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avec revues de presse

Bulletin N° 288 | Mars 2009

 

 

tags: Elections Turquie, Newroz Syrie, Gul Irak, langue kurde, puits de la mort Sirnak, Gunesi gordum

ELECTIONS MUNICIPALES EN TURQUIE : TASSEMENT DES VOTES AKP, AVANCE DU DTP DANS LES REGIONS KURDES

Avec 39 % des voix, le Parti de la justice et du développement (AKP) reste le parti dominant en Turquie, suivi du Parti républicain du peuple (CHP, centre-gauche nationaliste), principale force d’opposition au parlement, qui a obtenu 23,3% et du Parti de l’action nationaliste (MHP, nationaliste) avec 16,1% des votes. Cette victoire est une semi-défaite pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui avait déclaré qu’il considérerait comme un échec un score de moins de 47% des voix, score obtenu aux législatives de 2007.

« C’est insuffisant, a reconnu dès l’annonce des résultats, le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan. Nous allons en tirer les leçons. » Dans les régions kurdes, l’AKP est même en recul par rapport au DTP, qui regagne la ville de Van et garde Diyarbakir dont l’actuel maire, Osman Baydemir a obtenu plus de 65, 43 % des voix, ce qui était prévisible en raison de la popularité de cet élu, malgré l’ambition très affichée du gouvernement de faire tomber ce bastion symbolique de la résistance kurde. Autre ville importante remportée par le DTP, Tunceli (Dersim), qui vote DTP à 30% devant un indépendant local (24%). Il faut tout de même noter tout de même le score de l'AKP (21%) dans une région alévie où la méfiance envers les musulmans, même Kurdes, est encore tenace. A Batman, même victoire écrasante du DTP avec Necdet Atalay et ses 59%, l'AKP n'arrivant qu'à 36% des voix. A Siirt, le DTP l'emporte à 49%, talonné par l'AKP qui arrive à 45%. La victoire la plus écrasante du parti pro-kurde est à Hakkari, avec 79%, qui présentait une candidate féminine assez novice sur la scène politique, et qui offre un démenti cinglant à l'AKP qui n’obtient que 15% des voix, alors qu’il avait remporté un certain succès lors des législatives de 2007. Sirnak, autre ville particulièrement éprouvée par la guerre et les exactions du JITEm, et récemment secouée par la découverte des puits de la mort, vote aussi DTP à 53% et AKP à 42%. Igdir, ville kurde au pied du mont Ararat, à la frontière de l’Arménie, vote DTP à 36.47 % et AKP à 32.33 %. Enfin Van qui était la grande municipalité perdue en 2004 pour cause d'alliance malencontreuse avec le SHP retourne au DTP avec 51.84% des voix, contre 40.77% pour l'AKP.

Mais d’autres grandes municipalités à majorité kurde ont été remportées ou conservées par l’AKP : Mardin (qui compte aussi beaucoup d'Arabes et dont les Syriaques sont partis en masse) vote AKP à 45 % contre 36% pour le DTP ; Bitlis choisit l'AKP à 43.10 % contre 34.43% pour le DTP. A Mush, l'AKP bat nettement le DTP, 51% contre 39% ; même chose pour Bingöl, 42% (AKP) contre 34% (DTP). A Agri, l'écart est moins marqué, 39% pour l'AKP, 32% pour le DTP. Et à Kilis, petite région en fait coupée par la frontière syrienne et ses compatriotes d'Afrin, l'AKP l'emporte sur le MHP avec 48% et le DTP n'y est quasiment pas représenté. Concernant les villes mixtes turques et kurdes ou bien avec une minorité kurde : Adiyaman, vote largement AKP (49%) et le DTP n'a que très peu de représentation (5%) loin derrière le Parti islamique (SP), le CHP et même les nationalistes du MHP (6%). Elazig, sans surprise vote AKP (47;76%), le parti du gouvernement réussissant tout de même à évincer le parti ultranationaliste MHP (23%) qui y a toujours été bien implanté. A Karamanmarash, ancienne région alévie, mais décimée par les pogroms, l'AKP domine largement le MHP, 65.31% contre 21.97%.

L’élection surprise est celle d’Urfa, qui ne vote ni AKP ni DTP mais un candidat indépendant (en fait le maire sortant AKP qui s’est présenté en dissident contre le candidat parachuté par son parti) à 44% contre 39% AKP et seulement 10% pour le DTP. Enfin à Istanbul, Akin Birdal, ancien président de l’Association des droits de l’homme qui se présentait pour le DTP a obtenu 4% des voix.

SYRIE : NEWROZ MEURTRIER ET ATTEINTES GRAVES A LA LIBERTE D’EXPRESSION

Le parti kurde Yekitî (Unité) a, dans un communiqué, annoncé l’arrestation de 26 de ses membres lors d’une manifestation silencieuse, le 28 février dernier, dans la ville kurde d’Al-Jazira, pour protester contre le décret 49, nouvellement promulgué, qui interdit à tout habitant de régions « frontalières » soit les régions kurdes, d’acheter, de louer ou de construire sur leurs terres. La mesure a affecté gravement toute l’économie du Kurdistan de Syrie, et les Kurdes y voient une reprise sournoise du plan d’arabisation de leur région, plan « gelé » mais non abrogé depuis les années 1970. La réaction des services de sécurité a été quasi-immédiate. Dix minutes après le début de la manifestation, 26 participants ont été arrêtés et emmenés en détention. Yekitî a également fait état, tout le mois, d’actes de répression contre les manifestations au Kurdistan de Syrie.

