tags: N° 152-153 | novembre-décembre 1997
Issu d'une nation ayant connu le dépeçage, l'occupation et la domination étrangère, le Pape Jean Paul II est très sensible au sort des peuples persécutés. On se souvient de son homélie de Pâques 1991 où dénonçant "un exode aux dimensions bibliques" il appelait la communauté internationale à venir au secours de la population kurde d'Irak. En recevant le 5 décembre les lettres de créance du nouvel ambassadeur turc auprès du Vatican, M. Altan Güven, il lui a déclaré, en présence de la presse: "La vraie harmonie au sein d'une nation et entre pays ne peut être maintenue que si les différences naturelles et légitimes entre les peuples, plutôt que d'être réprimées comme cause de division, sont considérées comme une réalité enrichissante. Le respect rigoureux pour les besoins culturels, moraux et spirituels des individus et des communautés, basé sur la dignité de la personne et sur l'identité spécifique de chaque communauté est une condition essentielle pour le bien-être de chaque société. Le respect pour les traditions culturelles d'un peuple distinct permet à un pays de se présenter à la communauté internationale comme un exemple de paix et d'harmonie qui devrait prévaloir à travers le monde". La presse internationale a donné un large écho à ces remarques critiques du Pape contre un pays s'acharnant à faire disparaître l'identité et les traditions culturelles du peuple kurde. Quelques journaux turcs en ont informé leurs lecteurs par un bref entrefilet en page intérieure alors qu'ils n'hésitent pas à accorder une large place aux déclarations sur la Turquie du moindre congressman ou sénateur américain. Il est vrai que le Pape ne peut ni vendre des armes ni accorder des crédits à Ankara, donc son opinion importe peu aux dirigeants turcs.
En quelques jours le régime turc a pu réaliser la mesure de son isolement international. Le 7 décembre, la Conférence islamique (OCI) réunissant à Téhéran des dirigeants des 55 Etats du monde musulman, qui compte près d'un milliard d'individus, a pour la première fois de son histoire, adopté une résolution prenant à partie l'un des Etats membres; la Turquie. Celle-ci a été mise sur la sellette pour ses incursions militaires récurrentes dans le Kurdistan irakien au mépris du droit international et du respect des frontières étatiques. Elle est également montrée du doigt pour son alliance militaire avec Israël. Pas un seul Etat de l'OCI n'a pris la défense d'Ankara alors que certains pays occidentaux continuent de présenter la Turquie comme un Etat pouvant servir de modèle aux pays musulmans. "Voilà la belle affaire; d'élève modèle cité en exemple, nous voilà devenus la tête à claques du monde musulman pour qui nous sommes désormais à la remorque d'Israël et de Washington" commente avec amertume l'éditorialiste libéral Cengiz Çandar dans le Sabah du 9 décembre.
Le 12 décembre, le verdict tant attendu de l'Union européenne est tombé. L'UE ne considère pas la Turquie dans ses listes A et B de candidats à l'adhésion à court et à moyen terme. Elle invite Ankara à participer à la Conférence européenne réunissant les 15 plus les 11 candidats officiels à condition qu'elle accepte auparavant de soumettre à la Cour de Justice internationale de La Haye son contentieux avec la Grèce.
L'Union justifie sa décision par le fait qu'Ankara ne remplit pas les normes en matière de démocratie, des droits de l'homme et de la protection des minorités en vigueur en Europe. Tony Blair, qui vient de reconnaitre une large autonomie aux Ecossais et aux Gallois, parle de la nécessité pour la Turquie de protéger la minorité kurde et de garantir ses droits culturels. Le chancelier Kohl indique que l'Allemagne et l'Europe sont allées jusqu'aux limites extrêmes de la patience avec la Turquie qui n'a pas honoré ses engagements successifs en matière de démocratie et des droits de l'homme. Le Premier ministre grec affirme qu'aucun progrès n'a été enregistré dans le réglement du problème chypriote et dans celui du contentieux de la Mer Egée, que la Turquie défie la loi internationale.
C'est sans doute le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, président en exercice du Conseil européen, qui reflète l'état d'esprit général en déclarant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas: "Je ne crois pas que la question des droits de l'homme peut être réglée en 3 à 5 ans en Turquie. Il faudra des décennies pour que ce pays puisse satisfaire les critères de l'Union. Un pays où la torture est encore une pratique courante ne peut avoir une place à la table de l'Union européenne".
Les dirigeants turcs, hormis la carotte de marchés pour les pays compréhensifs et l'invocation des différences religieuses (Si vous ne nous acceptez pas, c'est que vous voulez rester un club chrétien!) n'avaient guère d'arguments pour plaider leur dossier. Ils ont réagi avec virulence à l'annonce du verdict, accusant de partialité "l'Europe chrétienne", menaçant d'accélérer "l'intégration de Chypre du Nord" occupée depuis 1974 par l'armée turque et promettant de "sanctionner durement les Etats qui ont bloqué la candidature turque". Les médias, controlés par le gouvernement ont tous abondé dans ce sens, saluant les décisions historiques du Premier ministre et vouant aux gémonies "ces Européens qui ne comprennent pas la Turquie". Aucun journal ne s'est risqué à présenter à ses lecteurs les arguments des dirigeants européens. Tandis que le quotidien populaire Hürriyet dénonçait à la Une "l'insolence du Premier ministre luxembourgeois Juncker" un éditorialiste titrait carrément "Va en enfer l'Europe!"
De son côté, l'état-major des armées a réagi en adoptant une série de mesures. Il a mis à jour sa liste rouge des pays catégoriquement exclus des marchés d'armes et d'équipements militaires: Norvège, Suède, Suisse, Danmark, Autriche et Afrique du Sud. La liste jaune des pays sous surveillance où l'armée turque n'achetera que faute d'alternative est également fournie: Pays-Bas, Allemagne, Luxembourg, Belgique et Finlande. Les généraux turcs vont limiters leurs échanges avec les pays qui se sont montrés hostiles ou réticents envers la candidature turque et annuler certaines visites déjà prévues. Ils ne recevront pas non plus les délégations politiques des pays de l'Union européenne en visite à Ankara.
Ankara met désormais tous ses espoirs sur un soutien accrû de Washington. Sa politique turque est de plus en plus critiquée au Congrès mais le régime turc espère que son alliance militaire avec Israël va lui permettre de mobiliser en sa faveur le puissant lobby juif américain.
Cependant, la visite effectuée du 17 au 21 décembre par le Premier ministre turc aux Etats-unis n'a pas permis à Ankara de faire lever " l'embargo de fait " que Washington applique aux ventes d'armes susceptibles d'être utilisées contre les populations civiles kurdes. Malgré les déclarations habituelles sur " le rôle vital de la Turquie pour l'OTAN " et sur " l'alliance stratégique turco-américaine " les dirigeants américains ont invoqué " l'hostilité du Congrès qui est très sensible à la situation des droits de l'homme en Turquie " pour maintenir l'interdiction faite aux compagnies américaines de vendre des hélicoptères de combat à l'armée turque.
