Le Centre statistique iranien a indiqué qu’au 21 juin, l’inflation avait atteint un taux mensuel de 12,2%, soit 146,4% annuellement! Fait inquiétant, l’envolée des prix ne donne aucun signe de ralentissement, bien au contraire: l'inflation mensuelle a quadruplé par rapport au mois précédent. Une des causes de ce problème est l’effondrement de la monnaie. Alors que le taux de change officiel du rial iranien est de 42.000 rials contre un dollar, sur le marché libre, il est à 281.000 contre 1, presque sept fois plus… Mais ceci n’explique pas tout. Pour Al-Monitor, sur le long terme, l’économie iranienne souffre surtout des lacunes et de l’inefficacité de ses chaînes d'approvisionnement et réseaux de distribution. Les interventions sur le marché des différents gouvernements n’ont fait que créer des réseaux spécifiques contrôlés par les proches du pouvoir qui concurrencent les autres entreprises et constituent autant de vecteurs de corruption… Par ailleurs, en l’absence de revenus pétroliers, le pouvoir a dû accroître les taxes, que les entreprises n’arrivent plus à payer. Les espoirs que la population mettait en un retour rapide à l’accord nucléaire et à une levée des sanctions se sont évanouis, d’où la flambée de la contestation.
Un échec à conclure un nouvel accord sur le programme nucléaire aurait certainement des conséquences économiques catastrophiques. Mais le temps est compté. Le 12, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a déclaré devant la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale que l’Iran disposait d'une «fenêtre d'opportunité» de seulement «quelques semaines» pour parvenir à un accord: «Nous avons fait preuve d'une très grande patience mais la situation actuelle n'est plus tenable, parce que depuis des mois l'Iran adopte une posture dilatoire», a-t-elle estimé (AFP).
Le 7, le président Raïssi s'est rendu à Sanandaj, où il a prononcé un discours dans lequel il s’est engagé à soutenir davantage la province économiquement et à y développer les infrastructures. M. Raïssi a littéralement chanté les louanges du Kurdistan d’Iran. Fait rare, décrivant l'existence de différents groupes ethniques en Iran comme une opportunité pour le pays, il s’est même écrié à un moment : « Vive le Kurdistan!», avant de promettre que son gouvernement agirait en «réformant le système économique et en éliminant les secteurs de recherche de rente, de corruption, de jeux de partis et de relations malsaines» (Présidence iranienne)…
Ce discours ne pouvait guère convaincre les Kurdes. Depuis l’avènement de la République islamique, l’ensemble du Kurdistan d’Iran a été volontairement laissé de côté par Téhéran en termes économiques. Au quotidien, les provinces à majorité kurde sont confrontés à la répression des Gardiens de la révolution (pasdaran) qui y sont déployés et en sont les véritables maîtres. Par ailleurs, M. Raïssi lui-même est connu comme l’un des principaux acteurs des massacres de prisonniers politiques ayant suivi la révolution. Les habitants de Sanandaj ne s’étaient donc pas déplacés en masse pour écouter le Président. Les autorités ont dû obliger enseignants et fonctionnaires locaux à venir assister à l’allocution présidentielle, mais comme cela n’était pas suffisant, il a fallu faire appel à des membres des forces de sécurité pour remplir la place…
Le jour où M. Raïssi parlait à Sanandaj, les travailleurs de santé protestaient devant l'Université médicale de Kermanshah contre les licenciements massifs post-Covid. Par ailleurs, les manifestations de retraités se sont succédé tout le mois dans l’ensemble du pays pour protester contre les réductions ou le non-paiement des pensions. HRANA (Human Rights Activists News Agency in Iran) a rapporté des protestations à Téhéran, Kermanshah, Shahrekord, Karaj, Tabriz, Ouroumieh, Ispahan, Ahvaz, Bojnurd et Sanandaj par les retraités de l'entreprise publique Iran Telecommunication Company. À Téhéran, la police a dispersé le rassemblement et arrêté plusieurs retraités…
Alors même que M. Raïssi faisait ses promesses, le régime lançait au Kurdistan une nouvelle campagne de répression visant à intimider activistes politiques et protestataires. Selon le PDKI, des troupes ont été déployées fin juin près de Baneh et à Saqqez en prévision d'éventuelles manifestations. Des arrestations préventives ont également eu lieu à Téhéran, Sanandaj, Malekshahi, Marivan, Mahabad, Bokan et Oshnavieh (WKI).
Les kolbars (porteurs transfrontaliers kurdes) ont continué à souffrir des tirs des forces de répression. L’un d’eux a été blessé le 2 près de Baneh, 3 autres près de Nowsud. Puis, près des mêmes villes, 4 autres ont été blessés la semaine suivante, et enfin 15 en fin de mois, tandis qu’un autre était tué le 27 près d’Ahvaz. L’association Hengaw pour les droits de l'homme, qui calcule chaque mois le bilan de ces tirs, a compté en juin 2 kolbars tués et 19 blessés, puis en juillet 3 tués et 34 blessés… Des heurts ont également opposé les pasdaran aux combattants de plusieurs partis kurdes. Le 7 près de Salmas, selon Hengaw, 4 pasdaran ont été tués et plusieurs autres blessés dans un affrontement avec le PKK. Les autorités ont nié toute perte. Le 20 près de Baneh, 2 garde-frontières ont péri dans un affrontement avec un groupe kurde non identifié (WKI).