Le 12 mars, 30 étudiants d’Alep ont voulu commémorer le 5ème anniversaire des victimes de la répression du Newroz 2004 à Qamishlo. Ils ont été arrêtés et l’on reste sans nouvelles de 4 d’entre eux, Bahzad Muslim, Kawa Deqo, Alan Hussein et Abdi Rami. Le 16 mars, deux Kurdes ont été enlevés par les services secrets dans les rues de Damas, la capitale, et l’on est également sans nouvelles sur leur sort. Il s’agit de Fouad Hassan Hussein, né en 1982, originaire de la ville de Durbassia et Maher Hussein, un étudiant en géographie à l’université de Damas.

Mais le point culminant de la répression contre les Kurdes de Syrie reste toujours le moment du Newroz. Cette année, des leaders politiques kurdes avaient été avertis par les autorités qu’ils ne devaient pas se rendre aux fêtes de Nouvel An, tel Abdul Hamid Darwish, le secrétaire du Parti progressiste démocratique kurde et Ismail Omar, secrétaire général du Parti de l’union démocratique kurde, qui ont déconseillé à leurs partis de participer aux manifestations, tandis que d’autres mouvements kurdes encourageaient au contraire leurs membres à ne pas céder à l’intimidation. Le 20 mars, six personnes ont été arrêtées à Hassaké, dont Suleman Oso, un dirigeant du Bureau politique du parti Yekitî. Il préparait avec d’autres Kurdes les célébrations de Newroz quand une centaine d’officiers de policiers et de l’armée ont surgi, faisant détruire l’estrade à coups de bulldozer. Parmi eux, les Kurdes présents ont reconnu le général Yassar Selman al-Shofi. Dans d’autres villes, telles Turbaspi, Amude, Dêrik, Koban et Romelan, les estrades prévues pour la célébration, ont été également détruites. Dans les quartiers Sheikh Maqsud et Ashrafié à Alep, 10 000 agents de police et de sécurité ont été déployés le soir du 20 mars et ont arrêté 120 Kurdes, qui avaient allumé des bougies de Nouvel An, frappant et insultant les participants, dont des femmes. Dans la ville de Sereqaniyeh, un adolescent a été arrêté, deux personnes à Amude et à Dêrik, un groupe d’enfants battus et emmenés par la police.

Mais les incidents les plus graves ont eu lieu à Qamishlo, quand les forces syriennes ont tiré sur la foule, faisant trois morts. Les victimes sont âgées de 18 à 25 ans. On compte aussi plusieurs blessés. Joe Stork, directeur du département Moyen-Orient de Human Rights Watch a condamné ces actes de violence : « les officiels syriens doivent justifier de la raison pour laquelle les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une fête kurde. Ceux qui se sont rendus coupables inutilement d’actes de répression mortels doivent être traduits en justice. » Des témoins ont raconté à Human Rights Watch qu’environ 200 personnes s’étaient rassemblées dans une rue de la partie ouest de Qamishlo, vers 18h30. Ils ont allumé des bougies des deux côtés de la rue et un feu de joie au milieu, autour duquel ils ont entamé une danse traditionnelle kurde. « C’était une célébration de Newroz, pas une manifestation politique » a affirmé un de ces témoins à l’organisation de défense des droits de l’homme. Des pompiers ont alors surgi pour éteindre le feu tandis que des agents de police et des officiers en civil lançaient des gaz lacrymogènes sur les manifestants et tiraient en l’air à balles réelles pour disperser la foule. Deux témoins ont rapporté à Human Rights Watch que, lorsque les manifestants ont refusé de se laisser disperser, des individus en civil, conduisant un pick-up blanc, d’un modèle couramment utilisé par les services secrets, ont tiré sur la foule avec des fusils : « Sans aucune sommation, ils ont ouvert le feu au sol et des balles ont «été tirées sans discernement. » Les raisons qui ont amené les forces de sécurité à tirer sur la foule ne sont pas élucidées. Selon les trois participants s’étant exprimés auprès de Human Rights Watch, aucun des manifestants n’était armé, ni n’a usé de violence. L’agence Reuters a rapporté qu’un habitant de Qamishlo aurait fait état de jeunes gens brûlant des pneus et jetant des pierres sur les policiers, mais Human Rights Watch n’a pu confirmer cette version. Quant aux autorités syriennes, elles ne se sont pas exprimées sur l’incident. « Les autorités syriennes sont peu crédibles quand il s’agit d’enquêter sur leurs propres méfaits » explique Joe Stork. Pour désarmer les sceptiques, ils doivent permettre une enquête transparente et indépendante. » Human Rights Watch rappelle que lors des manifestations, les forces de sécurité doivent se plier aux principes de base des Nations Unies sur l’usage de la force et des armes à feu. Ces critères internationaux recommandent aux officiers de police d’user de moyens non violents avant d’utiliser la force, qui doit toujours rester proportionnelle à la gravité des agressions. Les forces de sécurité ne doivent utiliser des moyens mortels que dans le seul cas où ils auraient à protéger leur vie.

