La contestation du régime turc touche désormais les hautes sphères du pouvoir. Après les critiques acerbes du président de la Cour Constitutionnelle, le 26 avril dernier le nouveau président de la Cour de Cassation turque, M. Sami Selçuk a profité de la cérémonie inaugurale de la rentrée judiciaire pour dénoncer, en présence du chef de l’État, du Premier ministre et des plus hauts dignitaires du régime et des media, les tares du système politique turc et plaider avec force pour la refonte de la République sur des bases réellement démoc-ratiques, pluralistes et laïques.
Dans cette "leçon de démocratie magistrale, dont de larges extraits ont été transmis par les télévisions et les radio, le haut magistrat, élu en juillet dernier par ses pairs, n’a pas mâché ses mots : "Le degré de légitimité de la Constitution de 1982 (NdT . toujours en cours) s’approche de zéro et la Turquie ne peut pas, ne devrait pas entrer dans le nouveau siècle avec une telle Constitution imposée à la société sous la menace (NdT . des auteurs du coup d’Etat de 1980). De ce fait cette Constitution est dépourvue de légitimité formelle, elle est caduque (NdT. ou non valide). La Constitution de 1982 est comme une tenue de bal que l’on garde dans l’armoire car elle n’est pas pertinente pour la vie quotidienne et pour le Droit (...). On pourrait dès lors dire que la Turquie est un Etat avec une constitution mais elle n’est pas un Etat constitutionnel.
M. Selçuk soumet à l’examen critique les principaux mythes fondateurs de l’État turc. Ainsi contrairement à l’idée reçue d’une Turquie laïque, il affirme : "un État qui ouvre et finance des écoles d’une religion et d’une confession (NdT. sunnite), favorise cette religion et cette confession, les adopte d’une façon voilée. Cet État a donc une religion et une confession. Or un État laïc doit se tenir à égale distance vis-à-vis des religions, n’en exclure aucune et n’en favoriser aucune. On peut comprendre qu’Atatürk et ses camarades, qui lors de la guerre de l’indépendance ont beaucoup souffert de l’exploitation politique de la religion, aient plus tard cherché à tenir la religion sous contrôle et cette attitude était réaliste. Mais on ne saurait poursuivre cette attitude dans une démocratie pluraliste. Des considérations populistes et étatistes conduisent l’État à balancer entre laïcité et théocratie . L’État, officiellement laïc , finance à travers une administration (NdT. Direction des Affaires religieuses), tout le personnel religieux des mosquées et des écoles d’une confession (NdT. sunnite) . De ce fait certains considèrent la République turque comme un État théocratique mâtiné de laïcité, d’autres comme un État laïc mâtiné de théocratie. Le constat est clair : la République de Turquie , du point de vue de la source de la souveraineté, est laïque et du point de vue de l’organisation de l’État, elle est théocratique.
Tout en donnant d’inévitables gages de fidélité à Atatürk, le juge suprême critique aussi ceux qui cherchent à enfermer la Turquie actuelle dans les dogmes de l’âge d’or mythique de l’époque d’Atatürk : "Atatürk n’était ni un idéologue ni un idéocrate et l’atatürkisme n’est pas une idéologie ou une idéocratie ; c’est l’application à la vie de la science. Sa méthode est scientifique, son but la démocratie. On ne saurait retourner aux années 1930. Les véritables héritiers d’Atatürk sont ceux qui à la lumière de la science inventent l’avenir et non pas ceux qui s’érigent en gardiens des années 1930, veulent les répéter ou les révéler . C’est l’individu libre, autonome, doté de droit et de libertés, libéré d’oppression qui est au centre de la démocratie et tout se situe par rapport à cette préoccupation centrale. L’État doit être impartial vis-à-vis des opinions et des croyances (...). La société démocratique a besoin non pas de citoyens sages mais des individus ayant acquis la pratique d’un rationalisme questionneur et critique (...). La société démocratique doit être tolérante et généreuse même pour les courants intolérants et destructeurs. L’une des caractéristiques de la démocratie est de comporter à tout moment des risques. Les régimes qui ne veulent prendre aucun risque s’appellent des dictatures. La seule garantie de la démocratie est encore la démocratie elle-même.
M. Selçuk qui, à 3 ans de l’âge de la retraite, ne semble pas craindre les foudres de l’establishment politico-militaire turc dénonce avec force le monoculturalisme officiel et qualifie de "génocide culturel l’ interdiction et la destruction d’autres identités culturelles du pays, sans citer expressément les Kurdes même si son allusion est limpide. "La société démocratique exclut le monopolisme culturel. Nous vivons une époque de protection de différences, de pluralismes philosophique , politique et culturel. La réalité est plurielle (...). Là où le pluralisme, les différences, ne sont pas respectés, les hommes pasteurisés, pensent de la même manière. Et là où chacun pense la même chose cela veut en réalité dire, que nul ne pense plus (...). L’une des dimensions naturelles du pluralisme est l’identité culturelle. Les traditions, les coutumes, les langues, les opinions, les croyances, les valeurs morales sont les éléments constitutifs de la conscience collective et de l’identité collective. La démocratie contemporaine doit protéger l’identité culturelle qui reflète l’appartenance à un groupe et qui façonne la personnalité des hommes (...). Vouloir supprimer ces différences s’appelle un Ôgénocide culturel’.
Après maintes citations de M. Foucault, E. Morin, J. Lacan, le haut magistrat turc conclut : "La Turquie ne doit pas entrer dans le XXIème siècle comme un pays qui s’emploie, par des lois répressives, à écraser les cerveaux de ses habitants et les réduire au silence (...). Je refuse une démocratie de basse intensité, dégénérée, soumise à la tutelle de grands frères (NdT. allusion aux généraux du Conseil national de sécurité). Je plaide pour une démocratie véritable conforme aux normes occidentales. Je plaide pour un Droit qui n’interdit pas les opinions et les croyances, qui permet leur libre débat et émulation sous la protection de la justice (...). Notre peuple ouvert sur le monde extérieur par ses dynamiques économique et culturelle y est prêt. En revanche l’Etat, qui reste à la traîne, qui est en procès avec son peuple, ni ne fait pas confiance à son peuple, qui ne cesse d’imploser qui est maladivement gros et lourd n’arrive pas à suivre la société, la Turquie , qui va de l’avant. Un État idéologique, militant connaît toujours la même fin. ;Il viellit vite parce qu’il est atteint de l’insuffisance de l’État mortel. Il n’est pas légitime car il asservit l’homme (...). Il est grand temps de réformer l’État et la République.
