Au début de l’année, le Kurdistan d’Irak a commencé d’exporter son brut en Turquie via le nouvel oléoduc les reliant directement. Deux millions de barils doivent être vendus lors d’un appel d’offre, et le ministre kurde des Ressources naturelles a annoncé que 6 millions de barils seraient vendus en février et mars prochains.
Le gouvernement irakien, sans surprise, a aussitôt fait part de son opposition à cette exportation qu’il qualifie d’illégale, puisque décidée sans son aval. Le ministre irakien du pétrole a fait part de son « profond regret et étonnement de cette violation flagrante de la constitution irakienne ». Comme toutes les fois que les Kurdes se passent du gouvernement central pour leurs accords avec des compagnies étrangères, l’Irak a menacé les sociétés qui traiteraient avec les Kurdes de poursuites judiciaires pour « contrebande ».
Cela semble peu effaroucher les investisseurs étrangers, comme l’a déclaré à l’agence Reuters Todd Kozel de Gulf Keystone : « Nous attendons de lire et d’entendre ces mots depuis 2007. C’est de la musique aux oreilles de n'importe quel opérateur dans le Kurdistan. C'est la monétisation de nos actifs ».
Mais en plus de menacer les sociétés pétrolières, Nouri Maliki, le Premier ministre irakien a envisagé de couper les fonds à la Région kurde, en supprimant les 17% du budget qui lui revient, ce qui, selon lui, aurait pu être fait auparavant, puisque les Kurdes n'avaient pas remis à l’Irak les 250 000 barils par jour sur lesquels ils s’étaient engagés en 2013.
Enfin l’adjoint du Premier Ministre en charge de l’Énergie, Hussein Sharistani, adversaire de longue date des Kurdes sur cette question du pétrole, a convoqué l’ambassadeur turc pour lui faire part de ses « objections » à l’accord turco-kurde :
« Le gouvernement de l’Irak tient la partie turque pour légalement responsable de cette action et se réserve le droit de demander réparation pour tous les dommages qui en résulterait. »
Quant au ministre irakien du Pétrole, Abdelkarim Al-Luaybi, il a qualifié l’exportation du pétrole vers la Turquie de « ligne rouge » et a déclaré que son gouvernement envisageait plusieurs réponses, notamment le boycott de toutes les sociétés turques et l’annulation de tous les contrats en cours entre les deux pays.
Les Kurdes, eux, affichaient une plus grande sérénité, en assurant qu’ils étaient parvenus à un accord avec Bagdad, le 25 décembre 2013, comme le faisait savoir le 13 janvier dernier, à Reuter, le porte-parole du Gouvernement de la Région, Safeen Diyazee, assurant que « Le cadre [de l’accord] est déjà accepté à Bagdad – ce sont plus que des questions d’ordre technique. »
Mais le conflit a rebondi le 15 janvier sur la question du budget 2014, quand le conseil des ministres irakiens a adopté une loi contre l’avis de son vice-président, le kurde Roj Nouri Shaweys, soutenu par les autres Kurdes du conseil, alors que les ministres arabes et turkmènes approuvaient cette proposition de budget. Selon une source anonyme publiée par le journal Shafaq News, le désaccord porte sur le paragraphe indiquant le montant des exportations à l’Irak du pétrole en provenance du Kurdistan. Arabes et Turkmènes ont souhaité que la Région exporte 400 000 barils par jour, sous peine de voir réduire le budget que lui alloue le gouvernement central. Roj Nouri Shaweys a alors rappelé que le gouvernement d’Erbil n’avait pas reçu les années précédentes le budget prévu pour la solde de ses Peshmergas (forces armées) et qu’il s’opposait à ce paragraphe. Refusant de débattre plus avant, le conseil des ministre a voté la loi à la majorité, incitant tous les ministres kurdes à quitter la réunion.
Le 17 janvier, le ministre-adjoint aux finances du Gouvernement kurde, Rashid Tahir, avertissait que les Kurdes pourraient décider de se séparer de l’Irak si ce dernier coupait leur budget, en répliquant que depuis 2007, jamais le Gouvernement central n’avait vraiment alloué 17% de son budget aux Kurdes, seulement 10% :
« Si Bagdad fait un tel pas, alors nous enverrons les revenus du pétrole à Bagdad en y soustrayant la part prévue pour la solde des Peshmergas. Si cette solution ne satisfait pas Bagdad, alors nous n’aurons d’autre choix que nous séparer (Rudaw).
D’après Rashid Tahir, la Région kurde peut se financer elle-même, avec ses revenus internes et ceux de ses exportations de pétrole qui pourraient augmenter les prochaines années.
