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avec revues de presse

Bulletin N° 182 | Mai 2000

 

 

PARIS : FÊTE KURDE AU ZÉNITH

À l’occasion de l’entrée dans le nouveau millénaire l’Institut kurde a organisé le 21 mai dans la prestigieuse salle parisienne de concerts, le Zénith, une fête musicale kurde.

Placée sous le signe de l’unité kurde, cette fête a fait appel à tous les secteurs de la diaspora kurde, sans exclusive. À côté des chanteurs déjà connus en France comme Sivan Perwer et Temo, elle a rassemblé des musiciens célèbres dans leurs pays d’origine comme Ahmet Kaya, élu meilleur musicien de l’année 1999 en Turquie. Les femmes ont été particulièrement à l’honneur avec les chanteuses Bessê, Fatê, Leila Fariqi, Shahla et Xezal.

Des chanteurs issus d’autres cultures, comme l’Assyro-chaldéenne Linda George, la Franco-tunisienne Amina, la Portugaise Bevinda, le Marocain Azzedine Alaoui et le Kabyle Ferhat ont voulu témoigner leur sympathie envers le peuple kurde en participant à cette fête à laquelle ils ont ainsi donné un caractère interculturel.

L’aspiration des Kurdes à l’unité et à la liberté, après un siècle chargé de tant d’injustices et de malheurs pour leur peuple, a été le thème dominant de cette manifestation artistique kurde. En dépit de leurs divergences et conflits, les principales organisations kurdes ont tenu à apporter leur soutien à cette fête d’unité. Le président du parti démocratique du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a envoyé un message personnel de soutien et d’amitié. Le PDK iranien et le PKK ont adressé des messages signés de leur représentant en Europe, respectivement, Khosrow Abdullahi et Murat Karayilan tandis que le Parti Socialiste du Kurdistan de Turquie avait envoyé un message de solidarité signé de son représentant, Ziya Acar. Le Hadep et le parti de la Liberté et de la paix (DEP) ont également envoyé des messages ainsi que de nombreuses associations et organisations kurdes de la diaspora.

De nombreuses personnalités françaises, dont Laurent Fabius, ministre de l’économie et des finances, Jack Lang, ministre de l’Education nationale, François Hollande, premier Secrétaire du parti Socialiste, Robert Hue, secrétaire national du parti Communiste français ont envoyé des messages de soutien et de sympathie.

Dans sa brève intervention le président de l’Institut kurde a appelé les organisations kurdes qui parlent de l’unité et de la démocratie à faire preuve de tolérance vis-à-vis des autres et à construire la nécessaire unité kurde par la voie du dialogue et de la persuasion. De son côté, Mme Mitterrand s’est également adressé à l’auditoire pour dire que les Kurdes ont maintenant de nombreux amis à travers le monde mais, pour réussir, il faut d’abord qu’ils dépassent leurs querelles et déchirements, qu’ils deviennent amis d’eux-mêmes. Sinon, nul ne peut rien faire pour eux. Le succès ne sera possible qu’au prix d’un engagement ferme et persévérant dans la voie du dialogue inter-Kurdes et de la cohésion, a-t-elle conclu au milieu des applaudissements de la salle.

La fête, prévue de 15h à 20h, a finalement duré jusqu’à 23h avec la participation de plusieurs milliers de personnes, dont de nombreux non Kurdes.

UN COLLOQUE SUR LA QUESTION KURDE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE

À l’initiative des députés Verts Noël Mamère et Marie-Hélène Aubert et avec le concours de la Fondation France-Libertés, un important colloque sur le thème " Les Kurdes en Turquie, Iran, Irak, et Syrie : réalités et perspectives " s’est tenu le 31 mai dans la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale française. De nombreuses personnalités ont pris part au colloque qui a débuté par la présentation de Mme Danielle Mitterrand, suivie de l’intervention d’Henri Emmanuelli, président de la Commission des finances et ancien président de l’Assemblée nationale. Plusieurs autres députés français dont Christian Martin, Bernard Cazeneuve, qui avait soutenu le projet du Festival kurde à Cherbourg, Jack Lang, ministre de l’éducation nationale, Alima Boumedienne-Thiery, députée européenne et François Loncle, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, ont manifesté leur désir de voir la question kurde trouver une solution équitable et juste. Ainsi, les députés ont affirmé la création future d’un groupe d’études sur la question kurde au sein de l’Assemblée nationale et de contribuer à une meilleure prise en compte de cette question par le Parlement et le gouvernement français.