Au cours de sa visite, M. Yilmaz a présenté au Président Clinton un document écrit sur les réformes qu'il envisage de réaliser " pour améliorer la situation des droits de l'homme ". " Nous attendons des actes concrets " lui ont répondu les Américains. Les questions de Chypre et du contentieux avec la Grèce ont été abordées, sans progrès. Seul résultat tangible de la visite: la signature d'un accord commercial sur la vente à Turkish Airlines de 49 Boeing pour un montant de $ 2 milliards. Par ce contrat, la Turquie a voulu montrer qu'elle punissait Airbus. " Après le rejet européen nous avions besoin de poser notre tête sur une épaule amie pour nous épancher et nous consoler; la visite de M. Yilmaz a satisfait ce besoin de consolation " écrit le journaliste de Sabah, M. Ali Birand pour résumer les résultats de cette visite.
Les récriminations de M. Yilmaz à partir de Washington contre " Helmut Kohl qui veut faire de l'Europe un club chrétien " et contre son ministre des Affaires étrangères Klaus Kinkel " qui du début à la fin ne dit que des conneries " n'ont fait qu'envenimer le climat déjà passablement tendu des relations germano-turques. Un porte-parole allemand a invité les dirigeants turcs à s'abstenir de ce genre de " propos légers qui peuvent avoir des effets dévastateurs sur les relations de la Turquie avec l'Europe ""; le Premier ministre turc avait également mis en doute " les prétendus amis européens de notre pays qui n'ont pas su nous défendre au Luxembourg ". Allusion claire à la France, à l'Italie et à la Grande Bretagne à qui Mesut Yilmaz désormais refuse de faire confiance.
En route pour Washington, le 17 décembre, le Premier ministre turc Mesut Yilmaz avait cru devoir lancer un véritable ultimatum à l'Union européenne: "Si d'ici juin 1998 un nouveau sommet européen ne se réunit pas pour modifier sa décision concernant la Turquie nous retirerons définitivement notre demande d'adhésion ". M. Yilmaz affirme que la Turquie refusera de siéger à la Conférence européenne tant qu'elle ne sera pas considérée comme une candidate officielle au même titre que les 11 autres candidats agrées lors du récent sommet du Luxembourg.
Cet ultimatum intervient après la menace turque d'intégration accélérée de Chypre du Nord occupée depuis 1974 par l'armée turque et vise à renforcer la décision d'Ankara d'embargo commercial contre les pays de l'Union européenne et de refus de dialogue politique avec celle-ci. Cette politique radicale est critiquée à l'intérieur même du pays pour son " aventurisme " et son " irresponsabilité ". Le vice-premier ministre, M. Ecevit a indiqué que cette question n'avait pas été discutée par le cabinet tandis que le président Demirel a laissé son entourage exprimer son "déplaisir". L'éditorialiste en chef de Hürriyet Oktay Eksi, président du Conseil de la presse, invite, dans le numéro du 18 décembre de ce quotidien, les hommes politiques turcs à réfléchir aux conséquences de leurs déclarations. " Qu'allons-nous faire si l'UE n'obtempère pas à notre injonction " demande-t-il? "Renoncer à devenir un jour membre de l'UE? Revenir sur l'accord d'association de 1963 et sur l'Union douanière? Quelle autre alternative avons-nous? Ranimer la coopération économique des pays de la Mer Noire? Intensifier nos relations avec les Etats-Unis? Mener une politique dans les Balkans et dans les républiques turques d'Asie? Y sommes-nous prêts? En avons-nous les moyens? S'il n'est pas prêt à faire des pas aussi graves et vitaux, Mesut Yilmaz ne devrait pas tenir des propos qu'il pourrait regretter le lendemain. C'est la nation qui aura à payer la facture".
Dans le quotidien Sabah du même jour, l'éditorialiste Cengiz Çandar dénonce également "l'emballement irresponsable des dirigeants turcs qui sacrifient à la politique bon marché de surenchères nationalistes" et les invite à examiner sérieusement ce qui ne va pas en Turquie, les raisons pour lesquelles l'Europe le tient à distance.
Cette question a également été débattue au Parlement européen pendant plus de deux heures le 17 décembre. Certains eurodéputés comme Mme. Roth et Mme. Lalumière ont dénoncé "l'hypocrisie des Européens qui ont hier voté en faveur de l'Union douanière et qui refusent maintenant de considérer la Turquie comme une candidate". L'usage à géométrie variable des arguments des droits de l'homme leur parait regrettable. Le président du Parti populaire européen, l'ancien Premier ministre belge M. Martens a, de son côté, dénoncé la politique de chantage du gouvernement turc et invité l'Union à ne pas céder à ce chantage. En reponse à ces interventions M. Poos, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et président en exercice du Conseil des MAF de l'UE a demandé aux eurodéputés critiques de "ne pas se faire les avocats d'un État violant massivement les droits de l'homme".
La politique de chantage d'Ankara a ses limites car la Turquie ne dispose pas de moyens économiques et politiques de cette politique. On l'a vu lors du sommet de l'OTAN du 16 décembre sur l'élargissement de cette organisation à 3 pays d'Europe centrale, Pologne, Hongrie et République tchèque. Contrairement à ses menaces de veto, la Turquie, la veille d'une visite jugée cruciale de son Premier ministre à Washington, ne s'est pas risquée à faire obstacle à cet élargissement voulu et décidé par les Américains.
L'Arrivée au cours de la dernière semaine de 1997 de deux bateaux chargés de plus de 1200 réfugiés kurdes sur les côtes italiennes a placé à nouveau la question kurde sous les projecteurs de l'actualité.
Cette question alimente un débat parfois assez vif au sein de l'Union européenne et à l'intérieur de chaque État entre les partisans d'une approche sécuritaire et ceux d'une approche politique. Celle-ci a notamment été incarnée par l'Italie dont le président, M. Oscar Luigi Scalfaro, a déclaré que son pays accueillerait "les bras grands ouverts" les Kurdes fuyant les persécutions . L'opinion italienne, très émue par le drame des Kurdes en Irak et en Turquie, soutient la politique d'accueil humanitaire des autorités de Rome. Mais cette attitude généreuse, qui est aussi celle de la Grèce, et qui appelle à l'élaboration d'une politique européenne commune, est critiquée par certains États membres de l'Union européenne qui abritent déjà de fortes communautés kurdes et qui craignent un effet d'appel d'air. Au premier rang de ces pays l'Allemagne, qui a une population kurde de 500 000 à 600 000 personnes et qui a, en 1997, accueilli plus de 14 000 réfugiés kurdes irakiens. Le chancelier Kohl et son ministre de l'Intérieur, M. Kanther, ont demandé au gouvernement italien de prendre toutes mesures pour mieux contrôler leurs frontières tandis que M. Klaus Kinkel appelle la Turquie à " trouver rapidement une solution politique au conflit kurde afin de régler ce problème à la source ". Une bonne partie de l'opinion allemande critique "l'hystérie du gouvernement" qu'il accuse de "semer la panique dans la population dans un but électoral". L'arrivée de quelques centaines de malheureux Kurdes rescapés de massacres ne va pas changer la face du monde, font-ils remarquer. On ne peut pas demander à la Turquie d'adopter une solution politique face au problème kurde tout en continuant de notre côté une approche purement sécuritaire, a fait observer un député de l'opposition. Les églises sont également en faveur d'un accueil digne des réfugiés. Cette politique de la "main tendue" inquiète énormément certains Etats-membres de l'Union européenne, au premier chef l'Allemagne, qui craignent l'arrivée sur leur sol de ces réfugiés. L'asile d'église a pris de l'ampleur après la révision de la loi sur les demandeurs d'asile en 1993. 56 Églises ou cloîtres allemands abritent aujourd'hui quelques 220 demandeurs d'asile, dont la moitié sont des Kurdes de Turquie.