De son côté, le parti marxiste kurde Komala a indiqué que plusieurs de ses peshmergas avaient été capturés à Ouroumieh (WKI). Le 13, le Renseignement (Etelaat) a annoncé l’arrestation de 10 membres d’un «réseau terroriste» affilié à «des groupes séparatistes kurdes» qui auraient préparé une série d’attentats dans la région. Le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) a rapidement nié que ses membres aient préparé des attaques.
Il est rapidement apparu que les autorités iraniennes utilisaient la thèse du complot terroriste pour lancer une large opération de propagande, lorsqu’elles ont annoncé le 23 le démantèlement d’un nouveau «réseau terroriste» lié aux services secrets israéliens (Mossad), qui planifiait des attaques visant des «sites sensibles» en Iran. Selon l’agence officielle IRNA, «Ils avaient l'intention de mener des actes de sabotage et des opérations terroristes sans précédent contre des zones sensibles et des cibles prédéterminées, en utilisant des équipements opérationnels performants et les explosifs les plus puissants». Le 27, l’Etelaat a affirmé que les «agents» arrêtés la semaine précédente «[faisaient] partie du groupe mercenaire et terroriste Komala» et devaient «faire exploser un site industriel sensible de la Défense dans le pays» (AFP). L’Iran a déjà à plusieurs reprises accusé Israël d’avoir saboté certains de ses sites nucléaires et assassiné plusieurs scientifiques, et lie souvent dans sa rhétorique les partis kurdes à l’«ennemi sioniste», mais c’est la première fois qu’il porte des accusations aussi précises en les liant à des arrestations.
Le 28, a été annoncée l’arrestation de 5 autres membres d'un réseau affilié au Mossad (AFP). En fin de mois, le Komala a rejeté les «allégations et accusations» du régime, accusant celui-ci de s’en servir comme «excuse pour poursuivre la répression au Kurdistan» (WKI).
Autre cible du régime, les femmes: le 5, le Président iranien a ordonné la mise en application d’une nouvelle «loi sur le hijab et la chasteté du pays» qui signifie essentiellement un degré accru de répression en termes de restrictions vestimentaires: le foulard, déjà obligatoire, doit à présent couvrir non seulement les cheveux, mais également le cou et les épaules. Certaines sociétés se sont empressées d’ajouter à ces nouvelles règles des restrictions de leur cru. Ainsi la banque Mellat, qui compte plus de 1.400 succursales en Iran, a interdit à ses employées chaussures à talons hauts et bas, et a interdit à ses directeurs masculins d’avoir des assistantes administratives féminines. À Mashhad, le bureau du procureur a demandé à la municipalité d’interdire l’accès au métro des femmes portant un «hijab inapproprié»… Parallèlement, le Ministère de l’orientation islamique a informé par courrier les agences de publicité qu’il était désormais interdit de faire apparaître des femmes dans les clips publicitaires. Cela fait suite à une publicité jugée «immorale» montrant une femme mangeant une glace tout en ajoutant couche sur couche de vêtements… (Farda)
En réponse à cette répression croissante, des militant(e)s ont lancé sur les médias sociaux sous le hashtag #no2hijab une campagne de boycott des entreprises tentant d’instaurer des restrictions supplémentaires et demandant aux femmes de sortir sans hijab le 12, «Journée nationale du hijab et de la chasteté». Ce jour-là, des militantes des droits des femmes ont publié des vidéos d'elles-mêmes en train d'enlever publiquement leur voile (RFI).
Cette nouvelle attaque contre les droits des femmes a provoqué des condamnations même par des personnalités religieuses. Abdolhadi Mar'ashi, religieux influent de la ville sainte de Mashhad, a démissionné de son poste provincial pour protester contre le comportement de la police des mœurs, ou «Patrouilles de supervision» qui contrôlent l’habillement des femmes dans les rues. Il a publié pour expliquer sa démission une lettre fort intéressante: estimant que «notre compréhension de ce qui est bien ou mal dans l'islam s’arrête au hijab», il y suggère que les autorités devraient plutôt s’intéresser à «la corruption du gouvernement, la justice sociale, la sécurité économique, les disparités entre les classes sociales, la toxicomanie, la pauvreté nationale et la liberté d'expression»…
Le durcissement observé depuis quelques temps, et que Raïssi tente d’amplifier, semble de fait plutôt contre-productif. En fait, au fur et à mesure que la police des mœurs devenait de plus en plus violente, les femmes montraient davantage de résistance, au point que le député Jalal Rashidi Koochi a déclaré que la police des mœurs «n'a pas fait observer le hijab à qui que ce soit» (Farda). Au Kurdistan, le chef de la police de la province de Kermanshah a annoncé le 13 que depuis le début du printemps, 1.700 femmes ayant manqué à l'obligation de porter le voile avaient été convoquées ou mises en garde à vue (HRANA).
Il est impossible de rendre compte ici de la totalité des arrestations effectuées durant juillet dans tout le pays, et même seulement au Kurdistan, tant leur nombre est élevé. Le régime apparaît de plus en plus nerveux et inquiet du mécontentement et de la mobilisation croissante des citoyens, qui expriment leur colère pour toute une série de raisons: vie chère, retraites et salaires insuffisants voire non payés, corruption et incurie généralisées, sécheresse, assèchement du lac d’Ouroumieh, répression des manifestations de 2019… Les arrestations les plus notables concernent l'ancien vice-ministre de l'Intérieur du président Mohammad Khatami, Mostafa Tajzadeh, arrêté par les pasdaran le 8 dans la capitale pour «assemblée et collusion pour agir contre la sécurité nationale» et «publication de mensonges pour troubler l'opinion publique», ce qui en dit long sur les fractures au sein des cercles dirigeants, et les cinéastes Mohammad Rasoulof, Mostafa Al-Ahmad et Jafar Panahi, également arrêtés à Téhéran entre le 8 et le 11 (HRANA).