Des personnalités kurdes représentant les différents partis politiques kurdes étaient également présente au colloque pour évoquer la situation dans les différentes parties du Kurdistan : Mustafa Amin, secrétaire général adjoint du PDKI, Mesut Bestas, porte-parole du HADEP, Kemal Burkay, président du parti socialiste du Kurdistan, Havin Guneser, porte-parole de l’Union démocratique du peuple kurde, Dr. Saadadin Malla, représentant en Suède des Kurdes de Syrie, Latif Rashid, représentant de l’UPK, Dr. Rôj Nouri Shaweiss, président du parlement kurde d’Erbil, membre du comité central du PDK et Ismet Cherif Vanly, président du Congrès national du Kurdistan (CNK), basé à Bruxelles

Des responsables des différentes organisations non gouvernementales ont également pris part au colloque : Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, Antonello Attardo, représentante de Minority Rights Group, Osman Baydemir, vice-président de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) et Michèle Fournier, responsable Moyen-Orient d’Amnesty Intenational… Différents thèmes ont été abordés : " Les Kurdes au regard des Constitutions en vigueur ", " Droits de l’homme, liberté d’expression, droits culturels et linguistiques ", " Enjeux et rôle de la société civile au Kurdistan " et " Perspectives et solutions : autonomie, fédéralisme, indépendance ? ".

La tenue de ce colloque dans l’enceinte de l’Assemblée nationale française avec la participation des députés de gauche (socialistes et verts) et de droite (UDF), d’un ministre en exercice (Jack Lang), constitue un pas significatif dans la prise en compte par la France de la question kurde, cela à quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne qui doit débuter le 1er juillet. C’est aussi la première fois depuis la conférence kurde de Paris d’octobre 1989 que tous les partis kurdes étaient réunis dans la même salle dans un climat de tolérance.

Par ailleurs, le parti des Verts allemands a organisé le 30 mai un colloque dans l’enceinte du Parlement de Bavière sur " La question kurde et l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ". En l’absence des maires kurdes, invités mais interdits de sortie par les autorités turques, des représentants des ONG locales (barreau de Diyarbakir, association des droits de l’homme) sont venus témoigner du sort de la population kurde depuis la suspension de la lutte armée du PKK. D’autres intervenants kurdes (Kendal Nezan, Sertaç Bucak), turc (Çigdem Akkaya) et allemand (Dr. Roland Bank, du Max- Planck Institut, les députées Elisabeth Köhler et Ulrike Gote) ont évoqué les enjeux de la candidature turque pour l’Union européenne pour les Kurdes et pour les Turcs. La Bavière est l’un des lander les plus conservateurs d’Allemagne où les Verts tiennent, par ce genre de colloque, à faire évoluer l’opinion sur la question kurde.

CANNES : LE KURDISTAN À L’HONNEUR

Deux films tournés au Kurdistan iranien et mettant en scène la vie des Kurdes à la frontière entre l’Iran et l’Irak ont rencontré un vif succès au 53ème festival du film de Cannes et obtenu des prix.

