La communauté kurde, un peu partout en Europe et au Kurdistan, a commémoré par des manifestations diverses, l’assassinat, le 13 juillet 1989 à Vienne (Autriche) du Dr. Abdulrahman Ghassemlou, secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan iranien, et de deux de ses compagnons. Abdullah Ghaderi et Dr. Fazil Rassoul par des émissaires du président iranien en plein " pourparlers de paix ". (voir notre bulletin spécial Dr. Ghassemlou, sur les circonstances de ces meurtres d’Etat). .
Le 13 juillet ses amis de toutes origines se sont retrouvés au cimetière parisien du Père Lachaise pour rendre hommage au leader kurde disparu..
Auparavant, le 18 juin, une cérémonie commémorative s’est tenue dans la salle Colbert de l’Assemblée Nationale française avec le soutien de l’Internationale Socialiste et du Parti socialiste français. Des personnalités kurdes, iraniennes et occidentales ont évoqué les divers aspects de la vie et de l’œuvre du Dr. Ghassemlou devant un auditoire de plus de deux cents invités. Ont notamment pris la parole Mme. Danielle Mitterrand, M. Bernard Kouchner, ministre français de la Santé, Lord Avebury, président du Comité des droits de l’homme du Parlement britannique pour les pays méditerranéens, Gérard Chaliand, écrivain, Dr. Bernard Grandjon, président d’honneur de Médecins du Monde, Alain Chenal, délegué du PS, Juliette minces, sociologue, marc Kravertz, journaliste, Dr. Mahmoud Othman, Kendal Nezan et biensûr, Abdullah hassanzadeh, le nouveau secrétaire général du PDKI..
Me Hans-Goachim Ehrig, avocat allemand dans l’affaire du quadruple assassinat de dirigeants kurde iraniens en septembre 1992 à Berlin au restaurant Mykonos a fait le point sur cette affaire. De son côté, le député vert autrichien, Peter Pilz, auteur d’un livre sur l’assassinat du Dr. Ghassemlou a expliqué les rasions d’Etat, pour lesquelles l’Autriche a étouffé l’affaire Ghassemlou malgré une série d’actions spectaculaires comme par exemple la grève des session parlementaires par les députés verts autrichiens. " Mais nous allons poursuivre avec toute la ténacité nécessaire notre combat pour la vérité et la justice car il y va de l’honneur de notre peuple et de l’avenir de la démocratie autrichienne " a-t-il conclu.
Les cérémonies à la mémoire du Dr. Ghassemlou se déroulèrent dans d’autres capitales européennes tout au long du mois de juillet à un moment où la République islamique faisant face à une série de manifestations estudiantines spectaculaires pour la liberté d’expression et pour les réformes démocratiques… Contrairement à la plupart des opposants iraniens prédisant la chute du régime islamique " dans quelques mois ", Ghassemlou dès 1979, s’employaient à convaincre ses partisans que leur combat pour la démocratie en Iran et l’autonomie du Kurdistan pourrait prendre 25 ans, le temps pour les enfants nés avec la République islamique d’atteindre l’âge de contester dans ses fondements même et d’inventer un avenir plus moderne plus démocratique pour l’Iran. L’histoire va-t-elle donner raison à cet homme qui fut visionnaire dans bien d’autres domaines ?
Les députés de la gauche plurielle ont interpellé M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes sur la condamnation à mort d’Abdullah Öcalan (JO: 30-6-99). François Loncle, député socialiste de l’Eure, a souligné : " certes, la dérive terroriste des activistes kurdes n’est pas acceptable. Mais on ne peut occulter le sort tragique réservé à la population kurde en Turquie, comme d’ailleurs en Irak : les milliers de morts, les villages évacués ou détruits, les millions de personnes déplacées, les députés emprisonnés, les défenseurs des droits de l’homme persécutés ". Il a été très applaudi sur les bancs des députés lorsqu’il a ajouté qu’"après que la communauté internationale est intervenue, au nom du droit, au Kosovo, on peut difficilement admettre qu’elle se taise à propos de la situation des Kurdes, dont les droits sont bafoués "..
Pierre Moscovici tout en déplorant " les conditions et les conclusions " du procès d’Abdullah Öcalan a répondu que "le verdict est, hélas ! sans surprise " et a rappelé que " toutes les voies de recours ne sont pas épuisées " et que " la non-application de la peine de mort relève des valeurs communes, et donc des acquis de l’Union européenne "..