Après le «Mouvement vert» contre la réélection d’Ahmadinejad en 2009, Tajzadeh avait été condamné à 6 ans de prison, mais n’avait pas hésité à publier depuis sa cellule une lettre ouverte critiquant le Guide suprême. Concernant les cinéastes, les 2 premiers ont été arrêtés chez eux le 8 pour leur activisme «anti-révolutionnaire», et Panahi le 11 devant leur prison, où il s’était rendu pour s’enquérir de leur sort. Avec de nombreux autres artistes, tous 3 avaient signé sur les réseaux sociaux une pétition contre la répression des protestations contre l’écroulement de la tour Métropole d’Abadan, qui avait fait 43 morts le 23 mai. De nombreux autres signataires ont été aussi convoqués pour interrogatoire.
La répression a aussi visé les familles des victimes des manifestations de novembre 2019 contre la hausse du prix du carburant. Le 11, au moins 10 personnes ont été arrêtées. L’agence Fars News, affiliée aux pasdaran, les principaux acteurs de la répression, a justifié les arrestations peu après en qualifiant ces familles qui avaient osé demander justice pour leurs proches assassinés d’«agitateurs» et «fauteurs de troubles» et les a accusées d’avoir «reçu de l’argent pour provoquer des troubles et de l’insécurité» (HRANA).
L’Iran continue également à arrêter des étrangers sur son sol pour pouvoir exercer des pressions à l’international. Le 7, les deux enseignants français arrêtés le 8 mai, Cécile Kohler et Jacques Paris, ont été formellement inculpés d’«assemblée et collusion contre la sécurité nationale». Quelques jours après leur arrestation, la télévision d'État avait affirmé qu'ils étaient en relation avec le Conseil de coordination des enseignants et les récentes manifestations d'enseignants à l'échelle nationale. La veille, HRANA avait prévenu par e-mail que la condamnation d’un autre Français, Benjamin Brière, à 8 ans et 8 mois de prison pour «espionnage» et «propagande contre le régime» avait été confirmée en appel le 29 juin. Selon son avocat, dans ce verdict, la France a été considérée comme hostile à l'Iran et des déclarations comme les condoléances aux familles des victimes du vol ukrainien abattu par les pasdaran ont été incluses dans le dossier d’accusation (HRANA)…
Enfin, le 8, le ministère polonais des Affaires étrangères a confirmé l'arrestation en Iran du scientifique Maciej Walczak. Le 6, la télévision d'État iranienne avait affirmé que M. Walczak et trois de ses collègues avaient été surpris prélevant des échantillons de sol sur un site à accès restreint utilisé pour des essais de missiles… (HRANA)
La Suède a prévenu ses ressortissants d’éviter les voyages en Iran. En effet, le 14, l’ancien pasdar et procureur adjoint de Karadj Hamid Nouri, convaincu de participation à la vague d’exécutions de prisonniers politiques de 1988, a été condamné à la perpétuité à Stockholm pour «crimes contre l'humanité (crimes de guerre) et meurtre». Nouri, qui représentait le procureur à la prison de Gohardacht, a participé à l’organisation des exécutions extrajudiciaires de prisonniers politiques. Si Amnesty International et Human Rights Watch ont confirmé 5.000 prisonniers assassinés en deux mois, les estimations les plus courantes font état de 12.000 victimes. Les détenus ont généralement été pendus avant d’être enterrés secrètement dans des fosses communes. L’actuel président iranien a participé à l’une des «Commissions de la mort» ayant prononcé les condamnations. Reconnu par un ancien prisonnier exilé qui avait passé des années à documenter le massacre, Nouri avait été attiré en Suède par la promesse d’un voyage luxueux en Europe et arrêté à sa descente de l’avion. C’est le principe de compétence universelle, qui autorise la Suède à poursuivre des auteurs présumés de crimes contre l’humanité, qui a permis d’ouvrir son procès. C’est une première historique: jamais encore un responsable iranien n’avait été jugé et condamné hors d’Iran (Le Monde).
L’Iran a évidemment rejeté ce jugement, qualifié d’«inacceptable», annonçant tenir le gouvernement suédois pour «responsable des dommages causés aux relations bilatérales». Actuellement emprisonné en Iran, l’universitaire irano-suédois Ahmad Reza Jalali est sous le coup d’une condamnation à mort pour «espionnage» au profit du Mossad…
Comme précédemment mentionné, le régime a aussi procédé à de nombreuses arrestations au Kurdistan. Une personne à Sanandaj le 29 juin, 2 toujours illégalement en détention préventive à Baneh après 8 mois, 4 personnes à Kermanshah et 3 à Piranshahr le 5… Le 8, une professeure de danse membre d'une association culturelle a été arrêtée à Tabriz pour la publication d'images de danse sur les médias sociaux. Le 13, 4 personnes, dont un mollah sunnite, ont été arrêtées à Oshnavieh. L’agence KurdPA soupçonne que cela pourrait avoir un lien avec la diffusion d’un discours par le haut-parleur d'une mosquée dans un village d’Oshnavieh… Le 19, l’association Hengaw a indiqué que 9 personnes avaient été arrêtées à Oshnavieh pour avoir diffusé depuis deux mosquées les déclarations et les poèmes d'Abdulrahman Ghassemlou, secrétaire général du PDKI de 1973 à sa mort en 1989, à l'occasion du 33e anniversaire de son assassinat, sans qu’il apparaisse clairement s’il s’agit des mêmes personnes.