Les responsables de sécurité des Quinze doivent se réunir pour définir une politique commune. Cependant, quelles que soient les mesures policières décidées par les Européens, étant donné la situation tragique des Kurdes dans leur pays d'origine ceux-ci continueront d'affluer par milliers vers l'Europe qui est le seul espace démocratique de leur voisinage où ils preuvent espérer trouver un refuge. Cet afflux met à rude épreuve la Convention de Genève sur les réfugiés politiques, devenue obsolète, les accords de Schengen et de Dublin. Sous la pression des Kurdes et des Algériens qui frappent à leurs portes, les Européens sont appelés à élaborer une nouvelle législation d'asile tenant compte de nouvelles réalités politiques et humaines.
Rappelons pour mémoire que l'exode kurde vers l'Italie ne date pas de fin décembre. Le 29 mai 1997, 200 Kurdes arrivaient déjà en Italie dans un bateau appelé Vakifkebir. Le 18 juillet 1997, 403 réfugiés dont 340 Kurdes, à bord du bateau Mehlika. Le 3 novembre un navire battant pavillon libanais ayant à son bord 796 personnes, dont 115 femmes et 97 enfants, pour la plupart d'origine kurde, mais également des Indiens, des Sri lankais, des Pakistanais, et des Chinois. Une organisation associant la mafia turque, albanaise et grecque promettait, en échange de 7000 DM, d'emmener ces réfugiés jusqu'à la France ou l'Allemagne. Empilés comme des poissons, affamés et assoiffés durant sept jours de voyage, les réfugiés avaient embarqué dans un port turc de Marmara dans ce navire. L'équipage de cinq personnes a été arrêté et des demandes d'asile politique des réfugiés ont été recueillies par les autorités italiennes, qui ont souligné qu'elles offraient leur hospitalité pour 15 jours, après quoi des procédures d'expulsion seront engagées, conformément aux accords de Schengen. Le 27 décembre 1997, le bateau Ararat a échoué sur les côtes italiennes avec 835 réfugiés dont 800 Kurdes et le 1er janvier 1998, 386 réfugiés, dont 270 Kurdes, sont arrivés à bord du Cometa donnant un aspect spectaculaire à cet exode.
Le 26 novembre la Cour de Strasbourg a rendu son verdict dans la première partie du recours introduit par les défenseurs de Leyla Zana et de ses cinq collègues députés kurdes. Il s'agit de la partie concernant l'arrestation et la garde-à-vue de ces six députés en mars 1994. Dans son arrêt argumenté de 14 pages, la Cour, formée de 9 juges, dont le juge turc F. Gölcüklü, conclut à l'unanimité que l'Etat turc a violé les articles 5.3, 5.4 et 5.5 de la Convention européenne des droits de l'homme et le condamne à verser pour dommage moral à Mme. Zana, MM. Alinak, Sakik et Türk qui ont subi une garde-à-vue de 12 jour une somme de 25.000 FF chacun et à MM. Dicle et Dogan, gardés à vue pendant 14 jours une somme de 30.000 FF chacun. La Cour ordonne également à Ankara de " verser aux requérants pour frais et dépens 120.000 FF dans un délai de 3 mois ". Elle affirme que la dérogation de l'article 15 de la Convention qui prévoit la suspension de certaines libertés dans des situations d'urgence mettant en danger la vie et la sécurité de la nation, invoquée par la partie turque, ne peut s'appliquer dans cette affaire où des élus du peuple ont été arrêtés à Ankara, capitale du pays.
L'arrêt de la Cour européenne sur la première partie de l'affaire des députés kurdes constitue d'ores et déjà une condamnation cinglante pour les autorités turques. Il est intervenu plus de 3,5 ans après le recours introduit par les avocats des députés qui attendent maintenant le verdict de la Cour de Strasbourg sur le fond de l'affaire, à savoir la condamnation à de très lourdes peines de prison de ces élus du peuple pour délit d'opinion.
Voici à titre d'information, le texte des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme que, selon la Cour, la Turquie a violées dans l'affaire des députés kurdes :
" 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5. Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. "
La veille, la Cour européenne des droits de l'homme avait également condamné la Turquie pour les violations des articles 6.1 et 6.3c de la Convention européenne dans l'affaire de la condamnation à 12 mois de prison, en 1991, de Mehdi Zana, ancien maire de Diyarbakir, pour une déclaration de celui-ci au quotidien turc Cumhuriyet du 30 août 1987. Les juges de Strasbourg estiment que l'absence de M. Zana lors de son procès devant la Cour de Sûreté de l'Etat de Diyarbakir (alors qu'il était incarcéré dans des prisons militaire ou de haute sécurité de l'Ouest du pays) et la durée excessive de la procédure pénale (3 ans 11 mois) contreviennent aux alinéas susmentionnés de la Convention qui garantissent le droit à un procès équitable. Ils condamnent l'Etat turc à verser à M. Zana 40.000 FF en réparation du préjudice moral subi ainsi que 30.000 FF pour frais et honoraires d'avocats.
Sur la question de savoir si en condamnant M. Zana à une peine de prison d'un an pour une déclaration à la presse l'Etat turc n'a pas violé l'article 10 de la Convention, les juges restent partagés. Dans le texte incriminé Mehdi Zana dit " Je soutiens le mouvement de libération nationale du PKK, en revanche je ne suis pas en faveur des massacres. Tout le monde peut commettre des erreurs et c'est par erreur que le PKK tue des femmes et des enfants ". Devant la Cour, l'ancien maire de Diyarbakir a déclaré que ses propos avaient été mal interprétés, que depuis le début de son engagement politique dans les années 1960 il avait toujours prôné la non violence et c'est pourquoi il avait désapprouvé le massacre de civils attribué au PKK mais qu'il soutenait les objectifs politiques de cette organisation, visant à obtenir un statut reconnu pour le peuple kurde en Turquie. Une majorité de 12 juges de Strasbourg sur 20 estiment que " le soutien apporté au PKK, qualifié de "mouvement de libération nationale ", par l'ancien maire de Diyarbakir, ville la plus importante du sud-est de la Turquie, dans une entretien publié dans un grand quotidien national, devait, dans les circonstances de l'époque des faits, passer pour de nature à aggraver une situation déjà explosive dans cette région et donc la peine d'un an de prison dont il n'a purgé qu'un cinquième n'est pas disproportionné, que " la nécessité de l'ingérence pour raisons de sécurité nationale " invoquée par le gouvernement turc est recevable. 8 juges sont d'un avis différent et considèrent qu'il y a eu violation flagrante de l'article 10 de la Convention et s'inquiètent de l'interprétation sécuritaire donnée par leurs collègues.
