Le 1er novembre, la chaîne kurde irakienne Kurdistan 24 s’est faite l’écho de l’incompréhension des Christian Peacemaker Teams (CPT) à l’égard des «Casques Blancs», cette organisation syrienne de défense civile opérant en territoire rebelle. Nominée en même temps que les Casques Blancs pour le Prix Nobel de la Paix, CPT leur a reproché dans une lettre rendue publique le 29 octobre leur complaisance à l’égard des forces d’invasion turques à Afrîn. De son côté, un porte-parole des Casques Blancs a déclaré sur Kurdistan 24 que l’organisation tentait de travailler partout où c’était possible en Syrie et avait donc opéré quelques mois à Afrîn, mais qu’à présent les YPG ne les laissaient pas accéder. Mettant l’accent dans leur lettre sur la cohabitation pacifique entre communautés qui prévalait à Afrîn avant l'invasion turque, CPT demande aux Casques Blancs d’utiliser leur influence locale et internationale pour «appeler au retrait des troupes turques et de leurs alliés syriens». Par ailleurs, dans une interview donnée le 8 à l’agence russe Spoutnik, le général syrien Hassan Ahmad Hassan, qualifiant l’intervention turque d’«illégale» et de «violation du droit international», a indiqué qu’en cas d’échec de la diplomatie, l’armée syrienne était prête à recourir à la force pour reprendre Afrîn…
A Afrîn, exactions et luttes entre factions se sont poursuivies. Le 12, la Brigade djihadiste turkmène «Sultan Mourad» a relâché l’activiste des médias Bilal Srewel après l’avoir férocement torturé parce qu’il avait pris des photos sans autorisation (Kurdistan 24). Le 18, après des mois de combats entre factions se disputant les richesses d’Afrîn, notamment les oliveraies confisquées à leurs propriétaires kurdes, l’armée turque a finalement pris le parti de «Sultan Mourad» et attaqué Ahrar al-Sharqiya, imposant un couvre-feu sur la ville. Les combats avaient déjà fait au moins 25 tués dans les deux camps et Ahrar al-Sharqiya a été accusé de nombreux vols et pillages. Le Ministre turc de l’agriculture avait d’ailleurs reconnu le 10 que des olives volées à Afrîn étaient ensuite vendues en Turquie… Le 19, une moto piégée a explosé en ville, blessant 5 personnes, et les combats se sont poursuivis jusqu’à la dernière semaine du mois, provoquant de nouvelles destructions et des morts civiles (WKI). Les YPG ont aussi revendiqué la mort en fin de mois de 2 membres de «Sultan Mourad» dans une embuscade (AMN).
La Turquie ne compte manifestement pas s’en tenir à Afrîn dans le Nord Syrien. Elle prépare une attaque sur l’ensemble du Rojava sous le regard indifférent des Occidentaux, comme l’a dénoncé le l’Association France-Kurdistan dans un communiqué du 1er novembre (Rojinfo). Le 3, l’armée turque a lancé une série de bombardements à l’artillerie lourde sur la ville et la région de Kobanê, tuant 4 combattants des Forces démocratiques syriennes (WKI). Le 5, après 3 jours de pause, les tirs ont repris, visant cette fois selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) Kobanê et Girê Spî (Tell Abyad), tuant une petite fille de 6 ans dans un village près de cette dernière ville et obligeant à y fermer l’école… Le Conseil démocratique syrien a dénoncé ces attaques et appelé la communauté internationale à agir, et des manifestations ont eu lieu dans tout le Rojava. Côté régime syrien, l’armée a commencé à déployer des troupes dans les provinces de Raqqa et Hassaké, ainsi qu’au nord d’Alep, à Tell Rifaat, et derrière les lignes des FDS à Tabqa (AMN). Le 27, Erdoğan a été jusqu’à affirmer devant des députés de son parti: «Il n’y a pas de Daech en Syrie», parlant de petites bandes «déguisées» en djihadistes… (Newsweek).
Les Américains, pour leur part, après l’augmentation des tensions Turquie-FDS, semblent de plus en plus condamnés au «grand écart» entre leur alliance anti-Daech avec les FDS sur le terrain et leur crainte de déplaire à la Turquie… Le 1er novembre, en une tentative manifeste pour apaiser la Turquie, après des mois de patrouilles séparées mais «coordonnées» près de Manbij, les États-Unis ont entamé des patrouilles conjointes avec les Turcs, suivant la «feuille de route» datant de juin mais demeurée largement en souffrance depuis. Autre geste vers Ankara, les États-Unis ont offert le 6 des récompenses allant jusqu’à 5 millions de dollars pour des informations sur la localisation de 3 importants dirigeants du PKK, Murat Karayilan, Cemil Bayik et Duran Kalkan (AFP).
Mais parallèlement, Moustafa Balî, le responsable du Centre médiatique des FDS a indiqué le 2 que les militaires américains avaient entamé des patrouilles sur la frontière près de Kobanê pour empêcher de nouvelles attaques turques. Cela n’a pas été immédiatement confirmé par la coalition (Kurdistan 24), mais sur le terrain, l’AFP a témoigné de véhicules blindés battant drapeau américain escortés par des FDS… Le Conseil militaire de Manbij a aussi rendue publique le 3 la visite de l’Ambassadeur américain William Roebuck, au cours de laquelle il s’est rendu à l’hôpîtal de la ville pour rencontrer Gulistan Mohammed, une jeune journaliste kurde de l’agence ANHA blessée la veille au visage par des tirs turcs en même temps qu’un confrère. L’agence ANHA a accusé les Turcs d’avoir «délibérément visé» ses 2 journalistes. L’aviation américaine a aussi commencé à patrouiller sur la frontière pour empêcher des frappes aériennes turques… (AMN)
Le 6, le Président turc a qualifié les patrouilles conjointes USA-FDS d’«inacceptables», ajoutant qu’il demanderait à son homologue américain de les faire cesser quand il le rencontrerait à Paris durant les commémorations du 11 novembre (Reuters). Le 10, l’OSDH a rapporté que, malgré une seconde patrouille conjointe américano-turque menée le 8, des groupes islamistes armés soutenus par la Turquie avaient bombardé à l’artillerie des positions du Conseil militaire de Manbij, visant aussi des paysans travaillant dans leurs oliveraies (Kurdistan 24).