Le 16 juillet, 12 personnes ont été arrêtées à Tabriz, Naghadeh et Ouroumieh. Au moins une partie d’entre elles ont dû être appréhendées dans des protestations concernant l’assèchement du lac d’Ouroumieh, car l’agence Fars News a rapporté que «des dizaines de personnes dans les villes de Naghadeh et d’Ouroumieh [avaient] protesté contre l’indifférence des autorités» devant celui-ci. Le 17, le chef de la police d’Azerbaïdjan occidental, qui a rapporté les arrestations, a décrit les protestataires comme des «éléments malveillants et hostiles, sans autre objectif que détruire les biens publics et perturber la sécurité de la population» (Rûdaw). Le 26, les forces de sécurité ont arrêté 3 enseignants qui protestaient devant les bureaux du ministère de l’Éducation à Divandareh contre des arrestations précédentes. Le 28, une femme a été arrêtée après avoir été convoquée par l’Etelaat à Mariwan.
La situation dans les prisons demeure préoccupante. Le 12, un prisonnier politique de 21 ans condamné à 5 ans de prison s’est suicidé à Mako alors qu’il était en liberté provisoire. Le 13, Reporters sans frontières a diffusé un e-mail avertissant que la vie de 24 journalistes emprisonnés en Iran est en danger: malades, très affaiblis physiquement et psychologiquement, ils se voient privés de soins nécessaires à leur survie. Le 24, un mollah sunnite est mort dans des conditions suspectes dans la prison de Bandar Abbas. L'érudit sunnite Hassan Amini a appelé les autorités à clarifier les circonstances de sa mort (HRANA).
Le 1er juillet, l’ONG Iran Human Rights (IRH) a indiqué le nombre de personnes exécutées en Iran avait plus que doublé dans la première moitié de 2022 par rapport à la même période en 2021. IHR attribue cette augmentation à la volonté du régime de terroriser la population face à l’accroissement de la contestation. M. Amiry-Moghaddam, fondateur de l’IRH, note que 137 de ces exécutions ont eu lieu depuis la nouvelle vague de manifestations entamée le 7 mai (AFP). Le fait que, deux ans après leur interruption en raison de la pandémie, l’Iran ait repris les exécutions publiques, vient conforter cette analyse. La première a eu lieu le 23 (Ouest France). Les 27 et 28 juillet, 5 détenus ont été pendus, 3 à Sanandaj, et 1 à Bam et à Rasht (HRANA).
Enfin, Ali Qazi, fils du Président de la République kurde de Mahabad Qazi Mohammed, est décédé le 10 juillet à 89 ans en Allemagne. Après avoir initialement autorisé son inhumation dans sa ville natale, le régime iranien a empêché toute rassemblement. La famille de Qazi a alors envoyé son corps au Kurdistan irakien, dont le Président Nechirvan Barzani a reçu sa dépouille à l'aéroport d'Erbil. Qazi a finalement été enterré dans le district de Kalar du gouvernorat de Suleimaniyeh.
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Dans une tribune du journal américain The National Interest, la représentante du Conseil Démocratique Syrien aux États-Unis, Sinam Mohamad, dénonce les agissements du président turc. Non content de «stupéfier le monde» en «bloquant l'adhésion de la Suède et de la Finlande» à l’OTAN, note-t-elle, M. Erdoğan a également «refusé de mettre en œuvre toute sanction contre la Russie»… Et voilà qu’à présent il «menace de nouveau un autre allié des États-Unis et de l'OTAN, […], l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien (AANES) […], où les Forces Démocratiques Syriennes combattent dans le cadre de la coalition anti-ISIS aux côtés des forces américaines et européennes». Mohamad avertit: «ISIS [Daech] se cache juste sous la surface. Tout ce dont il a besoin pour réémerger dans le Nord syrien, c’est une attaque turque»…
L’administration américaine, qui maintient toujours au Rojava un petit millier d’hommes, n’a cessé depuis plusieurs semaines d’exprimer son opposition à toute nouvelle attaque turque. Et pour une fois, les États-Unis et l’Iran sont d’accord: le 2 juillet, le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir-Abdollahian, a averti depuis Damas que toute action militaire turque en Syrie «serait un élément déstabilisateur dans la région». Pourtant, ce même Amir-Abdollahian, en visite à Ankara le 27 juin, avait déclaré «comprendre» la nécessité d'une nouvelle opération militaire turque contre des combattants kurdes en Syrie (AFP). C’est que pour Bachar Al-Assad et ses alliés, la présence turque sur le sol syrien offre un excellent moyen de pression pour forcer l’AANES à accepter des concessions. Mais si l’administration autonome et ses soutiens américains, qui tiennent toujours près d’un tiers du territoire, demeurent une épine dans le pied du régime, les militaires turcs et leurs supplétifs issus de l’opposition syrienne sont bien ses ennemis principaux. Pour l’AANES, il s’agit donc d’obtenir un certain soutien militaire de Damas sans pour autant abandonner son autonomie et rentrer dans le giron d’un pouvoir ba’thiste qui n’a toujours rien appris.