Le 28 novembre statuant dans l'affaire de destruction d'un village kurde, la Cour Européenne a une nouvelle fois condamné la Turquie à la somme de 27 795 livres sterling, "pour avoir brûlé des villages du Sud-Est et pour avoir porté préjudice au droit à une vie familiale normale". Le 25 juin 1993, à la suite d'une opération militaire turque, les habitants du village de Riz (district de Genç à Bingöl) avaient été contraints de quitter leurs maisons et leur village avait été brûlé et évacué par l'armée turque. Condamnées à l'exode, Azize Mentese, Mahile Turhalli et Sulhiye Turhalli ont saisi la Commission européenne des droits de l'homme, qui a reconnu le bien fondé de leur requête. Compétente en dernier ressort, la Cour Européenne des droits de l'homme a prononcé la seconde condamnation de la Turquie dans une affaire de destruction de village. Fondé sur la violation des articles 13 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt rejette les allégations de la Turquie selon lesquelles la saisine de la Commission ne peut intervenir que six mois après le jugement national. La Cour a souverainement jugé qu'en ces lieux où l'Etat procède à la destruction de villages sans aucun dédommagement et instruction préalable, le droit n'est pas appliqué et qu'il serait vain de chercher une quelconque justice dans ces conditions.
Le 18 décembre la Turquie a de nouveau fois été condamnée par la Cour européenne. En 1993, dans le hameau de Çekirdek, district de Kulp, les maisons et le bétail de la famille Isiyok, soupçonnée de "soutien au PKK", avaient été abattus par l'armée turque. La famille a saisi la Commission européenne des droits de l'homme, à la suite de l'opération menée par les forces turques dans la région, causant la mort de cinq villageois, morts sous les décombres de leurs maisons détruites par les bombardements. Dans le cadre d'un accord à l'amiable, la Commission européenne a contraint la Turquie à verser la somme de 268 000 francs aux requérants.
Ces condamnations commencent à couter cher à la Turquie. Ces cinq dernières années, 1486 affaires concernant 1648 personnes ont été portées en justice pour arrestations et détentions illégales en Turquie. Sous ce même chef d'accusation, la Cour Européenne des droits de l'homme a été saisie par 300 affaires distinctes, qui ont été communiquées au gouvernement turc.
Dans une lettre, datée du 26 novembre 1997, adressée aux Premiers ministres et ministres des Affaires étrangères des quinze pays membres de l'Union Européenne, Mme Danielle Mitterrand exprime son désarroi quant à la situation tragique dans laquelle s'engouffre les populations turques et kurdes, à l'heure où la Turquie essaie de forcer les portes de L'UE. Voici de larges extraits de sa lettre:
"Je pense que l'entrée dans l'Union douanière n'a apporté aucun crédit à vos espérances de négociations pacifiques et de démocratisation du régime militaire que vous entretenez". Regrettant les violations des droits de l'homme perpétrées par la Turquie elle souligne qu'"en mars 1994on déplorait la destruction de 847 villages kurdes par l'armée et l'assassinat d'environ 1800 intellectuels et démocrates pacifistes par des escadrons de la mort des forces paramilitaires turques parmi euxle poète et dramaturge Musa Anter, le député Mehmet Sincarfauchés pour avoir voulu défendre pacifiquement la dignité et l'identité de leur peuple. 4 ans après on en est à 3 185 villages kurdes évacués et détruits et à environ 3 millions de déplacés kurdes dans les conditions de misères indescriptible dans les bidonvilles."
"Les derniers témoins autochtones de cette immense tragédie humaine, les députés kurdes, dont mon amie Leyla Zana, députée de Diyarbakir, lauréate du Prix Sakharov du Parlement Européen, ont été arrêtés, condamnés à 15 ans de prison". Rappelant l'allégeance de la classe politique turque à l'armée, elle ajoute: "C'est l'ex-premier ministre Erbakan qui dénonce la mainmise totale de l'armée sur la vie politique dans son pays".
"Toute la soumission du parlement et du Gouvernement ne vous inquiète-t-elle pas au moment où vous seriez sur le point d'en faire vos alter ego?"
"Vous ne pouvez ignorez que pour financer sa très coûteuse entreprise de massacres, la Turquie devient de plus en plus un narco Etatil est établi que 80% d'héroïne consommée en Europe vient de la Turquie" poursuit-elle, avant d'interpeller les ministres en ces termes "Ne croyez-vous pas qu'il serait plus honorable pour nos démocraties d'exiger des Turcs de remplir d'abord une série de critères sur le respect des droits de l'homme, l'instauration de la paix civile et d'une démocratie véritable, la reconnaissance d'un statut équitable pour les 15 à 20 millions de leurs citoyens kurdes avant tout examen de leur candidature?"
Mme Mitterrand a conclu sa missive sur ces lignes "C'est à votre conscience d'homme et d'homme d'Etat responsable du devenir de l'Europe et de ses valeurs que je fais appelVous aurais-je un peu troublé au moment de signer pour ou contre? Je le souhaite de tout cur et en mon âme européenne".
Intervenant devant la Chambre des représentants, le vendredi 7 novembre 1997, le congresman Steny Hoyer a appelé ses collègues à signer la lettre adressée au Président Clinton pour la libération de Leyla Zana, lettre déjà paraphée par 153 membres du corps législatif américain. Il a invité ses collègues à rendre visite aux manifestants massés au pied de l'immeuble, protestant contre la détention des parlementaires kurdes, dont Leyla Zana, à qui sa participation à un briefing de la Commission d'Helsinki a été reprochée par les autorités turques. Il a souligné à cette occasion combien il était inconcevable dans une société démocratique, de mettre derrière des barreaux des députés, dont le crime consiste à exprimer les aspirations de leurs électeurs. Il a ajouté que tous les partis pro-kurdes, même les non violents ont été dissous sans aucune exception, écartés de ce fait de toute participation à la vie politique.
D'une manière plus large, M.Hoyer a accusé la Turquie de chercher à résoudre le problème kurde en dehors de ses frontières, alors même que la question se pose clairement à l'intérieur. Il a relaté à cet effet non seulement la politique turque au Sud-Est, mais également la politique américaine dans la région. Membre de l'OTAN et alliée des Etats-unis, la Turquie s'est livrée depuis ces sept dernières années, à des incursions répétées en Irak. Selon M. Hoyer, ces campagnes militaires causent d'innombrables pertes humaines civiles, d'importants déplacements de population, de sévères épreuves économiques et encouragent le soutien des populations locales à la guérilla kurde. "Depuis plus de trois semaines, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), soutenu activement par les forces militaires turques, s'est engagé dans un combat sanglant contre l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK). De nombreux rapports indiquent qu'en violation des conventions internationales, la Turquie utilise des bombes au napalm et à fragmentation" a-t-il ajouté. M. Hoyer, qui est co-président de la Commission Helsinki du Congrès a rappelé que les 15 millions de Kurdes de Turquie font face à l'oppression depuis 1923, date de la création de la Turquie moderne, et que 28 importants soulèvements kurdes, dont le plus récent datant de 1984 et causant la mort de 30 000 personnes, ont eu lieu depuis cette date. D'après les informations gouvernementales, 3 185 villages kurdes ont été vidés de leurs habitants, et plus de 3 millions de personnes ont été déplacés du Sud-est de la Turquie- dont les autorités continuent de refuser à la Croix rouge Internationale l'accès à cette région ravagée par la guerre. M. Hoyer n'a pas manqué de souligner " l'incohérence de la politique du gouvernement américain, qui attribue d'importants fonds à l'UPK, attaquée pourtant par son allié turc, qui passe outre la "zone interdite aux vols aériens", imposée par les Etats-Unis mêmes ". Il a déploré également que son gouvernement puisse apporter son soutien politico-économique à un Etat, ébranlé par une instabilité politique croissante, et a appelé pour que tout soutien américain puisse être subordonné à l'amélioration des droits de l'homme en Turquie.
