant qu'elles étaient utilisées pour capter les émissions en kurde de Med-TV. Par ailleurs, le quotidien Özgür Politika publie dans son numéro du 27 février des extraits d'une circulaire "confidentielle" du Conseil de sécurité nationale enjoignant aux autorités civiles et militaires de "faire taire" 22 journaux et revues, 19 groupes de musique, 14 centres culturels, 11 associations, 11 radios locales et de surveiller de près certaines émissions de débats, des chaînes de télévision privées, d'interdire le passage sur les antennes des télévisions d'État de certains intellectuels et artistes suspectés de sympathies pro-séparatistes, comme Yachar Kemal, les journalistes M. Ali Birand et C. Candan ou les chanteuses Melike Demirag et Sezen Aksu. La circulaire donne à côté du nom de chaque publication, association ou groupe à faire taire un motif sommaire pour lequel il faudrait le faire taire ou entraver ses activités.
Par ailleurs, selon le Conseil de la presse, une association de défense des droits des journalistes basée à Istanbul, le bilan des atteintes contre les journalistes et les organes de presse du seul mois de février est comme suit: 2 revues saisies; perquisition par la police dans les locaux d'un journal et d'une chaîne de télévision; huit radios et chaînes de télévision interdites de diffusion et un journaliste attaqué.
A trois reprises, le mardi 18 et le mercredi 19 février, le Parlement turc a rejeté par 270 contre 263 voix l'envoi de Mme. Çiller devant la Haute Cour. La motion déposée au vote par l'opposition devant le Parlement portait sur les malversations dans l'administration de la compagnie d'électricité Tedas ainsi que sur celles relevées dans la vente de parts étatiques de la compagnie automobile Tofas datant de l'époque où Mme. Çiller était Premier ministre. Ainsi, le parti de la prospérité du Premier ministre Erbakan, qui avait pourtant mené sa campagne électorale sur le thème de la lutte anticorruption, a joint ses voix à celles de ses partenaires du DYP de Mme. Çiller pour disculper celle-ci. Cette alliance cynique est de plus en plus mal ressentie par l'opinion publique turque. Pour se faire entendre une campagne civile a été lancé le 1er février intitulée "une minute dans le noir pour faire la lumière"; à 21 heures précises, des lumières s'éteignent dans l'ensemble de la Turquie. Ce mouvement populaire prends de plus en plus d'ampleur; dans les grandes villes les gens descendent dans les rues pour accompagner leur minute d'obscurité d'une cacophonie de couvercles de casserole, de Klaxons et de sifflet, empruntés aux manifestants de Belgrade. Par ailleurs, le Parlement turc a rejeté, le 25 février, une autre motion de censure présentée par deux partis d'opposition, le CHP de Deniz Baykal et DSP de Bülent Ecevit, contre le gouvernement de coalition. Les députés ont rejeté par 281 voix contre 246 cette motion accusant le gouvernement de "protéger les mouvements menaçant la structure laïque de l'État ".