Officiellement, l’opération de «nettoyage» entérinée le 26 mai dernier par le Conseil de sécurité turc vise les régions de Tal Rifaat et Manbij, où Erdogan voudrait ensuite construire 200.000 logements pour rapatrier une partie des 3,7 millions de Syriens réfugiés en Turquie.
Le 15, juste avant le sommet prévu à Téhéran entre les dirigeants iranien, turc et russe, le commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi, a exhorté depuis Hassaké la Russie et l'Iran à empêcher l’attaque turque. Il a indiqué: «Après de récentes discussions avec la Russie dans le but de protéger ces régions, nous avons accepté de laisser entrer un plus grand nombre de soldats syriens à Kobani et Manbij en plus des troupes déjà présentes à la frontière». Il a aussi souligné la complicité objective entre Ankara et les djihadistes, dont au moins trois dirigeants opèrent dans des territoires sous contrôle turc (WKI). Sous couvert d'anonymat, un dirigeant kurde a confirmé à Al-Monitor: «Nous avons convenu avec le régime syrien du déploiement de ses forces dans plusieurs zones sous notre contrôle. […] Il existe un accord avec le régime syrien sur plusieurs points, par l'intermédiaire de la Russie […]. Notre coordination militaire avec le régime est appelée à se développer».
Evidemment, en déployant davantage d’hommes sur le territoire de l’AANES, le régime espère y gagner plus d'influence. Mais ayant grand besoin du pétrole actuellement contrôlé par les Kurdes, il est amené à poursuivre les discussions avec eux. L’attaque militaire n’est pas une option immédiate.
Selon les informations obtenues par Al-Monitor, le régime s'est séjà largement déployé à Tell Abyad, au nord de Raqqa, à Ain al-Arab et Manbij, dans la campagne orientale d'Alep, ainsi qu’à Kobanê. Ces déploiements comprennent des dizaines de véhicules militaires et blindés, dont des chars, et de l'artillerie lourde, ainsi que plus de 400 soldats. Les FDS ont hissé les drapeaux du régime sur les bâtiments militaires de la ville de Manbij, et des points de contrôle militaires syriens ont été installés face à l’«Armée nationale syrienne» [soutenue par la Turquie]. Officiers syriens et commandants FDS tiennent des réunions de coordination régulières pour envisager la réaction commune à une opération militaire turque sur les zones de Kobani, Manbij et Ain Issa. Une salle de commandement des opérations conjointes devrait être rapidement établie à Manbij.
L’AANES est-elle pour autant assurée de la «protection» de Damas en cas d’attaque turque? Nullement certain. Dans le passé, le régime a retiré ses troupes face à celles d’Ankara, reculant devant des affrontements directs. D’ores et déjà, alors que la Russie contrôle largement l’espace aérien syrien, les drones turcs ne cessent de mener des attaques contre les Kurdes. Pourtant, la Turquie, elle non plus, ne souhaite certainement pas une escalade avec Damas qui tendrait ses relations avec la Russie… Il est donc difficile d’évaluer l’avenir proche, d’autant plus que le Président turc s’est fait une spécialité des coups d’éclat et que la guerre en Ukraine, qui occupe Américains et Russes, lui ouvre de nouvelles possibilités…
Ankara, qui a besoin de l’accord russe pour utiliser l’espace aérien dans la région visée, espérait décrocher un accord russe et iranien pour son attaque lors du sommet de Téhéran. Il ne l’a pas obtenu. Le 19, le Guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a réitéré son opposition en recevant M. Erdoğan, insistant: «Une attaque militaire contre le nord de la Syrie serait préjudiciable à la Syrie, à la Turquie et à la région, et profiterait aux terroristes» (Kurdistan-24). Par contre, les 3 partenaires du sommet se sont retrouvés pour «rejeter» dans leur communiqué final «toutes les initiatives d'auto-détermination illégitimes» et les «ambitions séparatistes qui pourraient saper la souveraineté et l'intégrité de la Syrie» et menacer la sécurité des pays voisins avec «des attaques transfrontalières et des infiltrations» (AFP)…
L’absence d’accord du régime et de ses alliés ainsi que la présence américaine sur le terrain pourraient obliger Ankara à revoir ses objectifs à la baisse. Lors de son voyage de retour de Téhéran, le Président turc a d’ailleurs déclaré pour la première fois, qu'il était d'accord avec la Russie et l'Iran, pour réclamer le départ des Américains de Syrie (Al-Monitor). Persistant malgré tout dans son projet, il a annoncé le même jour son intention de lancer une opération… «prochainement». Le lendemain, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Çavuşoğlu a enfoncé le clou: «Nous ne demanderons jamais une autorisation pour nos opérations militaires contre le terrorisme […]. Cela peut arriver une nuit, soudain». Il a rappelé que les accords d’octobre 2019 avec la Russie et les États-Unis prévoyaient un retrait à 30 km de la frontière turque des milices kurdes, mais que «ces promesses n’ont pas été tenues»… (AFP)
Le 25, Salih Muslim, coprésident du Parti de l'unité démocratique (PYD), qui partage le pouvoir au sein de l’AANES, et d’autres hauts responsables de l'administration autonome ont renouvelé leurs appels à la coalition dirigée par les États-Unis pour qu'elle établisse une zone d'exclusion aérienne au-dessus du Nord-Est de la Syrie. Interrogé sur les récents mouvements de troupes turques indiquant un mouvement imminent, Muslim a confirmé: «Ils ont déjà terminé la plupart de leurs préparatifs […]. Il ne leur reste pas grand-chose à faire à part attaquer». Il a ensuite déploré: «La Russie nous dit: ‘Allez vous rendre au régime’, rien de plus». Mais le dirigeant du PYD a aussi reproché son inaction à Washington, qui n'a pas «levé le petit doigt pour nous. […] Les gens voient cela et ils se sentent en colère et trahis après tous les sacrifices qu'ils ont faits dans la bataille contre l'État islamique».