Takhté Siyah (Le Tableau noir) de la jeune réalisatrice Samira Makhmalbaf, âgée de 20 ans, a été salué comme une véritable révélation par les critiques et honoré du Prix spécial du Jury. Le film raconte l’histoire d’une dizaine d’instituteurs sans élèves, qui tels des colporteurs d’éducation, portent leur tableau noir sur le dos et s’en vont par les villages tenter d’échanger leur savoir contre le gîte et le couvert. Deux d’entre eux survivent aux péripéties de la guerre Iran-Irak qui fait rage dans ces montagnes du Kurdistan. L’un d’eux rejoint une bande d’enfants kurdes contrebandiers et s’emploie à leur enseigner ses leçons tandis qu’ils poursuivent leur périlleuse activité. L’autre rencontre une troupe errante de vieillards kurdes irakiens jetés par la guerre sur les routes de l’exil. Le film retrace cette fuite éperdue faite d’événements brefs et violents, et au-delà des horreurs de la guerre, la douleur d’un exil absolu de l’amour impossible.

Interviewée par le quotidien kurde Özgür Politika, la jeune réalisatrice de ce film puissant et percutant déclare notamment : " Le Kurdistan n’est pas une place exotique pour moi. C’est une région où j’ai vécu et voyagé. J’ai fréquemment fait des tournages avec mon père (le réalisateur Mohsen Makhbalbaf) dans les villages du Kurdistan. Les expressions faciales des enfants Kurdes et la stature majestueuse des montagnes du Kurdistan m’ont grandement affectée. Les montagnes m’ont parlé. Quant j’étais une petite fille, mon père me parlait de l’histoire kurde et du mode de vie kurde. Et quant j’ai comparé tout cela avec ce que j’ai vu, un sujet vraiment intéressant de film s’est formé dans ma tête (…). Ce film en est le résultat. Et on peut dire que le scénario de Takhté Siyah a été écrit après le tournage. Les montagnes parlent dans ce film, la nature parle. La topographie du Kurdistan explique tout. Je crois que, avec les paysans kurdes dans ce film, nous avons communiqué un message sérieux. Mais comme dans un poème, il faut le vivre, il faut voir le film. Et avant tout, j’aimerais que les Kurdes voient ce film….). Je me considère comme une partie du peuple kurde. J’ai essayé, dans ce film, de donner la parole aux montagnes du Kurdistan et aux visages souriants des paysans kurdes. J’ai conçu ce film comme un poème ".

L’autre film-événement du Festival a été " Un temps pour l’ivresse des chevaux " du réalisateur kurde iranien Bahman Ghobadi, présenté dans la Quinzaine des réalisateurs. Le film est tourné dans la même région kurde à cheval sur l’Iran et l’Irak et son réalisateur a d’ailleurs joué l’un des principaux rôles dans le Tableau noir : il met également en scène des enfants kurdes contrebandiers sur fond d’une guerre effarante mais quasiment invisible. Tout le film est tendu du point de vue d’une seule urgence, celle d’un jeune garçon qui veut sauver la vie précaire de son frère, atteint de nanisme. A travers l’odyssée équestre de ces enfants le film donne à voir et à réfléchir sur le destin précaire tragique du peuple kurde, dévasté par la guerre, déchiré par les frontières, réduit à la misère. La capacité de survie des enfants contrebandiers, leur extraordinaire solidarité pour tenter de sauver le plus fragile d’entre eux donnent font de ce film une œuvre puissante et poignante qui a été récompensée, à juste titre, par le jury de la Quinzaine de réalisateurs, de la caméra d’or.

Photographe et reporter à la télévision du Kurdistan iranien, Bahman Ghobadi, diplômé de l’Ecole de cinéma de Téhéran, dans une interview au Monde du 11 mai, se dit " fier d’avoir au cours des deux dernières années ammené au Kurdistan à la fois Abbas Kiarostami, qui y a tourné " Le vent nous emportera " et les Makhmalbaf, père et fille ".

CHERBORUG : FESTIVAL CULTUREL KURDE

À l’initiative de l’association identités et avec le concours de l’Institut kurde et de la fondation France-Libertés un important festival culturel kurde s’est tenu du 9 au 26 mai dans la ville de Cherbourg et les communes avoisinantes d’Octeville, Tourlaville et Flottemanville.