Le 21, le secrétaire à la Défense Jim Mattis a annoncé qu’afin de s’assurer que «les FDS ne se retirent plus du combat contre Daech», l’armée américaine allait installer le long de la frontière des tours d’observation «clairement marquées jour et nuit, pour que les Turcs sachent exactement où elles sont»… La décision selon lui avait été prise «en coopération étroite avec la Turquie» (AFP). Cependant, celle-ci n’a guère tardé à critiquer ces tours, qualifiées d’«inutiles» par le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar (AFP), qui a aussi le 23 réclamé la mise en œuvre «d’ici la fin de l’année» de la feuille de route de Manbij, impliquant le retrait des YPG kurdes de la ville (Le Figaro). Le 28, Mattis a curieusement précisé que ces postes d’observations visaient à «avertir les Turcs […] de toute menace», tout en admettant qu’il s’agissait, aussi, de protéger les FDS des attaques turques… (RT) Le 29, le Représentant spécial du Département d’État sur la Syrie, James Jeffrey, tout en assurant la Turquie du soutien des États-Unis contre le PKK, a prévenu Ankara contre toute action unilatérale visant les alliés kurdes des États-Unis en Syrie, d’autant plus «inacceptable» qu’elle mettrait en danger du personnel militaire américain (Breitbart News). Le 30, Ahmad Osman, commandant de la Brigade «Sultan Mourad», a déclaré dans une interview à l’agence d’État turque Anatolie que, si les Américains se retiraient, l’Armée syrienne libre était prête à attaquer les PYD à Tell Abyad, Raqqa et Hassaké et dans d’autres régions à l’Est de l’Euphrate (Ahval).
Parallèlement, alors que les Irakiens renforçaient de leur côté leurs défenses frontalières, côté syrien, les FDS ont poursuivi leurs combats contre Daech: bien qu’elles aient le 30 octobre annoncé l’arrêt de leur offensive après des attaques turques succédant à d’importantes pertes, elles n’ont pas pour autant renoncé à se défendre des contre-attaques djihadistes. Renforcées par des combattants venus du reste du Rojava, elles se sont concentrées en début de mois à l’Est de l’Euphrate, tandis que la coalition menait d’importants bombardements, tuant 9 djihadistes mais aussi au moins 14 civils. Le 4 cependant, 12 combattants FDS et 1 civil ont été tués à Raqqa par une voiture piégée et des accrochages près de Hajin qui ont aussi fait 20 blessés (OSDH), Daech ayant de nouveau utilisé les mauvaises conditions météorologiques pour lancer une contre-attaque meurtrière (AFP). Cette attaque est venue juste après l’assassinat le 2 d’un leader tribal arabe de Raqqa, Sheikh Bashir Faysal al-Huwaidi, membre du Conseil civil de la ville. Le 14, Moustafa Bali, directeur du Centre de presse des FDS, a annoncé que le chef de la cellule djihadiste responsable de l’opération avait été arrêté. Déjà le 15 mars, un autre membre du Conseil civil de Raqqa, Kurde cette fois, Omar Alloush, avait été assassiné chez lui à Girê Spî, les autorités kurdes avaient accusé la Turquie (Kurdistan 24). Le 7 au soir, les FDS ont déjoué une autre attaque-surprise sur une de leurs bases où se trouvait aussi du personnel militaire américain, tuant avec le soutien aérien de la coalition au moins 20 djihadistes près du gisement pétrolier d’al-Tanak, l’un des plus importants de Deir Ezzor (OSDH). Selon l’AFP, du 5 au 7, au moins 45 djihadistes ont été tués.