Interpellé par le député RPR de l’Isère, Richard Cazenave, le ministre délégué chargé des affaires européennes a ponctué en disant qu’" il est clair que la condamnation d’Öcalan ne résout rien et qu’une approche purement répressive ne permettra pas de définir la solution (…) C’est pourquoi il faut plus que jamais privilégier une approche politique de la question kurde, fondée sur le renforcement des droits culturels, sur l’aspiration démocratique ainsi que sur une relance du programme de développement du sud est du pays (…) L’Union européenne est prête à aider la Turquie à résoudre ce problème et, naturellement, la France appuiera ses efforts ".
Les autorités turques ont saisi l’occasion de la visite en Turquie de J. Fisher, ministre allemand des Affaires étrangères, pour réitérer la candidature d’Ankara à l’Union européenne. Cependant, elles ont clairement menacé l’UE de faire marche arrière si la conférence d’Helsinki n’incluait pas la Turquie parmi les 11 candidats déjà sélectionnés lors de la conférence de Luxembourg. " La conférence d’Helsinki est la dernière chance. S’il n’y a pas de résultat, l’Union européenne cessera d’être une priorité pour nous. Nous réexaminerons alors dans ce nouveau cadre l’union douanière. " a déclaré Ismail Cem, ministre turc des Affaires étrangères. .
Sur le banc des touches de l’UE depuis plus de trente ans à cause principalement de la situation des droits de l’homme, la Turquie n’entend décidément pas les appels de l’UE. Le Premier ministre Ecevit a déclaré que les droits de l’homme seront améliorés mais pas parce que l’Europe le demandait. Selon lui, la Turquie a fait assez de concessions et c’est au tour de l’UE de faire des sacrifices. Il a d’autre part critiqué la résolution du Parlement européen demandant la non application de la peine de mort prononcée contre Abdullah Öcalan en précisant que " c’est irrespectueux ". Un des plus importants quotidiens turcs, Hurriyet, titrait sa Une le 24 juillet 1999 " Soit la candidature, Soit la désunion ". .
À Strasbourg, le Parlement Européen, fraîchement élu, a adopté une résolution le 22 juillet 99 sur la condamnation d’Abdullah Öcalan à la peine capitale et l’évolution future de la question kurde en Turquie. Le Parlement a condamné la sentence frappant A. Öcalan, réitère " sa ferme opposition à l’application de la peine de mort " et demande " instamment aux autorités turques de ne pas exécuter la peine "..
Par ailleurs le Parlement européen a émis des doutes sur le fait qu’Abdullah Öcalan " ait bénéficié d’un procès équitable en raison de la procédure à laquelle a recouru la Cour de sûreté de l’Etat " et a souligné que " pendant presque toute la durée un juge militaire a participé au procès ". L’Instance européenne a également estimé que " l’exécution de M. Öcalan aurait de sérieuses implications pour la sécurité et la stabilité en Europe et qu’elle porterait préjudice au processus d’intégration de la Turquie au sein de l’Union européenne ". Le Parlement a conclu en demandant au gouvernement turc " de s’attaquer aux causes du conflit en Turquie en recherchant une solution qui reconnaît les droits politiques, sociaux et culturels de la population kurde " et au PKK " de mettre un terme aux actes de violence et de terrorisme et de collaborer à la recherche d’une solution pacifique en Turquie "..
Cependant, Interrogé par le quotidien turc Milliyet le 6 juillet 1999, le général turc en retraite Kemal Yavuz, consultant privilégié de la presse quant il s’agit de prendre le pouls de la haute hiérarchie de l’armée turque, a appelé à l’exécution d‘Abdullah Öcalan. Selon K. Yavuz, Öcalan en prison ne pourra être qu’" une bombe à retardement " pour la Turquie. " Il ne sera qu’un objet constamment utilisé par les pays étrangers (…) Pendant que des mouvements anarchistes entreprendront des activités armées ou se livreront à des prises d’otages en demandant la libéralisation d’Öcalan, les étrangers, qui aujourd’hui se contentent de son emprisonnement, commenceront à mettre la pression pour demander sa grâce ou son exil à l’étranger " a déclaré le général. Pointant du doigt l’Union européenne, il a ajouté : " Devrons-nous nous soumettre aux ordres de l’Europe ? Que gagnera la Turquie si elle entreprenait des démarches à la demande des Européens ? La candidature à l’Union ? (…) Quel sacrifice faut-il encore demander à ce pays qui n’est même pas considéré aussi européen que la Bulgarie ou la Roumanie ? (…) N’a-t-on pas vécu en tant que nation il y a 80 ans ce que la soumission à la pression des étrangers nous apportait ? ". Le général Yavuz a ensuite sévèrement critiqué les dirigeants du pays en affirmant que depuis une quarantaine d’années [ndlr : date du passage au multipartisme] le pays est dirigé par des personnes irresponsables, sans formation et affichant une affligeante impéritie. Finalement il a ponctué en déclarant qu’il était impossible d’expliquer à ceux dont les fils sont morts en combattant le PKK que " l’intérêt du pays demande qu’Öcalan soit seulement emprisonné ".
