tags: N° 158-159 | mai-juin 1998
MONSIEUR. Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'Homme (IHD) depuis 1992 et vice-président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'homme (FIDH) a été grièvement blessé dans un attentat perpétré le 12 mai dans son bureau par deux personnes non identifiées. Les agresseurs ont tiré treize fois sur M. Birdal qui a été gravement touché à la poitrine et aux jambes. M. Birdal, qui a subi une importante opération chirurgicale dans un hôpital proche pendant plus de quatre heures, a pu finalement être sauvé et se rétablir progresivement.
Selon Husnu Ondul, l'avocat de M. Birdal, ce dernier a récemment "reçu des menaces anonymes (...) L'État turc ne lui a jamais donné la protection policière demandée par l'association". Le ministre de l'Intérieur, Murat Basesgioglu, a nié pour sa part ces propos.
Agronome engagé de longue date dans le combat pacifique pour la démocratie, M. Birdal, 50 ans, avait purgé une peine de prison d'un an après le coup d'État militaire de septembre 1980. En 1997, il avait été condamné à un an de prison par la justice pour des propos "séparatistes" et "incitation à la haine raciale" . Son cas est actuellement devant la Cour de cassation après un pourvoi introduit par ses avocats. Il fait aussi l'objet d'une vingtaine de procès pour "propagande séparatiste". Accusé à maintes reprises par plusieurs quotidiens et certains dirigeants turcs "d'agir en faveur du PKK", son nom avait été récemment mentionné parmi les personnes qui avaient apporté leur soutien au PKK dans les "aveux" de Semdin Sakik, ancien commandant du PKK en Turquie, arrêté à la mi-avril dans le nord de l'Irak lors d'une opération de l'armée turque. M. Birdal avait cependant rejeté en bloc "ces accusations destinées à discréditer puis à éliminer les troubles-fête".
Le fait de discréditer des opposants par des campagnes de presse orchestrées par la police politique (MIT), de les désigner à la vindicte populaire comme des "traîtres" ou des "terroristes" avant de les faire assassiner par des escadrons de la mort est une pratique désormais classique du régime turc. Le Premier ministre turc et son ministre de l'Intérieur ont d'ailelurs tenté de faire croire qu'Akin Birdal aurait été victime " d'un réglement de compte interne au PKK " alors même qu'une organisation illégale d'extrême droite, la Brigade turque de vengence (TIT) revendiquait l'attentat.
L'attentat et les réactions intempestives des autorités turques ont suscité une vive émotion dans plusieurs pays occidentaux, une émotion à la mesure de la notoriété d'A. Birdal et du respect qu'inspire son action. M. Klaus Kinkel, chef de la diplomatie allemande, a été le premier à réagir en "déplorant profondément" l'attentat et en espérant que l'affaire soit "rapidement éclaircie". Il a précisé qu'il connaissait ce défenseur courageux des droits de l'homme pour l'avoir rencontré plusieurs fois, la dernière à Ankara, en mars 1997. La présidence de l'Union européenne, dans un communiqué de presse rendu public à Londres, indique: "Nous avons appris avec stupeur et consternation le lâche attentat contre Akin Birdal". L'UE "condamne cet attentat" et "soutient fortement les déclarations des autorités turques selon lesquelles tous les efforts seront faits pour transmettre ses responsables à la justice". À Paris, une porte-parole du ministre des Affaires étrangères a exprimé "l'émotion de la France" et rendu hommage "au combat mené sans relâche par M. Birdal en faveur des droits de l'homme". "Nous voulons croire que cet événement renforcera en Turquie la détermination de tous ceux qui, y compris au sein du gouvernement, partagent cet objectif et se battent pour la démocratisation" a-t-il ajouté. L'Italie est "indignée" et "déplore" l'attentat perpétré contre M. Birdal a déclaré le ministère des affaires étrangères qui a souligné que pour Rome "l'adoption par le gouvernement d'Ankara de normes européennes en matière des droits de l'homme constitue la condition indispensable pour un rapprochement progressif de ce pays vers l'Europe".
De son côté la Grèce a stigmatisé "les mécanismes autoritaires qui terrorisent les citoyens désireux de dire librement leurs opinions en Turquie, qui reste une démocratie grise prisonnière de ces mécanismes". "Cet attentat n'est pas seulement un coup porté contre M. Birdal mais aussi contre la démocratie et les droits de l'homme qui sont en fait vides de contenu en Turquie" a conclu le porte-parole grec.
À Paris, dans une lettre ouverte adressée au président turc, Suleyman Demirel, Mme Mitterrand, présidente de la Fondation France-Libertés et du CILDEKT, a exprimé son "indignation" face "à cet attentat atroce qui participe à la vague de persécutions, de menaces et d'assassinats des défenseurs des droits de l'homme" et a ajouté: "nous nous interrogeons sur la capacité de votre gouvernement de rétablir un État de droit en Turquie".
A Londres, Amnesty a accusé les autorités turques d'avoir "créé le climat" propice à l'attentat. "Les autorités turques ont tenté avec persistance de discréditer l'Association turque des droits de l'homme (IHD) et n'ont ni mené d'enquête ni condamné les précédentes attaques contre ses représentants" indique le communiqué d'Amnesty qui ajoute: "Plus de 10 membres de l'IHD ont été assassinés depuis 1991 (...) Il apparaît que ces meurtres n'ont pas fait l'objet d'enquêtes correctes, et même que leurs auteurs ont été protégées".
Cette opinion est également partagée par de larges secteurs de l'opinion turque. Ainsi, pour Recai Kutan, président du groupe parlementaire du parti islamiste, la Vertu, "il est impossible de parler de la démocratie et des droits de l'homme dans un climat où le président de l'Association des droits de l'homme est accusé sans aucun fondement légal et ouvertement désigné comme cible pour des tueurs". Cet argument a été repris par Aydin Erdogan, avocat à l'IHD: "Birdal a été désigné comme une cible ces derniers jours. C'était une invitation au meurtre".
Le 14 mai, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant "avec la dernière rigueur" l'attentat commis contre Akin Birdal. Pour les euro-députés Akin Birdal, est "un militant hautement respecté" ayant "régulièrement informé des délégations européennes, des ambassadeurs et plusieurs membres du Parlement" et ayant fait l'objet de "fortes pressions" de la part des autorités turques, dont "plusieurs procédures judiciaires", "engagées contre lui pour ses activités en faveur des droits de l'homme" alors "que l'on n'a pas fait grand-chose pour traduire en justice les auteurs d'attentats commis contre d'autres membres de l'Association".