Le gel des revenus pétroliers kurdes pourrait avoir de graves conséquences sur les finances irakiennes. Hayder Al-Abadi, qui est à la tête de la Commission du Trésor au Parlement irakien, et est un membre du parti du Premier ministre Nouri Maliki, a expliqué le 19 janvier à l’agence Reuters, que son pays ne pourrait pas financer le budget 2014 si les Kurdes n’envoyaient pas les revenus tirés de l’exportation de leur pétrole.
De même, le refus de payer les 17% du budget dus aux Kurdes auraient aussi des raisons financières, en plus des conflits en cours. Haydar Al-Laybi affirme en effet que le budget 2014 « s’effondrerait » si ces 17% étaient versés à la Région kurde, d’autant que les dépenses publiques irakiennes ont fortement augmenté, avec l’augmentation des pensions et du salaire minimum dans le secteur public, celle des allocations familiales et des bourses d’études. Même si l'on prévoit que les Kurdes paient au Trésor irakien des recettes d’exportations de pétrole calculées sur la base de 400 000 barils par jour – ce que certains jugent irréaliste, en indiquant un montant plus probable de 255 000 barils par jour – le projet de budget envoyé au Parlement de Bagdad présente un déficit d’environ 21 milliards de dinars irakiens (18 milliards de dollars). Hayder Al-Abadi en tient d'ailleurs les Kurdes responsables, avec la suspension des paiements en 2013, quand le Gouvernement régional kurde réclamait le paiement des sociétés pétrolières opérant dans ses provinces.
Le 19 janvier, Nêçirvan Barzani, le Premier Ministre du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) arrivait à Bagdad pour tenter de résoudre la crise. Mais les deux réunions entre les deux Premiers ministres et Hussein Sharistinani, le Vice-Premier ministre irakien en charge des questions énergétiques, n’ont pas abouti à des conclusions très franches, et les trois hommes en ont même fait un compte-rendu très contradictoire.
S’exprimant ainsi sur cette rencontre dans le journal Rudaw, le 20 janvier, le Premier Ministre kurde Nêçirvan Barzani, a déclaré qu’il y avait un désir réciproque de parvenir à un accord, mais que les problèmes ne pouvaient être résolus « en une ou deux réunions ». Évoquant les menaces de Nouri Maliki de couper le budget de la Région du Kurdistan, M. Barzani aurait répondu au chef du gouvernement irakien que le langage de la menace était « inacceptable et dans l’intérêt d’aucune des deux parties ». Sur le budget qui doit être voté au Parlement de Bagdad, le Premier ministre kurde se déclare « fortement opposé » à « un certain nombre de mesures contre la Région du Kurdistan ». Enfin, il a assuré n’avoir donné aucune garantie que le GRK n’exportera ni ne vendra son pétrole sans le consentement de Bagdad.
Le même jour, son homologue irakien s'exprimait aussi sur un ton plus modéré, insistant sur la nécessité d'un « langage de la compréhension ». Mais il a par contredit Nêçirvan Barzani en niant avoir jamais laissé entendre que le budget des Kurdes pourrait être coupé, et en assurant aussi avoir obtenu des Kurdes qu’ils ne vendraient pas leur pétrole sans l'accord du gouvernement central.
Mais Hussein Sharistani, ne semble guère prêt, pour sa part, à adopter le mode de l'apaisement et de la conciliation. Le 28 janvier, il a ainsi réitéré ses menaces de représailles, notamment fiscales, contre le Région du Kurdistan, si cette dernière vendait son pétrole avant d’être parvenue à un accord avec l’Irak, selon l’agence Bloomberg.
Les propos de Nêçirvan Barzani se sont alors durcis et il a comparé, lors d’une conférence de presse, le comportement actuel de l'Irak avec celui de l'ancien régime avec le Kurdistan, alors que ce dernier « favorisait la résolution de tous les problèmes avec Bagdad ».
Le Premier Ministre kurde a nié, par ailleurs, que la Région du Kurdistan avait vendu son pétrole au rabais et en dehors des cours mondiaux, insistant, au contraire, sur la transparence avec laquelle le forage et l’exportation avaient lieu.