Le 11, après 10 jours durant lesquels elles se sont bornées à la défensive, les FDS ont annoncé la reprise de leur offensive. Le 13, l’OSDH a rapporté qu’au moins 28 civils, en majorité des proches de combattants de Daech, dont 9 enfants, avaient péri dans des frappes de la coalition…
Le 22, les FDS et les Forces Spéciales américaines ont annoncé avoir capturé dans un raid le second d’Aboubakir al-Bagdadi, le leader de Daech, Oussama Awaïd al-Ibrahim (Oussama Oueid al-Saleh selon l’AFP), dans un tunnel près du village d’al-Tayyana (WKI). Le 23, les FDS ont annoncé qu’au moins 50 djihadistes avaient été tués dans la poche de Hajin lors de 3 nouvelles contre-attaques distinctes vers le champ pétrolier d’al-Tanak, repoussée au sol et par des frappes aériennes. Selon l’OSDH, au moins 47 combattants des FDS ont été tués les 23 et 24 novembre, dont 29 seulement le 24. La coalition a poursuivi ses frappes sur la poche encore contrôlée par Daech sur la rive orientale de l'Euphrate, qui comprend notamment Hajin, Soussa et Al-Chaafa… Le 26, après trois jours de combats, le bilan côté FDS s’établissait à 92 tués, les pertes les plus importantes jamais enregistrées en une seule offensive de Daech, qui a une nouvelle fois profité du brouillard pour lancer une contre-attaque vers l’ouest de Hajin, sans pouvoir cependant conserver les territoires reconquis. Le 27, l’OSDH faisait état de plus de 200 morts, combattants FDS mais aussi nombreux civils massacrés par Daech, indiquant que ce chiffre était encore provisoire…
Aux élections locales de mars 2019, le parti «pro-kurde» HDP espère récupérer le contrôle de nombreuses municipalités du Kurdistan de Turquie où l’AKP, le parti du Président Erdoğan, a démis des centaines de ses élus pour les remplacer par des administrateurs (kayyim) nommés à sa convenance. Erdoğan, de nouveau allié au parti d’extrême-droite MHP (Milliyetçi Hareket Partisi, Parti d’action nationaliste), compte bien barrer la route au HDP, seule formation s’opposant maintenant à lui dans le pays. Il poursuit la répression pour l’empêcher de mener campagne, et a annoncé qu’il n’hésiterait pas à démettre ses nouveaux élus après le scrutin… En début de mois, la police a lancé un raid à Mersin contre les locaux du DTK («Congrès pour une société démocratique», plate-forme kurde inter-associative défendant l’autonomie démocratique) pour avoir lancé un mouvement de grève de la faim en protestation à l’isolement où est maintenu le leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan (WKI). Le 3, Selahattin Demirtaş, ancien co-président et candidat à la présidentielle turque du HDP, emprisonné depuis novembre 2016, a appelé à la constitution d’une alliance de gauche pour les élections locales (Ahval). Le HDP cherche à maintenir simultanément une identité progressiste et kurde, le même Demirtaş avait récemment exprimé son soutien aux efforts pour la préservation de la langue kurde annoncés par les représentants de neuf partis politiques réunis le 28 à Diyarbakir. Ceux-ci avaient publié un communiqué commun demandant aux Kurdes de donner la priorité à cette langue dans leur vie quotidienne… et aux autorités turques de reconnaître le kurde comme seconde langue du pays. Cependant, le 13, certains de ces 8 autres partis kurdes de Turquie ont déploré le choix du HDP d’une alliance de gauche plutôt qu’une «alliance kurde»… (Rûdaw)
Le 4, pour le 2e anniversaire de l’arrestation de ses 11 députés, le HDP a lancé une action de protestation nationale contre l’incarcération de 6.000 de ses membres, en général pour «liens avec le PKK». L’un de ses 2 co-présidents actuels, Sezai Temelli, a tenu une conférence de presse depuis le siège du parti à Ankara, rappelant qu’on compte parmi les personnes arrêtées 9 parlementaires, 53 maires, 43 co-présidents de sections provinciales et 101 de sections de districts. Au total un membre du HDP sur 3 est incarcéré, et ses 2 anciens co-présidents, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, risquent des centaines d’années de prison. Comme plusieurs autres députés incarcérés, ils ont publié des messages de leurs cellules, promettant de «poursuivre la lutte pour la démocratie, la liberté et la paix». La police a empêché des élus HDP récents de tenir une conférence de presse depuis la prison où sont incarcérés d’autres membres du parti, et a lancé de nouveaux raids contre des activistes kurdes, comme à Batman, dont le co-maire Sabri Özdemir a été incarcéré.
Le 6, première condamnation d’un député élu en juin dernier, le député HDP de Gaziantep Mahmut Toğrul a reçu 2 ans et 6 mois de prison, la Cour ayant considéré ses discours devant un groupe de ses administrés il y a 2 ans au Parlement comme de la propagande pro-PKK… (Kurdistan 24) Le 7, Leyla Güven, co-présidente du DTK, élue en juin à Hakkari alors qu’elle était en détention préventive à Diyarbakir pour avoir dénoncé l’invasion d’Afrîn, a annoncé en plein tribunal qu’elle cessait de se défendre et entamait une grève de la faim en protestation de l’isolement imposé à Abdullah Öcalan et aux autres prisonniers politiques. Après son élection, la Cour avait ordonné sa libération, un député ne pouvant constitutionnellement être jugé en détention, mais le procureur ayant fait objection, l’administration pénitentiaire l’avait maintenue emprisonnée illégalement le temps qu’une nouvelle décision infirmant la précédente lui parvienne oralement… Le 16, le gouverneur de la province de Diyarbakir a interdit pour 15 jours toute manifestation de soutien à Güven (Ahval). Un rassemblement de députés et de membres du HDP qui voulaient tenir une conférence de presse devant sa prison a été dispersé par la police devant le bureau HDP de Diyarbakir. Des membres et élus HDP ont cependant pu mener des grèves de la faim de soutien du 16 au 18 à Diyarbakir, Van, Hakkari, Urfa et Adana.
Le 9, le chanteur kurde Ferhat Tunc a été accusé d’«insulte au Président» turc sur la base de ses posts sur Twitter, où il avait traité Erdoğan de «dictateur»… (SCF) Le 15, c’est la chanteuse germano-kurde Hozan Canê qui a été condamnée à 6 ans et 3 mois de prison pour «appartenance à une organisation terroriste». Canê avait été arrêtée le 24 juin à Edirne où elle s’était rendue pour participer à la campagne électorale du HDP. Motif d’inculpation: ayant tenu le rôle principal dans «Le 74ème génocide de Shengal», un film traitant du génocide perpétré en 2014 par Daech contre les Yézidis dont elle avait écrit le scénario, elle y était apparue portant une arme (WKI).
Le 10, c’est une femme âgée de 85 ans, Sise Bingöl, qui après un séjour de 8 jours à l’hôpital, a été renvoyée dans sa prison malgré ses problèmes de santé et les demandes répétées de son avocat… Souffrant de diabète, d’asthme, de tension et de douleurs abdominales, Bingöl avait été emprisonnée en 2017 juste après une attaque cardiaque. Elle ne survit en prison qu’avec l’assistance quotidienne des autres détenues.