Ce plaidoyer du président de la Cour de Cassation a suscité un "séisme politique en Turquie. La plupart des éditorialistes ont salué le courage de ce "manifeste historique pour la démocratie. Le parti islamiste de la vertu, le DYP de Mme. ‚iller et le PKK ont été parmi les premiers à exprimer leur soutien. Le Premier ministre Bülent Ecevit, a , de son côté, déclaré que le temps d’une réforme constitutionnelle substantielle était venue et que la coalition gouvernemen-tale disposait de la majorité nécessaire au Parlement pour y procéder. L’ANAP de Mesut Yilmaz a promu son soutien à une telle reforme dont l’étendue et le contenu restent très flous. Le président turc s’est contenté d’un commentaire lénifiant : "dans une démocratie pluraliste chacun a le droit d’exprimer ses opinions. J’en prends note et il faut en débattre. Certains commentateurs et des hommes politiques comme Mumtaz Soysal, connus pour leur intégrisme atatürkiste, se demandent si le président de la Cour de Cassation ne plaide pas en faveur des islamistes et s’il ne serait pas proche d’eux. D’autres font remarquer que ces opinions iconoclastes exprimées par un citoyen ordinaire lui aurait valu des années de prisons. La haute hiérarchie militaire n’a pas encore réagi. On verra à la rentrée parlementaire du début octobre si le gouvernement va concrétiser ses intentions proclamées de réforme ou s’il s’agit de déclarations de circonstance pour créer un climat favorable à la veille du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne du 13 septembre et surtout de l’important voyage que Premier ministre turc à Washington à partir du 26 septembre.
Un an après l'accord de paix signé le 17 septembre 1998 à Washington par les leaders kurdes irakiens Massoud Barzani et Jalal Talbani en présence de la Secrétaire d'Etat américaine, Mme. Madelaine Albright le calme règne dans la quasi totalité des provinces sous administration kurde du Kurdistan irakien. Seule la bande frontalière avec la Turquie connaît encore des affrontements intermittents entre le PKK et les peshmergas du PDK et l'armée turque y fait des incursions fréquentes, cela en dépit du récent engagement non tenu du PKK de mettre un terme à ses activités militaires au Kurdistan irakien.
Depuis la signature de cet accord un comité de coordination se réunit régulièrement pour faire le point sur l'application de ses dispositions. La 43ème réunion du Haut Comité de coordination s'est tenu le 12 septembre à Koy Sanjaq. Le PDK était représenté par Sami Rahman, Arif Taifour, Massoud Salah et Abdul Salam Barwari; l'UPK par Faraidun Abdul Kadir, Imad Ahmed et Saadi Pira. Au cour de cette réunion il a été décidé d'établir une commission judiciaire chargée d'assurer la libération des prisonniers de guerre; de réduire la présence des peshmergas des parties près des lignes entre les deux zones et d'en évacuer les armes lourdes; de mettre un terme à la propagande hostile dans les media et d'assurer la libre circulation des marchandises et des hommes.
Cette série de mesures destinées à rétablir progressivement la confiance entre le PDK et l'UPK, pour appréciable qu'elle soit, est encore très loin de répondre aux aspirations de paix et de démocratie de la population. Washington, tout en se félicitant du calme qui règne dans la région se dit préoccupé par la lenteur des progrès accomplis dans la mise en œuvre des dispositions essentielles de l'accord, à savoir la mise en place d'un gouvernement intérimaire chargé de recenser la population, de mettre à jour les registres électoraux et d'organiser des élections libres pour le renouvellement du Parlement du Kurdistan.
L'ambassadeur Beth Jones, adjointe du sous-secrétaire d'État américain pour les affaires du Proche Orient, vient d'écrire aux leaders kurdes les appelant à "energiser le processus de paix".
Dans un long commentaire du 9 septembre, Radio Free Europe donne un résumé aperçu des griefs des un et des autres (voir p. 34-36).
En dépit de ces lenteurs et difficultés du processus de paix, le Kurdistan irakien connaît depuis novembre 1997 un climat pacifique et serein. On y assiste à un sérieux redémarrage économique et à une effervescence culturelle sans précédent. Conformément à la résolution de l'ONU dite "pétrole contre nourriture" 13% du produit de la vente du pétrole sont affectés aux régions sous administration kurde et financent des programmes alimentaires, éducatifs ainsi que des projets de développement et de reconstruction sous la surveillance des agences de l'ONU. Sachant qu'en 1999 la vente du pétrole irakien générera un produit de 7 milliards de dollars, cela signifie que le Kurdistan irakien bénéficiera de $910 millions. Bien qu'une large partie du pétrole irakien soit extraite en territoire kurde, le Kurdistan irakien n'en avait jamais tiré un tel bénéfice.
Un rapport de l'UNICEF rendu public fin août donne d'ailleurs une indication claire de l'amélioration notable de la situation sanitaire et économique au Kurdistan. Selon ce rapport, la mortalité infantile a, depuis 1992, sensiblement baissé au Kurdistan par rapport à la décennie 1980 alors que dans les régions irakiennes administrées par le régime de Saddam Hussein elle a plus que doublé. En clair, malgré leurs querelles intermittentes et malgré l'existence de deux zones administratives de fait les Kurdes gèrent quand même beaucoup mieux leurs affaires que Saddam Hussein celles de l'Irak.