Au cours de ce festival, une série d’expositions de peinture (Remzi Rasa, Namo, Himat M. Ali) de photos (Sebastiao Salgado, Krista Boggs, Ch. Kutschera, S. Adlig, Reza) de sculptures (Temo) et d’artisanat ont eu lieu les divers lieux publics et privés.

Des musiciens kurdes Sivan Perwer, Fatê, Dilshad, Cané, Issa, Rezan, Temo, Koma Zozan, ont par une série des concerts, offert au public local un large aperçu de la musique kurde. Les cinémas de Cherbourg ont programmé les films kurdes " Un chant pour Beko ", " Passeurs de rêves " et " Aller vers le soleil " tandis qu’on donnait également deux pièces de théâtre kurde Azady (Liberté) et Mem û Zine.

L’un des moments fort du festival a été la réception officielle donnée le 13 avril à l’hôtel de ville de Cherbourg où le maire de Cherbourg-Octeville, le député Bernard Cazeneuve, Mme Mitterrand, Kendal Nezan, et Suayip Adlig, président de l’association Identités sont intervenus pour souligner l’importance de ce festival pour une meilleure connaissance des Kurdes en France et pour le rapprochement entre les peuples kurde et français. Ensuite les personnalités présentes sont allées inaugurer " le village kurde " aménagé près du port pour servir de cadre à une partie des manifestations artistiques. Symboliquement, c’est l’ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, en exil en Europe, qui a reçu dans son " village kurde " les personnalités françaises.

Au cours du festival, des tables rondes et conférences sur le sort des Kurdes et leur langue ont été organisées à l’IUT de Cherbourg. Le 27ème séminaire linguistique de l’Institut kurde s’est également tenu à Cherbourg qui est, ainsi en l’espace de deux semaines devenue la capitale culturelle des Kurdes.

La mairie a d’ailleurs poussé la courtoisie jusqu’à parer toute la ville de Cherbourg des drapeaux kurdes, français et européens " afin que les Kurdes se sentent bien chez eux ", ce qui a suscité une manifestation hostile d’une cinquantaine de nationalistes turcs, le 20 mai. Les media locaux ont consacré une très large place à ce festival soutenu par les mairies, le Conseil régional et le ministère de la Culture, le Parlement européen, ainsi que de nombreux établissements de Cherbourg, dont des hôtels, des cafés et des brasseries.

ANKARA : AHMET NEJDET SEZER ÉLU AU TROISIÈME TOUR PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE TURQUE

Après le refus sans appel du Parlement turc de prolonger le mandat de Süleyman Demirel, Ahmet Nejdet Sezer, président de la Cour constitutionnelle turque, a été élu, le 5 mai, à la présidence de la République turque. Le candidat officiel de la coalition gouvernementale tripartite n’a cependant été élu qu’au troisième tour avec 330 voix sur 550.

Plus de 200 parlementaires n’ont pas voté pour M. Sezer. Les uns irrités par le fait qu’une personnalité ne venant pas de l’Assemblée nationale leur soit imposée, d’autres, comme certains islamistes, refusant d’élire l’homme qui avait présidé l’audience de la Cour constitutionnelle qui a ordonné la dissolution du parti de la Prospérité (RP), mais aussi les conservateurs purs et durs qui n’avaient pas digéré ses discours en faveur des réformes démocratiques et des droits culturels des Kurdes notamment son allocution d’inauguration de la Cour constitutionnelle le 26 avril 1999.

Les élections présidentielles ont sérieusement mis en cause l’autorité des leaders politiques sur leur parti. Les parlementaires se sont montrés récalcitrants aux consignes de vote et cela malgré les menaces ouvertes. Des règlements de compte sont dès lors attendus au sein des partis.

Inconnu de l’opinion publique, Ahmet Nejdet Sezer, le dixième président de la République turque suscite des espoirs de changements tant en Turquie qu’à l’étranger. Oubliant qu’il avait été nommé à la Cour constitutionnelle par le régime militaire et qu’au sein de cette Cour il a entériné une série de décisions liberticides, dictée par le Conseil national de sécurité (MGK) allant de l’interdiction d’une dizaine de partis politiques (dont Refah, HEP, DEP, etc) à la levée d’immunité parlementaire des députés kurdes du parti de la démocratie (DEP), l’opinion publique, largement influencée par les média officiels dithyrambiques, fait crédit à ses prises de position récentes en faveur de l’Etat de droit et des libertés publiques.