Le Parlement européen a fait part de sa "très vive émotion et de l'indignation que lui inspire l'attentat commis contre Akin Birdal" et s'inquiète "de ce qu'un tel attentat ait été le résultat du climat crée par l'impunité dont jouissent actuellement les personnes responsables d'attentats commis contre d'autres membres d'organisations de défense des droits de l'homme et contre des journalistes" . Il "invite les autorités turques à faire en sorte que les auteurs et les commanditaires de ce crime, et d'autres crimes de même nature, soient traduits en justice"() et demande aux autorités turques "de faire en sorte que l'IHD et les autres ONG uvrant dans le domaine des droits de l'homme puissent exercer librement leurs activités de défense et de promotion des droits de l'homme".
À Washington, dans une lettre datée du 15 mai et adressée aux autorités civiles et militaires turques avec copies au président Clinton, à Mme Albright et à Mme Mary Robinson, Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme, 24 ONGs américaines ont demandé l'ouverture immédiate d'une enquête sur l'attentat perpétré contre A. Birdal et écrivent :
"Le travail de M. Birdal et d'IHD est reconnu et respecté internati-onalement. M. Birdal est vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH). L'IHD comme le plus grand groupe de surveillance des droits de l'homme en Turquie continue de payer un lourd prix pour sa défense des droits de l'homme et de la démocratie. Comme vous le savez, plus d'une douzaine de bureaux d'IHD ont été fermés par le gouvernement, des douzaines de ses membres ont été tués par des escadrons de la mort et ses leaders font face à des poursuites légales continuelles. Malgré une répression sévère et un grand risque personnel, Akin Birdal et ses collègues ont continué à parler haut.
Nous croyons que l'attaque contre Akin Birdal est une attaque contre les droits de l'homme, la démocratie et le militantisme non violent. En tant que leader d'un gouvernement professant son engagement pour les normes internationales des droits de l'homme, il est essentiel que les agresseurs d'Akin Birdal et les autres responsables de l'attaque soient conduits devant la justice. Il est encore plus essentiel que l'atmosphère critique envahissante qui alimente de telles attaques politiquement motivées soit dissipée afin d'éviter davantage d'effusion de sang.
Nous vous appelons encore à mener une enquête rapide et complète et à prendre des mesures pour empêcher d'autres attaques contre les défenseurs des droits de l'homme alors qu'ils accomplissent leur important travail".
Cette lettre est signée notamment par Center for Victim of Torture, International Human Rights law Group, Human Rights Alliance, World Organization Against Torture/USA, Robert F. Kennedy Memorial Center for Human Rights, Physician for Human Rights et Washington Kurdish Institute.
De son côté, Le Secrétaire d'État-adjoint américain, chargé des droits de l'homme, a écrit le 12 mai à Akin Birdal qu'il avait rencontré à plusieurs reprises. Extrait de cette lettre parue dans le Turkish Daily News du 15 mai :
"J'ai été profondément choqué et attristé d'apprendre l'attaque contre votre vie ce matin. De tels actes n'ont pas leur place dans une société démocratique. Le gouvernement des États-Unis a condamné cette attaque dans les termes les plus forts et a appelé le gouvernement turc à remettre à la justice les auteurs de ce crime haineux. Je ne suis pas le seul à croire que la Turquie vous doit une dette de gratitude pour votre travail courageux en faveur des droits de l'homme en Turquie. Votre groupe et la communauté des ONGs des droits de l'homme jouent un rôle vital en promouvant une plus grande démocratie. Nous continuons d'appeler le gouvernement turc à favoriser une atmosphère où de tels groupes puissent opérer librement et ouvertement sans crainte d'intimidation pour que la démocratie puisse s'épanouir en Turquie".
Le 18 mai , Me Patrick Baudoin, président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, s'est rendu en Turquie où il a pu rendre visite à Akin Birdal à l'hôpital Sevgi d'Ankara. Dans une conférence de presse donnée à la sortie de l'hôpital, Me Baudoin a indiqué que la famille de la FIDH "a vécu avec émotion et tristesse" l'attentat commis contre son vice-président A. Birdal. "Nous sommes ici pour manifester notre soutien et notre solidarité envers Akin Birdal et les défenseurs des droits de l'homme et rappeler aux dirigeants du pays, leurs responsabilités. Nous ne pouvons plus nous contenter de paroles rassurantes des autorités turques". Le président de la F.I.D.H. a ensuite lu à la presse le texte de la lettre ouverte adressée au président turc S. Demirel et au Premier ministre M. Yimaz. Pour la FIDH "il ne suffit pas de condamner l'attentat visant Birdal. Les autorités turques devraient prendre des mesures concrètes pour rechercher les auteurs de l'attentat du 12 mai, les arrêter et les remettre dans les plus brefs délais à la justice."
Enfin, le ministre britannique des Affaires étrangères lors de son voyage éclair du 21 mai à Ankara, a tenu à rendre visite au président de l'IHD dans sa chambre d'hôtel, pour prendre de ses nouvelles et lui souhaiter un prompt rétablissement. Parlant de Birdal, M. Cook a déclaré: "Nous suivons depuis longtemps l'IHD. Nous appréciions la sensibilité qu'il (Birdal) a montrée sur la question des droits de l'homme et son rythme de travail". Soulignant que l'attentat contre Birdal avait conduit à des réactions adverses dans l'Union européenne, le ministre britannique dont le pays assume la présidence de l'UE a indiqué à Birdal que tous les pays européens avaient condamné cette attaque. "Nous poursuivons le combat honorable que vous avez mené sur la voie de développement d'une culture des droits de l'homme" a assuré M. Cook avant d'ajouter que "les autorités turques doivent retrouver les auteurs de l'attentat".
Remerciant le ministre britannique de sa visite hautement symbolique, le président de l'IHD lui a dit que l'attentat contre sa personne avait été organisé par ceux qui veulent éloigner la Turquie du processus de l'Union européenne et que lui-même et ses collègues s'efforcent de faire de la Turquie un pays démocratique où la paix sociale soit assurée. Rappelant que son association (IHD) était présentée par certains cercles comme "ennemie de l'État", Birdal a souligné qu'elle ne faisait que militer pour la paix et les droits de l'homme. "La Turquie doit être un pays qui respecte les normes de l'Union européenne où la paix sociale est en vigueur et où chaque personne peut s'exprimer librement. L'IHD est ennuyée par la réputation de la Turquie pour les violations de droits de l'homme. Avec ces actions menées contre moi, il y a eu des efforts de pousser la Turquie, qui s'éloigne chaque jour du processus de l'UE, hors de ce processus" a conclu A. Birdal à son illustre visiteur britannique.