Le général Hüseyin Kivrikoglu, chef d’état-major des armées turques, a, le 3 septembre, convoqué les principaux éditorialistes des grands média turcs pour leur communiquer "les 12 messages de l’armée. à l’intention du public mais aussi du gouvernement. Parmi les questions d’actualité abordées, la question kurde après le début de retrait annoncé des combattants du PKK. Extraits de ses déclarations parus dans le quotidien Hürriyet, du 5 septembre : "Un groupe du PKK de quelques centaines de personnes s’est retiré de la Turquie. Il y a aussi des regroupements dans certains endroits. Mais ils vont en laisser un certain nombre (en Turquie). Ils vont probablement entrer dans les organisations dans les villes. Ce n’est pas très important qu’ils quittent la Turquie. Il faudrait qu’ils se rendent et qu’ils bénéficient de la loi sur les repentis. Dans le passé aussi nous avons vécu des situations où ils ont annoncé des cessez-le-feu qu’ils ont ensuite rompus. De ce fait nous devons attendre et observer pendant un certain temps.
Le général estime que la Turquie reconnaît déjà de facto certains droits culturels aux Kurdes et ajoute : "Comme le chef de la terreur (NdT. A. Ocalan) l’a dit aussi, ils ont reconnu qu’ils n’arriveront nulle part par les armes. Ils envisagent des solutions par des voies politiques. Ils ne demandent plus de fédération. Ce qu’ils demandent ce sont certains droits culturels. Certains de ces droits sont déjà reconnus. Les journaux et les cassettes (de musique) en kurde sont libres. Bien qu’elles soient interdites, des émissions de télévision et de radio en kurde se font dans l’Anatolie de l’Est et du Sud-Est. Dans 37 villes le HADEP (NdT. Parti pro-kurde) contrôle les municipalités. Nul ne leur a dit pourquoi vous avez été élus et ne s’est opposé à eux. S’ils travaillent correctement et servent le pays nul ne trouvera a y redire. La Turquie a donc déjà donné nombre de droits.
Concernant l’attitude de l’armée sur l’exécution de la peine de mort d’Ocalan, le général répond : "Dans cette affaire nous sommes partie. Nous lui avons fait la guerre pendant 15 ans. Ne nous demandez pas notre opinion. Car nous agirons de façon émotionnelle dans notre réponse. Après le verdict de la Cour de cassation la décision appartiendra aux politiques. Les politiques vont s’asseoir et réfléchir. Pourquoi le pouvoir ultime est-il accordé aux politiques ? Parce que dans ce genre de décision il convient de considérer les intérêts du pays et ce pouvoir est accordé aux politiques. C’est l’affaire des politiques. Quelle qu’elle soit, leur décision sera appliquée.
Les media turcs ont présenté ces déclarations comme "le feu vert de l’armée à la reconnaissance de certains droits culturels aux Kurdes. Le directeur de Hürriyet, E. Ozkok, dans son éditorial du 6 septembre, croit à "une nouvelle politique de l’Etat vis-à-vis de la question kurde maintenant que le PKK a été vaincu et que la page des révoltes et contestations armées est définitivement tournée. Il avance même, avec un optimisme téméraire, que "la question kurde pourrait être réglée d’ici à la fin de l’année.
De son côté, dans une déclaration au quotidien Hürriyet du 8 septembre, Le Premier ministre turc affirme : "Le temps est venu pour considérer au plus haut niveau les droits culturels en Turquie. Quoi que cela n’ait pas de rapport direct avec l’amendement de la Constitution, il faudrait procéder à certains arrangements à ce sujet.
Le PKK, par la voie d’un communiqué d’Öcalan rendu public par ses avocats et par une déclaration de son conseil de présidence, se félicite de ces "signes positifs et s’emploie, dans ses media, à convaincre ses partisans rétifs à l’idée de l’abandon sans contre-partie de la lutte armée que "bientôt les dirigeants turcs feront les gestes nécessaires pour la paix. Il y a encore quelques mois les dirigeants du PKK qualifiaient de "traîtres ceux qui demandaient l’autonomie du Kurdistan turc. Ils semblent à présent disposés à se contenter de la reconnaissance de quelques droits linguistiques afin de persuader leurs militants que leur combat n’a pas été vain.
Cependant le 10 septembre, l’état-major des armées turques a publié un communiqué affirmant que les propos de son chef avaient été "mal interprétés" par les média. "Plusieurs média, domestiques et particulièrement étrangers, en présentant ces remarques (du général Kivrikoglu) comme une "politique d’Etat" les ont sorties de leur contexte et en ont fait des interprétations pour lesquelles ils sont seuls responsables ajoute le communiqué militaire qui conclut : "non seulement il n’y a pas une telle politique d’Etat mais pour ce qui concerne l’état-major il n’y a eu aucun changement dans la politique actuelle de l’Etat sur la question kurde et "il est hors de question que l’état-major accepte l’organisation de terreur le PKK comme un interlocuteur, discute ses suggestions ou fasse une quelconque concession (voir p.24-25).
Après cette douche froide, certains éditorialistes turcs, jamais à court d’explications, affirment qu’il y a bien eu un débat au sommet de l’Etat et que les faucons l’ont emporté provisoirement.
Un des plus célèbres prisonniers en Turquie, le sociologue Ismail Besikçi, a été libéré le 15 septembre 1999 de la prison de Bursa où il était enfermé depuis le 13 novembre 1993. I. Besikçi, auteur de 36 livres, a purgé 18 ans de prison pour ses écrits dont la plupart touchent la question kurde. Objet de poursuites incessantes de la part de l’Etat pour délit d’opinion, 107 dossiers ont été instruits, 52 jugés et une peine de 79 ans de prison et 8 milliards de livres turques d’amendes avaient d’ores et été confirmées a son encontre, 55 autres dossiers restant toujours en jugement. Au total, plus de 200 ans de prison ont été prononcés par les Cours de sûreté de l’Etat turques contre d’Ismail Besikçi
Le sociologue doit sa libération conditionnelle à la loi 4454 du 28 août 1999. Toute cousue de main, cette loi relative à la presse et à l’édition, surseoit la peine pendant 3 ans à condition que des faits identiques ne soient pas reprochés à l’intéressé durant cette période. Interrogé à sa sortie, I. Besikçi a déclaré que ce n’était que la huitième fois où on l’autorisait à sortir. "Ces sorties ne sont pas des libérations (...) On ne doit pas commettre les mêmes faits pendant trois ans. On dit que l’opinion et l’expression de l’opinion restent toujours des délits" a déclaré I. Besikçi.