De son côté, le conseil exécutif du PKK a appelé le 6 juillet 1999 ses militants à " intensifier la lutte ". Trois actes de violences graves ont été attribués aux combattants kurdes depuis la condamnation. Le 1er juillet un café d’Elazig a été mitraillé, il y a eu 4 morts. Le 4 juillet, une explosion dans un parc bondé d’un quartier d’Istanbul a fait un mort et 25 blessés. Le lendemain, une jeune fille de 19 ans a été tuée dans l’explosion de bombes qu’elle transportait, blessant 17 personnes près d’un poste de police d’Adana. Abdullah Öcalan a déclaré qu’il n’approuvait pas la série de violences attribuées aux rebelles kurdes et a renouvelé son offre de paix avertissant qu’il pourra perdre le contrôle du PKK si sa situation n’évoluait pas favorablement.
Par ailleurs les autorités turques ont annoncé que 13 combattants du PKK ont été tués lors d’opérations de l’armée au cours de la semaine écoulée dans les provinces de Sirnak, Diyarbakir, Hakkari, Mardin et Van. Ce bilan s’ajoute aux 40 rebelles du PKK tués lors d’une incursion d’une semaine des forces turques dans le nord de l’Irak qui s’est achevée le 10 juillet 99.
. Un responsable du PKK, Cevat Soysal, a été capturé par les services spéciaux turcs le 21 juillet 99. Le Premier ministre Bülent Ecevit est intervenu personnellement à la télévision pour annoncer la capture " en Europe " du " numéro deux du Parti des Travailleurs du Kurdistan " lors d’une " opération couronnée de succès ". Tout comme l’arrestation d’A. Öcalan le 15 février 1999 à Nairobi, les autorités turques sont restées dans le flou sur les circonstances exactes de l’arrestation de C. Soysal..
L’ERNK, la branche politique du PKK, a démenti que Soysal soit un cadre de haut rang et affirmé qu’il avait été livré aux autorités turques par la Moldavie, où il aurait été détenu depuis une semaine. Les autorités turques et moldaves ont fermement démenti cependant l’implication de la Moldavie. L’ERNK a d’autre part précisé que cette arrestation " jette une ombre sur le processus de paix lancé par le président Apo ". Dans un communiqué du conseil du commandement du PKK, le 22 juillet 99, le PKK a menacé la Turquie d’" user de son droit de représailles " en précisant : " les actes internationaux de piraterie et de terrorisme donnent à notre parti le droit de représailles. Si rien n’est fait pour arrêter ces actes commis par la Turquie, ce droit légitime va sans doute être utilisé ". .
Cevat Soysal, titulaire du statut de réfugié politique en Allemagne, sera jugé en vertu des articles 168 et 125 du code pénal turc pour respectivement " formation de bande armée " et " atteinte à l’intégrité territoriale de la Turquie " a annoncé le procureur de la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, Nuh Mete Yüksel. La presse des 22 et 23 juillet a publié des photos d’un Soysal gravement torturé ne pouvant plus se tenir debout ni utiliser ses bras.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fisher a demandé à Ankara d’enquêter sur les accusations de torture sur la personne de Cevat Soysal. .
Dans une lettre remise, le 28 février 99, à son homologue turc Ismail Cem, M. Fisher, a demandé que Cevat Soysal puisse être examiné par un médecin de confiance. Le peu d’images diffusées de C. Soysal, montrent un homme incapable de se tenir debout, soutenu par deux personnes à la fois. Les avocats de l’intéressé ont déclaré qu’il avait fait l’objet de tortures multiples pendant 11 jours, après quoi les autorités turques s’étaient décidées à annoncer triomphalement son arrestation à la presse. Les avocats assurant sa défense ont déclaré le 30 juillet avoir déposé une plainte contre la Turquie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme..