« Nous n’accepterons aucun langage de menace, de quiconque. Le pétrole du GRK est vendu au cours mondial et nous n’accepterons aucune justification de couper le budget de la Région du Kurdistan […] Aujourd’hui, dans la Région du Kurdistan, nous pouvons produire et exporter du pétrole et l’oléoduc pour l’envoyer en Turquie est prêt. Mais jusqu'ici, nous n’avons pas vendu un seul baril. Nous voulons parvenir à un accord avec Bagdad sur cette question. »
Nêçirvan Barzani a mis aussi en avant la présence des nombreuses sociétés étrangères qui travaillent dans la Région pour étayer la constitutionnalité de l’exploitation et de la vente par les Kurdes de leur propre pétrole, affirmant que si tout cela n’était pas légal, ces sociétés n’auraient pas signé de contrat avec le gouvernement d’Erbil.
« Après deux ans de pourparlers étendus, le gouvernement kurde a signé un accord solide avec la Turquie et des dizaines d’avocats ont été impliqués dans la rédaction de cet accord. »
Peut-être pour convaincre davantage de la « transparence » des affaires pétrolières au Kurdistan, le site de son ministre des Ressources naturelles vient de mettre en ligne son premier rapport mensuel , avec les « dernières informations sur la production et l’exportation dans la Région du Kurdistan, le raffinage et la consommation interne, l’activité des puits, la carte et le nombre des plate-formes, les chiffres de l’emploi et les dernières mises à jour sur les contrats de partage de production. »
Ce rapport couvre les activités d’octobre 2013, et le ministère indique que les rapports de novembre et décembre 2013 seront en ligne à la mi-février. Ensuite, les rapports seront diffusés chaque mois en anglais et en kurde. Une version en arabe est aussi en préparation.
Quant au gouvernement irakien, il vient d'embaucher un cabinet d'avocats prêts, selon lui, à engager des poursuites contre tout acheteur éventuel du pétrole kurde.
Peu d’observateurs politiques jugeaient que la conférence de Genève II avait des chances de mettre fin à la guerre syrienne, surtout lorsque le 7 janvier, alors que les invitations de l’ONU commençaient d’être envoyées, on apprit que l’Iran ne ferait pas partie des participants, à la satisfaction de la Coalition nationale syrienne ( qui menaçait, dans le cas contraire, de ne pas venir) et du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan.
Autre groupe non invité, les Kurdes du PYD, ceux du Conseil national kurde (CNK) y assistant comme membres de la Coalition. Le PKK syrien réclamait que les Kurdes soient représentés par une délégation « indépendante » mais n’a reçu pour cela ni l’accord des Nations Unies ni le soutien de la Russie, malgré une campagne médiatique et via les réseaux sociaux, notamment sur twitter, avec le hastag #KurdsMustBeInGeneva2, protestant contre le péril d’un nouveau « Traité de Lausanne », où l’idée d’un État kurde, envisagée dans le Traité de Sèvres (1920), avait été définitivement enterrée en 1923, par les Puissances alliées et la Turquie.
Mais l’inefficacité prévue de Genève II et le fait qu’en Syrie même, la Coalition exerce peu d’influence, car éloignée des champs de bataille, rendaient un nouveau « Traité de Lausanne » très improbable, la Syrie étant actuellement entre les mains de différents groupes armés (l’armée syrienne et les milices du Hezbollah, l'Armée syrienne de libération, les milices djihadistes, les forces YPG du PYD). Ce qui n'a pas empêché la question d’aller ou non à Genève en tant que membres de l'opposition syrienne de diviser les Kurdes depuis décembre, le CNK étant plus ou moins enclin à s’y rendre, le PYD l'accusant pour cela de « haute trahison ».
Le 22 janvier, la conférence était ouverte à Montreux par le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon. Dans un discours qui se voulait optimiste, ou à tout le moins encourageant, il s’est adressé aux 40 nations représentées et aux parties syriennes qui pouvaient, selon lui, « prendre un nouveau départ » en assurant que cette conférence était l’occasion de « montrer leur unité » et qu’après trois années de conflit et de souffrance en Syrie, c'était un jour d’espoir : « Vous avez une occasion énorme et la responsabilité de rendre un service au peuple syrien. »
Le même ton modérément optimiste était de rigueur dans les déclarations des pays « amis de la Syrie », qui relevaient que le simple fait d’avoir pu amener les belligérants à la même table était un pas important, même si, comme l’indiquait William Hague, le ministre britannique des Affaires étrangères : « il serait erroné de s'attendre à des progrès dans les prochains jours, en termes de percées. Néanmoins, des choses peuvent être obtenues lorsque la diplomatie commence, quand on essaie la diplomatie - nous avons vu cela sur beaucoup d'autres sujets, y compris avec l'Iran sur son programme nucléaire. »
Mais le « pas important » consistant à amener les parties adverses autour de la même table a été fortement minoré par le fait que les représentants du président Bashar Al Assad et ceux de la Coalition ont refusé justement de siéger face à face et se sont réunis dans des salles différentes, obligeant le médiateur de l’ONU, Lakhdar Brahimi, à faire le va-et-vient entre les uns et les autres.