De nombreuses organisations internationales comme Amnesty International, FIDH, Reporters sans Frontières, CILDEKT avaient milité en faveur de la libération de cet universitaire turc persécuté. Récemment le "Comité de Défense des Libertés et des Droits de l’homme en France et dans le monde" avait lancé en faveur de sa libération immédiate un appel adopté par environ cinq cents personnes dont une centaine de sociologues français parmi lesquels Pierre Bourdieu, Alain Touraine, Danièle Kergoat, Nicole Lapierre, Yvette Lucas Nonna Mayer etc".
Dès sa sortie de prison de prison, Dr. Besikçi, a tenu à remercier vivement tous ceux qui à travers le monde se sont mobilisés pour sa liberté : "Dites leur que je suis en bonne santé mais je me sens en liberté provisoire. Les lois liberticides restant toujours en vigueur, je risque de retourner en prison dans quelques mois. Car je n’ai pas l’intention de me taire ou de me censurer". Le 25 septembre, Akin Birdal, ancien président de l’Association turque des droits de l’homme (IHD), a été libéré pour raison de santé. M. Birdal a plus exactement bénéficié d’une permission de six mois pour se faire soigner, après quoi il devrait réintégrer sa cellule. Condamné à 9 mois et 18 jours de prison à la suite des discours prononcés l’un à Mersin en 1995 et l’autre le 1er septembre 1997, lors de la Journée mondiale pour la Paix, Akin Birdal était incarcéré depuis déjà 4 mois à la prison centrale d’Ankara. Interrogé à sa sortie, M. Birdal a déclaré : "à la demande de mes amis avocats, les autorités pénitentiaires ont accepté de me libérer pour des raisons de santé. Dans six mois, je serai à nouveau incarcéré (...) Pour garantir les droits de l’homme, il faudrait déjà qu’il y ait la liberté de l’opinion. Pour assurer la paix sociale, le premier pas serait de promulguer une loi d’amnistie générale. Le chemin de la paix sociale passe par là. La Turquie est aujourd’hui entrée dans une période de paix. Nous devons tous accomplir nos devoirs et nous sentir responsables."
Akin Birdal a conclu son intervention en ayant une pensée pour ses amis restés derrière les barreaux dans la même prison en déclarant : "Je suis dehors, mais mon cÏur est à l’intérieur. Ici restent enfermés les ’Leyla Zana’. Les laisser là me fend le cÏur. Une partie de moi est à la prison centrale d’Ankara, une autre est à ‚ankiri auprès d’Esber Yagmurdereli et les autres parties auprès de tous les prisonniers d’opinion".
Ces libérations conditionnelles interviennent à la veille de l’important voyage à Washington du Premier ministre turc et elle visent aussi à préparer un climat favorable à la candidature turque avant le sommet européen de décembre à Helsinki. En automne 1995, à la veille du débat sur la ratification par le Parlement européen de l’Union douanière avec la Turquie, le gouvernement turc avait remis en liberté une centaine de prisonniers d’opinion. Les lois restreignant la liberté d’expression restant inchangées la plupart d’entre eux sont depuis retournés en prison.
Ces quelques libérations d’intellectuels ont aussi pour but de faire avaler à l’opinion turque la loi d’amnistie prévoyant l’élargissement de près de 30 000 criminels de droit commun, condamnés pour meurtres, détournements de fonds, banqueroutes ou crimes mafieux. Une première mouture de cette loi votée par le Parlement a suscité un tollé général dans l’opinion, obligeant le président Demirel à opposer son veto. Telle quelle, elle allait par exemple autoriser la libération des auteurs de la tentative d’assassinat contre Akin Birdal, tandis que celui-ci incarcéré pour délit d’opinion allait rester derrière les barreaux. Les membres des gangs mafieux proches du Parti d’Action nationaliste (MHP) au pouvoir, impliqués dans de dizaines de meurtres et le trafic de drogue, allaient être libérés tandis que les députés kurdes embastillés depuis mars 1994 pour délit d’opinion aller rester en prison. L’opinion publique réclame une amnistie générale pour tous les prisonniers politiques, qui se chiffrent à plus de dix mille, pour créer un climat de paix sociale et de réconciliation.
Annoncée comme "histo-rique" par les média turcs la visite effectuée à partir du 26 septembre à Washington par le Premier ministre turc n’a finalement permis aucune avancée significative dans les principaux dossiers politique et économique. Politiquement, la Turquie a un besoin crucial de l’appui de son allié de toujours avant le sommet d’Helsinki et financièrement le soutien de Washington lui est nécessaire pour assurer la reconstruction après le séisme qui a frappé la Turquie le 17 août 1999 mais aussi pour assurer son programme d’armement. A la suite de sa rencontre, le 28 septembre 1999 avec le président américain, le Premier ministre Ecevit a déclaré : "Beaucoup de questions ont été abordées et bien sûr les relations entre la Turquie et Israël ... et je suis heureux d’observer que le Président Clinton veut aussi faire quelque chose pour aider l’économie turque". Les observateurs ont cependant noté que les demandes turques sont toutes restées en suspens puisque Bill Clinton ne s’est engagé qu’"à les étudier". Pour Washington, il reste en Turquie beaucoup de domaines à améliorer (droits de l’homme, question kurde et chypriote) et Ankara a pris note des souhaits américains. Le Premier ministre Ecevit rentre au bout du compte les mains vides. On est loin des garanties financières américaines ou de la suppression des intérêts des dettes turques dues aux achats d’armements. Même l’aide humanitaire promise pour faire face aux conséquences du tremblement de terre s’est révélée si modeste que B. Ecevit, "par dignité", a dû la refuser.