Le 13, le dirigeant syndical turc Abdullah Karacan a été assassiné par balles à Adapazarı lors d’une réunion publique avec des travailleurs de l’usine de pneus Goodyear; deux autres représentants syndicaux ont été blessés. L’attaque a été largement condamnée par les syndicats en Turquie et à l’étranger. Responsable de la branche de la chimie et du caoutchouc du syndicat turc DISK, Karacan avait imposé de meilleures conditions de travail aux groupes de la branche.
Le 14, le site Ahval a dénoncé le limogeage de 150 médecins et 350 travailleurs du secteur de la santé pour «raison de sécurité». Après la tentative de coup d’État de juillet 2016, l’état d’urgence a permis au Président turc de prendre des décrets ayant force de loi sans l’aval du Parlement, et la dernière modification constitutionnelle a entériné ce pouvoir par la création d’«Ordres exécutifs». Certains d’entre eux ne sont guère que des listes de personnes à démettre, sans aucune justification juridique. Les licenciés ne peuvent ni retrouver du travail dans leur domaine ni quitter le pays. Après les fonctionnaires, puis les enseignants et les professions juridiques, ce sont maintenant les professionnels de santé qui sont visés. Les derniers Ordres empêchent même les médecins démis de retrouver un poste dans le privé, puisqu’ils leur interdisent de traiter quiconque couvert par l’assurance santé… Les étudiants en médecine doivent aussi passer un interrogatoire de sécurité avant d’être autorisés à exercer, les Kurdes étant particulièrement visés. Les proches des victimes sont aussi impactés: selon Ahval, une fille de médecin étudiant le droit a dû renoncer à son projet de devenir juge: le nom de son père étant sur la liste des purges, on lui a dit qu’elle n’avait aucune chance…
Le 21, le procès de l’attentat du TAK (les Faucons de la liberté du Kurdistan) qui avait fait 36 morts et 344 blessés en mars 2016 à Ankara s’est conclu avec la condamnation à perpétuité de 3 personnes convaincues de tentative d’assassinat et d’avoir «porté atteinte à l'intégrité de l'État». Sur 55 personnes jugées, 6 ont été condamnées à des peines allant de 3 à 12 ans de prison et 7 ont été acquittées. L’un des accusés a reçu 10.260 ans de prison (AFP).
Le 21, la police a placé en détention 5 activistes kurdes dans les districts de Lice et Silvan (Diyarbakir), dont l’un souffre d’un cancer, et le lendemain, ce sont les domiciles des membres du Centre Culturel Mezopotamya d’Adana, fermé par la police depuis un an, qui ont été ciblés par des raids durant lesquels plusieurs artistes ont été arrêtés… Le 24, le réalisateur kurde Kazım Öz a été incarcéré à Tunceli sur suspicion d’appartenance à une organisation terroriste, avant d’être remis en liberté conditionnelle le lendemain (Ahval). Le 26, l’ancienne députée HDP de Kars Mulkiye Bîrtane a été placée en détention à Diyarbakir, en même temps que 20 autres personnes dans l’Ouest du pays, à Izmir et à Menemen, dont d’anciens responsables du HDP, sous l’accusation de liens avec le KCK (Union des communautés du Kurdistan), l’organisation commune des partis kurdes de la mouvance PKK (PKK, PYD en Syrie, PJAK en Iran et PCDK en Irak). Le 27, de nouveau des membres du HDP, au total 55 personnes, ont été arrêtés à Istanbul, Urfa et Malatya. Le 28, la police d’Ankara a empêché un rassemblement à la mémoire de Tahir Elçi, le bâtonnier de Diyarbakir, organisé pour le troisième anniversaire de son assassinat. Les policiers ont empêché les avocats de déployer devant le Palais de Justice une banderole à la mémoire de l’avocat et défenseur des Droits de l’homme assassiné en pleine rue à Diyarbakir alors qu’il plaidait dans une conférence de presse pour la fin des violences au Kurdistan de Turquie.
Le 30, la demande de libération de Selahattin Demirtaş, détenu depuis maintenant 2 ans, a été rejetée, malgré la décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), prise le 20, exigeant sa libération «dans les plus brefs délais», après une demande identique faite le 14 par la rapporteure du Parlement européen Kati Piri. Dans un communiqué signé de ses co-présidents Pervin Buldan et Sezai Temelli, le HDP a dénoncé une «décision politique» et «une violation de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme» (AFP). La CEDH avait estimé dans son jugement que le maintien en détention de Demirtaş visait à «étouffer le pluralisme» politique, mais le Président turc avait immédiatement rejeté la demande, déclarant: «Les décisions de la CEDH ne nous contraignent aucunement». Le 23, après que la responsable de la diplomatie européenne Federica Mogherini avait exprimé depuis Ankara l’espoir d’une libération rapide dans une conférence de presse commune avec le ministre turc des Affaires étrangères, celui-ci avait estimé qu’elle avait «un peu dépassé les bornes»… Condamné en septembre dernier à 4 ans et 8 mois de prison pour «propagande terroriste», Demirtaş risque jusqu'à 142 ans de prison dans le cadre de son principal procès. Dans une lettre publiée par le HDP, il accuse le gouvernement turc d'avoir «accéléré de façon extraordinaire» la procédure en appel concernant sa condamnation, qui aurait dû prendre plusieurs mois: ainsi il peut être maintenu en prison pour purger sa peine, sa détention provisoire, cible de la décision de la CEDH, étant techniquement terminée… (AFP).