D’autre part, La Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara a envoyé le 27 juillet 99 le dossier d’Abdullah Öcalan, condamné à la peine de mort pour séparatisme et trahison le 29 juin, à la Cour de cassation. Le président Suleyman Demirel a déclaré que la Turquie était confrontée à une décision délicate. Il a indiqué le 1er août que " la décision d’exécution est politique. Bien entendu, c’est un sujet très sensible. La Turquie ne s’est pas trouvée face à un sujet si sensible depuis des années "..
Enfin, le 26 juillet, le procureur turc, Nuh Mete Yuksel, a délivré un mandat d’arrêt international contre 32 membres du Parlement kurde en exil basé à Bruxelles. Poursuivis pour " constitution de groupes armés illégaux en vue d’activités contre l’unité turque ", Ankara a ordonné l’arrestation de Yasar Kaya, le président du Parlement kurde et de ses collègues qui sont passibles d’au moins quinze ans de prison chacun..
Yasar Kaya a demandé la protection de l’ONU en soulignant que les membres de son Parlement avaient le statut de réfugiés politiques et devaient être protégés par les Nations Unies. Le Parlement kurde autoproclamé en exil à Bruxelles, créé le 12 avril 1995 à La Haye, compte 165 personnes et cherche une solution négociée au conflit kurde..
Par ailleurs, une délégation de cinq personnes de ce " Parlement kurde en exil " a été reçue le 29 juillet 1999, à Vitoria par le président du Parlement autonome du Pays basque espagnol malgré les pressions turques et les protestations de Madrid.
La Cour européenne des droits de l’homme a, le 8 juillet 1999, condamné la Turquie dans 15 affaires ; 11 pour violation de la liberté de l’expression des Kurdes, 9 pour violation du droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial et 2 cas où des Kurdes avaient été torturés et tués..
La Cour a conclu dans 11 cas à la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme dont la Turquie est signataire. 13 requêtes avaient été déposées par des journalistes, avocats, syndicalistes, écrivains ou universitaires, condamnés à plusieurs mois de prison et plusieurs milliers de francs d’amende pour " propagande séparatiste ", après avoir publié ou laissé publier des propos favorables à la cause kurde. Parmi eux figurent notamment le journaliste Haluk Gerger, Fikret Baskaya, professeur d’économie, Munir Ceylan et Kamil Tekin Sürek, réciproquement ancien président du syndicat des travailleurs du secteur pétrolier et l’éditeur de l’hebdomadaire d’Istanbul " Haberde Yorumda Gerçek " [ndlr : Nouvelles et Commentaires : la Vérité] qui était à l’origine de cinq requêtes. La Cour a jugé que " les condamnations litigieuses s’analysaient en des ‘ingérences’ dans le droit à la liberté d’expression des requérants ". Les juges ont considéré que les ingérences, bien que prévues par la législation turque, ne pouvaient passer pour " nécessaires dans une société démocratique ". La Turquie a été condamnée à verser aux requérants des sommes de 30 à 40 000 francs pour dommage moral, certains pour dommages matériels, ainsi qu’aux frais et dépens..
Les condamnations ayant été prononcées par des cours de sûreté de l’Etat où siégeait encore un juge militaire, la Cour a également jugé que l’article 6 de la Convention européenne - droit à un tribunal indépendant et impartial - avait été violé par les autorités turques. Le Parlement turc avait, le 18 juin, voté à la hâte et pour la procès d’Abdullah Öcalan, la démilitarisation de ces cours..
Par ailleurs, la Cour a estimé qu’il y avait eu violation du droit à la vie dans deux affaires. La première avait été déposée par la veuve de Zeki Tanrikulu, un médecin de l’hôpital public de Silvan [au Kurdistan], tué par balles dans la rue sans que la police intervienne pour arrêter les meurtriers. La seconde pour la disparition d’Ahmet Çatici à la suite de son interpellation, le 8 novembre 1999, par les gendarmes au village de Çitlibahçe. La Cour a jugé que pour cette dernière affaire la responsabilité de la gendarmerie était engagée non seulement pour le décès d’Ahmet Çatli mais également dans des actes de torture. Ankara est condamné à verser 150 000 francs à la famille Tanrikulu et 275 000 francs à celle d’Ahmet Çatici..