La répression en Syrie concernant toute forme ouverte d’opposition, même pacifique, se fait aussi sentir contre les media. Ainsi, un rapport de The Institute for War and Peace sur la situation de l’information indépendante en Syrie livre un bilan mitigé sur la libéralisation dans ce pays : si, ces huit dernières années, le régime baathiste a autorisé un certain nombre de media privés, les limitations sévères au droit d’expression ne se sont pas assouplies. Auparavant, le régime syrien avait exercé des décennies durant un monopole absolu sur les services d’information, et seuls les chaînes télévisées et les journaux d’Etat étaient admis. Après la venue au pouvoir de l’actuel président Bachar al-Assad, une nouvelle loi de la presse avait été adoptée, en septembre 2001, qui légalisait les média indépendants.

Aujourd’hui, on dénombre environ 150 journaux et magazines non gouvernementaux dans le pays. Mais, selon Ahmed Khalif, un avocat exerçant à Damas, la presse non-gouvernementale n’a guère de possibilité de traiter librement de questions politiques, ou bien concernant les droits de l’homme et les questions de société. Les auteurs d’articles dérangeant pour les autorités sont systématiquement en butte aux arrestations et aux peines de prison, s’ils abordent des sujets tabous tels que la violation des droits de l’homme, les échecs de la politique gouvernementale et même le coût de la vie en Syrie. « Quel genre de media indépendants » pouvons-nous avoir, du moment que celui qui tient un stylo peut être bloqué sans raison évidente ? Si les journaux indépendants ne peuvent débattre de la construction de l’Etat syrien, pourquoi existent-ils ? » L

a loi sur la presse est en effet très restrictive et peut entrainer des sentences d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans pour des journalistes ou des programmes télévisés jugés « menaçant pour la sécurité nationale » ou « insultants » pour l’Etat. Des dizaines de journalistes et d’écrivains syriens ont ainsi été persécutés ces dernières années et leurs cas sont régulièrement dénoncés par les défenseurs des droits de l’homme. La généralisation d’Internet a également fait naître une nouvelle catégorie de prisonniers d’opinion : les bloggeurs et les webmasters. On dénombre aujourd’hui plus de cent sites dont l’accès a été bloqué en Syrie, et qui traitaient de problèmes politiques, sociaux, économiques. Selon Reporters sans frontières, ce pays est classé parmi les plus répressifs envers la presse du web. Habib Saleh, âgé de 61 ans, journaliste sur Internet, a été ainsi arrêté l’année dernière pour avoir écrit des articles visant à « affaiblir le sentiment national » et pour « incitation à la guerre civile et religieuse ». RSF a appelé à sa libération, ainsi que celle de quatre autres cyber-dissidents également détenus : Firas Saad, Tariq Biassi, Kareem Arabji et Hammam Haddad. L’organisation fait état également de sept jeunes gens emprisonnés depuis trois ans, pour avoir créé un groupe de discussion sur Internet (forum) et avoir posté des articles critiques envers le gouvernement.

Des analystes estiment que les autorités syriennes tentent désespérément de stopper le flot d’information et d’opinion déferlant sur Internet et sur les chaînes télévisées, et a recours pour cela à l’intimidation des journalistes en les poussant à l’auto-censure et en les privant d’accès à l’information. Omar Kosh, un journaliste vivant à Damas évoque ainsi les conditions de travail très difficiles qu’il rencontre, ainsi que ses confrères, en raison du manque total de transparence de la part des autorités. Ainsi, le gouvernement a récemment interdit à la banque centrale syrienne d’accorder une quelconque interview ou de permettre la moindre enquête de la part des media, car il était irrité de la façon dont ceux-ci couvraient les problèmes économiques du pays. Interdire l’accès à des meetings officiels, par exemple, est un moyen courant de « punir » un journaliste qui aurait déplu au régime. Les journaux peuvent être tout simplement interdits. Ainsi, Al-Domri, le premier journal libre depuis l’avènement du Baath en Syrie, en 1963, fondé en 2000 a dû cesser ses activités en 2003, officiellement parce qu’il n’avait pas fait les démarches nécessaires pour le renouvellement de sa licence, mais des observateurs locaux affirment que la véritable raison est que le journal a parlé de la corruption au pouvoir, autre sujet tabou.

Les télévisions n’échappent pas aux représailles. Ainsi, la chaine satellite privée Sham, qui émettait depuis 2006 de Syrie a été interdite 8 mois plus tard, et a dû se délocaliser en Egypte. D’autres chaînes réussissent jusqu’ici à survivre en jouant un jeu ambigu entre le pouvoir et leur rôle de media libre. Ainsi, la chaîne Dunya se plaint ouvertement des pressions exercées par le ministère de l’Information, en revendiquant une position neutre : « Nous sommes une chaîne de télévision et non un parti politique », déclare l’actuel directeur de Dunya, Fouad Sabarji, qui fut auparavant directeur à Al-Jazeera. Dunya a ainsi transgressé un des tabous de l’information en Syrie, qui évite de faire état de sérieux incidents ou de troubles agitant le pays, en couvrant une attaque suicide à la voiture piégée contre un quartier chiite de Damas. D’autres observateurs pointent, au contraire, les liens existant entre cette chaîne et le pouvoir, en rappelant, par exemple, la campagne vigoureuse que la chaîne avait lancé contre l’Arabie saoudite lors de l’offensive israélienne contre Gaza.