Cette visite a donné lieu à des incidents entre la police et les responsables de l'IHD. Malgré les objections de ces derniers, trois policiers turcs, arguant des impératifs de sécurité sont entrés dans la chambre de Birdal et assisté à l'entrevue de celui-ci avec M. Cook, accompagné de l'ambassadeur britannique, David Logan. Selon l'IHD, l'un des policiers aurait enregistré toute la conversation. Outre M. Cook, A. Birdal a reçu la visite d'une délégation d'eurodéputés socialiste et celle du président du Parlement autrichien, M. Fischer, en visite officielle à Ankara. Par ailleurs, dans plusieurs villes, notamment à Ankara et Diyarbakir, des milliers de manifestants pacifiques ont protesté contre l'attentat visant le président de l'IHD.
Ces fortes pressions extérieures et intérieures ont conduit les autorités turques à arrêter les exécutants de l'attentat. Le 22 mai, 6 Individus ont été arrêtés par la police turque. Parmi eux, les deux exécutants, B. Eken et K. Deretarla, qui ont tiré 13 coups de feu sur Birdal ; et un sous-officier de la gendarmerie, Cengiz Erserver, en poste à Büyükçekmece, près d'Istanbul, considéré comme l'organisateur de l'attentat, et divers complices. Lors d'une confrontation effectuée le 25 mai à l'Hôpital Sevgi d'Ankara où il est soigné, A. Birdal a reconnu formellement les deux pistolero. Ceux-ci sont d'ailleurs passés aux aveux. Ils ont raconté comment ils avaient été recrutés, présentés au sous-officier Ersever, entraînés "pendant 90 jours dans la forêt de Silivri avec une quinzaine d'autres Ulkucu (militants d'extrême droite) à leurs missions futures". " Sur ordre d'Erserver, ils sont venus à Ankara 4 jours avant l'attentat pour faire des repérages. Leur mission était d'enlever Birdal pour l'amener dans le fameux triangle de la mort" autour de Silivri, sur la route d'Ankara - Istanbul pour "l'interroger" avant de l'abattre "dans l'intérêt de la Grande Nation Turque". Selon eux, l'entrevue avec le président de l'IHD ne s'est pas déroulée comme prévue. Quand Birdal a eu des soupçons et cherché à les éconduire sous prétexte d'un rendez-vous, ils ont décidé de l'abattre. Après leur forfait ils ont confié leurs armes à un complice à Ankara puis loué un taxi pour aller rendre compte à leur chef Ersever.
La presse turque présente ce dernier comme "le bras droit de Yesil, alias Mahmut Yildirim" dit aussi le "Terminator" ou l'"ange de la mort", l'un des principaux animateurs des escadrons de la mort turcs opérant sous des noms divers et agissant pour le compte et avec la protection du Bureau de la guerre spéciale. Plus de 4500 meurtres de civils sont imputés à ces escadrons. Des preuves des connexions étroites de Yesil avec à la fois les servies de renseignement de la Gendarmerie (JITEM) et de la police politique (MIT) ont été à maintes fois publiées par les journaux turcs à la suite du scandale de Susurluk. L'un des chefs de la police, Hanifi Avci, ancien directeur-adjoint du bureau de renseignement de la Direction Générale de la Sûreté, qui a été à l'origine d'une partie de ces révélations sur les liens entre certains services de l'État, la mafia de l'extrême droite et les gangs, comparaissant le 25 mai devant la Cour de Sûreté de l'État pour "divulgation des secrets d'État" a déclaré au quotidien Hürriyet "Si on m'avait écouté on aurait démantelé et mis hors d'état de nuire tous ces gangs et il n'y aurait pas eu d'attentat contre Birdal. Les gens impliqués dans cet attentat, en particulier Erserver, sont des hommes de Yesil. Des transcriptions d'écoutes téléphoniques établissent que Yesil et Erserver se parlaient parfois une vingtaine de fois par jour. On ne m'a pas écouté. Yesil et ses hommes impliqués dans tant de meurtres, de rackets et de trafics divers se promènent en toute liberté. Et moi, je suis traduit devant les tribunaux, menacé de 15 ans de prison pour avoir dit la vérité et demandé un État propre".
Le sous-officier Ersever a reconnu "avec fierté" avoir organisé l'attentat contre Birdal après "les révélations" attribuées à S. Sakik tendant à accréditer l'idée que le président de l'IHD serait un partisan du PKK. Cependant, pour les observateurs, Erserver lui-même n'est qu'un rouage et la justice turque n'osera pas pousser son enquête jusqu'aux véritables donneurs d'ordre de tuer. Le Premier Ministre turc, M. Yilmaz, qui avait solennellement promis de tirer rapidement au clair l'affaire de Susurluk et les autres scandales des meurtres non élucidés a dû, assez rapidement, y renoncer. Interrogé par la presse, le ministre turc de l'Intérieur a affirmé qu'"il ne pourrait pas répondre à la question de savoir où est Yesil, s'il est mort ou vivant".
'Assemblée nationale a adopté vendredi 29 mai 1998, en première lecture et à l'unanimité des présents, une proposition de loi socialiste disposant dans son article unique que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Ausitôt, la Turquie a fait part de sa "déception" et les médias turcs ont déclenché une virulente campagne de presse contre la France.
"La décision prise aujourd'hui par les députés français n'a aucune autre signification qu'une falsification des faits historiques", a affirmé le président turc Suleyman Demirel qui a ajouté : Il y a certains milieux occidentaux qui n'ont pas oublié le traité de Sèvres. L'empire ottoman a donné naissance à 26 États à l'exception d'Arméniens et des Kurdes et il n'y aura jamais d'États arménien et kurde en AnatolieLa Turquie reconnaît ses ennemis (...) Si tous ses ennemis s'efforcent de s'unir contre la Turquie, elle a la capacité de faire face". Le vice-Premier ministre Bulent Ecevit a souligné de son côté:"la France nous semblait être le plus proche allié de la Turquie au sein de l'Union européenne. Nous constatons que nous avons été trompés. C'est extrêmement dur". M. Ecevit qualifie la proposition de "déformation historique", alors que le rapporteur du texte, le socialiste René Bousquet rappelle que "le total des morts oscille entre 1 00 000 selon les publications arméniennes et 800 000, chiffre reconnu en 1919 par le ministre de l'Intérieur turc et accepté par Mustafa Kemal".