Malgré les fréquents avertissements et condamnations des instances européennes et internationales, Ankara semble peu encline à faire des concessions en matière de droits de l’homme. En visite en Turquie du 4 au 7 juillet 1999, Claudia Roth, présidente de la commission des droits de l’homme au Parlement allemand et vice-présidente du CILDEKT, s’est vue refuser l’autorisation d’entrer à la Prison Centrale d’Ankara où de nombreux prisonniers d’opinion tels que Leyla Zana et Akin Birdal restent détenus. Évoquant la peine de mort prononcée contre Abdullah Öcalan avec Mehmet Ali Irtemcelik, ministre d’Etat turc chargé des droits de l’homme, elle a déclaré que M. droits de l’homme turc lui a rétorqué que " si la peine de mort n’existait pas, on aurait dû l’inventer pour ce cas, et c’est même une peine insuffisante ".
Objet d’articles injurieux et mensongers de la presse turque, Ahmet Kaya, chanteur kurde, élu musicien de l’année en 1998 en Turquie, et menacé de 10,5 ans de prison pour avoir annoncé vouloir faire aussi des chansons en kurde et défendre " la réalité culturelle kurde en Turquie ", a tenu une conférence de presse le 28 juillet 1999 à Paris. En présence de son avocat Me Osman Ergin, vice-bâtonnier du barreau d’Istanbul, Me Patrick Baudoin, président de la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et M. Kendal Nezan, président de l’Institut Kurde de Paris, M. Kaya a déclaré qu’ " un jour certains finiront bien par écrire l’histoire d’un homme parce qu’il était d’origine kurde, a voulu chanter une seule chanson en kurde et que cela ne pouvait diviser aucun pays et ceux qui liront cette histoire comprendront qu’il ne faut pas avoir peur de ceux qui chantent et de leurs chansons ". Il a déploré par ailleurs que " la presse turque diffuse à [son] sujet des masses de nouvelles sans fondement, sans preuves, ni témoins, des commentaires partiaux " en ajoutant qu’il n’a jamais eu l’intention d’être injurieux envers son pays. " À travers ma personne, c’est une culture qui est visée " a-t-il encore souligné..
La persécution de Kaya suscite de vives réactions dans les milieux artistiques en Turquie et à l’étranger. En France, l’ancien ministre de la culture, Jack Lang, président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, tout en déplorant la réaction des autorités turques, a transmis à Ahmet Kaya ses " profonds sentiments d’admiration pour sa détermination et pour son courage "..
Cela étant, la presse turque continue de faire la sourde oreille sur les déclarations d’A. Kaya et continue de mener une " véritable de campagne de lynchage médiatique ", selon l’expression de M. Nezan au cours de la conférence de presse. La prochaine audience du procès du musicien se tiendra le 25 août à Istanbul.
Le Premier ministre turc Bülent Ecevit et ses partenaires de la coalition gouvernementale ont révélé au cours d’une conférence de presse le 22 juillet 1999 " le paquet économique " sensé relancer l’économie turque en crise. Une des premières décisions du gouvernement turc est de proroger de trois ans la grâce accordée aux détenteurs de l’argent sale dans le pays. Un projet antérieur appelé par la presse turque " où est-ce que tu as trouvé cela ? " destiné à mettre le système bancaire turc en conformité avec les exigences de l’OCDE en matière de lutte contre le blanchiment d’argent douteux, aurait dû enfin entrer en vigueur cette année. L’Etat s’était effectivement engagé à ne demander aucun compte aux détenteurs d’argent aux origines douteuses si les personnes concernées faisaient leur déclaration au Fisc avant le 30 septembre 1998. Ce délai de grâce avait été prolongé de facto depuis. Pour ranimer son économie exsangue en raison notamment du coût de la guerre du Kurdistan et de la baisse des revenus du tourisme, Ankara compte sur les ressources colossales de l’économie parallèle ($ 100 milliards par an selon Le Figaro du 13-11-98 ) et pour cela, au mépris de la légalité internationale, prolonge de trois ans sa gigantesque opération de blanchiment de l’argent sale. Par cette nouvelle décision, nul ne sera inquiété pendant trois ans sur l’origine de sa fortune. La carte blanche est ainsi donnée à la puissante mafia œuvrant sous la protection de certains services de l’Etat. En 1996, le trafic de drogue avait rapporté $ 37,5 milliards à l’économie turque. La mafia russe pourrait également utiliser le système bancaire turc pour blanchir une partie de son argent. Les gouvernements occidentaux qui infligent des peines sévères à des petits dealers de banlieue restent silencieux sur l’organisation par le gouvernement turc de cette gigantesque opération de blanchiment.