Quoi que l’avenir réserve, chacun s’y prépare en envoyant massivement des renforts. L’AANES s’est mise en état d’alerte. En début de mois, un important convoi de forces turques a atteint la banlieue d'Afrin. Le régime et ses alliés ont aussi consolidé leurs positions. Le 2, un convoi militaire russe est arrivé à la base d’Ain-Issa, et le 16, l’OSDH a également rapporté un renforcement des positions de l’armée syrienne près de Tell Tamr, au Nord-Ouest d’Hassaké. Selon l’OSDH, les activités militaires turques dans toute la bande Nord ont connu une escalade significative du 27 juin au 3 juillet, avec plus de 600 roquettes ou obus tirés sur 33 positions kurdes et 4 frappes de drones ayant fait au moins 7 morts dont 5 civils. Le dispositif militaire turc n’a cessé de se renforcer avec l’arrivée par le poste-frontière de Bab Al-Salama, près d’Azaz, de 2 convois comprenant véhicules lourds, blindés, transports de troupes, dragueurs de mines, chars, ou encore lance-roquettes lourds. Un 3e convoi a franchi la frontière près de Jindires. Parallèlement, les factions syriennes soutenues par la Turquie ont été mises en état d'alerte. Puis le 5 a vu l’arrivée à la suite de 4 nouveaux convois, avec pour la première fois en Syrie des lance-missiles antichars à guidage thermique, venus se positionner au sud d’Afrin. Un 5e a gagné Idlib… Au cours des jours suivants, de nouveaux convois militaires turcs ont été rapportés, tous comprenant chars et armes lourdes… Au 23, la Turquie avait envoyé en Syrie pas moins de 12 convois, arrivés principalement au Nord d’Alep et menaçant plus particulièrement la région de Manbij.
À noter pourtant: alors que les tensions augmentaient, les patrouilles conjointes russo-turques dans la région de Kobanê et au nord d’Hassaké se sont poursuivies au rythme d’une par semaine. Au 25, on était à la 107e patrouille, composée de 4 véhicules de chaque pays, accompagnés de 2 hélicoptères russes. Une autre s’est déroulée à peu près dans les mêmes conditions le 28 au Nord d’Hassaké.
Les militaires turcs et leurs supplétifs syriens ont mené tout le mois contre les Kurdes des actions de harcèlement dans le Nord de la province d’Alep et notamment sur les villages proches de Manbij. Les attaques coïncidaient fréquemment avec des échanges d’artillerie entre militaires turcs et syriens. Le 2, une commandante FDS, Mazgin Kobane, a été tuée par un drone près de Raqqa, et un civil a été tué par un missile au nord de Manbij. Le 3, un drone a frappé un poste de contrôle du régime à Tel Rifaat, un ville au nord d'Alep hébergeant une base russe, faisant des dégâts matériels. Il a ensuite été abattu. Du 3 au 5, les Turcs ont bombardé plusieurs villages proches de Manbij, tandis qu’un avion militaire russe survolait la zone. Sept soldats du régime ont été blessés. Le 5, les forces turques stationnées sur la base de Jilbul, dans la campagne d'Afrin, ont tiré plus de 100 obus d'artillerie et de roquettes sur les villages du district de Shirawa. Le 6, ce sont des villages de la banlieue d’Alep qui ont été visés. Inversement, les forces du régime ont visé près d'Alep les environs d'une base turque avec au moins 4 roquettes. Le même jour, une délégation militaire de la Coalition anti-Daech comprenant 40 représentants américains, français et britanniques a visité Manbij pour discuter avec son Conseil militaire des menaces d’attaque turque. Le lendemain, un membre du Conseil militaire de Manbij a été tué par un drone turc sur un point de contrôle près de la ville.
Les jours suivants, l’artillerie turque a poursuivi son pilonnage des villages du nord de la province, tirant des dizaines de roquettes et obligeant des dizaines de familles à partir. Aucune perte n’a cependant été signalée. Le 13, l’OSDH a rapporté des échanges d’artillerie entre militaires syriens et turcs dans cette zone, ainsi que l’arrivé dans le secteur de milices pro-iraniennes… Après de nouveaux tirs de roquettes turques le 14 vers les positions du Conseil militaire de Manbij, le 17, plusieurs roquettes tirées par les forces du régime et kurdes ont touché un poste turc près d’Azaz, sans faire de victimes. Les 18 et 19, Tel Rifaat a subi 2 frappes de 2 drones en 24 h. La seconde a blessé un officier et un soldat syriens. Le 20, un 3e drone turc a blessé plusieurs personnes près de Kobanê. Le 22, un drone a de nouveau frappé un poste militaire du régime.