La presse turque n’a pas commenté les raisons du "demi-succès" de cette "visite historique" ni la teneur des demandes américaines. Cependant, dans un article publié, le 26 septembre 1999 dans le New York Times, le journaliste Stephen Kinzer observe que "l’administration américaine veut que la Turquie arrête de mettre en prison les individus qui s’expriment ou écrivent des articles, et garantisse à ses citoyens les libertés dont jouissent la plupart des Américains ou Européens. Dans le cas contraire, les progrès marqués dans les domaines internationaux importent peu, les Américains continueront de mettre la Turquie dans le même groupe que le Pérou, la Malaisie, la Biélorussie, le Zimbabwe, et autres quasi-démocraties où les droits de l’homme sont mis de côté en faveur de la question de sécurité nationale chérie par les autocrates dirigeants. La Turquie a construit une économie dynamique, donné l’égalité aux femmes et créé une société ouverte remarquable. Pourtant, précisément parce que la nation est si orientée à l’ouest, son peuple est devenu impatient d’atteindre une démocratie pleine à l’occidentale.
Les commandants militaires turcs continuent de jouir du droit de veto sur les décisions important du gouvernement. Une élite franchement conservatrice insistent sur des lois restreignant la liberté de l’expression et autres droits civils (...)"
Une déclaration de "paix et de démocratie en 7 articles, signée par 224 organisations et personnalités des 19 provinces du Kurdistan de Turquie a été rendue public le 14 septembre 1999. En voici la traduction intégrale.
"Afin de résoudre les questions publiques sans recours à la violence mais par le dialogue et la compréhension, et en s’abstenant de faire des déclarations et des appréciations susceptibles de provoquer des conditions propices à la violence, nous invitons à fournir des efforts pour aménager un cadre pacifique et démocratique.
Les obstacles entravant le débat sur la question kurde devraient être levés tout comme ceux qui sont rencontrés par les libertés de la pensée, de l’opinion, de l’expression et de l’association.
Vu le régime d’exception (OHAL) qui a conduit à l’application d’un droit double et en prenant en considération le système des "protecteurs de village" attentatoire à la nature humaine, à sa psychologie et son honneur, le régime d’exception (OHAL) devrait être levé.
Les conditions de retour des habitants aux villages évacués devraient être assurées en toute sécurité. Ils devraient être dédommagés et les terres agricoles et d’élevage laissées hors production devraient être exploités. Nous voyons comme un impératif la nécessité d’une amnistie générale et non discriminatoire. Tant que les crimes politiques et les délits d’opinion seront hors du champ de compétence de la loi d’amnistie nous n’obtiendrons pas la paix sociale.
Ratifier le protocole additionnel n°6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Abolir la peine de mort contenue dans 4 lois et 41 dispositions en Turquie.
Nous soutenons l’opinion de Dr. Sami Selçuk, premier président de la Cour de cassation sur la révision constitutionnelle. Une constitution démocratique en accord avec la société, un droit supranational qui garantirait les différences culturelles et identitaires.
De son côté, dans un communiqué diffusé, le 22 septembre 1999, Abdullah Öcalan, chef du parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a implicitement appelé un groupe du PKK à se rendre aux forces turques pour démontrer la sincérité de son engagement à mettre fin à la lutte armée. En août 1999, à la suite de l’appel d’Öcalan, le PKK avait annoncé qu’il allait se retirer de la Turquie en déclarant qu’il voulait mettre fin à ses 15 ans de lutte armée mais l’armée turque avait souligné que ce retrait était insuffisant pur mettre fin au conflit. Essayant d’établir le dialogue avec l’armée turque, Öcalan a déclaré "j’appelle un groupe du PKK à se rendre avec ses armes et à rejoindre la République démocratique en signe de bonne volonté pour prouver que le PKK n’est pas opposé aux efforts démocratiques (...) Cet effort que fera le PKK (...) pour démontrer que sa décision de mettre fin à lutte armée est sincère (...) est un pas symbolique pour la paix et une solution démocratique.
L’un des avocats d’Öcalan, Me Dogan Erbas, a assuré que cette déclaration n’était pas nécessairement un appel à la reddition en ajoutant que "le retour de membres du PKK en Turquie est un pas pour encourager l’Etat turc à élargir la portée de la loi d’amnistie afin qu’elle couvre également les militants du PKK.
Cependant l’armée turque a réitéré sa détermination à pourchasser le PKK "jusqu’à ce que le dernier terroriste ait été neutralisé" selon les termes employés par Sabahattin ‚akmakoglu, ministre turc de la défense. M. ‚akmakoglu a rejeté les appels à la paix lancée par Abdullah Öcalan, estimant que "le PKK s’est engagé dans un spectacle de repentir qui n’est pas sincère alors qu’il doit rendre compte du sang versé". Ces déclarations martiales reflètent l’état d’esprit du haut commandement de l’armée turque qui exige la capitulation pure et simple.
Quelque 5 000 soldats turcs, appuyés par des hélicoptères et des "protecteurs de village", miliciens kurdes pro-gouvernementaux armés par l’Etat, ont lancé, le 27 septembre 1999, une incursion dans le nord de l’Irak depuis trois différents points à la frontière contre les bases du PKK. L’espoir d’une fin proche du conflit s’avère de plus en plus compromis.
La réunion informelle du conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne les 4 et 5 septembre en Finlande s’est traduite par quelques gestes en direction de la Turquie, durement affectée par le recent tremblement de terre qui a fait plus de 15.000 morts et dont les dégats matériels sont évalués à 4 à 7 milliards de dollars (estimation américaine). L’UE a décidé l’octroi d’une aide humanitaire de 30 millions, qui s’ajoutent à 2 millions d’euros d’aide d’urgence, pour la construction d’abris pour les populations sinistrées et le déblocage de 150 millions d’euros promis dans le cadre de l’Union douanière conclu en 1995. La Grèce s’est montrée compréhensive et s’est même prononcée en faveur de la candidature turque à certaines conditions. Elle a cependant maintenu son veto sur le versement d’un autre protocole financier de 375 millions d’euros toujours dans le cadre de l’Union douanière. Par ailleurs la Turquie pourra obtenir un prêt à faible intérêt, de 600 millions d’euros de la Banque d’investissements pour aider à la reconstruction de ses régions sinistrées. La Banque Mondiale vient, à son tour, d’accorder à Ankara un prêt d’un milliard de dollars.