Le chef de la Coalition, Ahmed Jarba, n’a cessé de poser en condition non négociable le départ de Bashar Al Assad, alors que les officiels syriens répliquaient que le président syrien n’avait pas du tout l’intention de quitter le pouvoir, ce qu’a confirmé le Secrétaire d’État américain, John Kerry, à la TV Al-Arabiyya.
Campant sur leurs positions, les deux délégations ont menacé à plusieurs reprises de quitter les pourparlers si leurs demandes respectives n’étaient pas acceptées et se sont rejetées mutuellement les responsabilités des atrocités de la guerre et des crimes commis contre la population civile, le gouvernement syrien répliquant aux accusations d’exactions en tenant l’opposition responsable du terrorisme.
Aussi, la séance s’est achevée le 31 janvier sans résultat concret, un deuxième round de pourparlers devant démarrer le 10 février. L’ONU n’a pu obtenir qu’un convoi humanitaire à destination de Homs soit débloqué, alors que ses habitants souffrent d’une sérieuse famine, et Lakhdar Brahimi a fait part, à ce sujet, de sa grande « déception ».
Par contre, le communiqué de Genève I, datant de juin 2012, et ses 10 points énoncés pour mettre fin au conflit et établir un processus de transition politique, a été accepté par les deux parties comme base de travail, ce qui est présenté comme un pas positif par les diplomates, même si ce texte envisage le départ de Bashar Al Assad, ce qui est pour le moment refusé catégoriquement du côté gouvernemental.
Les autres points forts de ce texte sont, entre autre, l’arrêt bilatéral des violences armées, la libération des personnes détenues arbitrairement, la liberté de mouvement pour les journalistes et les aux organisations humanitaires, et permettre l’évacuation des civils et des blessés.
Sur le processus politique, un corps gouvernemental de transition devra instaurer « un climat neutre » afin que le peuple syrien puisse se déterminer sur l’avenir du pays, notamment en approuvant une nouvelle constitution.
Le fait que ce document doive servir de base de discussion pour la prochaine séance du 10 février donne des raisons à Lakhdar Brahimi de ne pas désespérer : « les deux camps savent qu'ils doivent conclure un accord sur la formation d'une instance de gouvernement transitoire dotée des pleins pouvoirs ».
Mais il ressort des déclarations mutuelles que l’opposition syrienne voit dans cet accord la condition du départ de Bashar Al Assad, alors que le camp de ce dernier continue d’y voir la formation d’un nouveau gouvernement. toujours présidé par Bashar Al Assad qui ne renonce pas à se porter candidat aux présidentielles de l’été 2014.
Tant que sur le terrain du conflit, le statu quo demeure entre les deux forces armées, l’opposition ne croit pas à un départ volontaire de Bashar Al Assad, et s’attend même à une recrudescence des offensives, de part et d’autre, chaque camp espérant ainsi peser plus lourd au cours des prochaines rencontres en fonction de ses victoires militaires. Loin d’apaiser la situation l’effet de Genève II pourrait être donc être, dans un premier temps, d’aggraver la guerre et la situation humanitaire.
Quant aux Kurdes, quel que soit leur camp, pro-PYD ou pro-CNK, ils attendaient peu de cette conférence et la veille même de son ouverture, le 21 janvier, le président de la Région du Kurdistan d’Irak, Massoud Barzani, avait fait part de son scepticisme alors qu'il se trouvait devant la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen à Bruxelles : « La conférence de Genève II sera l'occasion pour le peuple syrien de décider de son propre destin même si, personnellement, je ne nourris pas un optimisme excessif. Je n'ai pas beaucoup d'attentes concernant cette conférence. »
Le président kurde a aussi évoqué la menace terroriste qui pèse sur la Région du Kurdistan comme sur l'Irak, en raison de l’activité intense de groupes tels qu’Al Qaïda et État islamique en Irak et au Levant (EIIL) : « Pour l'heure, il n'est pas évident de dire que les forces démocratiques, l'Armée libre de Syrie, seront l'alternative du pouvoir en place à Damas, car ce sont les organisations terroristes qui tiennent le haut du pavé. »
De leur côté, le PYD et les partis proches de sa mouvance ont poursuivi leur « processus d’autonomie » en annonçant la formation de conseils cantonaux (un pour chaque « canton » du Kurdistan syrien), en commençant par celui de Djézireh, pourvu de 22 membres aux fonctions ministérielles, chargés, tout au moins sur le papier, de gérer la défense, l’économie, les finances, etc. de leur toute petite localité. Si ces conseils comprennent aussi bien des Kurdes que des chrétiens ou des Arabes, les opposants au PYD dénoncent l’uniformité politique de cette administration.