Dans une lettre adressée à son homologue français, Lionel Jospin, le Premier ministre turc, Mesut Yilmaz écrit que "le peuple turc ne peut accepter l'utilisation du terme "géno-cide" pour décrire les tristes événements qui se sont produits durant la Grande Guerre et il se sent injustement accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, à une époque marquée par de grandes souffrances des deux côtés".
La Turquie reconnaît la réalité de massacres mais rejette toute motivation "génocidaire". En marge d'une réunion de l'OTAN à Luxembourg, le ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine et son homologue turc, Ismail Cem s'étaient rencontrés jeudi 30 mai 1998 pour débattre de cette proposition de loi. Ismail Cem avait fait savoir que les bonnes relations politiques et commerciales franco-turques pourraient se détériorer si celle-ci était adoptée. Les pressions sont toujours d'actualité puisque le Sénat devrait examiner ce texte à l'automne.
Le ministre de la Défense turc, Ismet Sezgin, a souligné le 5 juin que les compagnies françaises pourraient être écartées d'importants projets de l'armée turque et ajouté que'"en choisissant les pays auxquels la Turquie achètera des matériels militaires, nous prenons en considération, entre autres, la défense ou non de nos thèses par ces pays sur le plan international".
Premières représailles turques dans le secteur commercial civil, la municipalité d'Izmir (Smyrne, troisième ville du pays) a écarté trois sociétés françaises de son appel d'offres pour la construction d'une ligne de métro, un contrat de $275 millions (1,5 milliard de francs). En outre, Izmir a décidé de ne pas autoriser les entreprises françaises Cegelec et Sofretu à participer à la Foire commerciale qui s'y tient chaque été. "Nous n'accepterons pas d'offres de sociétés françaises aussi longtemps que la position de la France n'aura pas changé. Ils ont une mauvaise interprétation des faits historiques" a expliqué Haluk Narbay, porte-parole de la ville d'Izmir. La direction générale des chemins de fer turcs (TCDD) renouvelle également un appel d'offres pour 60 locomotives représentant 1,2 à 2,4 milliards de francs, remporté pourtant par GEC-Alsthom, franco-britannique fin 1997 dans un précédent appel d'offres, annulé début avril pour "non-conformité technique".
Pour ce qui est du secteur militaire, un contrat de 2,7 milliards de francs entre Aérospatiale et la Turquie pour la fabrication de 10 000 missiles antichars de courte portée Eryx a été reporté à la veille de la signature. Le groupe franco-allemand Eurocopter négocie actuellement un contrat de 15 milliards de francs pour la production en partenariat local de 145 hélicoptères de combat Tigre, et Giat Industries pour la production en partenariat d'un millier de chars Leclerc pour 25 milliards de francs.
Les officiels turcs ont annoncé que Thomson CSF ne pourrait plus participer à un appel d'offre d'un montant de quelque 900 millions de francs destiné à équiper les avions de surveillance maritime turcs. D'autres contrats militaires risquent de pâtir de ce refroidissement des relations puisque la Turquie a annoncé, le 11 juin, la suspension de toute négociation sur des contrats de défense d'un montant total de $10 milliards avec la France. "Un processus est en cours au parlement français à propos de cette loi. Tant que ce processus se poursuit, s'il y a des choses à signer, c'est suspendu. S'il y a des choses à négocier, c'est suspendu jusqu'à la fin de ce processus" a déclaré Necati Utkan, porte-parole de la diplomatie turque.
A Commission des migrations du Parlement turc vient de rendre public un rapport de 120 pages sur la situation sociale, éducative et sanitaire sur les provinces du Sud-Est. Ce document reconnaît l'évacuation forcée de 3 428 villages et hameaux kurdes (décompte officiel établi à la date du 30-11-1997). Voici des extraits significatifs de cet important document:
Villages évacués, habitants contraints à l'exode.
D'après l'enquête de la préfecture de la région d'état d'exception (OHAL) relative à l'importante évacuation des villages en 1993 et 1994 ; Dans la région OHAL (Diyarbakir, Hakkari, Siirt, Sirnak, Tunceli, Van) et les zones contiguës (Batman, Bingol, Bitlis, Mardin, Mus), à l'exclusion des personnes qui ont regagné les 11 provinces en novembre 1997, le chiffre des personnes exilées a atteint le nombre de 378 335 pour 820 villages, 2 345 hameaux évacués.
RAGIP Duran, correspondant du quotidien français Libération et éditorialiste du quotidien Ülkede Gündem, condamné le 18 décembre 1995 à une peine de dix mois de prison, pour "propagande d'organisations terroristes" (article 7, alinéa 2 de la loi antiterroriste), est entré en prison le mardi 16 juin 1998, pour purger sa peine réduite par le jeu des remises de peine à 7 mois.
Chargé de cours à l'université francophone de Galatasaray à Istanbul où il enseignait l'éthique journalistique, le journaliste qui avait également travaillé pour la BBC et l'Agence France Presse, avait été condamné en décembre 1994 pour un encadré en marge d'un entretien avec Abdullah Ocalan, chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), paru le 2 avril 1994, dans le quotidien Ozgur Gundem (prédécesseur d'Ulkede Gundem-interdit depuis). la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul n'avait pas vu d'objections à l'interview mais à l'analyse faite des propos où le journaliste écrivait que Abdullah Ocalan avait acquis la carrure "d'un philosophe et d'un moraliste, en plus de son rôle politique et militaire". La Cour de cassation avait confirmé la sentence en 1997 mais M. Duran avait bénéficié d'un sursis qui a expiré.