Dans sa longue inervention, M. Hoyer a cité un rapport intitulé "l'archipel d'Anatolie" de la Commission de protection des journalistes (CPJ), qui chiffre à 78 le nombre de journalistes emprisonnés en Turquie. Cette Commission a conclu, après des recherches méticuleuses, appuyées par des informations fournies par le gouvernement turc, que ces trois dernières années la Turquie a été le pays dont les prisons enferment le plus de journalistes au monde. De plus il a ajouté que les militants des droits de l'homme, tout autant que les activistes kurdes pour la paix, font l'objet d'harcèlement, d'emprisonnement, et pire encore. A ce titre, il a évoqué la peine de 3 ans à laquelle ont été condamnés Yavuz Onen, Akin Birdal, deux leaders d'organisations des droits de l'homme, et Ahmet Türk, ex-député kurde de Mardin, pour avoir rendu public un rapport relatant les relations entre les fonctionnaires et les escadrons de la mort. Il a souligné que 7 autres dirigeants de l'Association des droits de l'homme, accusés pour les propos tenus au cours de la semaine des droits de l'homme en 1996, ont été condamnés à des peines d'un à deux ans de prison. 20 sections de l'Association des droits de l'homme ont été fermées ces dernières années, toutes se trouvaient dans le Sud-est de la Turquie. Par ailleurs, il s'est joint à ses collègues de la Commission d'Helsinki, qui ont introduit une résolution, demandant à ce que la Turquie ne soit pas choisie comme hôte pour le prochain sommet de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), et cela aussi longtemps que la Turquie continuera à violer les conventions internationales et les principes de l'OSCE, auxquels elle s'est engagée.
Les 11 et 13 novembre 1997, deux autres députés américains ont pris la parole devant le Congrès pour évoquer le sort de Leyla Zana et de ses collègues détenus. Voici de larges extraits de ces interventions: Mme Elisabeth Purse: " Je soutiens vivement ce projet de loi (Résolution 137 intervenant à l'encontre des actes de crime de Saddam Hussein et développant l'idée d'une Cour d'Assises Internationale où l'Irak répondra de ses crimes). Aujourd'hui , un groupe de grévistes de la faim met à jour les problèmes des droits de l'homme rencontrés par la population kurde et par les représentants kurdes élus en Turquie. Je voudrais m'associer à mes collègues qui ont pris l'initiative d'adresser au Président Clinton une lettre, paraphée par 153 députés, éclairant sur la situation dramatique de la députée kurde, élue par son peuple, mise en prison pour avoir violé la loi turque. Tout ce qu'elle a fait, c'est de parler haut et fort, comme aurait fait tout autre parlementaireDans notre lettre, adressée à M. Clinton, nous affirmons qu'une des charges retenues contre Mme Zana est d'avoir répondu à l'invitation du Congrès américain en 1993. Nous appelons vivement l'administration américaine à agir pour la libération de Leyla Zana et à se soucier de la situation tragique du peuple kurde en Turquie Il est de notre devoir, en tant que membres du Congrès et de la plus grande démocratie du monde, de dénoncer les violations des droits de l'homme et cela, même si ces violations mettent en cause nos amis tout autant que nos ennemis Je soutiens les grévistes de la faim et aux personnes qui les qualifient de "terroristes", je rétorque que je me souviens encore du temps où Mandela aussi était " un terroriste " en Afrique du Sud. Un terroriste est également un combattant des libertés. Ces gens là, cherchent la liberté de leur peuple ". M. John Porter: "Nous devons arrêter Saddam Hussein, maintenant. Nous devons l'isloleril a utilisé des armes chimiques contre son propre peuple. En 1988, 8000 Kurdes ont été tués à HalabjaSaddam Hussein a torturé, assassiné, kidnappé pour rester au pouvoir. Selon moi, il a manifestement commis des crimes contre l'humanité, la paix et a violé les principes humanitaires. S'il y a une personne au monde, qui mérite d'être conduit devant la Justice, c'est bien Saddam HusseinAu pied de l'immeuble, il y a des Kurdes qui font la grève de la faimdepuis 25 jours et demandent la libération de Leyla Zana, la première femme kurde élue au parlement turc en 1991. Elle est venue aux Etats-unis en 1993 pour témoigner des violations des droits de l'homme à l'encontre de la minorité kurde de son pays Elle est rentrée chez elle, désaisie de ses fonctions par le gouvernement, placée en prison, jugée pour "trahison", condamnée à 15 ans de prison pour avoir donné son opinion et avoir témoigné devant le Congrès des Etats-UnisLes Kurdes ne sont pas des "terroristes", mais un peuple qui revendique ses droitsSont terroristes les gouvernements qui les oppriment et qui nient leurs droits humains les plus élémentaires. "
Après deux opérations en mai et en septembre derniers, l'armée turque vient de lancer une nouvelle offensive. Environ 20 000 soldats, appuyés par des avions de combat F-4 et F-16 et des hélicoptères Cobra et Super Cobra sont entrés le jeudi 4 décembre dans le Kurdistan irakien. Le district de Khwakurk, situé aux confins de l'Iran et de la Turquie en territoire irakien, qui selon les Turcs abriterait entre 500 et 1000 combattants du PKK, a été particulièrement visé jusqu'au 11 décembre, date à laquelle la partie terrestre de l'opération a pris fin en raison des intempéries, alors que les raids aériens se poursuivent dans la limite des conditions métérologiques.
La Turquie, qui en est à sa 57ème opération dans le Kurdistan irakien a été vigoureusement critiquée par les pays voisins pour avoir une nouvelle fois violé le droit international.
Par ailleurs, le quotidien Turkish Daily News indique que les manuvres navales conjointes entre la Turquie, l'Israel et les Etats-Unis, tant contreversées, auront effectivement lieu entre le 5 et 9 janvier. De sources turque et israelienne, celles-ci auront lieu au large des côtes israeliennes, dans les eaux territoriales de l'est méditerrannéen et commenceront au port d'Haifa. Le ministre israélien de la défense, Yitzhak Mordechai, juif du Kurdistan, était en visite officielle en Turquie le 10 décembre. "Cette visite historique a atteint son but: élargir les bases de la coopération avec les TurcsJe décrirai certainement le rapport entre les Turcs et nous comme le développement d'une relation stratégique. Le tout avec le soutien et la coordination des Etats-Unis" a-t-il déclaré. Le 22 décembre, des chefs-adjoint d'état-major des armées turque, israélienne et américaine se sont réuni à Washington pour discuter de la stratégie de ces trois alliés dans cette région du monde.