Selon l’OSDH, depuis janvier, les drones turcs alors avaient lancé 37 attaques sur les territoires contrôlés par l’AANES, faisant 24 morts, dont 6 femmes et 2 enfants, et plus de 74 blessés…
L’escalade s’est poursuivie jusqu’en fin de mois, avec plus de 50 roquettes tirées le 24 à Shirawa et de violents échanges d’artillerie avec les troupes du régime près d’Al-Bab les 24 et 25. Le 27, à Tel Rifaat, tirs d’artillerie et frappes de drones ont visé les positions syriennes. Les échanges de tirs entre les Turcs et leurs supplétifs d’une part, et les Kurdes et les forces du régime d’autre part, se sont poursuivis jusqu’au 31.
Le Nord de la province d’Hassaké, avec Ain-Issa et l’autoroute M4, a également été fréquemment frappé. Un commandant et 3 combattants des FDS ont été tués le 2 par une bombe visant leur véhicule. Plusieurs civils ont été tués et 2 enfants blessés le 3 et le 4. Les jours suivants, plusieurs villages près de Tal Tamr ont été bombardés, et le 14, des échanges d’artillerie ont opposé FDS et Turcs. Profitant d’un calme précaire interrompu par des tirs sporadiques, le régime a renforcé son dispositif dans cette zone le 16. Les 21 et 22, deux frappes de drone ont blessé les occupants de véhicules des FDS près de Qamishli, et 2 civils ont été blessés par des roquettes près d’Ain-Issa. Le 23, l’artillerie turque a de nouveau mis hors-service la centrale de Tal Tamr, dont la production d’électricité avait déjà été interrompue fin juin. Ces bombardements intensifs, qui se sont poursuivis jusqu’à la fin du mois, ont fait une victime et au moins 8 blessés civils et provoqué l’exode massif de plusieurs villages.
Le 26, représentants de la société civile locale et chefs tribaux ont publié un communiqué avertissant les Turcs qu’en cas d’invasion, ils combattraient aux côtés des FDS: «Nous […] considérons que les menaces et les attaques turques sont dirigées contre tous les Syriens, et non contre une composante particulière ou un groupe spécifique».
Parmi les nombreuses frappes turques de juillet, celle dont il a été le plus question dans les médias est la frappe de drone qui a tué le 22 près d’Ain-Issa 4 membres des Asayish (Sécurité) dans leur véhicule, dont trois femmes. Parmi elles, se trouvait la commandante connue Salwa Yusuk (ou Yusuf), aussi connue comme Ciyan Afrin et Gian Tolhildan. La chaîne américaine NBC News a annoncé sa mort en citant un officier américain : durant la lutte contre Daech, elle «avait indéniablement sauvé des vies américaines sur le champ de bataille». Des milliers d'habitants de Hassaké ont assisté aux funérailles des victimes. Les FDS ont ensuite annoncé avoir lancé une opération de sécurité visant les agents turcs dans leurs rangs, appelée «Opération Serment», qui aurait permis d’arrêter 36 collaborateurs des Turcs (WKI). Par ailleurs, les Asayish ont accusé les Russes d’avoir transmis aux Turcs les coordonnées des victimes: des combattants tchétchènes et tatars proches des Turcs se trouvent en effet dans les rangs russes (OSDH).
Cette frappe a coïncidé avec de nombreux tirs de roquettes sur Ain-Issa et l’autoroute M4, qui ont provoqué un nouvel exode civil. Le 30, les combattants du Conseil militaire de Tal Tamr ont mené une opération d’infiltration vers les lignes turques qui a provoqué de nouveaux échanges d’artillerie. Le 31, 4 soldats turcs et 5 miliciens stationnés sur une base turque près de Suluk ont été blessés par des obus d'artillerie tirés depuis des zones contrôlées par les FDS et les forces du régime.
Dans le secteur sous occupation turque d’Afrin, les exactions des milices pro-turques syriennes se sont poursuivies. Rien que durant la dernière semaine de juin, la légion Al-Sham , proche des services secrets turcs, a dans le cadre de sa campagne de répression contre les résidents de Shirawa arrêté 15 civils, dont plusieurs femmes, sous le prétexte de «relations avec l’ancienne administration» ou «communication avec des proches vivant dans des zones contrôlées par les forces kurdes». Les combattants ou déplacés syriens continuent aussi à vendre pour leur compte les biens pillés aux résidents expulsés ou déplacés. Ainsi, dans la ville d’Afrin, des membres d’Al-Jabha Al-Shamiyah ont loué 100 US$ par mois la maison d’un civil de Shirawa confisquée de force. L’OSDH a aussi rapporté plusieurs nouveaux abattages d’arbres fruitiers et d’oliviers. À Shiran, un groupe de déplacés a abattu 75 oliviers du village de Qartaklak, sous prétexte qu’ils appartenaient à un civil vivant dans une zone tenue par l’AANES. Par ailleurs, des affrontements fratricides ont de nouveau opposé différentes factions pro-turques, comme le 8 dans Afrin, la Division Sultan Murad et Liwaa Al-Shamal. Prolifération des armes et chaos caractérisent toujours les zones occupées… Le pillage des sites archéologiques continue également, comme celui de Tel Hamo (Jendires), détruit le 9 au bulldozer par des membres de l’«Armée nationale» à la recherche de trésors (OSDH).