Ragip Duran qui avait été en 1991 désigné "journaliste de l'année" par l'Association des Droits de l'Homme en Turquie et avait reçu en 1997 le prix de la liberté d'expression de l'organisation Human Rights Watch a commenté sa condamnation en ces termes dans un article paru le 16 juin dans Libération:
"Mes collègues étrangers n'avaient pas cru d'abord au verdict final de la Cour de cassation: "propagande d'organi-sation terroriste séparatiste"! Tout le long du procès, j'ai essayé d'expliquer aux juges et au procureur la différence fondamentale entre l'information et la propagande. Mais il a été impossible de les convaincre. Car, en Turquie, les grands médias sont plutôt organes de propagande, cinquième colonne du pouvoir politico-économique. Ils sont libres de louer les politiques économiques du gouvernement (95% d'inflation annuelle!), de faire l'apologie de la violence de l'armée turque contre les Kurdes (plus de 25 000 morts depuis quatorze ans!), d'insulter les Grecs, les Arméniens, voire Bruxelles et tout récemment Paris (soutien des terroristes arméniens de l'ASALA!), mais il leur est interdit d'interroger le rôle et la place des forces armées dans la société et l'État turcs, d'essayer de comprendre et de faire comprendre les revendications des Kurdes" .
Dans un communiqué du 15 juin 1998, l'association Reporters sans Frontières a demandé la révision de la condamnation et a qualifié celle-ci d'"atteinte grave à liberté de la presse, (...) dérives de la loi antiterroriste qui permet de réduire au silence certains journalistes en Turquie". De son côté, le Comité de Protection des Journalistes (CPJ) a souligné le "déni illégal des droits [de M. Duran] à la liberté d'expression, en tant que journaliste et citoyen turc".
M. Duran s'est constitué prisonnier sous les applaudissements des autres journalistes, à la prison de Saray, à 150 km d'Istanbul.
LE Conseil de l'Europe a, le 25 juin 1998, approuvé à main levée le rapport intitulé "Situation humanitaire des réfugiés et des personnes déplacées kurdes dans le Sud-Est de la Turquie et le nord de l'Irak" de sa Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie.
Ce rapport avait l'ambition de "comprendre les causes des importants déplacements de populations, essentiellement d'origine kurde, tant à l'intérieur qu'en provenance du nord de l'Irak et du Sud-Est de la Turquie, et d'évaluer leur situation et leurs besoins humanitaires" et appelait pour que "le gouvernement turc prenne des mesures afin qu'un dénouement pacifique puisse mettre un terme au conflit armé dans lequel il est engagé dans le Sud-Est du pays".
À l'issue d'un débat très animé, la directive 545 a été adoptée. Cette directive stipule que l'Assemblée devrait "jouer un rôle plus important dans la promotion de la paix et de la réconciliation dans les régions kurdes du Sud-Est de la Turquie et ailleurs () [et] charge sa commission pour le respect des obligations et engagements des États membres d'examiner la question de la minorité kurde dans le cadre de la procédure suivie relative à la Turquie".
Après quatre heures de débat et le vote de nombreux amendements turcs Mme Vermot-Mangold, rapporteuse du texte a déclaré "Je ne reconnais plus ce rapport complètement dilué": Ainsi, l'idée d'une conférence internationale sur la question kurde soumise par la rapporteuse a été remplacée par l'envoi d'une délégation du Conseil dans la région pour écouter des témoignages sur les événements. Autre point important, le rapport final ne demande plus que soient poursuivis les membres des forces armées accusés de violations des droits de l'homme, mais appelle pour que soit traduit en justice "quiconque" violant les droits de l'homme. De plus, le rapport condamne la "violence et le terrorisme perpétré par le PKK" aussi bien que "l'évacuation et l'incendie des villages par les forces armées turques". Le texte final appelle tout de même Ankara à prendre des mesures pour faciliter l'exercice des droits culturels et politiques des Kurdes et demande à la Turquie de dissoudre le système des protecteurs de village payés par le gouvernement.
Au cours des débats il a été reproché à Mme Vermot-Mangold de "créer un problème kurde" et de se placer sur un plan politique et pas seulement humanitaire. La délégation turque a qualifié le rapport de "politique, partial et incomplet". Ils ont regretté les critiques proférées à l'égard des militaires turcs qui selon eux sont présents dans la région pour protéger les villageois. Ils ont également parlé d'"informations fausses et tronquées".
Parmi les orateurs, Lord Judd (Royaume-Uni) a souligné à quel point l'atmosphère était "passionnée et tendue". M. Christodoulides (Chypre) a salué "l'objectivité et le courage politique" de Mme Vermot-Mangold "en raison de la réaction de la délégation turque, qui est allée jusqu'à présenter un contre-rapport et à déposer plus de cinquante amendements en vue de dénaturer le projet de recommandation". M. Varela (Espagne) a rajouté que "la délégation turque a fait tenir aux autres parlementaires un petit livre destiné à contredire ce document en rejetant toute la faute sur le PKK". M. Brunetti (Italie) a relevé les chiffres éloquents de la commission d'enquête du Parlement turque dans un rapport mis sous scellés par le gouvernement turc; 37 000 victimes en 15 ans, plus de 3 millions de réfugiés. "Il s'agit donc d'un exode biblique, dont les effets sont ressentis jusqu'en Italie" a-t-il ajouté. Mme Dumont (France) a pour sa part repris les termes du rapport: "la question kurde n'est plus aujourd'hui un simple problème intérieur. Elle est devenue un problème international de droits de l'homme, qui concerne donc la communauté internationale". Cette dernière a également déploré le fait que les droits civils et politiques des Kurdes soient bafoués. "Le mot est impropre, car encore faudrait-il que ces droits aient existé. Ces droits n'existent pas" a-elle-ajouté. Par ailleurs, certains députés ont appelé à ce que les députés kurdes emprisonnés en Turquie depuis 1994 retrouvent leurs libertés.
Il a été reproché également à Mme Vermot-Mangold de ne pas s'être rendue en Turquie par crainte pour sa vie. Ce à quoi Mme Gelderblom-Lankhout (Pays-Bas) a partiellement répondu en évoquant son voyage en 1994 dans le nord de l'Irak qui a nécessité son passage par la Turquie: "Qui, du parlement ou de l'armée, dirige vraiment le pays, l'armée fait l'objet de multiples rumeurs, allant jusqu'à être accusée de trafic illégal d'êtres humains. Les parlementaires turcs ici présents maîtrisent-ils vraiment ce qui se passe en Turquie?".
La Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné, le 6 mai 1998, à trois ans et neuf mois de prison six dirigeants du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), accusée de "soutenir une organisation armée en toute connaissance de sa nature et de ses caractéristiques". La Cour s'est fondée sur des documents saisis dans les locaux du HADEP au cours d'une perquisition en automne dernier, plus particulièrement sur un calendrier publié par le parti qui mettrait en scène des photos de militants du PKK et sur une affiche de MED-TV, télévision kurde émettant d'Europe, retrouvée dans les locaux. Le procureur avait requis 22 ans et 6 mois de prison à l'encontre des responsables du HADEP, régulièrement accusé d'être la branche politique du PKK.
Cependant, le 18 juin la Cour de Cassation turque a annulé pour "investigations insuffisantes" l'arrêt condamnant les responsables du HADEP, accusés de "soutien à une organisation armée illégale". Murat Bozlak, président d'HADEP et 31 responsables et sympathisants parti, avaient été condamnés le 4 juin 1997 à des peines variant entre quatre ans et six mois et six ans de prison par la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara. 12 autres avait alors été acquittés. M. Bozlak avait été arrêté et placé en détention pendant 10 mois après le second congrès extraordinaire d'HADEP le 23 juin 1996 au cours duquel le drapeau turc avait été enlevé et remplacé par la bannière du PKK par un sympathisant.
La Cour de cassation a confirmé la sentence de 22 ans et 6 mois de prison de Faysal Akcan, le jeune sympathisant qui avait descendu le drapeau turc alors que le procureur Atilla Atalay demandait une plus forte peine.
La Cour européenne des droits de l'homme a, le 25 mai 1998, condamné la Turquie dans deux affaires distinctes.
Statuant sur l'interdiction du Parti Socialiste, la Cour a jugé que la Turquie avait violé les dispositions relatives à la liberté d'association garantie par la Convention européenne des droits de l'homme- dont elle est signataire- en interdisant ce dernier, fondé en 1988 et dissous par la Cour constitutionnelle turque pour avoir "fait la distinction entre les nations turque et kurde au détriment de l'intégrité territoriale de la Turquie".
La Cour a considéré que rien ne justifiait l'interdiction d'un groupe qui ne faisait pas usage de la violence même si ses arguments politiques irritaient les autorités. "La dissolution du Parti Socialiste (SP) a été disproportionnelle par rapport au but poursuivi et par conséquent inutile dans une société démocratique" a-t-elle jugé. À titre de dommages et interêts, un montant de 50 000 francs a été accordé au président de SP, Ilhan Kirit et à Dogu Perinçek, ancien président du SP. La Cour qui s'était prononcée sur une affaire similaire en janvier 1998 concernant l'interdiction du Parti Communiste Unifié de Turquie, a souligné qu'elle ne pouvait ordonner l'annulation des dites interdictions prononcées à l'encontre des partis.
Statuant sur le cas d'Uzeyir Kurt, jeune Kurde de la région de Bismil porté disparu depuis son arrestation en novembre 1995, intervenue au cours des affrontements opposant les forces de sécurité turques et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), la Cour a jugé que la Turquie avait violé l'article 5 de la Convention et a accordé la somme de $40 000 à Koceri Kurt, la mère de la victime à titre de dommages.
Le 9 juin, deux semaines après une double condamnation de la Turquie pour des atteintes aux droits de l'homme, deux nouveaux verdicts dans deux affaires distinctes, ont été prononcés à l'encontre d'Ankara par la Cour européenne des droits de l'homme.
Statuant sur la première affaire, la Cour a jugé que la Turquie avait violé le droit à la liberté d'expression ainsi que le droit à un procès indépendant et impartial d'Ibrahim Incal, un des dirigeants du Parti du Travail du Peuple (HEP) à Izmir, condamné à six mois et vingt jours d'emprisonnement et à une amende, pour avoir fait imprimer des tracts politiques critiquant la gestion de la mairie en juillet 1992.
Dans la seconde affaire, la Cour a statué qu'Ankara n'avait pas mené d'investigations suffisantes concernant la plainte déposée par Salih Tekin, journaliste au quotidien kurde Özgür Gündem, arrêté en février 1993 pour "menaces présumées à des gardes des villages", il avait été torturé à la gendarmerie de Derinsu, puis de Derik, avant d'être libéré.
La Cour a décidé d'allouer à Ibrahim Incal, une indemnité de 30 000 francs et une somme de 15 000 francs pour frais et dépens à titre de dommage moral et à Salih Tekin une indemnité de £ 25 000 pour dommage moral et £ 15 000 pour frais et dépens.
Dans une interview accordée au quotidien Turkish Daily News, le ministre d'Etat en charge du Projet du Sud-Est (GAP), Mehmet Salih Yildirim a apporté ses observations sur la situation actuelle dans les provinces kurdes:
"Il existe beaucoup de problèmes au niveau de l'éducation. Le taux d'illetrisme dans le région est de 60% et au Sud-Est d'Anatolie il atteint les 65%. 61% des femmes sont incapables de lire et écrire et la moitié d'entre elles ne peuvent parler le turc! Maintenant c'est à vous d'en juger. Nous devons être réalistes. 32% des écoles de la région sont fermées. 45% des instituteurs nommés, y refusent leurs fonctions". Interrogé sur la question de la langue kurde il a rétorqué qu'il ne pensait pas que "l'éducation en kurde soit quelque chose de réellement indispensable".
Si on prenait en considération Batman, une ville kurde de la région, sur 223 écoles fermées, seules 23 ont pu ouvrir au cours de l'année. Autour de Batman, 163 écoles primaires des zones rurales, dont 31 à la suite des déplacements de population, restent fermées. Sur environ 4000 élèves issus de ces villages, la moitié, soit 2 559 n'ont pu avoir accés à l'éducation.
Yilmaz Çamlibel, président de la Fondation de Recherche et de la Culture Kurde (KURT-KAV) et Mehmet Celal Baykara, membre de la fondation, ont été, le 5 mai 1998, acquittés par la Justice turque. Ils étaient accusés de donner des cours de kurde dont l'enseignement et la diffusion sont interdits en Turquie. Les accusés risquaient deux ans de prison s'ils étaient déclarés coupables.
La décision de la Cour a été clémente car elle a pris en considération le fait que les cours étaient privés et non ouverts au grand public. Interrogé par l'agence Associated Press, M. Çamlibel a déclaré que le procureur n'avait pas l'intention de faire appel de la décision mais qu'il était interdit à la fondation de continuer ses cours de kurde. Il a ensuite ajouté qu'ils étaient déterminés à avoir gain de cause et a rappelé à ce titre que dans une autre affaire la fondation poursuit en justice le ministère de l'Éducation nationale pour que les cours de kurde soient autorisés.