Ainsi, pour Hêvidar, un journaliste kurde syrien, opérant en Turquie, et s'exprimant à l"AFP, ce conseil de Djézireh est composé de « soit des membres du PYD, soient des gens ayant peur du PYD. Je suis pour tout ce qui aide à garantir les droits des Kurdes, mais le PYD ne s'intéresse pas à nos droits, il veut imposer son pouvoir via les armes … Comment peuvent-ils annoncer la création d'un conseil local s'ils ne peuvent même pas fournir de l'électricité ou des soins de base à la population? »
Le 27 janvier, Kobane (au centre du pays, sur la frontière turque) a formé l'assemblée de son canton et le 29 janvier, c'est Afrin, à l’autre bout du pays, au nord-ouest d'Alep, qui a tenu son assemblée et a élu sa présidente. De futures « élections générales » ont été annoncées dans 4 mois afin d'élire de nouvelles assemblées, sans que l’on en connaisse exactement la modalité ni la possibilité dans une situation de guerre et de crise humanitaire, d'autant que les autres partis kurdes syriens font toujours état d’arrestations, d’enlèvement et de tortures sur leurs membres restés sur place, de la part des Asayish du PYD.
Les partis Yekitî, le PDK syrien (Al Partî) et Azadî ont rejoint la Coalition syrienne sous une nouvelle formation, « Unité politique ». Le président du PDK-S, Abdulhakim Bashar, a aussi réitéré son opposition à la formation des « cantons du Kurdistan occidental », qu’il a qualifiée de « déclaration de guerre », sur la chaîne arabe Al-Jazeera. Mustafa Oso, secrétaire général du parti Azadî, a déclaré que les membres du CNK ayant choisi d’occuper des fonctions dans l’administration du PYD devraient être exclus.
Le PYD, sur le terrain, tente maintenant de nouer des liens avec les puissances régionales, l’Irak et l’Iran (avec qui il est en bons termes) et surtout la Turquie dont, jusqu’ici, le soutien à l'opposition syrienne lui servait à discréditer les Kurdes du CNK, accusés de « collaborer avec l'ennemi ». Salih Gedo, le tout nouveau « ministre » des Affaires étrangères du Canton de Djezireh, a ainsi annoncé vouloir entamer une série de rencontres avec le gouvernement kurde d'Erbil, et de se rendre en visite à Bagdad, Téhéran et Ankara (le président du PYD, Salih Muslim, s’est rendu déjà à Ankara en 2013, pour y rencontrer Ahmet Davutoglu mais c’était avant l’annonce unilatérale de l’autonomie).
Asia Abdullah, coprésidente du PYD, arrivée à Istanbul pour assister à une conférence organisée par la toute nouvelle formation kurdo-turque HDP, a même affirmé qu’ils étaient prêts à exporter leur pétrole en Turquie, que son parti cherchait le soutien turc et ne souhaitait pas affronter Ankara (selon le journal turc Milliyet, le PYD serait déjà en pourparlers à ce sujet avec Ahmet Davutoglu).
Alors qu’il y a un an, trois militantes du PKK, Sakine Cansiz, co-fondatrice du PKK, Fidan Dogan, représentante du Congrès national kurde (KNK) et Leyla Soylemez, jeune militante, étaient assassinées à Paris, dans les locaux du Centre d’information du Kurdistan, rue La Fayette, de mystérieuses « fuites » et « révélations » se sont succédées ce mois-ci, sans que l’on ait encore pu déterminer la véracité et la provenance réelle des documents et vidéos soudain révélées au public.
Le principal suspect, inculpé d’homicide, Ömer Güney, continue de nier obstinément les faits. Mais le 9 janvier, le magazine l’Express, assurait, dans un article d’Éric Pelletier, que « de rapides progrès » avaient été fait dans l’enquête et que les soupçons pesant sur l’unique inculpé s’étaient considérablement renforcés, étayant davantage la thèse d’un meurtre politique.