TURQUIE : L’ENSEIGNEMENT DELA LANGUE KURDE « IMPOSSIBLE » SELON R. TEYYIP ERDOGAN

En Turquie, la démocratisation de l’Etat et l’attitude du gouvernement devant la question kurde butte toujours sur l’enseignement de la langue kurde, un des points-clefs exigés par l’Union européenne pour l’entrée de la Turquie. Le 3 mars, la Cour européenne des droits de l'homme a ainsi condamné cet Etat pour l'exclusion provisoire de 18 étudiants de leur université après qu’ils ont demandé l’ouverture de cours optionnels de leur langue maternelle. La CEDH a jugé cette mesure « disproportionnée » et contraire au droit à l'instruction. Elle a attribué à chacun des étudiants 1.500 euros pour « préjudice moral ». En 2002, ils avaient en effet été exclus deux trimestres durant de l’université d’Afyon, pour avoir réclamé des cours de kurde. Les tribunaux turcs avaient appuyé cette décision, y voyant un risque de « clivages fondés sur la langue » et une « nouvelle stratégie de désobéissance civile prônée par le PKK ». La décision avait été finalement cassée par le Conseil d'Etat et un autre tribunal avait annulé les sanctions en 2004, déclarant que la réclamation des étudiants « cadrait avec le but général de l'enseignement supérieur, à savoir la formation de citoyens objectifs, ouverts d'esprit et respectueux des droits de l'homme ». Les juges de Strasbourg ont de même statué que les plaignants n’avaient commis « aucun un acte répréhensible ni porté atteinte à l'ordre au sein de l'université ».

Dans le même temps, le Premier ministre turc, Recep Teyyip Erdogan, répliquant à Ahmet Türk, le chef de file des députés DTP au Parlement, qui réclamait le droit à un enseignement du kurde dans les écoles, affirmait que « l’éducation en kurde était impossible, et qu’une telle chose n’existait nulle part dans le monde. » Il a cité en exemple l’Allemagne : « Trois millions de mes frères turcs y vivent, mais ils n’ont pas non plus accès à une éducation en turc. » a-t- il déclaré lors d’un meeting électoral à Van, omettant les dispositifs de la charte des langues régionales et minoritaires de l’Union européenne, ainsi que ses propres propos, en 2008, quand, lors d’une visite dans ce même pays, il avait affirmé que « l’assimilation (des Turcs) était un crime contre l’humanité. »

Joost Lagendijk, président de la délégation du Parlement européen à la commission parlementaire mixte UE-Turquie, a nié la pertinence de cette comparaison entre langues régionales et langues d’immigration. S’exprimant dans le journal Zaman, il juge au contraire « possible » d’utiliser une langue autre que le turc en Turquie, depuis le changement de l’article 26 de la Constitution. « Ces réformes prévoient le droit d’apprendre le kurde, d’émettre et de publier dans cette langue. » Selon la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, les langues comprises comme telles sont celles traditionnellement utilisées dans un territoire défini à l’intérieur d’un Etat ou bien par un groupe numériquement inférieur au reste de la population d’un Etat et qui diffèrent de la langue officielle. Ne sont pas compris dans la Charte les dialectes d’une langue d’Etat, ou la langue d’une population d’immigrants. Ainsi, le turc ne peut être langue « minoritaire » ou « régionale » dans l’Union européenne, alors que le kurde entrerait dans cette catégorie si la Turquie adhérait à l’Union européenne. Pour cette Charte, le droit d’user d’une langue régionale ou minoritaire de façon publique ou privée est inaliénable et relève également du Pacte international des Nations Unies sur les droits civils et politiques, ainsi que de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.La prise de position du Premier ministre turc a également fait réagir un homme politique allemand, élu Vert, d’origine turque, Cem Özdemir, qui a témoigné de son agacement face aux propos de R. T. Erdogan : « Si la Turquie interdit la langue kurde, alors je me ferai Kurde. »

Le même mois, un rapport de Minority Rights, une organisation non gouvernementale qui a pour but de protéger les droits des minorités ethniques, religieuses et linguistiques et des peuples indigènes du monde entier, accablait la Turquie pour sa politique discriminatoire à l’encontre des enfants issus des minorités, qu’elles soient arméniennes, juives, grecques, kurdes, roms, etc., surtout dans le domaine de l’éducation. Minority Rights critique ainsi l’absence, dans les écoles turques, d’une place qui devrait être accordée à l’enseignement, auprès des enfants issus de minorités, de leur propre culture, langue, histoire et religion. Les minorités ont au contraire à subir, dans l’enseignement, une politique d’assimilation et de promotion de « l’identité turque », ainsi qu’un nationalisme sous-jacent hostile aux minorités.