Concernant les relations internationales de la Turquie, suite à la libération le mois dernier du pasteur américain Andrew Brunson, le 2, les États-Unis et la Turquie ont chacun levé les sanctions visant les ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’autre pays. Le 11, dans une décision indépendante de celle concernant Demirtaş, la CEDH a annoncé demander le témoignage de la Turquie concernant les violations alléguées des Droits de l’homme et les meurtres de civils durant les couvre-feux imposés sur Şırnak et Cizre après août 2015, pour cette dernière ville jusqu’en mars 2016. Les opérations militaires au Kurdistan de Turquie avaient touché 30 villes et quartiers et, selon un rapport des Nations-Unies, déplacé 355.000 à 500.000 personnes. Près de 200 civils, bloqués des semaines dans des caves d’immeubles, y étaient finalement morts brûlés vifs sous les frappes ou, probablement, sommairement exécutés. Le procès des cas Ömer Elçi et Ahmet Tunç, tous deux décédés durant les couvre-feux alors que les forces de sécurité interdisaient aux ambulances d’entrer en ville, a débuté le 13 novembre (Ahval).
Enfin, le Bureau de la Ligue internationale des Droits de l’homme a attribué le 9 novembre à Berlin sa médaille «Carl von Ossietsky» à la maire démise de Cizre, Leyla Imret, actuellement exilée, pour «avoir courageusement poursuivi à l’étranger sa lutte pour les Droits de l’homme en Turquie». Née à Cizre en 1987, Imret avait grandi en Allemagne après que son père ait été tué en combattant les forces de sécurité turques alors qu’elle n’avait que 4 ans. Rentrée en Turquie à 13 ans avec sa mère et ses frères et sœurs, elle s’est présentée en 2014 aux élections municipales dans sa ville d’origine sous l’étiquette du BDP, le parti «pro-kurde» de l’époque. Démise en 2015 par le ministère de l’Intérieur turc pour «propagande terroriste» et «incitation à la rébellion armée», son poste attribué à un administrateur pro-AKP, elle a dû fuir en Allemagne. Partageant sa médaille avec un travailleur social allemand, Ottmar Miles-Paul, elle a déclaré qu’il s’agissait d’un «grand honneur» (Rûdaw).
Concernant les opérations militaires, l’armée turque a continué à revendiquer la «neutralisation» de nombreux rebelles kurdes : 8 à Silopi le 3 novembre, puis 15 côté irakien par des frappes aériennes le 9 dans les régions de Gara, du Zab et d’Avasin-Basyan… Le 13, le Ministère de la défense turc a annoncé la neutralisation de 19 combattants kurdes près de Qandîl (Reuters). Le 14, le maire de Sarsing, près d’Amêdî au Kurdistan d’Irak a confirmé qu’une frappe turque avait causé la mort de 3 habitants du village d’Aradnan sortis prendre soin de leur troupeau, dont 2 pechmergas (Kurdistan 24). Suite à ces morts, le Ministère des pechmergas a accusé le 18 la Turquie d’avoir traversé «illégalement» la frontière, et le PKK, promettant de riposter, a accusé l’armée turque de chercher à effrayer les civils. Les élus locaux ont compté au moins 12 victimes civiles des frappes turques au Kurdistan d’Irak durant les 11 premiers mois de 2018, qui ont aussi causé des incendies de forêt et obligé à fermer des écoles, et constituent selon diverses ONG une violation du droit humanitaire (Rûdaw).
Début novembre, alors que les manifestations à Basra s’atténuaient, à Bagdad, les discussions pour compléter le gouvernement et réussir enfin à adopter le budget 2019 se sont poursuivies, avec notamment la question des salaires des «Unités de mobilisation populaire» (Hashd al-Shaabi), ces milices majoritairement chiites formées pour combattre Daech et récemment intégrées à l’armée. Si certains députés demandent une augmentation de leurs salaires, de nombreux députés sunnites préféreraient voir augmenter les fonds affectés à la reconstruction de leurs provinces dévastées. Enfin, les Kurdes demandent le retour à une proportion acceptable pour eux du budget fédéral: pourtant fixée constitutionnellement à 17% depuis 2005, elle est maintenant réduite à un peu plus de 12%, pour une population du Kurdistan d’un peu moins de 14% de celle de l’Irak…
Le gouvernement a déclaré le 6 être prêt à coopérer avec le Parlement pour arriver à un accord, tandis que le nouveau ministre des Finances, le Kurde Fouad Hussein, indiquait son désaccord avec le projet élaboré par le gouvernement précédent et insistait sur «la nécessité de le revoir» et celle d’une «relation appropriée, équilibrée et transparente avec la Région du Kurdistan»… (Kurdistan 24). Le 7, les partis kurdes ont tenu une réunion avec le second Vice-président du Parlement, Bachir Haddad, un Kurde du PDK, pour décider comment obtenir gain de cause concernant le budget, et ont décidé qu’une délégation d’experts en politique budgétaire du Kurdistan, incluant les ministres des Finances et de la Planification, ainsi qu’une délégation du Parlement kurde, gagnerait rapidement Bagdad. Dans la session parlementaire du 12, les députés kurdes et le ministre des Finances ont défendu une révision attribuant 14% du budget à la Région du Kurdistan. L’UPK a rappelé qu’elle rejetait le projet aussi en parce qu’il ne prenait pas en compte la nouvelle province d’Halabja. Le 13, le Parlement a dû faute d’accord reporter la discussion du budget au 20, mais le 26, il n’y avait toujours pas d’accord et la discussion a été arrêtée en raison de la chute du cours du pétrole (ISHM).