Les laboratoires de police ont, en effet, pu récupérer des clichés pris avec le téléphone portable d’Ömer Güney, qui avaient été détruits et qui prouvent que la nuit précédant le meurtre, Güney s’était introduit dans les locaux d;une association kurde à Villiers-le-Bel et avait photographié les fichiers des adhérents, soit 329 formulaires d’adhésion. Interrogé à ce sujet, le suspect a répondu qu’il avait fait cela sur ordre du PKK : : »Au petit matin, il aurait apporté cette liste à un sympathisant du mouvement en région parisienne (dont il ne connaît pas l'identité et dont il a oublié l'adresse). Il aurait effacé le tout pour ne pas encombrer "la mémoire pour rien. » (Express)
Il a aussi été établi qu’Ömer Güney était en possession de 5 téléphones portables (dont 2 ont disparu), et qu’il avait passé une dizaine d’appels à des numéros « atypiques pouvant s'apparenter à des numéros techniques ».
Le 23 janvier, le journal turc Vatan affirmait que les juges français en charge de l’enquête, Jeanne Duye et Christophe Teissier, avaient envoyé une commission rogatoire internationale (409/13/2) auprès des responsables turcs, afin d’obtenir des « informations cruciales » pour le déroulé de l’instruction.
La première partie de la lettre fait état des éléments rassemblés par les enquêteurs français, notamment le lien entre le suspect et les armes à feu utilisées pour les meurtres. La commission demande les noms des propriétaires des 57 numéros de téléphones que Güney appelait fréquemment en Turquie, ainsi que des renseignements sur sa famille, la fréquence de leurs contacts et de leurs rencontres physiques.
Auparavant, le 13 janvier, un enregistrement audio a été diffusé sur plusieurs réseaux sociaux, dont une video présentée, dans une introduction écrite, comme étant une conversation entre Ömer Güney et deux membres supposés du MIT, qu’un « parent d’Ömer Güney, qui lui aurait confié cet enregistrement devait diffuser si « quelque chose » lui arrivait.
Dans l’enregistrement, les deux hommes présentés comme des agents les services secrets turcs promettent à Güney des fonds pour acheter des armes en Belgique. Les assassinats de responsables du PKK, comme Nedim Seven ou Remzi Kartal sont discutés et planifiés.
Des membres de l’association kurde infiltrée par Güney auraient identifié sa voix, selon l’agence Firat News. Reste à ce que le juge d’instruction, à qui il a été transmis une copie, reçoive les conclusions de l’expertise des laboratoires judiciaires pour une identification formelle.
Enfin, un document, intitulé « Sakine Cansız, nom de code Sara », publié à la fois par des media turcs et kurdes, font aussi mention de l’assassinat programmé de militants kurdes. Il porte les signatures du chef du département du MIT, Ugur Kaan Ayik, et de trois autres officiers des services : O. Yüret, S. Asal, H. Özcan. Classé ‘secret’ et daté du 18 novembre 2011, le document relate les informations obtenues sur Sakine Cansiz par un agent surnommé « Légionnaire ».
Un autre document mis en ligne, daté du 18 novembre 2012, évoque un agent, appelé « La Source » qui aurait reçu 6000 €, servant à « financer les frais » nécessaires à l’élimination de Sakine Cansiz.
Ömer Güney, a nié, lors de l’audition avec la juge Jeanne Duyé, être sur l’enregistrement et clame toujours son innocence.
Les services turcs ont réfuté toutes les accusations dans un démenti officiel écrit et diffusé aux media : « Notre organisation n’a aucun lien avec les meurtres de Sakine Cansiz, Leyla Soylemez et Fidan Dogan. Nous avons lancé l’enquête administrative requise au sein de notre structure interne au sujet de ces allégations. »
Les motifs du MIT, s’il était à l’origine des meurtres, seraient assez complexes, puisque son chef, Hakan Fidan, était à l’époque, chargé par le Premier Ministre Erdogan d’entamer des négociations avec le PKK. L’assassinat de la rue La Fayette avait même alors été pointé comme une tentative de saboter le processus de paix. L’apparition soudaine de ces documents sur les réseaux Internet pose de nombreuses questions : pourquoi, cette révélation, un an après, alors que Güney n’a toujours pas reconnu les faits ?
Certains ont fait le lien entre la lutte interne que se livrent le gouvernement AKP et le réseau religieux Gülen, au sein de la police et des services de sécurité. L’implication des Gulenistes dans les meurtres est, en tout cas, la thèse défendue par certains hauts responsables du PKK, et ce assez tôt : Murat Karayilan, dès le printemps 2013, y avait dénoncé la main de la confrérie, anciennement alliée à l’AKP et devenue, entre temps, son pire ennemi. Le 19 janvier 2014, la co-présidence de l’Union démocratique des communautés du Kurdistan (KCK) a clairement accusé la confrérie Gülen d’être impliquée dans les assassinats, en plus des services du MIT, avant la rupture entre Erdogan et Fethullah Gülen, et les fuites et révélations qui se succèdent en cascade en ce début d’année seraient un des effets du conflit politique interne qui secoue la Turquie.