Selon Nurcan Kaya, le coordinateur turc (MRG) du Groupe des Droits des Minorités, qui est aussi l’auteur du rapport: « La Turquie doit changer sa politique des minorités et reconnaître l'existence de divers groupes comme les Assyriens, les Kurdes, Roms, Laz et les Caucasiens. Il doit garantir leurs droits éducatifs et prendre des mesures de rattrapage si nécessaire. » Un des points les plus critiqués par les minorités religieuses est l’assistance obligatoire aux cours de religion et de morale qui sont en fait des cours de religion musulmane. Non compris comme religion distincte, les enfants alévis sont obligés d’y assister. Seuls les chrétiens et les juifs peuvent s’en dispenser, mais, selon Nurcan Kaya, ils sont pour cela obligés de déclarer publiquement leur religion, ce qui est contraire à tout esprit de laïcité. De plus, au programme de ces « cours de culture religieuse » s’ajoute souvent des pratiques cultuelles telles que les ablutions, la prière et la fréquentation des mosquées, qui vont largement au-delà d’une « initiation à la culture religieuse ».

Minority Rights cite, comme groupes les plus défavorisés dans leur accès à l’éducation, le cas des Kurdes et des Roms. Ces deux communautés ont en effet souffert toutes deux de déplacements forcés qui ont entravé l’accès de leurs enfants au système scolaire : les Kurdes en raison des destructions de leurs villages et de leur déportations dans les métropoles, les Roms en raison de projets « d’urbanisation » qui les ont chassés des régions où ils vivaient en nombre. Selon le rapport, plus 30% des familles kurdes déplacées à Istanbul et Diyarbakir n’envoient pas leurs enfants à l’école, surtout pour des raisons économiques : les fournitures scolaires et l’uniforme coûtent cher pour les plus démunis et le travail des enfants y est fréquent, d’autant plus que beaucoup de ces familles déplacées sont privées d’un parent, voire des deux, et que les traumatismes de la guerre ou les tortures ont causé beaucoup d’incapacité physique ou mentale parmi ces réfugiés, les rendant inaptes au travail. « Ces conditions exacerbent la discrimination, le harcèlement et l'humiliation auxquelles les enfants des communautés des minorités sont déjà confrontés en Turquie, à tel point qu'ils cachent souvent leur identité ethnique et religieuse. Plusieurs minorités craignent que finalement leur culture unique disparaisse » écrit Nurcan Kaya.

IRAK : PREMIERE VISITE DU CHEF DE L’ETAT TURC DEPUIS 34 ANS

Le 23 mars, le président turc Abdullah Gül effectuait la première visite d’un président de Turquie en Irak, depuis 34 ans, depuis que le président Fahri Korutürk avait rencontré son homologue irakien Ahmed Hassan al-Bakr, le prédécesseur de Saddam Hussein, en 1976. D’une durée de deux jours, ce déplacement avait pour objectif principal d’aborder la question du PKK avec le gouvernement irakien. Déjà, lors du 5e Forum mondial de l'eau à Istanbul, le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, avait annoncé un appel commun de tous les partis kurdes d'Irak, de Syrie, d'Iran, de Turquie et d'Europe, afin que le PKK dépose les armes. Quant au problème de l’eau, c’est une source ancienne de conflits entre la Turquie et ses voisins syrien et irakien, en raison des barrages turcs sur le Tigre et l’Euphrate, qui ralentissent le débit des deux fleuves. Selon l'ONU, "la construction de nouveaux barrages et de réservoirs dans les pays voisins de l'Irak pourrait conduire à une baisse des eaux qui représentent 76% du débit annuel des fleuves Tigre et Euphrate".

Abdullah Gül s’est entretenu principalement avec Jalal Talabani, qui s’était lui-même rendu à Ankara l’année passée, toujours pour discuter de la question du PKK. Le président turc a également rencontré Nouri Al-Maliki, le Premier ministre ainsi que le Premier ministre de la région du Kurdistan, Nêçirvan Barzani, qui avait fait le déplacement d’Erbil à Bagdad. Sur la question du PKK, Jalal Talabani n’a fait que réitérer publiquement les ultimatums déjà lancés à ce sujet, sans qu’ils aient jamais été suivis d’actions précises : « Le PKK a deux choix possibles : Déposer les armes ou quitter l'Irak. Il faut que le PKK se lance dans la vie politique et parlementaire et cesse d'user des armes, car cela fait du tort aux Kurdes comme aux Irakiens. Notre Constitution interdit les groupes armés, le PKK comme les autres. »

Cet ultimatum a été appuyé par le Premier ministre du Gouvernement régional kurde, Nêçirvan Barzani. A son retour d’Erbil, il a ainsi déclaré à la presse : « Il n'est pas raisonnable qu'un groupe mène des attaques contre un Etat puis revienne dans notre région ». Mais, comme d’habitude, le chef du gouvernement kurde a nié toute efficacité à des moyens militaires contre les bases de Qandil : « Ce problème ne sera pas résolu par des moyens militaires, l'expérience le montre », a-t-il ajouté, faisant sans doute allusion aux nombreuses incursions de l’armée turque dans cette zone, et à l’opération lancée en février 2008, qui s‘était soldée par un lourd bilan dans les rangs turcs.