Autre point de friction entre gouvernements fédéral et régional, la gestion des ressources pétrolières. Le 4, le ministère du Pétrole a annoncé l’arrêt temporaire des exportations de Kirkouk vers l’Iran par camion-citerne (30.000 barils/jour), le pétrole ainsi conservé devant servir à la consommation intérieure. Le 5, le ministère des Ressources naturelles du GRK a annoncé l’augmentation de la capacité de son pipeline menant au port turc de Ceyhan, de 400.000 à 1 million de barils/jour, indiquant que cela permettrait en cas d’accord avec Bagdad l’exportation de pétrole envoyé par le gouvernement central. Cet accord enfin obtenu, le 16, Bagdad a redémarré les exportations de Kirkouk vers Ceyhan, une décision qualifiée le 19 de «geste positif» par le premier ministre du GRK, Nechirvan Barzani. Enfin, le 22, le Président du PDK Massoud Barzani a rencontré à Bagdad le nouveau Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi, une première depuis plus de deux ans, signalant un relatif rapprochement (AFP). La nomination par Abdel Mahdi comme ministre des Finances de l’ancien Directeur de cabinet de Barzani, Fouad Hussein, avait déjà paru comme un signe de réchauffement… Un responsable kurde à Bagdad a par ailleurs assuré à l'AFP que MM. Abdel Mahdi et Barzani étaient parvenus à un «accord préliminaire sur le budget». Barzani a aussi rencontré d’autres dirigeants politiques irakiens, notamment le dignitaire chiite Moqtada Sadr, dont la liste est arrivée première aux élections législatives.
Le 27, le cabinet irakien n’était toujours pas complet, 8 postes ministériels restant à pourvoir, et le Premier ministre a annoncé travailler sur leur nomination (ISHM).
Au Kurdistan, c’était le début du travail pour la législature tout juste élue. Les organisations de la société civile ont vigoureusement protesté contre la prime de 48 millions de dinars chacun (35.000 €) que se sont alloués les parlementaires sortants lors de leur dernière session le 31 octobre. Beaucoup l’ont jugée scandaleusement généreuse pour un parlement demeuré fermé 2 ans suite aux désaccords entre PDK et Goran, et qui n’a voté que 31 lois sur 206 projets soumis (Rûdaw).
Le 4, le Conseil judiciaire du Kurdistan a fixé au 6 à midi la session inaugurale du Parlement durant laquelle les nouveaux députés devaient prêter serment. Les discussions formelles pour la formation du gouvernement régional n’ayant pas encore débuté, cette session, présidée par le député le plus âgé, n’a pas permis d’élire le Président et les Vice-présidents du Parlement. Concernant le futur gouvernement, des bruits couraient quant à une alliance PDK-UPK, et «Nouvelle Génération» comme le Groupe islamique (Komal) et la Ligue islamique (Yekgirtû) ont déclaré que dans ce cas, ils demeureraient dans l’opposition. Plusieurs membres du PDK ont déclaré que leur parti ne formerait pas le Cabinet sans l’UPK, mais ont encouragé les partis d’opposition comme Goran et Komal à rejoindre la coalition… Le 9, Goran, dont le nombre d’élus est passé de 24 à 12 aux dernières élections, a indiqué mener une consultation interne puis attendre de connaître les conditions proposées par le PDK pour décider s’il participerait ou non au nouveau gouvernement. Le Komal a indiqué le même jour qu’il se déciderait après avoir rencontré les autres partis. La «Coalition pour la démocratie et la justice» (CDJ), le parti fondé puis quitté par Barham Salih, l’actuel Président irakien, a entamé une réorganisation difficile, s’interrogeant même sur la poursuite de son existence, avant de décider de continuer sous le nom de «Coalition nationale»… (Kurdistan 24)
Le 17, une délégation du PDK s’est rendue à Suleimaniyeh pour rencontrer l’UPK. Celle-ci a indiqué avoir demandé les postes de Vice-premier ministre et de Président du Parlement. Selon des rumeurs, le PDK aurait demandé à l’UPK de choisir entre les 2 (WKI). La délégation du PDK a ensuite rencontré Goran, qui avait fait part de son intérêt…
La fin du mois a été marquée par plusieurs actions de la sécurité (Asayish) de la province de Suleimaniyeh, contrôlée par l’UPK, contre le Mouvement pour une société libre (Tavgari Azadi), un parti fondé en 2014 par des anciens membres du Parti pour une solution démocratique (PCDK), proche du PYD et du PKK, qui venait d’être dissous. Le 26, les Asayish ont encerclé le bureau de ce parti à Suleimaniyeh et donné à ses membres 24 h pour le quitter; le lendemain ils ont fermé ses bureaux de Koya et Kalar (Kurdistan 24), et le 28, ont interdit la projection du film Temmuz 14 («14 juillet»), prévue le 1er décembre au Cinéma Salim de Suleimaniyeh. Ce film relate la grève de la faim de prisonniers politiques kurdes à Diyarbakir après le coup d’État militaire de 1980 en Turquie… (Rûdaw) Depuis octobre 2017, la Turquie interdit tout vol vers et depuis l’aéroport de Suleimaniyeh, accusant les autorités locales de soutenir le PKK.
Autre point de tension entre Kurdistan et gouvernement central, la gouvernance des territoires contestés. Ceux-ci continuent à connaître une insécurité des plus inquiétantes depuis le départ des pechmergas en octobre 2017, et sont de nouveau soumis à une politique d’arabisation digne de Saddam Hussein.