En évoquant la nécessité d’accorder aux Kurdes des droits culturels, le nouveau président a même attiré la sympathie des organisations kurdes de Turquie et d’Irak qui lui ont adressé des messages de félicitations (voir plus loin la revue de presse).

D’autres observateurs restent prudents et rappellent que le régime turc au cours des dernières décennies, a souvent su renouveler sa vitrine sans toucher à ses structures de pouvoir et à son idéologie nationaliste. Le souvenir d’une Mme Çiller, " moderne, laïque, éduquée à l’américaine " parlant de " la nécessaire démocratisation du pays " et du " modèle basque " pour le règlement de la question kurde en Turquie est encore dans toutes les mémoires. Elle avait suscité de vifs espoirs en Europe et aux Etats-Unis et pendant ce temps, derrière cette façade avenante, l’armée turque s’était livrée à l’évacuation des milliers de villages et à la déportation de millions de civils kurdes.

Le juge Sezer, promu président dans une période où la Turquie est admise dans l’anti-chambre de l’Union européenne, tient aux Européens un discours qu’ils appelaient de leurs vœux. Cependant l’essentiel du pouvoir reste toujours détenu par le Conseil national de sécurité contrôlé par le haut commandement de l’armée. L’heure de vérité pour sa crédibilité ne tardera pas à sonner.

LA COUR EUROPÉENNE RENDRA SON ARRÊT EN AUTOMNE DANS L’AFFAIRE DES DÉPUTÉS KURDES EMPRISONNÉS

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’un recours des députés kurdes emprisonnés, vient de désigner un rapporteur qui, sur la base des mémoires de la défense et du gouvernement turc ainsi que des conclusions de la Commission européenne des droits de l’homme, va préparer un projet d’arrêt à l’intention de la Cour. Celle-ci statuera " en automne 2000 ", à une date non encore précisée.

La Cour européenne, qui condamne fréquemment les Etats pour excès de lenteur dans l’administration de la justice, aura ainsi elle-même mis plus de six ans pour statuer dans l’affaire des députés kurdes emprisonnés depuis mars 1994 à Ankara et condamnés à 15 ans de prison pour délit d’opinion.

IRAN : LES PARTISANS DU PRÉSIDENT KHATAMI PARACHÈVENT LEUR VICTOIRE ÉLECTORALE

Après bien des péripéties et des épreuves de force, le second tour des élections législatives iraniennes s’est finalement tenu le 5 mai. Les partisans du président Khatami ont remporté 70% des sièges non dépourvus parachevant ainsi leur large victoire du premier tour qui avait eu lieu le 18 février dernier.

Au total, ils détiennent désormais 200 des 290 sièges du Majlis (Parlement) iranien. Ce succès confirme et amplifie la victoire remportée en 1979 par Mohammed Khatami à l’élection présidentielle. Pour M. Reza Khatamei, frère du président et chef de file de ses partisans, " ces résultats sont la réponse du mouvement de réforme à la fermeture de journaux, aux arrestations et aux autres moyens illégaux et aux prétextes d’apparence légale que les institutions conservatrices ont utilisé dans les semaines récentes pour essayer de supprimer ces progrès des réformateurs. Il est à espérer que maintenant chacun s’inclinera devant le vote du peuple afin que les idéaux purs de la révolution islamique et les programmes du président soient matérialisés dans l’unité nationale, dans le calme et le respect de la loi ".

Cependant, les conservateurs, qui continuent de détenir les leviers de commande essentiels, ne semblent pas disposés à accepter le verdict des urnes. Ils vont s’employer à cantonner le Parlement dans le rôle d’une assemblée consultative en censurant les textes de loi qui contrarient leurs intérêts et en harcelant, via " le pouvoir judiciaire " qu’ils contrôlent, les media et les hommes politiques proches du président Khatami.