Dans le même temps, les rapports de plus en plus conflictuels entre Bagdad et Erbil devraient faire l’objet d’une normalisation. C’est en tout cas ce qu’a déclaré, dans la foulée, le Premier ministre kurde, qui a profité de sa visite à Bagdad pour s’entretenir également avec Nouri Al-Maliki : « Nous avons décidé de normaliser nos relations et nous attendons la venue prochaine d'une délégation de Bagdad pour régler nos différends » Parmi les griefs et les inquiétudes kurdes, la volonté politique du Premier ministre chiite d’orienter sa politique vers une centralisation de l’Irak, avec un accroissement de son propre rôle au sein de l’Etat. S’y ajoutent la création, par ce même ministre des « Comités de soutien », milices composées de tribus arabes, dans des régions revendiquées par les Kurdes et devant faire l’objet d’un référendum selon l’article 140 de la constitution irakienne, en plus de la répartition et de la gestion des ressources pétrolières. Au sujet de Kirkouk, la mission à Bagdad de l’ONU préconise un « partage du pouvoir » entre les Kurdes, les Turkmènes et les Arabes, alors que les élections du conseil provincial doivent avoir lieu cette année. Un retrait américain prématuré est vu par beaucoup comme un danger : « Je pense que Kirkuk sera comme un baril de TNT qui explosera et nous brûlera tous », a ainsi déclaré sans nuance un député turkmène du Parlement irakien, Mohammed Mahdi Amin al-Bayati.

Les Kurdes sont estimés à 52% dans la ville, les Arabes 35% et les Turkmènes 12%. On compte aussi environs 12 000 chrétiens. Forts de ces chiffres, les Kurdes réclament instamment la tenue d’un référendum pour décider du rattachement à la Région kurde, et la tenue des élections provinciales, refusant donc le plan de « partage du pouvoir » entre les communautés, initialement avancé par avancés par la mission de l’ONU, qui ne tiendrait pas compte de la démographie réelle des habitants. Le plan de l’ONU, n’est pas encore rendu public, mais fait déjà l’objet de fuites et de spéculations. Une des options les plus avancées serait un contrôle de la province à la fois par Bagdad et Erbil, en plus des gouverneurs locaux, qui donnerait à Kirkouk un statut à part, sur une durée de dix ans, qui déboucherait ultérieurement sur une résolution de la question. Mais la mésentente croissante entre les Kurdes et le Premier ministre chiite, la volonté d’Al-Maliki de renforcer la centralisation et l’absence totale d’illusions des Kurdes sur la volonté irakienne de respecter le fédéralisme laissent peu de chance à cette option.

Une autre possibilité serait de donner une forme d’autonomie à Kirkouk, qui dépendrait tout de même de Bagdad, notamment pour l’allocation de son budget de fonctionnement. Les Turkmènes proches d’Ankara y seraient favorables, car leur principal objectif (soutenus en cela par la Turquie) est le rattachement de la province à la Région kurde. Ali Rizgari, qui préside actuellement le Conseil provincial de Kirkouk, ne se déclare pas hostile à une autonomie de Kirkouk mais souhaite, qu’en place de Bagdad, Kirkouk soit étroitement lié à Erbil. Dans une interview donnée au journal kurde SOMA, Fouad Hussein, qui dirige le cabinet présidentiel du Kurdistan, pointe les innombrables reports de la tenue du référendum, en les qualifiant de manoeuvres politiques émanant de « certaines forces à Bagdad » qui n’ont que pour but d’empêcher le rattachement de Kirkouk : « Au début, cela a été fait en raison de la situation politique et sécuritaire de l’Irak, mais par la suite, je pense que le but de Bagdad a été de reporter et reporter encore, car personne dans les cercles du pouvoir ne croit à l’application de l’article 140, ni même que les Kurdes ont des droits sur les régions disputées. » Selon Fouad Hussein, cette mauvaise volonté témoigne d’une mentalité persistante, dans les milieux politiques arabes irakiens, qui consiste à dénier aux Kurdes tout droit sur ces terres qui ont fait l’objet d’un nettoyage ethnique durant des décennies, en dépit de ce que prévoit la constitution.

Pour le responsable kurde, cette constitution est un atout, mais ce n’est pas le seul. Le soutien de la population vivant dans ces régions, au gouvernement d’Erbil en est un autre, comme en témoigne les résultats des dernières élections provinciales qui se sont tenues dans d’autres régions revendiquées, comme Ninive ou la Diyala : « Ce n’était pas juste une élection pour choisir les membres du conseil. Je pense personnellement que c’était une forme de référendum pour eux : Voulez-vous faire partie de la Région du Kurdistan ou non ? Et c’est la raison pour laquelle ils ont voté si massivement. Nous avons la population pour nous, nous avons la constitution pour nous et nous ne nous laisserons pas déposséder de nos droits. Nous continuerons à mener ce combat juridique et politique, et nous userons de tous les arguments pour remporter cette cause. »