Le Haut Conseil audiovisuel turc ( RTUK), l'équivalent du Conseil Supérieur de l'audiovisuel français (CSA) a décidé, au cours de ses réunions des 11 et 16 juin 1998, de condamner plusieurs radios et télévisions. Ainsi, "Metro FM" de Diyarbakir a été interdite d'émission pendant un an à partir du 10 juillet 1998 pour "atteinte à l'intégrité territoriale et à la souveraineté de la République turque". "Radio Karacadag" à Sanliurfa sera interrompue à partir du 19 octobre 1998 pour une durée d'un an pour "incitation à la violence, à la terreur et à la différenciation ethnique et la diffusion de programmes créant un sentiment de haine au sein de la nation". Le même motif a été invoqué pour "Radio Demokrat" à Izmir et "Radio Arkadas" à Adana qui ont été sanctionnées pour une période de 6 mois. De plus les chaînes de télévision Show TV et ATV ont été interdites des écrans pour un jour, la première pour avoir diffusé des informations avant toute décision juridique définitive et la seconde pour avoir violé les articles relatifs au droit de réponse. Pour finir la chaîne KTV émise à Konya a été condamnée a un jour d'interdiction et Cine-5 et à nouveau son acolyte Show-Tv à un jour de suspension respectivement.
Par ailleurs, le bureau du quotidien prokurde Ülkede Gündem à Batman a fait l'objet d'un attentat le 21 juin 1998. Une bombe a explosé au siège du quotidien causant d'importants dégâts matériels. Dans un communiqué daté du 22 juin 1998, Reporters sans frontières a dénoncé le fait que "depuis l'interdiction de diffusion du journal dans la région en décembre 1997, les collaborateurs du quotidien [fassent] l'objet de nombreuses pressions de la part de la police locale" et demande "l'ouverture immédiate d'une enquête afin que toute la lumière soit faite sur cet attentat".
Le bilan du mois d'avril des violations des droits de l'homme rendu public le 26 mai se présente comme suit:
En mai la situation ne s'est guère améliorée si l'on en croit le bilan publié le 25 juin par l'Association de défense des droits de l'homme Mazlum-Der (islamiste):
Le septième prix européen des droits de l'homme, attribué tous les trois ans par le Conseil de l'Europe, a conjointement récompensé, jeudi 4 juin 1998, la Fondation turque des droits de l'homme (IHV), Clara Lubich, fondatrice du Focolare Movement en Italie et le Comité pour l'Administration de la Justice (CAJ) de l'Irlande du Nord suite à une proposition de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation.
Institué en 1980, ce prix honorifique vise a "consacrer les mérites d'une personne, d'un groupe de personnes, d'une institution ou d'une organisation non gouvernementale qui ont euvré pour la promotion ou la défense des droits de l'homme conformément aux principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit". Parmi les précédents primés se trouvent, la Commission internationale de Juristes (CIJ) en 1980, la Section médicale d'Amnesty International en 1983, MM. Raul Alfonsin et Christian Broda en 1986, M. Lech Walesa et l'International Helsinki Federation of Human Rights en 1989, M. Felix Ermacora et Médecins sans Frontières en 1992 et enfin, MM. Sergei Kovalyov et Raoul Wallenberg en 1995.
Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a commenté son choix en ces termes: "la Fondation turque des droits de l'homme a joué un rôle exceptionnel dans la défense des droits de l'homme en Turquie au cours des sept dernières années. Sa raison d'être et sa fonction sont d'appliquer, sur le terrain, les valeurs universelles reconnues par les conventions internationales et de contribuer à la lutte pour l'élimination de la torture et des autres violations des droits de l'homme".
La remise du Prix de 1998 est prévue le 2 septembre 1998 au Conseil de l'Europe lors d'un colloque organisé pour commémorer le 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.
Cette reconnaissance n'a pas empêché les autorités turques de fermer, le 17 juin 1998, le Centre de réhabilitation pour les victimes de la torture, de Diyarbakir, créé par la Fondation des droits de l'homme de Turquie avec le soutien du Conseil international de réhabilitation pour les victimes de la torture basé à Copenhague. Cinq jours après son ouverture, le centre a reçu l'ordre de fermer ses portes par une quinzaine de policiers sous prétexte que l'autorisation d'ouverture ne serait pas conforme. "Ils ne veulent pas de témoins ni de défenseurs des droits de l'homme au Sud-Est de la Turquie" a affirmé Nazmi Gur, de l'Association turque des droits de l'homme d'Ankara.
La plupart des violations de droits de l'homme ont lieu au Kurdistan, où une guerre ravage la région depuis 14 ans. La torture y est également monnaie courante dans les prisons et les commissariats de police.
Les autorités turques ont vivement critiqué le livre "La mafia turque", publié en mai 1998 par Frank Bovenkerk et Yucel Yesilgöz, deux criminologues de l'Université d'Utrecht (Pays-Bas). L'ambassade de Turquie à La Haye a jugé "raciste" l'ouvrage qui soutient que la mafia turque est "constituée d'un ensemble de réseaux de criminels qui opèrent ouvertement et sous les auspices du gouvernement et de différents mouvements politiques". Les responsables turcs ont accusé l'étude de vouloir dénigrer la Turquie.
En réponse à une question du député F. Saglar, le ministre turc de l'Intérieur a indiqué que 70157 citoyens turcs sont interdits de sortir de la Turquie. 45678 d'entre eux en raison de leurs dettes envers le Trésor, 22673 sur décisions des tribunaux et 1806 sur ordre du Ministère de l'Intérieur "en raison des inconvénients pour la sécurité générale du pays". En Turquie les citoyens condamnés pour motifs politiques, y compris et surtout pour délit d'opinion, perdent leurs droits politiques. Ils ne peuvent être élus ou occuper des emplois dans la fonction publique et les universités. Souvent, ils sont également privés du droit de voyager à l'étranger.