Plusieurs prisonniers kurdes observent une grève de la faim depuis plus de 60 jours, afin de protester contre la peine de mort à laquelle ils sont condamnés ainsi que contre leurs conditions de détention.
Jamshid et Jahangir Dehghani, Hamed Ahmadi et Kama; Molayyee ont cessé toute alimentation depuis le 4 novembre, ne buvant que de l’eau, refusant toute alimentation par intraveineuse. Ils sont à présent dans un état critique et perdent régulièrement connaissance. Selon la Human Rights Activists News Agency (HRANA) les autorités de la prison ont ordonné l’injection de sérum sous la contrainte.
Ils ont été condamnés à mort par la 28e chambre de la Cour révolutionnaire de Téhéran le 14 novembre 2010 sous le chef d’accusation d’être « ennemi de Dieu » et d’apporter la « corruption sur terre », ce qui leur a valu la peine capitale.
Les prisonniers avaient été arrêtés en 2009 avec six autres, peu de temps après une visite du Guide Ali Khamenei dans la province du Kurdistan. Les dix Kurdes s’étaient rassemblés devant la mosquée pour protester contre les propos du régime contre les musulmans sunnites.
En décembre 2010, six avaient été exécutés sous les charges de « trafic de drogue et viols ». D’après les organisations de défense des droits de l’homme en Iran, extorquer sous la torture des aveux de crimes de droit commun permet de discréditer les prisonniers politiques. Les procès n’avaient duré qu’une dizaine de minutes et ont eu lieu sans présence d’un avocat.
Sedigh Mohammedi et Hadi Hosseini, qui suivaient aussi la même grève de la faim, l’ont cessée le 28 décembre, après que leur peine de mort a été annulée. Selon Amnesty International, la Cour suprême a statué en raison de l’état de santé mentale des deux hommes et a ordonné un nouveau procès.
D’après Amnesty International, plus de 40 personnes ont été exécutées en Iran depuis le début de l’année.
Human Rights Watch a publié son rapport annuel sur l’état des droits de l’homme dans le monde en 2013.
Turquie
Le gouvernement a fait des pas importants dans un processus de paix avec les Kurdes, annonçant au début 2013 des négociations avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, se traduisant par un cessez-le-feu.
Par contre, la Turquie continue de poursuivre ses journalistes en 2013 et plusieurs dizaines d’entre eux sont toujours sous les verrous. 44 journalistes et personnes travaillant pour différents media et 20 d’entre eux en détention depuis décembre 2011, accusés d’être liés à l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), interdite en Turquie car accusée de liens organiques avec le PKK.
Les réformes entreprises en 2013 n’ont pas amélioré le sort des milliers de citoyens accusés d’ « appartenance à une organisation terroriste » en vertu de l’article 314 du code pénal, pour avoir simplement participé à des activités militantes pacifistes, ce que permet un usage abusif des lois anti-terrorisme en Turquie. Des centaines d’activistes politiques kurdes, des maires élus, des parlementaires, des cadres du Parti de la paix et de la démocratie (BDP) ont effectué de longs séjours en prison, certains plus de 4 ans et demi, alors qu’ils étaient jugés pour appartenance au KCK.
Les victimes des brutalités policières, des violences de la part des militaires et des agents de l’État peinent à ce que justice leur soit rendue. Si la prescription a été levée en avril 2013 concernant les cas de torture, elle est toujours de 20 ans pour les exécutions extra-judiciaires, de qui soulève des inquiétudes au sujet des disparitions et des meurtres survenues dans les régions kurdes dans les années 1990.
En juin 2013, le bureau du procureur de Diyarbakir s’est déclaré incompétent pour le dossier de l’attaque des villageois de Roboski-Uludere par l’armée de l’air turque en décembre 2011, qui a fait 34 victimes, mineures pour la plupart. Le dossier a été envoyé au procureur militaire, mais l’absence d’enquête sérieuse fait craindre que toute cette affaire soit enterrée.
En septembre 2013, la Cour de cassation a décidé d’annuler le verdict rendu en janvier 2007 à l’encontre des assassins du journaliste arménien Hrant Dink, pour raisons de procédure. HRW souligne l’absence d’enquête poussée sur la responsabilité de l’État, voire d’implication, dans cet assassinat.
Iran :
Depuis les élections de juin 2013, certains prisonniers politiques ont été libérés mais de nombreux militants de la société civile restent emprisonnés, pour des motifs politiques.