Mais cette victoire de l’Alliance kurde dans les régions revendiquées, qui a rallié les suffrages des Kurdes comme de ceux des autres minorités menacées par le fanatisme nationaliste ou religieux, qu’ils soient chrétiens, Shabaks ou Yézidis, a peut-être encouragé davantage Bagdad à reporter ce référendum, en confirmant que le choix politique des Kurdes de Kirkouk sera de réintégrer le Kurdistan. De plus, les chrétiens de Kirkouk commencent à être l’objet des mêmes menaces et assassinats qu’à Mossoul, ce qui peut aussi les inciter largement à dépendre d’Erbil et sa politique de protection des minorités. C’est une des raisons sur lesquelles s’appuie Fouad Hussein pour nier qu’un report du référendum éviterait une guerre civile inter-ethnique : « Si nous regardons ce qui s’est passé à Bagdad ces deux ou ces trois dernières années, il y a eu beaucoup de zones qui ont subi ce qui s’apparente aux nettoyages ethniques du passé.Les sunnites ont été mis à l’écart et déplacés, les chiites ont été déplacés d’une zone à une autre, beaucoup d’entre eux ont été tués, et la question est : pourquoi cela ne s’est-il pas produit à Kirkouk ? Il y a beaucoup d’éléments qui prouvent que s’ils avaient le contrôle de Kirkouk, ils appliqueraient la même politique de nettoyage ethnique. Comme vous pouvez le voir, ce sont les Kurdes qui ont réellement protégé Kirkouk. Aussi, l’argument utilisé par les ONG et l’ONU est sans fondements. " Autre argument en faveur d’un rattachement à la Région kurde, le délaissement et le sous-développement dans lesquels est maintenue la région de Kirkouk, malgré sa richesse pétrolière, faisant un contraste flagrant avec le boum économique que connaissent des villes comme Erbil, Duhok ou Suleïmanieh : « Il n’y a aucun développement économique à Kirkouk. Même la part du budget allouée à Kirkouk est revenue à Bagdad, c’est un désastre. Les gens pensent que l’on doit y trouver les meilleurs écoles et hôpitaux au monde en raison de sa richesse, mais quand ils s’y rendent, ils voient un gros village. Kirkouk a été détruit, ses habitants et la ville ont été détruits, et rien n’a été fait pour Kirkouk. »

Autre départ envisagé mais problématique pour la future politique irakienne et le contentieux kurdo-arabe, celui de Jalal Talabani qui a confirmé qu’il ne se représenterait pas à la présidence d’Irak, ce qui pose la question de sa succession, laquelle devrait revenir, selon la règle tacite du partage des pouvoirs, à un sunnite arabe ou à un Kurde, puisque le chef du gouvernement, Nouri Al-Maliki, est un chiite. « Soit ce sera un Arabe sunnite, soit (la présidence) restera entre les mains des Kurdes ; et dans ce cas les deux partis kurdes décideront entre eux qui l’obtiendra », explique Mahmoud Othman, un député kurde du Parlement d’Irak, indépendant des deux grandes formations. Bien que la présidence ait des pouvoirs limités, afin de ne pas répéter les dérives autoritaires des dictatures passées, la position et l’influence de Jalal Talabani ont pesé sur la politique irakienne et son statut de Kurde a été utile pour servir de médiateur entre les factions arabes rivales. Enfin son habileté diplomatique et sa longue carrière politique ont servi à réintégrer l’Irak sur la scène internationale, notamment au Moyen-Orient et au sein de la Ligue arabe, ainsi qu’à renormaliser les relations diplomatiques entre l’Irak et l’Iran.

TURQUIE : LA MISE A JOUR DES « PUITS DE LA MORT » RAVIVE LES PLAIES DE LA SALE GUERRE

Les recherches pour mettre à jour des fosses communes se poursuivent au Kurdistan de Turquie, dans la province de Sirnak, depuis que, dans le cadre de l’affaire Ergenekon, plusieurs membres du JITEM aient mentionné de nombreux exécutions extra-judiciaires dans les années 1990 et l’existence de « puits de la mort » où ils avaient fait disparaître les corps, soit en les enterrant en rase campagne, soit en les faisant dissoudre dans de l’acide. Les aveux d’Abdülkadir Aygan, un ancien membre du JITEM et de Tuncay Güney, considéré comme une figure clef du réseau clandestin Ergenakon, ont incité la justice turque à ouvrir une enquête et à entamer des fouilles dans la région de Sirnak.

Le 9 mars, aux abords de Silopi, près d’une base militaire, des restes d’ossements humains et un fragment de crâne, ainsi que des pièces de tissu, ont déjà été découverts et examinés par les médecins légistes à Istanbul. Selon l’association du Barreau de Sirnak, le nombre des disparus s’élève à environ 17 000 personnes et leurs familles ont toutes portées plainte auprès du procureur afin d’obtenir la vérité sur le sort de leurs proches. Peu après les premières découvertes, cinq personnes ont été arrêtées à Sirnak le 17 mars. Parmi elles, les deux fils d’un ancien maire de Cizre, membre des milices « Gardiens de village » et trois habitants d’un village proche d’une fosse commune. L’ancien maire de Cizre fait l’objet d’un avis de recherche. Mais Nuşirevan Elçi, le président de l’association du Barreau de Şırnak accuse la lenteur de l’enquête (ordonnées en début d’années les fouilles n’ont commencé qu’en mars) et l’absence de protection et de surveillance des fosses communes. Il soupçonne certains puits d’avoir été « nettoyés » avant leur mise à jour officielle.