Zülfü Livaneli, journaliste et artiste turc notoire, résume dans un éditorial paru au quotidien Milliyet du 27 novembre 1997, la chronique des derniers jours dans son pays:
"Enumérons un par un et objectivement les événements d'un jour. Episode 1: Les agents du MIT (service des renseignements), présumés avoir été trempés dans l'assassinat d'Ömer Lütfü Topal (roi des casinos), ont été relâchés. Episode 2: Les policiers qui ont matraqué et traîné les journalistes à même le sol, leur occasionnant des blessures au cours d'une manifestation à Ankara, ont été disculpés. Le tribunal a décidé "qu'ils exécutaient leur mission" et n'a pas retenu l'usage effectif des matraques, malgré des centaines d'images probantes diffusées à la télévision. Faut-il croire à ses yeux ou bien à la décision de la Cour? A la Cour bien sûr! Episode 3: La juge qui a décidé l'arrestation des policiers, présumés avoir participé à l'assassinat de Metin Göktepe (journaliste), à été mutée. Une instruction a été ouverte à son encontre.
Faisons un peu une rétrospective sur ces derniers jours:
La proposition de révision constitutionnelle ayant pour objet de limiter l'immunité parlementaire a été rejetée par l'Assemblée turque. Le Premier ministre Mesut Yilmaz a reconnu que l'affaire Susurluk était dans une impasse et que même les services de renseignements (MIT) ne fournissaient pas d'information. Sa phrase devenue un crescendo est la suivante "Si j'avais su, je ne me serai pas mêlé de cette affaire !" Bravo !
A côté de cela, les enfants torturés à Manisa et qui ont fait leurs dépositions sous la pression, ont été condamnés à une peine de 2,5 à 12 ans de prison. Le parquet a demandé que des peines plus lourdes soient prononcées. Selon le journal Radikal, l'instituteur Bedrettin Sen a été condamné par la Cour de Sûreté de l'Etat à 28 mois de prison et à une amende de 223 millions de livres turques pour avoir lancé des slogans. Ces exemples ne sont pas exhaustifs. Nous sommes comme cela ! D'accord mais, quel est le nom de ce régime? Quel nom peut-on attribuer à ces agissements fermes et résolus et à ces pratiques conduites par une main invisible. C'est à vous de répondre à cette question ! Mais en votre for intérieur ! Il suffirait que vous tombiez par inadvertance sur le nom réel pour qu'ils vous attrapent et vous enferment vous aussi, cinq à dix ans ".
33 islamistes accusés des meurtres de 37 personnes brûlées vives, dans l'incendie de hôtel Madimak à Sivas le 2 juillet 1993 ont été condamnés le 28 novembre 1997, à la peine de mort, par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara. La Cour, par son jugement, a assez largement suivi le réquisitoire du procureur, qui avait réclamé la peine de mort pour 38 des 98 accusés, pour "tentative de changer par la force l'ordre constitutionnel de l'Etat". Le feu avait été allumé par une foule, menée par des intégristes, en réaction aux propos de l'écrivain satirique, Aziz Nesin. Le massacre de Sivas est le plus grave crime fondamendaliste commis en Turquie à l'époque moderne.
Esber Yagmurdereli a été remis en liberté, le dimanche 9 novembre 1997, pour des raisons de santé. Face aux réactions des gouvernements occidentaux et des groupes de défense des droits de l'homme turcs et étrangers, les autorités turques ont invoqué sa santé pour reporter d'un an l'exécution de la peine 23 ans de prison qu'il doit purger. L'avocat Yagmurdereli avait refusé tout régime de faveur, en rejetant l'idée même d'une grâce présidentielle que le président turc Suleyman Demirel s'était déclaré prêt à lui accorder. Paris a appelé Ankara, le 10 novembre 1997, à transformer "en libération définitive" ce report de prison. Mme. Anne Gazeau-Secret, porte parole du ministère français des Affaires étrangères, a déclaré qu'"une révision en profondeur de la législation turque relative aux délits d'opinion, permettrait non seulement de mettre fin à des affaires judiciaires qui ternissent l'image de la Turquie, mais aussi de commencer à répondre réellement aux attentes pressantes des opinions publiques turque et européenne". La Turquie a été appelée à procéder "aux réformes nécessaires à la garantie nécessaire à la liberté d'expression, conformément aux engagements qu'elle a pris en matière de respect des droits de l'Homme". L'Observatoire des droits de l'homme des Etats-Unis a récompensé, le mercredi 12 novembre 1997, l'avocat Esber Yagmurdereli par le prix Hellman-Hammett, décerné chaque année aux écrivains qui font face à l'oppression étatique.
Le Premier ministre turc Mesut Yilmaz a demandé à Oltan Sungurlu, ministre turc de la Justice et au parquet d'Ankara qu'une formule soit trouvée pour que Leyla Zana, figure de proue de la contestation démocratique kurde, soit libérée avant le sommet européen des 12 et 13 décembre de Luxembourg. La sentence de 15 ans, à laquelle elle a été condamnée, s'achevant légalement en 2005, les responsables turcs veulent appliquer l'article 399 du code de la procédure pénale (CUMUK) au cas de Mme Zana, comme cela a été fait pour l'avocat Esber Yagmurdereli. Invoquant la santé de l'ex députée kurde, qui souffre notamment d'une ostéoporose et subit un traitement médical régulier dans un hôpital à Ankara, les autorités veulent ainsi différer l'exécution de sa peine pour des raisons de santé. Consciente de la manipulation politique turque, Mme Zana a adressé une lettre à Mesut Yilmaz pour lui dire qu'elle n'accepte pas de mesure individuelle, qu'elle ne demande pas de compassion mais justice. "A mes yeux, la libération du peuple kurde a plus de valeur que ma vie" écrit-elle Par ailleurs, elle a écrit au Président Clinton, une lettre où elle affirme notamment "vivre sous l'oppression et la violence perpétuelles des différentes autorités". Elle appelle les Etats-Unis à uvrer pour mettre fin "à la souffrance et l'angoisse des peuples kurde et turc".
A Londres, Amnesty International a publié, le 10 décembre, un texte de 12 pages intitulé "Les couleurs de leurs vetements: des députés en prison pour 15 ans pour l'expression de l'identité politique kurde" sur le sort des 4 députés kurdes détenus depuis mars 1994 à Ankara. Faisant l'historique de cette affaire et après un examen rigoureux de l'ensemble des pièces du dossier, de l'acte d'accusation et du verdict, Amnesty International affirme que "Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak ont été condamnés après un procès injuste qui n'aurait jamais dû avoir lieu du tout" et qu'ils "sont des prisonniers de conscience emprisonnés simplement pour l'expression pacifique de leurs convictions". Rappelant que le Groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire avait, le 30 novembre 1995 conclu que l'emprisonnement de ces quatre députés est arbitraire et qu'il contrevient aux articles 10 et 11 de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme, que des institutions internationales comme le Parlement européen, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l'Union inter-parlementaire ont adopté des résolutions de soutien aux députés kurdes et demandé leur mise en liberté, Amnesty lance une campagne internationale pour obtenir "la libération immédiate et inconditionnelle de ces quatre députés".