Après le camouflet infligé par l'UE à la Tu rquie en décembre 1997 lors du sommet de Luxembourg, qui avait refusé d'intégrer Ankara au "processus d'adhésion" engagé avec 10 pays de l'Europe centrale et orientale plus Chypre, le sommet de Cardiff qui a réunimardi 16 juin 1998 les dirigeants européens, devait amorcer un certain rapprochement avec la Turquie. Or, la campagne menée par Paris et Londres n'a pas réellement porté ses fruits, puisque les propositions franco-britanniques ont été bloquées par la Grèce et que la seule avancée soit une référence aux "propositions " que compte faire la Commission européenne pour débloquer l'aide de 375 millions d'écus promise à la Turquie et bloquée par la Grèce depuis des années.
"Nous avons voulu démontrer que la Turquie appartient à la famille européenne (... ) J'espère que les autorités turques ont compris le message de Cardiff" a déclaré Jacques Santer, président de la Commission européenne.
Accueillant avec prudence les résultats du sommet de Cardiff, le ministre turc des affaires étrangères, Ismail Cem, a déclaré: "Je ne peux pas dire que ce soit un grand succès. Mais il y a des développements positifs" . Il a ajouté qu'Ankara tiendrait compte de la bonne volonté manifestée par certains pays de l'UE.
Auparavant, la Turquie avait bondé la réunion du conseil d'association du 25 mai à Bruxelles. "Les conditions requises pour la tenue de cette réunion ne sont pas réunies. Le texte sur la Turquie qui devait être débattu lors de ce conseil prévoyait un approfondissement des relations entre l'UE et la Turquie mais pose certaines conditions politiques. Nous ne pouvons les (conditions) accepter" a déclaré à l'AFP, un porte-parole turc. "Les conditions préalables que l'on nous avance pour l'application du texte de "stratégie européenne pour la Turquie" sont les mêmes que celle formulées par l'Union fin avril" a-t-il ajouté en référence à un communiqué de l'UE du 29 avril dernier appelant Ankara à des améliorations dans ses relations avec la Grèce, dans le conflit chypriote et dans le domaine des droits de l'homme.
Or la Turquie fait l'impasse sur les questions politiques et ne veut discuter que de la coopération économique et financière, en particulier du déblocage d'une aide financière de 375 millions d'écus (412,5 millions de dollars) prévue par l'accord d'union douanière entrée en vigueur en 1996. Chacun campant sur ses positions le dialogue turco-européen est en panne, pour quelque temps.
Les généraux turcs se chargent désormais eux-mêmes des missions diplomatiques qu'ils considèrent comme les plus importantes pour la sécurité du pays. C'est dans cet esprit que le chef d'état-major des armées turques, le général Karadayi, a effectué à partir du 18 mai, une visite entourée d'une large publicité à Moscou où il a rencontré son homologue russe, le ministre de la défense ainsi que des responsables des industries d'armement.
Selon le quotidien turc Milliyet qui lui consacre la Une de son numéro du 20 mai, le général turc a indiqué à ses interlocuteurs russes que la Turquie pourrait acheter des hélicoptères russes KA-50 et KA-52, ainsi que des chars T-80 et peut-être des avions MIG-29 et SU-27 si la Russie renonçait à vendre des missiles S-300 à Chypre. Les responsables russes lui auraient répondu que l'annulation de contrat de vente des S-300 n'est pas impossible. En clair, cela dépend du marchandage turco-russe.
Au cours de sa visite, le chef d'état-major turc a également demandé aux Russes de cesser de livrer des missiles et de la technologie nucléaire à l'Iran et à la Syrie et de ne pas tolérer les activités du PKK sur leur territoire. Il a avancé l'idée de la création d'une force d'action rapide turco-russe pour intervenir dans des troubles et crises d'intérêt commun notamment au Caucase, idée qui aurait reçu un bon accueil chez les dirigeants russes. Cependant, les conflits d'intérêt important, et les contentieux historiques entre la Turquie et la Russie rendent difficiles le développement d'une coopération significative entre les deux pays, à supposer que les Américains, qui ont leur mot à dire sur la politique étrangère turque, acceptent une telle coopération.
Le gouver-nement conservateur norvégien Norvège s'apprête à vendre des missiles Penguin à Ankara après trois ans de tension dans les relations entre les deux pays. L'achat de ces missiles, produits par Kongsberg constitue une part importante des négociations qu'Ankara mène pour acquérir huit hélicoptères navals S-70 Seahawk américains d'un montant de $ 200 millions- 12 autres Seahawks étant prévus pour 2002. Les relations entre la Turquie et la Norvège avaient été gelées lorsqu'en 1995 Oslo a imposé un embargo sur les armes à Ankara en réponse aux violations des droits de l'homme commises par la Turquie. A leur tour les autorités turques avait décidé d'inscrire la Norvège sur leur "liste rouge" des pays interdits des marchés turcs. 35 missiles Penguin devraient être achetés dans un premier temps pour un montant d'environ $ 35 millions par la Turquie.
Déjà en conflits avec ses voisins grec, chypriote, syrien, irakien, iranien et arménien, et en froid avec plusieurs capitales européennes et Moscou, la Turquie a trouvé encore le moyen de se brouiller avec la très neutre Confédération helvétique. Elle a rappelé "pour consultation" son ambassadeur à Berne a-t-on appris de sources diplomatiques, le 22 juin. La raison invoquée; la ville de Zurich a refusé la location de deux immeubles au consulat turc qui devant déménager ne se trouve pas où loger. Selon la ville, ce sont les citoyens des quartiers concernés qui refusent le voisinage d'une représentation consulaire turque en raison des "risques de nuisances". On évoque à ce propos l'assassinat en 1994 d'un manifestant kurde devant les grilles de l'ambassade turque à Berne par des tirs tirés de l'intérieur du bâtiment par les policiers turcs, assassinat resté impuni pour des raisons d'immunité diplomatique qui n'en a pas moins traumatisé l'opinion publique suisse sur les moeurs violentes de l'État turc y compris à l'étranger. D'où le refus des citoyens suisses d'accepter le voisinage de représentants turcs.
Et comme dans le même temps le maire de Lausanne avait rejeté la requête turque de célébration du 75ème anniversaire du Traité de Lausanne signé en juillet 1923 dans la ville, les Tu rcs croient "au complot suisse contre l'unité de la Turquie". Pour le maire, ce traité qui est à la base de la reconnaissance internationale de l'État turc est aussi un texte qui a consacré le partage du Kurdistan et le déni des droits des Arméniens. Le maire a déclaré publiquement qu'il en a honte pour sa ville. La brouille turco-suisse risque donc de durer un certain temps.