Sur le plan politique, la situation évolue aussi. Selon M. Hubert Védrine, ministre français des Affaires étrangères, le Conseil reste encore divisé entre deux groupes. Le premier, conduit par la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, qui demande des avancées sérieuses dans le domaine de la démocratie, des droits de l’homme, des questions kurde et chypriote avant la reconnaissance à la Turquie du statut de candidat officiel. Le deuxième groupe qui regroupe désormais notamment, la France, l’Allemagne, et l’Espagne qui sont d’avis qu’il faut d’abord accorder à Ankara le statut de candidat officiel et d’exiger ensuite le respect des critères de Copenhague sur le respect des droits de l’homme, et de la démocratie et des minorités. Une décision pourrait être prise lors du sommet d’Helsinki en décembre prochain. Certains media turcs prennent à partie Mme. Anna Lindh, ministre suédoise des Affaires étrangères, qu’ils accusent d’être "une deuxième Mme. Mitterrand ennemie de la Turquie empêchant son entrée dans l’Union européenne.
Une reprise de dialogue politique entre l’UE et Ankara s’est engagée lors de la rencontre, le 13 septembre 1999, d’Ismail Cem, ministre turc des affaires étrangères, avec ses homologues des Quinze à Bruxelles. Tout en regrettant que son pays n’en soit qu’au stade d’une reconnaissance de sa candidature, alors que sa vocation à l’adhésion remonte à 1963, le chef de la diplomatie turque a déclaré lors d’une conférence de presse : "on a parfois l’impression (en Europe) que rien ne va en Turquie. Ce n’est pas le cas, même si nous avons pris certains retards sur le chemin de la démocratie. Il n’a pas manqué de mettre sur le compte des "actes terroristes les retards "sur le chemin de la démocratie.
La Grèce a maintenu son attitude conciliante et le ministre grec des affaires étrangères, M. Papandreu, a fait des déclarations très encourageantes pour l’amélioration des relations greco-turques, jusqu’alors tendues à cause des contentieux territoriaux en mer Egée et la situation en Chypre. Le ministre français délégué aux Affaires européennes, Pierre Moscovici, n’a pas manqué d’affirmer que l’UE travaille "dans la perspective de la candidature de la Turquie à Helsinki et a qualifié la visite de M. Cem comme "une première chance pour une conclusion positive. Mme Tarja Halonen, ministre finlandaise des Affaires étrangères, dont le pays préside l’UE jusqu’en décembre, a, quant à elle, déclaré : "nous sommes encouragés par les engagements pris par la Turquie de poursuivre sur la voie des réformes.
U cours d'une session plénière tenue le 26 septembre à Bruxelles "le Parlement kurde en exil" (PKE) a décidé, de se saborder. Officiellement pour rejoindre les rangs d'un Congrès national du Kurdistan (CNK) proclamé le 26 mai dernier à Amsterdam et présidé par Dr. Ismet Chériff Vanly.
Le PKE avait été fondé le 2 avril 1995 à La Haye. Il regroupait, autour d'une demi-douzaine de députés kurdes du parti de la Démocratie (DEP) exilés en Europe après l'interdiction de leur formation par les autorités turques, des représentants du PKK et des groupes politiques qui lui étaient proches. Organisme non élu et autoproclamé, il a souffert de manque de légitimité. Ankara et à sa suite plusieurs capitales occidentales le qualifiant de simple "émanation du PKK". De son côté, il ambitionnait de devenir un interlocuteur politique acceptable pour négocier un jour le règlement du problème kurde en Turquie avec Ankara qui refusait, et continue de refuser toute idée de discussion avec "l'organisation terroriste PKK".
Quelques réunions que le PKE a tenues dans certaines capitales européennes (La Haye, Copenhague, Vienne, Moscou et Rome) ont certes eu de l'impact dans les média turcs et provoqué des réactions virulentes d'Ankara. Mais les crises diplomatiques ainsi suscitées se sont résorbées. Aucun État au monde n'a accepté de reconnaître le PKE qui avait en outre du mal à trouver des pays d'accueil pour tenir ses réunions.
Lors de l'arrivée à Rome d'Abdullah Ocalan, le PKK s'est employé à mettre rapidement en place un "Congrès national du Kurdistan" présidé par son chef afin de lui conférer le statut de "leader de la nation kurde". Au beau milieu de ces efforts enfiévrés Ocalan a été arrêté au Kenya et ramené en Turquie : La réunion du CNK, prévue pour mars, a été de ce fait retardée. Finalement elle s'est tenue le 26 mai près d'Amsterdam pour élire, à la veille de sa comparution, Ocalan "président d'honneur".
Considérant le CNK comme un avatar du PKE et trop dépendant du PKK les principaux partis politiques kurdes d'Irak (PDK, UPK) et d'Iran (PDKI), le Parti socialiste et le PDK de Turquie et la plupart des personnalités kurdes indépendantes n'ont pas participé au CNK. De son côté, ce dernier depuis sa réunion constituante a adopté un profil bas et ne fait guère parler de lui. La stratégie de défense adoptée par Ocalan lors de son procès, l'abandon des revendications de fédéralisme ou d'autonomie au profit d'un vague projet de "république démocratique" turque reconnaissant aux Kurdes certains droits linguistiques est loin de faire l'unanimité dans les rangs du CNK conçu au départ pour affirmer "le droit à l'autodétermination de la nation kurde".
Dans cette période de fortes turbulences et au nom des impératifs de sa nouvelle "stratégie de paix" le PKK qui a fait dissoudre le PKE semble aussi avoir mis en veilleuse le CNK. Ses media donnent abondamment la parole aux membres du Conseil de la présidence du PKK défendant sans faille "la stratégie géniale du leader national Ocalan".