L’Iran continue d’exécuter des condamnés à un rythme soutenu. Pour l’année 2013, 16 personnes ont été pendues pour « inimitié envers Dieu » ou avoir « répandu la corruption sur terre », car accusées d’appartenance à des groupes d’opposition armée, ou bien en « représailles », tel le cas de ces 8 Baloutches exécutés après la mort d’une dizaine de gardes sur la frontière Iran-Pakistan. Des dizaines d’autres attendent dans les couloirs de la mort pour « terrorisme », après des procès iniques visant les activités politiques. Des Iraniens appartenant à la minorité arabe sont ainsi accusés d’attaques envers les forces de sécurité. Quant aux Kurdes, 40 d’entre eux ont été condamnés pour terrorisme, soit en raison de leur engagement politique ou religieux (sunnite) et ils attendent leur exécution.
De façon générale, la politique de l’Iran envers ses minorités ne s’est pas du tout améliorée. Principaux groupes visés : les Kurdes, les Azéris, les Arabes et les Baloutches.
Kurdistan d’Irak :
Le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak a voté une loi contre les violence domestiques en 2011, mais peu de choses ont été faites pour en appliquer les dispositions et lutter contre la violence familiale et les crimes d’honneur. Des dizaines de victimes féminines ont été maltraitées ou tuées par des membres de leur famille. Les ONG locales se plaignent de l’absence de tribunaux spéciaux pour juger les auteurs de violences intra-familiales. Elles réclament aussi le recrutement supplémentaire d’officiers de police féminins et d’agents de sécurité formés à ces questions et au fait des nouvelles lois.
Syrie :
Selon le bureau des Nations unies chargé des Affaires humanitaires (OCHA) 4, 25 millions de Syriens ont fui leur pays. L’aide humanitaire peine à arriver sur place en raison des sièges militaires imposés à la fois par le gouvernement et l’opposition armée. Le régime continue de refuser l’ouverture de ses frontières aux équipes médicales et humanitaires et l’Armée syrienne de libération a échoué à garantir leur sécurité.
Sur place, les attaques contre les médecins et le personnel de soin n’ont pas diminué et sur les 88 hôpitaux syriens, 32 ont dû fermer. Les forces gouvernementales ont emprisonné, torturé et tué des centaines de membres du personnel médical et ont délibérément attaqué leurs véhicules et ambulances.
Un récent rapport du Conseil des droits de l'homme (CDH) a conclu que « le refus de soins médicaux utilisé comme une arme de guerre est une réalité particulière et glaçante de la guerre en Syrie. »
Tofy Mussivand dirige le Programme d’appareils cardio-vasculaires de l’Institut de cardiologie de l’université d’Ottawa. Il est l’inventeur d’une pompe cardiaque artificielle, en plus d’autres inventions médico-technologiques, a publié plus de 250 livres et articles et a reçu de nombreux prix scientifiques tout au long de sa carrière. Un organisme américain l’avait même sélectionné pour figurer au rang des 7 cerveaux plus brillants de la planète.
Né il y a 71 ans dans le petit village kurde de Varkaneh, près de Hamadan, Tofy Mussivand a commencé par être berger dans les montagnes du Kurdistan iranien. Son village ne possédait qu’une école religieuse où il apprit d’abord le Coran et à lire le persan.
Devant sa curiosité et son goût pour les sciences son père, un Kurde originaire d’Irak, l’inscrit finalement à l’école de la ville où il obtint son diplôme d’études secondaires, et puis revint au village en tant qu’instituteur, où, dit-il, « j’étais à la fois le professeur, le principal et le concierge ».
Mais voulant étudier davantage, Tofy Mussivand partit pour Téhéran et commença des études d’ingénieur. Après avoir obtenu un master d’ingénieur agricole, il écrit à l;auteur du manuel d’études qu’il avait le plus apprécié et celui-ci, un Canadien, lui permit de venir étudier à l’université d’Alberta, muni d’une bourse.
Interviewé par Rudaw, Mussivand affirme que son « héritage kurde » l’a influencé de façon significative au cours de sa carrière et souhaite que plus d’occasions soient données à des « cerveaux » kurdes d’être reconnus dans le monde et le message qu’il adresse aux jeunes Kurdes est de ne « jamais renoncer » : « Ne dites pas « je suis pauvre, je suis kurde et je n’ai aucune chance. Je n’ai jamais cru que le manque d’argent pouvait m’arrêter. Il y a eu un moment, dans ma vie, où je n’avais pas un morceau de pain à manger, mais cela ne m’a pas arrêté.