La Turquie a célébré avec éclat le 25ème anniversaire de son intervention armée à Chypre le 20 juillet 99. Une importante délégation turque s’est déplacée pour l’occasion, comprenant, M. Ecevit, l’homme qui a ordonné l’opération dans le nord de l’île et qui dirige le gouvernement actuel, les ministres des affaires étrangères Ismail Cem, de la Défense Sabahattin Çakmakoglu, de l’Energie Cumhur Ersumer et le ministre d’Etat chargé du dossier Sukru Sina Gürel..
L’île qui est divisée en deux secteurs -turc et grec - depuis l’intervention turque en 1974, a fait l’objet de discussions au conseil de sécurité de l’ONU, sous l’impulsion du G8 au mois de juin 99. L’ONU avait demandé au secrétaire général Kofi Annan d’inviter les dirigeants des communautés turque et grecque de Chypre à des négociations sans condition à l’automne à New York. Cependant les autorités turques, semblent peu enclines à faire des concessions. Bülent Ecevit, a tout simplement répondu que " la question de Chypre n’existe plus (…) Avant l’intervention turque, il y avait une guerre perpétuelle à Chypre. Depuis 25 ans, l’île vit une paix continuelle. Nous ne céderons jamais à la pression (…) Des négociations ne peuvent se dérouler qu’avec la reconnaissance de la KKTC [ndlr : République turque de Chypre du Nord] ". Rauf Denktas, le président de la KKTC, proclamée en 1983 et reconnue par la seule Turquie, a renchéri : " La ligne nationale qui a été créée aujourd’hui, nous devons la protéger à tout prix et nous ne l’abandonnerons jamais, grâce au soutien de notre mère patrie la Turquie "..
L’anniversaire de l’intervention turque donne aux autorités grecques l’occasion d’appeler la communauté internationale à passer à l’action. M. Kranidiotis, ministre grec des affaires européennes, a déclaré que " la tragédie chypriote constitue une page noire de l’histoire contemporaine mondiale. En 1974, les envahisseurs se sont livrés à une des plus horribles opérations de nettoyage ethnique, qui a eu pour résultat de transformer le tiers de la population de l’île en réfugiés "..
Alors que la communauté internationale s’émeut de la situation de Chypre, intégrée de facto à la Turquie avec un statut l’assimilant à une province turque à tous les niveaux, Ankara ne cesse de faire des déclarations indépendantistes en pointant du doigt la différence ethnique sur l’île. Les autorités turques qui continuent à nier l’existence de 18 millions de kurdes en Turquie exigent sans complexe, l’indépendance de 190 000 Turcs chypriotes. Recevant le 19 juillet 1999 l’ambassadeur du KKTC, le président turc Suleyman Demirel a déclaré : " les Grecs et les Turcs ont des pays différents. Si on se voile la face et qu’on aboutit à terme à ce que les Grecs et les Turcs recommencent à vivre ensemble, le sang finira par couler un jour (…) Cet Etat a été créé du fait de l’existence de deux peuples différents sur l’île ". Cependant, recevant le 22 juillet à Ankara le ministre allemand des Affaires étrangères, J. Fischer, le président Demirel a de nouveau déclaré qu’" il n’y a pas de problème kurde en Turquie mais un problème de terreur ". Aussi Ankara refuse la coexistence même des deux peuples à Chypre et refuse d’accorder le moindre droit culturel aux 15 à 18 millions de Kurdes de Turquie.
En visite en Turquie en vue d’élaborer pour l’année prochaine un rapport concernant la situation des droits de l’homme en Turquie, M. Harold Hongju Koh, le sous-secrétaire d’Etat américain pour les droits de l’homme, la démocratie et le travail, a dénoncé le 2 août 99 " les problèmes des droits de l’homme et d’expression " des Kurdes. " Les Kurdes ne peuvent pas s’exprimer facilement…Les gens qui émigrent de leur village ont des problèmes, et il y a aussi des problèmes dans les prisons " a déclaré M. Koh à Diyarbakir après avoir effectué une visite à Urfa et Mardin et plusieurs villages de la région. Le responsable américain avait réclamé la veille une aide humanitaire pour le Kurdistan qui reste la région la moins développée avec un fort taux de chômage..