Le 19 décembre, un meeting de solidarité avec Leyla Zana a été organisé à Dusseldorf, à l'initiative de Fraueninitiative " Freiheit für Leyla Zana " et du ZAKK (Centre d'action culturelle et de communication). Mme. Danielle Mitterrand, Mme. Ilse Ridder-Melchers, ministre responsable de la question des femmes du gouvernement régional de Rhénanie-Westphalie, étaient présentes à cette soirée au cours de laquelle des textes de Leyla Zana ont été lus. Des participants et des journalistes ont longuement interrogé Mme. Mitterrand pour son action en faveur des Kurdes et pour la libération de Leyla Zana.
Le bilan du mois d'octobre des violations des droits de l'homme rendu public le mardi 18 novembre se présente comme suit:
Par ailleurs, le 30 novembre, le rapport 1997 d'Amnesty International, sur les violations des droits de l'homme dans 150 pays a été rendu public à Londres. L'organisation internationale consacre une large section de ce rapport à la Turquie en dénonçant la mort de 25 personnes et la disparition de 32 autres au cours des gardes à vue. L'Amnesty rappelle que 14 personnes ont été condamnées à la peine capitale après un jugement arbitraire et chiffre à plus de 2500 les victimes de la guerre entre le PKK et la Turquie en 1997. Les enquêteurs critiquent longuement les réstrictions considérables à la liberté d'opinion et les rebondissements scandaleux de l'affaire Göktepe. Les investigations révèlent que les enfants sont sujets à la torture et qu'à Manisa 16 lycéens ont subi des sévices à la suite des gardes à vue. Le rapport donne l'exemple de l'affaire Mahir Göktas, âgé de 14 ans, électrocuté par ses orteils au commissariat de Manisa et dont le dossier d'instruction des policiers incriminés est toujours en cours. Par ailleurs, la destruction des villages kurdes par l'Etat, de même que les différents massacres orchestrés par les forces de l'ordre dans les prisons, sont également soulignés.
Le tout-puissant Conseil national de Sécurité turc (MGK), par l'intermédiaire duquel l'armée exerce son influence politique, a appelé le 26 novembre 1997 le gouvernement à interdire des centaines de télévision et de radios locales accusés de faire de la propagande islamiste. Le MGK a déclaré "avoir demandé au gouvernement de prendre des mesures légales contre des médias qui opèrent en violation des principes fondamentaux et indispensables de la constitution". La décision du Conseil est la dernière d'une série de mesures réclamées par l'armée afin de lutter contre ce qu'elle appelle "la montée de l'islam politique". D'un autre côté, ce même Conseil a décidé dans la foulée que l'adhésion à l'UE "ne sera plus à l'ordre du jour de la Turquie" si l'UE ne prend pas une décision favorable à Ankara lors de son sommet de décembre. Le MGK a estimé, lors de sa réunion mensuelle, que l'UE "leurre la Turquie avec ses fausses promesses à propos de son adhésion".
Chaque semaine les Cours de Sûreté de l'Etat interdisent, dans la quasi-indifference générale, des livres, des journaux, des périodiques. Un exemple récent de cette censure de routine, l'interdiction le 13 novembre par la Cour de Sûreté de l'Etat n°5 d'Istanbul d'un livre en turc "La question kurde du point de vue de la citoyenneté et une proposition de solution". Son auteur, Dr. Tarik Ziya Ekinci, ancien député de Diyarbakir, est une personnalité de gauche connue et réputée qui, après le coup d'Etat militaire de 1980, a dû vivre pendant plusieurs années en exil en France. Ses opinions pacifiques sont également de notoriété publique. Dans son essai, il analyse la politique des gouvernements turcs successifs envers la communauté kurde, explique les raisons de l'impasse de cette politique de négation et de destruction de l'entité kurde et avance une proposition de solution pour le règlement du problème dans le cadre des frontières existantes avec une nouvelle conception de citoyenneté et de pluralisme culturel:
La Cour turque estime qu' "en évoquant les persécutions subies par le peuple kurde", l'auteur commet "le crime d'incitation ouverte de la population à la haine et à la confrontation par des considérations de différence de race, de langues et de région", crime puni par l'article 28 de la Constitution et la loi n° 5680. Elle ordonne la saisie du livre et engage des poursuites contre son auteur septuagénaire qui a déjà fait plusieurs séjours dans les prisons turques pour délit d'opinion. Dans un communiqué rendu public à Istanbul, Dr. Ekinci a déclaré qu'il poursuivrait jusqu'à la mort son combat pacifique en faveur de la justice pour son peuple, de la démocratie et de la paix. En 1994, son frère cadet, l'avocat Yusuf Ekinci, avait été enlevé en plein Ankara par un escadron de la contre-guerilla turque et sauvagement assassiné.
La Turquie a refusé de signer, le 5 décembre, le traité, paraphé par 125 pays, interdisant les mines antipersonnelles dans le monde. "Nous devons protéger nos frontières. Bien que nous respections les raisons de ce traité, pour assurer la sécurité de nos frontières, nous devons prendre des mesures" ont déclaré en guise de justification des responsables turcs. Interrogés sur la question, ils ont répliqué que la Turquie avait pris part aux discussions sur l'interdiction des mines à la conférence sur le désarmement de Genève et qu'un moratorium unilatéral, signé par la Turquie en janvier 1996, avait exclu tout exportation et transport de mines durant trois ans. De plus, les responsables militaires turcs ont déclaré que la plupart des pays signataires n'ont pas de longues frontières terrestres ou des problèmes de sécurité comme la Turquie. Le 8 décembre, 11 civils kurdes - femmes et enfants - ont été tués et 8 autres ont été blessés losqu'un minibus a percuté une mine dans la ville de Mardin.
Le juge Akman Akyurek chargé par le Parlement turc d'enquêter sur les liens entre l'Etat, la mafia et la police et sur les assassinats politiques non élucidés a été tué le 8 décembre dans un curieux accident de circulation. Sa voiture a heurté par derrière un poids lourd sur l'autoroute d'Istanbul. D'après l'enquête, le juge au volant de sa voiture, n'a pas utilisé les freins avant le choc fatal et surtout la voiture et le poids lourd se sont heurtés du même côté gauche, alors qu'ils sont supposés avoir circulé dans la même direction. Les experts cités par le Turkish Daily News du 10 décembre, suspectent une conspiration. Telle est également l'opinion de nombreux députés. L'un d'eux, Mahmut Isik, député CHP de Sivas, affirme dans le Milliyet du 11 décembre que "les gangs sont toujours tout puissants, plus puissant que nous, ils suppriment tous ceux qui détiennent certaines informations. Bientôt, ce sera notre tour". Ce député avait échappé le mois dernier à un attentat pour sa lutte contre la mafia. Malgré le danger qui pèse sur sa vie il refuse les gardes du corps proposés par la police car pour lui l'ensemble de l'appareil de l'Etat est gangréné et la police est plus dangereuse que les autres corps d'Etat. Il propose la création d'une cour spéciale formée de hauts juges à la probité éprouvée pour lutter contre la mainmise de la mafia sur l'Etat.