Le 2 novembre, 2 Kurdes, dont un pechmerga, ont été enlevés par des hommes en uniforme à Taqtaq, un village du district de Dubiz / Dibis (Kirkouk), et le corps du civil retrouvé le lendemain. Le même jour, une explosion d’origine non précisée a frappé un dépôt d’armes dans le bureau du Hizbollah à Touz Khourmatou, faisant 15 blessés. À Khanaqîn, 3 explosions en une seule journée ont tué 2 femmes et détruit un mausolée. Le 4, le Conseil de sécurité du Kurdistan (KRSC) a averti d’une recrudescence depuis un mois d’attaques de Daech, utilisant bombes artisanales et véhicules piégés à Kirkouk et Mossoul (Rûdaw); des moukhtars (responsables municipaux) ont été assassinés à Hawija et Khanaqîn. Le 5, les unités anti-terroristes ont indiqué avoir arrêté à Kirkouk une cellule dormante de 26 terroristes, dont plusieurs femmes, responsable de nombreuses attaques récentes dans la ville. Pistolets à silencieux, bombes artisanales, ceintures d’explosifs et 2 véhicules bourrés d’explosif ont été retrouvées. Le 8, une voiture piégée a explosé à Mossoul près du restaurant Abou Layla, fréquenté par les forces de sécurité, faisant 3 morts et 3 blessés. C’était le 2e attentat de ce type en une semaine (Kurdistan 24).
Le 10 au matin, les avions de la Coalition anti-Daech ont mené plusieurs frappes sur le mont Qaraqosh, près de Makhmour, tuant au moins 14 djihadistes. De source militaire irakienne, Daech s’est réinfiltré dans le Nord de l’Irak à partir de l’Est syrien où il est menacé… Le même jour, une bombe improvisée a fait 1 blessé à Kifri. Le 15, une autre, visant une voiture de police au Nord-Ouest de Mossoul, a blessé 1 policier et tué 2 civils. Le 22, une autre bombe visant un pick-up a tué 4 écoliers et en a blessé 7 autres près du village de Zulahfa (Ninawa). Enfin, le 29 au soir, les djihadistes ont lancé 2 attaques distinctes à Diyala et Kirkouk: à Daqouq (Kirkouk), l’attaque a visé la caserne de la police fédérale, blessant gravement un officier, et à Diyala, c’est un sabotage des lignes électriques qui a attiré le convoi de réparation dans une embuscade; une bombe a tué un officier et a blessé 2 combattants des Hashd al-Shaabi (Kurdistan 24).
Dans ce contexte d’insécurité croissante, le gouverneur intérimaire de Kirkouk, Rakan Said al-Jabouri, poursuit sa politique d’arabisation. Le 1er novembre, la chaîne kurde Rûdaw a révélé l’existence d’un ordre exécutif envoyé à la police fédérale le 23 octobre et autorisant 81 familles arabes chiites à s’installer dans le village kurde de Shanagha (district de Dibis) sous la protection des milices Hashd al-Shaabi et des Forces de sécurité. Le même jour, un groupe d’Arabes Shammar ayant tenté de s’installer de force dans une maison kurde du village de Yangijay Talabani (Daqouq) a dû fuir quand les habitants sont venus aider le propriétaire. Des coups de feu ont été tirés, sans faire de blessés. L’un des décrets du gouverneur a attribué environ 1.600 terrains agricoles sur la route Kirkouk-Bagdad aux Hashd al-Ahsairi, des miliciens sunnites associés aux Hashd al-Shaabi (Rûdaw). Les Kurdes de Kirkouk dénoncent la politique du gouverneur, qui a en 2 mois signé 4 ordres attribuant 38 villages à des colons arabes. Le 29, plus de 50 familles arabes sont arrivées pour s’installer dans le village de Haftaghar et aux environs, escortées par la police fédérale irakienne et munis d’un ordre du gouverneur intérimaire de Kirkouk (Rûdaw). Les propriétaires kurdes sont poussés à partir par des coupures d’électricité (interdisant l’irrigation) et l’interdiction de cultiver. Ils sont parfois même menacés de mort ou voient leur maison incendiée, comme dans le village de Qutan, où juste 2 familles kurdes sont restées sur les 40 d’origine: autorisées à rester jusqu’à ce que la propriété des terres soit établie, à condition de ne pas cultiver! À noter que les colons arabes n’appuient pas leurs revendications sur des titres de propriété, mais sur les décrets d’arabisation du régime ba’thiste…
Enfin, la question des postes de douane établis par Hayder al-Abadi sur les routes principales joignant la ville de Kirkouk à la Région du Kurdistan demeure pendante, malgré l’annonce le 11 d’un accord prévoyant leur suppression entre Bagdad et Erbil, couplé avec celui sur l’exportation du pétrole. Lorsque les Kurdes contrôlaient Kirkouk, des postes se trouvaient entre la ville et Bagdad… L’accord a été signé officiellement à Bagdad le 19 par une délégation kurde, et le 21, le Premier ministre irakien a annoncé vouloir unifier les procédures douanières avec la Région du Kurdistan, mais le 29, les postes de douane étaient toujours là.
Si le nombre d’affrontements militaires au Kurdistan d’Iran entre forces de répression du régime et combattants kurdes a été moins important ce mois-ci (une embuscade revendiquée par le PDKI le 17 dans la ville de Baneh avec un nombre non précisé de pertes pour les Iraniens), le mois de novembre a été marqué par une importante activité des organismes de renseignement du régime contre les civils.