Ces déclarations ont déplu aux autorités turques qui ont convoqué le chargé d’affaires américain à Ankara pour exprimer "leurs préoccupations". Elles laisent cepêndant les observateurs sceptiques. L’administration américaine, tout en laissant l’un de ses membres formuler ce genre de critiques, continue d’apporter à la Turquie un soutien multiforme, y compris et surtout militaire, malgré ses violations massives des droits des Kurdes.
Ainsi, 10 des 50 hélicoptères américains Black Hawk, achetés par la Turquie à la firme Sikorsky, ont été livrés, le 7 juillet 1999 à la Turquie. Au cours de la cérémonie, le chef d’état-major turc Huseyin Kivrikoglu a déclaré que " les forces de sécurité turques qui ambitionnent d’être une des plus puissantes armées du monde, protégeront la République démocratique et séculaire turque contre toutes les menaces ". L’ambassadeur américain en Turquie, Mark Parris a quant à lui déclaré qu’ " une des raisons pour lesquelles nous soutenons la vente d’équipement de défense américain à la Turquie est que cet équipement permettra une opération commune pendant les crises internationales "..
Par ailleurs la chaîne de télévision privée NTV a rapporté que le 3 juillet 1999, 10 000 soldats turcs, soutenus par des hélicoptères de combat ont lancé une nouvelle offensive contre les rebelles kurdes dans le nord de l’Irak. La Turquie fait de fréquentes incursions en Irak mais cette offensive serait la première depuis la condamnation d’Abdullah Öcalan.
La Turquie a prévu de dépenser 150 milliards de dollars pour la modernisation de son armement dans les 25 prochaines années et pourtant elle est frappée par une des plus importantes récessions de son histoire en enregistrant au premier semestre de 1999 une baisse de 8,4 % de son PIB alors qu’à la même période en 1998 l’économie turque avait inscrit 9,2 % de croissance. C’est le plus mauvais résultat depuis 1994 d’après l’Institut national de statistique (DIE). La situation économique est tellement déprimante que la presse turque, comme la classe politique, a attribué la tentative de suicide, le 7 juillet 99, d’Hikmet Ulugbay, ministre d’Etat chargé de la trésorerie, à la situation économique du pays.
Poursuivis pour " assistance à organisation terroriste " qui prévoit en vertu de l’article 169 du code pénal une peine allant jusqu’à 7 ans et six mois de prison et emprisonnés depuis novembre 1998, seize dirigeants du parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), dont son chef Murat Bozlak, ont été libérés lundi 12 juillet 1999 par la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara. Le président de la Cour, Turgut Mehmet Okyay, celui-là même qui a prononcé la peine de mort à l’encontre d’Abdullah Öcalan le 29 juin dernier, a estimé qu’il n’y avait pas lieu de prolonger leur incarcération.
Le HADEP dont les dirigeants avaient été condamnés à faire campagne derrière les barreaux, a conquis une quarantaine de municipalités aux dernières élections générales du 18 avril 1999. Le procureur de la Cour de cassation, Vural Savas, a cependant lancé en janvier 1999 une procédure d’interdiction pour " liens organiques " avec le PKK et plusieurs membres du HADEP ont déjà été condamnés par des tribunaux turcs..
Dans son éditorial du 7 juillet 1999, Zülfü Livaneli, journaliste au quotidien turc Sabah décrit le rôle des médias turcs, capables selon lui, de décider du sort de chacun des citoyens. Voici l’intégralité de son article :.
" Date : 9 juillet 1998. Une déflagration extraordinaire retentit au Bazar d’Egypte [ndlr : grand marché d’épices, un des hauts lieux touristiques d’Istanbul] et 7 personnes dont 3 enfants meurent ! 127 personnes sont blessées..