Avant même l’entrée en fonction du nouveau Parlement le Conseil de la sauvegarde de la Constitution et l’Assemblée de discernement des intérêts du régime, contrôlés par les conservateurs, ont interdit au Parlement tout droit de regard et d’investigation sur plus de 90% des organes de l’Etat qui, selon eux, relèveraient du Guide (Ayatollah Khamenei) et du Pouvoir judiciaire.

L’épreuve de force entre les deux camps risque d’être longue, cahoteuse et à l’issue incertaine. L’élection, le 30 mai, de l’hodjatoleslam Mehdi Karoubi, représentant la vielle garde khomeiniste, est considérée comme un compromis d’attente entre les deux camps.

TURQUIE : UN AN DE PRISON POUR LE PRÉSIDENT DU HADEP, INTERDICTION DE SORTIE DU TERRITOIRE POUR LES MAIRES HADEP

Alors que les autorités turques n’ont cesse de promettre des améliorations en matière des droits de l’homme, les milieux politico-médiatiques kurdes continuent de subir la politique répressive turque. Ainsi, Ahmet Turan Demir, président du parti de la démocratie du peuple (HADEP -pro-kurde), est condamné à un an de prison par la cour de sûreté de l’Etat pour " propagande séparatiste ". M. Demir est le dernier d’une longue série de dirigeants politiques turcs condamnés par les tribunaux. Après de nombreuses condamnations, dont celle de son premier dirigeant Murat Bozlak, le HADEP est lui-même sous la menace d’une interdiction par la Cour constitutionnelle.

Par ailleurs, les maires HADEP, élus au cours des dernières élections générales [Ndlr : 35 municipalités HADEP], se voient de plus en plus opposer des interdictions arbitraires de sortie du territoire. Dernière en date, celle opposée à Sahabettin Ozaslaner et Emrullah Cin, respectivement maireS de Van et de Viransehir. Invités à participer le 6 juin à une réunion aux Etats-Unis dans le cadre de la Commission sur la Sécurité et la Coopération en Europe du Congrès américain, les deux maires ont été interdits de sortie du territoire par la préfecture. Les autorités turques ont invoqué pour M. E. Cin, l’importante dette municipale et pour M. Özaslaner " le caractère inapproprié du déplacement ". " Est-ce qu’en Turquie, il y a des municipalités non endettées (…) Je suis maire depuis 14 mois et nous avons d’ores et déjà remboursé 52 % de nos dettes (…). De plus, le mois dernier, je m’étais rendu en Suisse à l’invitation de la municipalité de Bern. Et à l’époque nous avions plus de dettes encore… " déclare dubitativement M. Cin. Dans le même sens, S. Özaslaner ajoute : " D’après ce que nous avons compris le fait que la question kurde soit parmi les sujets évoqués à la réunion du Congrès, déplait quelque peu…On préjuge que nous allons troubler l’image de la Turquie (…) ".

En fait, les autorités turques veulent se convaincre et convaincre l’opinion occidentale que " maintenant que le terrorisme du PKK est vaincu, il n’y a plus de problème kurde en Turquie, que tous ceux qui prétendent le contraire sont des alliés du PKK ". Dans ce contexte, elles ne tolèrent pas que des maires, élus légitimes, puissent s’adresser à l’opinion occidentale, notamment américaine, afin de " ne pas politiser la question du Sud-Est ".

AINSI QUE...

LE PREMIER MAI INTERDIT DANS LES PROVINCES KURDES


Les festivités du 1er mai se sont déroulées sous étroite surveillance des services de sécurité en Turquie alors qu’elles ont été interdites dans les régions kurdes. À Istanbul où plus de 27 000 policiers étaient mobilisés, il y a eu une cinquantaine d’arrestations. Les observateurs ont noté que très souvent c’est le fait de faire le signe de la victoire qui conduisait à une garde-à-vue. Selon le quotidien anglophone Turkish Daily News du 2 mai, il y avait plus d’officiers de policiers que de manifestants au défilé du 1er mai.