Leurs agents ont mené des raids, menacé et arrêté de nombreuses personnes. À Paveh, ville de 25.000 habitants dans la province de Kermanshah, selon l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, des officiers de l’organisation de renseignement des Gardiens de la Révolution ont mené début novembre des raids nocturnes chez des centaines de personnes, selon le témoignage d’une des personnes visées. Sans aucun mandat officiel, ils ont commencé par prétendre rechercher de l’alcool, mais une fois à l’intérieur, ils ont annoncé aussi chercher armes, drapeaux du Kurdistan et photos de leaders kurdes (Kurdistan 24). Selon l’Association des Droits de l’Homme du Kurdistan (KMMK), l’Etelaat (service de renseignements) a arrêté et mis au secret 3 personnes à Shno (Oshnavieh) dans 2 raids distincts. À Sanandaj, selon Hengaw, l'épouse du militant kurde emprisonné Zaniar Dabaghian a été arrêtée. L’Etelaat a aussi menacé la famille de Kawa Saqqazy, un activiste kurde qui s'est enfui au Kurdistan irakien, de faire assassiner celui-ci (WKI, 06/11). L’Histoire du mouvement kurde en Iran montre que ce genre de menaces doit être pris au sérieux, et le 29, le journal britannique Daily Telegraph a publié un rapport sur la manière dont l’Iran envoie des tueurs pour réduire au silence les dissidents se trouvant en Irak… (WKI)
Après une série de grèves ayant touché les écoles de Marivan en raison des mauvaises conditions d’études, l’Etalaat a lancé en milieu de mois des enquêtes sur les enseignants ayant initié les protestations et a menacé d’arrestation plusieurs activistes si celles-ci continuaient. Le 19, selon KMMK, 2 jeunes Kurdes ont été arrêtés séparément à Marivan et à Sanandaj sans que des charges soient spécifiées. Le 27, l’Etelaat a arrêté à Baneh 2 autres jeunes lors de raids sur leurs domiciles, toujours sans charges précises et sans aucun mandat écrit. Plusieurs enseignants ont aussi été arrêtés pour avoir participé aux grèves du début du mois…
La répression sanglante exercée contre les porteurs kurdes, ou kolbars, s’est également poursuivie. Le commandant des garde-frontières iraniens, le Brigadier General Ghassem Rezaeï, s’est rendu au Kurdistan irakien le 5 pour rencontrer ses homologues de Suleimaniyeh et pousser à une meilleure coordination avec ses forces, répétant son objectif de lutter contre les terroristes et les djihadistes (takfiri), mais aussi contre les «contrebandiers»… (Mehr) Au même moment, les garde-frontières du régime tendaient des embuscades à plusieurs kolbars près de Kermanshah, en tuant 1 et en blessant 2 autres. Selon Hengaw, seulement durant octobre, 8 kolbars ont été tués par des tirs directs, tandis que 17 étaient blessés et 1 mourait de froid (WKI). Le 11, un autre kolbar a été tué près de Marivan et sa famille avertie de récupérer son corps (VOA). Près de Baneh, un autre a été gravement blessé le 16 et le lendemain, c’est un jeune kolbar de 15 ans qui a été tué. Le 19, deux autres ont été blessés à la frontière près de Penjwîn au Kurdistan d’Irak. Près de Baneh, les garde-frontières ont aussi tué une vingtaine de chevaux utilisés par des kolbars (WKI). Le 24, c’est près de Sardasht que 2 nouveaux porteurs ont été blessés par des tirs. KMMK a rapporté qu’un jeune Kurde de 18 ans avait été arrêté et mis au secret. Enfin, le 28, les garde-frontières ont tendu une embuscade près de Piranshahr, en tuant un et en blessant un autre, tandis que 2 étaient portés disparus. Selon Hengaw, le mois de novembre est l’un des plus meurtriers pour les kolbars, avec 8 tués et 17 blessés. La situation économique contraint pourtant de plus en plus de jeunes Kurdes d’Iran à exercer cette activité dangereuse. Selon le Centre statistique du pays, le taux d’inflation entre 23 octobre et 22 novembre a atteint près de 35% (Radio Farda)…
Plusieurs femmes ont également été victimes de la répression. Le 5, Hengaw a rapporté la condamnation à mort par lapidation d’une femme de Mako, mère de 2 enfants, pour zina, c’est-à-dire relations sexuelles adultères, interdites par la loi islamique. La condamnée avait été arrêtée sur dénonciation de son mari en 2017 puis remise en liberté sur parole. Le sort d’un homme arrêté la même année et accusé d’être son amant demeure inconnu. Une autre femme a aussi été condamnée à mort à Khoy, incarcérée depuis 2 ans en attente de son procès pour la même raison, également dénoncée par son mari. En Iran, les relations sexuelles hors mariage, considérées comme un «crime contre Dieu», sont punies de 100 coups de fouet pour les célibataires et de la mort par lapidation pour les personnes mariées (Rûdaw). Par ailleurs, Hengaw a rapporté la pendaison le 13 d’une femme de 27 ans, Sharareh Eliassi, ans accusée de meurtre, dont le père a pourtant témoigné que l’auteur était son mari… Eliassi est la 85e femme exécutée durant le mandat du président Rouhani (Kurdistan 24).
Enfin, le 25 au soir, un séisme de magnitude 6,3 a frappé la province de Kermanshah au Kurdistan d’Iran, et l’Est de la Région du Kurdistan d’Irak. Plus de 700 personnes ont été blessées. Il y a un peu plus d’un an, le 12 novembre 2017, un tremblement de terre avait déjà frappé les mêmes régions et fait 630 victimes et plus de 8.100 blessés, suivi d’un autre en avril, puis d’un autre en juillet, avec 150 victimes. Ce nouveau séisme, dont l’épicentre se situe près de Sarpol-ê Zahab, à 114 km au Nord-Ouest de la ville d’Ilam, a été ressenti jusqu’au Koweit, mais n’aurait fait que 2 victimes, côté irakien…
Les personnes laissées sans logement par les séismes précédents se comptent par dizaines de milliers au Kurdistan d’Iran. Les chiffres font état de 70.000 sans-abris, qui se préparent à passer un second hiver dans des conditions dramatiques, le gouvernement iranien ayant failli à leur fournir l’assistance qu’il avait annoncée. Beaucoup se sentent abandonnés, sans même une indemnité pour les aider à reconstruire eux-mêmes leurs demeures…