Ces accusations avaient été déjà lancées en janvier dernier par l’éditorialiste Adem Yavuz Arslan, qui déjà mentionnait des activités nocturnes suspectes autour des endroits devant être fouillés deux mois et demi plus tard. L’existence de ces fosses et la découverte de corps n’est pas une nouveauté dans la région. La dernière découverte de ce genre remonte à 2005 mais c’est dès 1996 que plusieurs corps avaient été mis à jour. Mais le climat politique de l’époque avait empêché les familles de saisir la justice, comme l’explique Nuşirevan Elçi : “ En fait, les parents des personnes disparues avaient peur de porter plainte auprès du procureur, mais après que le ministre de la Justice a déclaré que quiconque savait quelque chose sur les puits de la mort ne devait pas hésiter à porter plainte, les gens ont commencé à parler. S’il faisait une autre déclaration afin d’accélérer l’enquête, on pourrait parvenir à des résultats. »

En plus du JITEM, l’enquête cherche à établir la responsabilité du Hizbullah, un groupe islamiste qui avait été utilisé par les services secrets pour perpétrer de nombreux assassinats et actes de terreur contre les Kurdes, et qui aurait été fondé par le général Veli Küçük en personne, un des acteurs majeurs d’Ergenekon. A Kustepe, ancien bastion du Hizbullah, près de Cizre, une fosse a mis à jour des dizaines d’os humains, que l’on soupçonne être les restes de personnes notoirement kidnappés par cette organisation. Le principal suspect est là encore l’ancien maire de Cizre, Kamil Atak, actuellement gardien de village à Kustepe, et qui a pris la fuite, tandis qu’un de ses fils, Temel Atak, arrêté le 17 mars, a été officiellement inculpé le 20 et maintenu en détention provisoire. Les quatre autres suspects arrêtés le même jour que lui, dont son propre frère, ont été remis en liberté. Cinq jours plus tard, c’était au tour d’un colonel d’être inculpé et placé en détention. Cemal Temizoz est accusé « d'appartenance à une organisation armée illégale et d'incitation au meurtre » par le tribunal de Diyarbakir. Exerçant à ce jour le commandement de la gendarmerie de Kayseri, il commandait une unité à Cizre entre 1993 à 1996.

CINEMA : SORTIE DE « J’AI VU LE SOLEIL » EN TURQUIE

« Gunesi Gordum » (J’ai vu le soleil), un film réalisé en Turquie par le chanteur kurde Mahsun Kirmizigul raconte l’histoire d’une famille kurde, les Altun, vivant en zone de guerre dont le village va être évacué par l’armée et qui subissent une émigration forcée, d’abord à Istanbul, d’où certains espèrent gagner la Norvège. « Ce film montre très bien la dimension humaine du problème kurde » écrit Oral Calislar, un éditorialiste du journal turc Radikal. « Ceux qui ne voient la question kurde que comme un problème de terrorisme doivent aller le voir. Ils doivent voir les gens de cette région. Ils doivent voir leur désespoir. Et alors ils décideront si c’est uniquement un problème de terrorisme. » .

Déchirée par l’exil, la famille Altun l’est aussi par la guerre; L’un des fils, le cadet est conscrit, l’aîné est membre du PKK. « Qu’arrivera-t-il si nous nous rencontrons au combat ? » demande le plus jeune. « Si je suis tué, je serai un terroriste, et si c’est toi, tu seras un martyr. » répond l’aîné. Mahsun Kirmizigul renvoie plusieurs fois dos à dos les discours idéologiques des deux parties, en mettant les mêmes mots dans la bouche des belligérants. Ainsi, quand un officier interpelle les villageois : « C’est pour vous que nous avons pris ces montagnes », les mêmes mots ont déjà été prononcés par le frère combattant dans la guérilla à l’adresse de son cadet. D’une tonalité assez sombre, l’histoire ne semble suggérer comme échappatoire aux Kurdes que l’exil, ainsi quand un adolescent amputé d’une jambe ne peut recommencer à marcher que lorsqu’il reçoit une prothèse à son arrivée en Norvège. « Les enfants ici ne peuvent façonner leur destin » décrète une des protagonistes de l’histoire.

Selon Sirri Sakik, un député kurde du DTP, ce film peut avoir un effet positif pour faire évoluer l’opinion publique turque sur la question : « Même si le roi est nu, beaucoup de secteurs n’ont pas été capables de dire que le roi est nu. Mais aujourd’hui, un pas a été fait. » Le film a été aussi encensé par des membres du gouvernement, dont le ministre de la Culture Ertugrul Güney et Cemil Ciçek, le Vice-premier ministre : “C’est un film qui montre de la meilleure façon possible la douleur de la Turquie, les problèmes et les larmes de ces 25 dernières années. »

Mahsun Kirmizigul, âgé de 39 ans, est un chanteur à succès qui a déjà tourné plusieurs films. Il espère que sa dernière production atteindra les dirigeants du pays : « Nous voulons des gestes concrets pour la solution du conflit kurde. Pour le producteur, les réformes qui ont été accomplies en Turquie ont contribué à accroitre la tolérance, au sein de la société turque, envers de tels films. « De nos jours, la société est plus ouverte. L’atmosphère est plus positive. » Sorti ce mois-ci en Turquie, il a été distribué dans plus de 700 salles et vu par près de 616 000 spectateurs dès la première semaine, ce qui l’a propulsé au Top 10 des films turcs. La société de production a indiqué qu’il sortirait aussi en Allemagne ainsi que dans d’autres pays européens abritant une communauté nombreuse originaire de Turquie.