Sur l’invitation de Massoud Barzani, président du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), cinq députés de l’Assemblée nationale turque se sont rendus, le 23 septembre 1999, au Kurdistan irakien. La délégation comprenait uniquement des députés élus dans les circonscriptions kurdes de Turquie : Hasim Hasimi, député du parti de la Vertu de Diyarbakir, Sebgetullah Seydaoglu et Nurettin Dilek, députés ANAP de Diyarbakir, Mustafa Tugmener, député DSP de Mardin, et Macit Piruzbeyoglu, député ANAP d’Hakkari. Au cours de leur visite, les députés se sont attachés à s’informer des réalités locales. Ils ont également été reçus par les principaux dirigeants du Parlement et du gouvernement d’Erbil qui leur ont réaffirmé que le Kurdistan irakien n’était pas engagé dans un processus de séparatisme. Les Kurdes essaient de gérer leurs propres affaires dans un esprit fédéraliste et démocratique et dans le respect des frontières internationales leur a-t-on dit en substance. Les députés ont promis d’informer les instances de leurs partis des conclusions de leur visite qui constitue une première depuis 1994. Interrogé par la presse turque, Hasim Hasimi a démenti les rumeurs qu’il y aurait eu de discussions avec des émissaires du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
Les spéculations étaient allées bon train une fois la visite annoncée. Certains milieux et en premier lieu les média turcs n’ont pas hésité à accuser les députés d’entreprendre ce voyage pour faciliter l’arrivée d’un groupe de combattants du PKK qui devaient se rendre "symboliquement" aux autorités turques.
De graves troubles ont eu lieu les prisons turques, à la suite de la répression sanglante d’une mutinerie dans la prison d’Ulucanlar à Ankara, où une intervention des gendarmes s’est soldée, le 26 septembre 1999, par la mort de 11 prisonniers d’extrême gauche. Le mouvement a très vite fait tache d’huile et s’est répandu dans une quinzaine de prisons turques, où les détenus ont pris 72 gardiens en otages.
Des négociations avec les mutins ont été lancées avec la participation de représentants d’organisations non-gouvernementales, notamment Me Yucel Sayman, le bâtonnier du barreau d’Istanbul. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre une libération prochaine des otages était annoncée. L’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch a de son côté condamné "l’usage excessif de la force" lors de la répression de la mutinerie à Ankara, affirmant que 11 prisonniers ont été battus à mort par les gendarmes. Par ailleurs, le chef du bureau de l’IHD à Istanbul, Me Eren Keskin, des parents des mutins et des représentants d’organisations non-gouvernementales ont été interpellés alors qu’ils tentaient de participer à une manifestation de l’IHD sur les mutineries.
Ces mouvements ont relancé le débat sur la nécessité d’une réforme urgente du système judiciaire et pénal. Les règlements de compte et mutineries ont fait au moins 17 morts cette dernière semaine dans les prisons turques. En juillet 1996, 12 détenus, membres d’organisations d’extrême gauche, avaient trouvé la mort à l’issue d’une grève de la faim totale qui avait duré 69 jours. La déclaration du Premier ministre Bülent Ecevit le 26 septembre 1999 qui a affirmé que "l’Etat saura par tous les moyens établir son autorité dans les prisons" ne contribue pas à l’apaisement. Pour le secrétaire général de l’IHD, "le gouvernement essaie de prouver qu’il dispose d’une autorité sur les prisons et, ils ont choisi de le faire en s’attaquant aux prisonniers politiques". Selon les chiffres officiels, les prisons turques sont au nombre de près 600 et quelque 62 000 personnes y sont incarcérées dont 9 000 condamnés ou inculpés pour des actes qualifiés de "terroristes".
Leyla Zana et ses collègues députés kurdes détenus à la prison d’Ankara n’ont pas été directement affectés par la répression. Cependant comme tous les prisonniers, ils ne peuvent, pour une durée indéterminée, recevoir des visites.
Au cours de son brefing du 3 septembre le général Kivrikoglu s’en est pris aux dirigeants politique qui tardent à mettre en pratiques certaines des décisions prises le 28 février 1997 par le Conseil national de sécurité sous l’impulsion de l’armée et qui avaient abouti à la démission du Premier ministre de l’époque, Necmettin Erbakan : "Le 28 février le Conseil national de sécurité a adopté un texte de décision en 18 articles. Sur ces 18 décisions recommandées alors à ce jour seulement 4 ont été traduites en lois, y compris la loi sur l’enseignement fondamental (NdT. obligatoire de 8 ans). Cependant nous ne voyons pas une situation encourageant la légifération sur les autres (décisions). Nous voyons même des approches comme "le 28 février est terminé (NdT. déclaration récente du Premier ministre Ecevit). Le 28 février est un processus. Il a commencé en 1923 (NdT. date de la fondation de la République turque) et depuis cette date il continue de façon indexée à la réaction (religieuse). Nous considérons cela comme une défense. Le 28 février se poursuivra s’il le faut pendant dix ans. C’est un processus qui, se poursuivra s’il le faut pendant cent ans, pendant mille ans. Nous attendons que le Parlement, lors de sa rentrée du 1er octobre examine avec célérité les autres projets de loi décidés le 28 février. Le chef suprême de l’armée turque demande l’adoption en urgence d’une nouvelle loi sur l’audio-visuel pour combattre "les émissions de télévision et de radio à caractère séparatiste ou réactionnaire (islamiste).
Alors que la communauté internationale regarde d’un bon œil les promesses de réforme annoncées par les autorités turques, la Turquie continue de priver les Kurdes des droits culturels fondamentaux. C’est ainsi que le dernier album intitulé "Hêviya Te [En t’attendant] du chanteur kurde Sivan Perwer a été frappé du sceau de la censure par décision du 3 septembre 1999 du ministre de la culture turque. L’album a été interdit des boxes et les responsables de la production Ses Plak ont été placés en garde-à-vue. Remarquable coïncidence, le 3 septembre même, le chef d’état-major turc, Huseyin Kivrikoglu, déclarait dans une réunion en présence de journalistes que les cassettes en kurde étaient librement distribuées en Turquie et que la langue kurde était nullement interdite.
Pourtant, au total 226 cassettes kurdes ont été interdites à la vente et à la distribution ces cinq dernières années par la super-préfecture de Diyarbakir. Celles qui reçoivent le visa des autorités ne restent dans les boxes qu’un seul mois et sont ensuite saisies. Sivan Perwer qui chante en kurde reste le musicien le plus censuré en Turquie mais les groupes ou chanteurs kurdes qui s’expriment dans les deux langues ou encore seulement en turc comme Ahmet Kaya sont également poursuivis, jugés et condamnés par les autorités turques. Dans ce triste inventaire se trouvent aussi des cassettes de mélodies kurdes sans paroles jouées lors des mariages dans la région.