D’autres rassemblements ont eu lieu à Mersin, Adana, Trabzon, Gaziantep, réunissant les principales organisations syndicales. À Diyarbakir, la police n’ayant même pas autorisé la tenue d’une conférence de presse, des protestations se sont fait entendre.

Les manifestations du 1er mai, avaient, dans le passé, été souvent le théâtre de graves violences en Turquie. En 1996 à Istanbul, trois manifestants avaient été tués et des dizaines de policiers et de manifestants blessés. Le 1er mai 1977, 37 manifestants avaient été tués sur la place Taksim en plein centre ville à Istanbul.

JOURNÉE MONDIALE DE LA PRESSE : LA TURQUIE MONTRÉE DU DOIGT


À l’occasion de la journée mondiale de la presse, le 3 mai, l’organisation Reporters sans frontière a rendu public son rapport sur les violations des droits des journalistes dans le monde. La Turquie a été une nouvelle fois épinglée pour les nombreuses violations de la liberté de l’expression et de l’opinion.

Selon le rapport, " un journaliste a été tué, quatre autres torturés, 7 arrêtés, 87 placés en garde-à-vue et 26 autres passés au tabac " en Turquie en 1999. 80 journalistes y seraient emprisonnés mais l’organisation précise que la raison des arrestations et condamnations étant troubles il est difficile de les imputer clairement à leur travail de journalistes. Reporters sans frontière évoque aussi les sanctions du RTUK (Ndlr : équivalent turc du CSA), soit 2 378 jours (6,5 ans) d’interdictions d’émettre contre les radios et télévisions. Yerel Radyo Fon, Özgür Radyo, Mozaik Radyo, Radyo Safak et des chaînes nationales comme Kanal 6, ATV, Show TV, ont eu d’un à 365 jours d’interdictions. L’organisation dénonce les simulacres de procès menés contre les policiers impliqués dans le meurtre des journalistes. Tout en notant la condamnation des six policiers accusés d’avoir torturé et tué le journaliste Metin Göktepe, elle précise qu’il n’y a toujours pas eu de verdict dans l’affaire d’Ugur Mumcu et d’Abdi Ipekçi et que dans l’assassinat de 20 journalistes il n’y a même pas eu d’enquête ouverte.

L’organisation s’est d’autre part réjouie de la loi 4454 du 28 août 1999 permettant de proroger les procès et les condamnations de la presse et des éditeurs et salue dans ce cadre la libération de six journalistes dont Ismail Besikçi et Dogal Güzel. Cependant, elle souligne que cette loi pousse les journalistes à l’auto-censure étant donné qu’en cas d’infraction de même nature dans le délai de trois ans, les journalistes encourent la reprise devant les tribunaux de leur affaire. Reporters sans frontière a attiré l’attention sur la saisie du livre de Nadire Mater " Mehmedin Kitabi " et a invité les autorités turques à abroger le loi 3713 et les articles 7/2 et 8 de la loi anti-terreur qui portent gravement atteinte à la liberté de la presse.

D’autre part, Menaf Avci, coordinateur de la publication du quotidien pro-kurde Özgur Bakis a déclaré que les 370 numéros publiés de son journal ont donné lieu à 124 procès, 131 interdictions et 263 milliards de livres turques d’amendes. Il a également précisé qu’au 20ème jour de sa publication, le journal a été interdit dans les régions kurdes sous état d’urgence (OHAL) sans raison apparente. Des hebdomadaires comme Azadîya Welat, interdit dans la région OHAL depuis octobre 1998 et Pîne, hebdomadaire satirique contenant une majorité de caricatures, interdit depuis quelques jours dans ces régions, mais aussi le quotidien Evrensel, interdit depuis 485 jours toujours dans l’OHAL, ont dénoncé les violations manifestes des droits de la presse en Turquie et particulièrement dans les régions kurdes.