Ces 7 personnes sont enterrées et commémorées comme étant les victimes du " bazar d’Egypte ". Mais les martyrs ne se limitent pas au nombre de 7. Il y a encore une autre personne. Une jeune fille nommée Pinar Selek se trouve être la huitième victime de l’explosion du bazar d’Egypte et elle souffre. En effet, on conclut à un plastiquage et Pinar Selek est le coupable désigné. La jeune fille est mise en pièces par l’opinion publique et la presse. Je me souviens encore de son père avocat qui criait haut fort à l’époque sur les écrans de la télévision " ma fille n’a rien à avoir avec les bombes et les armes ! ". Il n’avait pu raconter son malheur à personne. Pinar Selek expliquait également qu’elle était sociologue et qu’elle entreprenait une étude scientifique sur le PKK mais personne ne lui a prêté l’oreille. Aujourd’hui la police publie un rapport et un expert en explosif avec 20 ans de carrière derrière lui atteste qu’il n’a pas trouvé trace d’explosif dans l’explosion du bazar d’Egypte. Qui est-ce qui va répondre à tout ce qu’a subi cette innocente et sa famille ? Qui pourra panser les blessures de ces gens ? Qui est-ce qui atténuera leur peine ?.
Pinar Selek et sa famille ne sont qu’un exemple. Il y a des centaines voire des milliers d’événements similaires en Turquie. Des vies se trouvent brisées par la police et devant la justice..
Il y a une dimension journalistique à l’événement. Nous sommes maintenant habitués de voir certains journalistes anéantir la vie des gens sans aucune investigation et même en se moquant de savoir qui a raison ou tort. Aujourd’hui la Turquie est remplie de personnes déshonorées à tort par certains organes irresponsables de la presse, des individus qui ne peuvent plus se mêler à la société, qui ont subi le lynchage social. Certains d’entre eux se suicident, d’autres essayent de se faire oublier en se tenant à carreau. En Turquie, il n’y a aucun mécanisme susceptible de protéger le citoyen des média. Le destin des citoyens est laissé à la grâce des média. D’accord mais, les media n’ont que le rôle d’intermédiaire ici. Ils transmettent un événement ou un scénario. Mais que faut-il alors dire de nous ? Pourquoi est-ce que nous croyons à tout ce qu’on nous raconte ? Pourquoi est-ce qu’on se réfugie derrière l’horrible dicton " Il n’y a pas de fumée sans feu " ? Pourquoi est-ce qu’on prend du plaisir à s’agglutiner devant nos écrans pour regarder la vie des gens se mettre en lambeaux ? Qu’est-ce qui nous différencie des Romains qui hurlaient naguère " Tue-le, Tue-le, mets-le en pièces " lorsqu’un homme était jeté aux lions ou bien lorsque des gladiateurs se sautaient à la gorge ? Vu comme cela, l’assassin des héroïnes tragiques telles que Pinar Selek, n’est pas les média mais nous "..
Mazlum-Der, une des organisations de défense des droits de l’homme en Turquie a publié son bilan de juin 1999 des violations des droits de l’homme en Turquie. Au cours d’une conférence de presse, Yilmaz Ensarioglu, président de l’association, a déclaré que la Turquie était placée 136ème sur les 191 pays pour le respect des droits politiques et des libertés publiques, 74 ème en ce qui concerne la santé, le bien être, l’éducation et la santé et était parmi les 14 pays regroupant les plus mauvais élèves en matière de droits de l’homme. Le bilan se présente comme suit :
BAISSE DE 45 % DE NOMBRE DE TOURISTES
Le tourisme est en perte de vitesse sérieuse en Turquie d’après les chiffres annoncés par les professionnels du secteur. Antalya et Dalaman, deux des plus importants aéroports touristiques de la Turquie ont enregistrés une perte de 45% par rapport à l’année dernière à la même période pour le nombre de touristes. En 1998, 1,2 millions de personnes avaient été accueillies dans la région les 6 premiers mois de l’année alors que cette année ils ne sont plus que 690 000.. Güngör Uras, journaliste au quotidien turc Milliyet, écrit dans son éditorial du 21 juillet 1999, que les autorités turques se leurrent elles-mêmes sur les raisons de la baisse d’affluence touristique en soutenant que celle-ci n’est pas due " à la crainte d’actes terroristes " et que la situation s’est améliorée depuis début juillet. Selon M. Uras, tout au contraire, les raisons sont directement liées au " danger d’actes terroristes " et que la situation va s’empirant puisque les hôtels accueillent de plus en plus des touristes de bas de gamme qui dépensent peu... |