De son côté, l'ancien ministre Fikri Saglar, membre de la commission d'enquête parlementaire sur le scandale de Susurluk qui, à la suite d'un accident de circulation survenue le 3 novembre 1996, avait révélé à l'opinion l'interprétation de la mafia, de la police et de la classe politique turque a appelé tous ceux qui ont des documents et des informations sur cette question de les conserver précieusement "car cela est d'une importance cruciale pour le futur de la Turquie".
La presse révèle que la mort du juge qui en savait trop fait suite à la mort le 29 août d'un inspecteur de l'Organisation nationale du renseignement (MIT) qui enquêtait également sur les relations entre l'Etat et la mafia. Il est mort avec sa femme et sa fille en heurtant lui aussi par derrière un gros camion. La MIT avait interdit à la presse de faire état de cet "accident". On sait bien que les routes sont dangereuses en Turquie, ironise un commentateur, mais tout de même, qu'est ce qu'ils ont tous à aller s'écraser derrière des gros camions !
Interrogé sur les problèmes d'application des jugements rendus executifs, Yekta Güngör Özden, président de la Cour Constitutionnelle turque, a déclaré dimanche 21 décembre, que "notre pays n'est pas totalement un Etat de droit et la Justice n'est pas tout à fait indépendante". La réaction du haut conseil "d'éthique" des magistrats est vivement attendue, puisqu'il avait été à l'origine de la procédure engagée à l'encontre du procureur Mete Göktürk, qui avait déclaré lui aussi que "la Justice n'est pas indépendante en Turquie ".
Selon le dernier recensement la Turquie compte 62 606 157 habitants. En 1990 elle comptait 56 473 035 habitants. Les chiffres montrent une nette diminution de la population rurale; 65,07% de la population vit désormais dans les villes contre 34,93% pour la campagne. En 1990, la population urbaine atteignait 59,21% et la population rurale 40,79%. 15 départements ont plus d'un million d'habitants-Istanbul en tête de la liste avec 9 198 000 habitants, suivi d'Ankara avec 3 684 000 h , Izmir 3 174 000 h, Bursa 1 978 000 h. Toutes ces villes compent désormais de fortes communautés kurdes. Au Kurdistan, où les conditions de recensement ont été vivement critiquées par plusieurs maires, les départements suivants ont plus d'un million d'habitants: Diyarbakir (1 318 276 h) , Sanliurfa (1 252 149 h) et Gaziantep (1 136 364 h) La population totale des 23 provinces kurdes et des districts kurdes des provinces de Hatay, Maras et Sivas s'élève à 13 346 000 h, soit 21% de la population de la Turquie.
La Turquie compte 25 000 000 d'enfants (de 0 à 18 ans); un quart de la population infantile n'a aucune couverture sociale, 540 000 sont orphelins, 22 000 sont à la rue et 1 400 sont en prison. En réalité, 8 000 000 d'enfants vivent dans la pauvreté, 21% ne savent pas lire et écrire et 29% des petites filles ne sont pas autorisées à aller à l'école. De plus, 3 200 000 d'entre eux ont été contraints à l'émigration vers l'ouest en raison de la guerre du Kurdistan. Le recensement turc n'a pas pris en compte ni la langue maternelle des gens ni la profession des femmes.
La Turquie a rejeté, le 15 novembre, un programme d'aide financière conditionnelle de 40 millions de dollars voté le 13 novembre par le Congrès américain. Celui-ci demandait que la moitié de cette somme, $20 millions, soit fournie aux actions en faveur "du règlement des problèmes régionaux " par le biais des ONG et institutions luttant en faveur de la démocratie et des droits de l'homme. Comme la région en question est le " Sud-Est " (lire Kurdistan) et que les ONG susceptibles d'uvrer en faveur d'un règlement pacifique de ses problèmes sont précisément celles qui critiquent régulièrement la politique du gouvernement turc dans cette région et qu'elles font, à ce titre, l'objet de tracasseries et de persécutions de la part des autorités turques, celles-ci y voient "une ingérence dans les affaires intérieures de la Turquie ".
Ce programme ayant été voté sous une forme identique par le Sénat, la Chambre et la Conférence des deux assemblées, il est devenu définitif. La Turquie en a pris acte et son ambassadeur à Washington, M. Nuzhet Kandemir, a officiellement écrit à Mme Allbright, au Président de la Chambre des représentants et aux leaders de la majorité et de la minorité du Sénat que "son gouvernement n'acceptera aucune aide conditionnelle ".
Déjà l'année dernière Ankara avait refusé une aide similaire parce qu'elle était conditionnée à "l'ouverture d'un corridor d'aide humanitaire pour les vols à destination de l'Arménie ".
Le programme ESF (American Economic Support Fund) est une survivance de la guerre froide. Son volume a d'ailleurs beaucoup diminué, passant de $ 250 millions en 1991 à $ 40 millions en 1998 dans le cas de la Turquie. Ce pays qui a tiré $ 25 milliards du trafic de drogue en 1995 (cf. Hürriyet du 27 décembre 1996) et $37,5 milliards en 1996 n'a que faire de cette menue monnaie américaine, surtout si une partie est destinée à renforcer les ONG des droits de l'homme, ses " pires ennemis".
L'association Atatürk américaine a décerné le mercredi 26 octobre 1997, "le prix de la démocratie et de la laïcité 1997" à l'armée turque. Le Général Çevik Bir, chef-adjoint de l'état-major turc s'est rendu aux Etats-Unis pour recevoir ce prix au cours d'une cérémonie à la quelle étaient présents Nüzhet Kandemir, l'ambassadeur turc à Washington, Mark Parris, son homologue américain en Turquie. "Atatürk et l'Atatürquisme est un idéal auquel la République turque sera liée à jamais" a-t-il déclaré au cours de son discours. Critiquée par la communauté internationale pour sa brutalité envers les Kurdes, l'armée turque, gardienne de la pensée unique d'Atatürk semble satisfaite de recevoir un prix donné par une obscure association de Turcs des Etats-Unis. Le Général Bir a néanmoins profité de sa visite pour rencontrer son homologue américain, promettre "une solution par le dialogue pour le problème kurde" et inviter les Américains à participer au marché d'achat de 145 hélicoptères de combat dont le délai de soumission expire le 31 décembre.
Au nom de la défense de la démocratie, Mme Çiller avait le 28 décembre lancé un appel demandant l'arrêt des poursuites légales contre le parti islamiste Refah, son ex-partenaire de coalition. Elle a cru devoir faxer une copie de son appel au bureau du chef d'État-major des armées qui dans cette affaire joue un rôle décisif.
Le jour même, elle a eu droit à une réponse cinglante reproduite à la Une du quotidien Milliyet du 29 décembre: " les forces armées turques sont une institution sérieuse. Elles n'ont pas de temps à consacrer à des sujets hors de leur domaine d'intérêt et de compétence; de ce fait le texte que vous nous avait faxé vous est renvoyé ci-joint sans être porté à la connaissance du Commandement. Signé Hüsnü Dag, colonel d'artillerie, chef du Bureau de relations avec la presse et le public".
L'ancien Premier ministre, qui fut pendant des années une mascotte de l'armée et qui se fit une propagandiste zélée des militaires, n'a apparemment même pas droit à un minimum d'égards et de politesse de la part des tout puissants généraux turcs.