Le tableau, dressé après les discussions entre le Fonds monétaire international (FMI) et Ankara, conduit à penser que la Turquie devrait se préparer à se serrer la ceinture pour 2000 et 2001. Recep Önal, ministre d’Etat, a déclaré qu’en période de crises économiques "comme à l’époque de la libération, il n’y a de l’argent que pour les balles et les armes". Crise économique ou pas la Turquie continue en effet à lancer des appels d’offres pour moderniser et développer ses armements. Ankara maintient son programme de 150 milliards de dollars d’achat d’armes pour les 10 prochaines années. Par ailleurs la foire de l’industrie de défense -IDEF 1999, regroupant 207 sociétés de 22 pays a ouvert ses portes à Etimesgut en Turquie pour permettre aux militaires turcs de faire leurs emplettes.
Dans le cadre de son programme de configuration de neuf avions de transport CN-235 en avions de patrouille maritime pour un budget d’un montant de $150 millions, la Turquie a convié au moins sept sociétés d’armement à l’appel d’offres. D’autre part, le sous-secrétariat turc à l’industrie de la défense a signé un contrat de $120 millions avec la société espagnole CASA en septembre 1998 pour neuf avions à turbopropulseur bimoteur.
Par ailleurs, la Turquie a lancé le plus important projet de défense du pays en lançant un appel d’offres de $ 7 milliards pour un programme de construction de chars. Les sociétés en compétition étant entre autres General Dynamics, M1A2 Abrams des Etats-Unis, GIAT Leclerc de la France, Leopard 2 d’Allemagne (...)
Un éditorialiste de Hurriyet écrivait le 9 septembre 1999. "la Grèce soutient activement la Turquie, le PKK a déposé les armes, nous n’avons plus d’ennemis (...) Alors pourquoi continuer à maintenir l’une des plus grandes armées du monde ?. Malgré ce constat pertinent, les autorités turques ne semblent pourtant pas enclines à modifier leur priorité.
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné à l’unanimité la Turquie, le 28 septembre 1999, pour avoir interdit un livre et infligé une amende à son éditeur en violation du droit à la liberté d’expression. Unsal Öztürk, avait été condamné en 1989 à une amende de 285 000 livres turques par la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara pour avoir publié l’année précédant un ouvrage sur la vie d’Ibrahim Kaypakkaya, leader d’un mouvement d’extrême gauche turc. L’auteur de l’ouvrage M.N. Behram avait été acquitté en 1991 et l’ouvrage avait été de nouveau publié par une autre maison d’édition sans nouvelle interdiction.
La Cour européenne a estimé que rien dans l’ouvrage incriminé ne justifiait son interdiction, telle que l’admet l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors qu’une telle mesure apparaît "nécessaire dans une société démocratique". La cour précise d’autre part que "les propos tenus dans l’édition litigieuse du livre, dont le contenu ne diffère d’ailleurs aucunement de celui des autres éditions, ne sauraient passer pour une incitation à l’usage de la violence, à l’hostilité ou à la haine entre les citoyens".
Ünsal Öztürk est l’un des éditeurs les plus persécutés par les autorités turques. Il a publié entre autres les livres d’Ismail Besikçi. La Turquie a été condamnée à lui verser 10 000$ pour dommage matériel et 20 000 francs pour frais et dépens.
Selon le "rapport d’investissement mondial 1999" publié par la conférence sur le commerce et le développement des Nations Unies (UNCTAD), la Turquie n’arrive qu’en 55ème position des pays récipiendaires d’investissements étrangers - 800 million de dollars - située derrière des petits pays comme la Lituanie, la Croatie, la Bolivie et l’Equateur. La Turquie est citée dans ce rapport comme étant "le seul pays à avoir enregistré une baisse d’investis-sement". Les pays recevant le plus d’investissements sont, dans l’ordre, Les Etats-Unis avec 193 milliards de dollars, la Grande-Bretagne, la Chine, la Hollande, le Brésil, la France, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suède et le Canada.
Abdurrahman Ariman, secrétaire général de l’association des investisseurs étrangers (YASED) a déclaré que la Turquie était placée à la 22ème ou bien 23ème position de la liste dans la première moitié de la décennie, mais était tombée au rang de 38ème en 1995 puis 40ème en 1996. Le président de YASED a, quant à lui, constaté que le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est étaient pourtant potentiellement très attractifs pour les capitaux étrangers et a mis sur le compte de l’inflation galopante pour expliquer le mauvais résultat de la Turquie. Le pays qui a une image fort ternie et qui était déjà boudé par les touristes attire de moins en moins les capitaux étrangers.
La Banque mondiale a rendu public, le 15 septembre 1999, son rapport tant attendu sur le bilan financier du séisme en Turquie. En se gardant de donner des chiffres précis, la Banque a estimé à entre 7,5 et 12,2 milliards de dollars les dégâts matériels. Le séisme pèserait entre 3,6 et 4,6 milliards de dollars en plus sur le budget national et rien que la construction des immeubles coûterait de 3 à 6,5 milliards de dollars. Le tableau se présente comme suit :
Conséquence du séisme sur l’économie
1999 2000 TOTAL
* Milliard de dollars
Un projet de loi préparé par l’armée qui pourrait être adopté bientôt, permettra aux jeunes Turcs nés avant 1973 et riches d ’être exemptés de service militaire moyennant versement d’une indemnité aux caisses de l’État. Ceux qui sont âgés de moins de 40 ans devront payér 15.000 DM et seront exemptés du service militaire aprés une instruction de base d’un mois, généralement dans un camp de vacances. Les hommes âgés de plus de 40 ans devront s’acquitter de la coquette somme de 20.000 DM et ne seront astreints à aucune instruction militaire. Selon le ministère turc de la défense cette mesure pourrait potentiellement concerner 200.000 jeunes et rapporter jusqu’à 3 milliards DM au budget de l’État. Officiellement les sommes ainsi dégagées pourraient être affectées à l’effort de reconstruction des zones affectées par le séisme d’août dernier.
Cependant un système analogue, en vigueur depuis des années pour les jeunes Turcs de la diaspora, a jusqu’ici servi à financer le budget de développement des industries militaires turques.