Concernant Daech, la nouvelle la plus importante de ce mois est l’annonce par Washington le 12 de l’élimination par une frappe de drone de son chef en Syrie, Maher al-Agal, tué à moto près de Jendires. Les FDS ont confirmé une frappe sur une moto dans cette région, mais selon elles, les cibles étaient liés à Ahrar al-Sharqiya, le groupe syrien pro-turc responsable en 2019 de l’assassinat de la femme politique kurde Hevrin Khalaf. Mais ce groupe supplétif d’Ankara aurait intégré dans ses rangs d'anciens dirigeants de Daech (AFP). Par ailleurs, l’organisation djihadiste, bien qu’incontestablement affaiblie, continue ses attentats. Le 17, une femme a été assassinée dans le camp d’Al-Hol, avant qu’une autre soit exécutée la semaine suivante pour avoir coopéré avec la sécurité kurde. Son mari avait été décapité 15 jours plus tôt. Enfin, le 28, une fosse commune avec au moins 29 corps dont ceux d'une femme et de deux enfants a été découverte à Manbij. Selon un communiqué du Conseil militaire de la ville, certains des corps «avaient les mains menottées et les yeux bandés». Manbij était restée sous contrôle de Daech de 2014 à 2016.
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L’impasse politique dure maintenant depuis 9 mois en Irak. La démission de masse des 73 députés du courant sadriste le 12 juin a apporté au Parlement 40 sièges supplémentaires aux partis chiites du «Cadre de coordination» pro-iranien. Avec 130 sièges, ils en sont devenus le groupe le plus important, ce qui leur donne théoriquement l’avantage pour former le futur gouvernement. Toutefois, les divisions intra-communautaires fracturant le paysage politique irakien rendent cet avantage plus théorique que réel. Ainsi l’alliance de Sadr, auparavant la première force au sein de l’assemblée, n’était pas pour autant parvenue à former un gouvernement.
En effet, le préalable demeure la nomination d’un Président pour succéder à Barham Salih. Selon un consensus intercommunautaire établi depuis 2005, celui-ci devrait comme Salih être kurde. Le nouveau Premier ministre, quant à lui, doit pour la même raison être chiite… Jusqu’à présent, le président du Parlement, le sunnite Mohammed al-Halbousi, est le seul des trois plus importants personnages de l’État à avoir été désigné. Les désaccords internes à chaque communauté concernée ont jusqu’à présent empêché la désignation des deux autres. Début juillet, les partis du «Cadre» recherchaient toujours leur candidat Premier ministre, et concernant le Président, les deux principaux partis kurdes, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, et son rival l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), refusaient toujours chacun d’abandonner leur candidat respectif. Seul point positif: après la démission du bloc sadriste, qui a concrètement dissous son alliance parlementaire avec le PDK, les 2 partis kurdes ont enfin repris leurs discussions.
La 2e semaine de juillet, un responsable du «Cadre» a indiqué l’agence iranienne Mehr News que le bloc envisageait comme Premier ministre Nouri al-Maliki, Qasim al-Araji ou Muhammed al-Sudani. Le 12, Massoud Barzani a publié une déclaration disant en substance que le PDK n’attachait aucune importance au nom du futur Premier ministre, mais que par contre, il examinerait très attentivement le programme du futur gouvernement et son respect de la constitution.
Ce n’est finalement que le 25 que la coalition chiite a annoncé la nomination de son candidat Premier ministre: il s’agit de Mohamed Shia’ al-Sudani, 52 ans, ancien membre du parti Dawa’, ancien ministre et ex-gouverneur de la province de Maysan, dans le Sud du pays. Le 27 en fin d’après-midi, des centaines de partisans de Moqtada al-Sadr, dénonçant la nomination d’un «corrompu», ont occupé le parlement pendant deux heures, malgré les tirs de lacrymogènes des forces de sécurité sensées empêcher l’accès à l’hypersécurisée «Zone Verte». Ils ont cependant quitté les lieux dans le calme après que leur leader les a appelés à «rentrer chez eux sains et saufs», leur assurant: «Vous avez terrorisé les corrompus».
Face à l’apparente facilité de leur intrusion, le «Cadre de coordination» a accusé le gouvernement de complaisance vis-à-vis des manifestants et réclamé des «mesures fermes de maintien de la sécurité et de l'ordre». Cela n’a pas empêché les partisans de Moqtada Al-Sadr d’attaquer le 29 au soir les bureaux des partis chiites Dawa’ de Maliki et d’Al-Hikma. Puis le 30, après de nouvelles manifestations marquées de tirs de gaz lacrymogènes et de jets de pierres, qui ont fait au moins 100 blessés parmi les manifestants et 25 chez les forces de sécurité, des milliers d’entre eux ont de nouveau investi le parlement, décidés cette fois à y demeurer jusqu’à ce que leur refus de M. Sudani soit entendu. Le président du Parlement a annoncé la suspension des travaux parlementaires, appelant les manifestants à «préserver les propriétés de l'Etat». Moqtada al-Sadr a de son côté salué sur Twitter «une révolution spontanée et pacifique qui a libéré la Zone verte – une première étape» et a appelé à des manifestations de soutien dans tout le pays.
Le 31 juillet, le Parlement était toujours occupé, tandis que le Président du Kurdistan, Nechirvan Barzani, invitait dans un communiqué «les parties concernées à venir à Erbil pour initier un dialogue ouvert et inclusif, et parvenir à un accord» (AFP).
Les relations entre le Kurdistan et le reste de l’Irak sont toujours aussi paradoxales. Le Président du Kurdistan, issu du PDK, jusqu’à fin juin l’une des composantes les plus importantes de l’alliance sadriste, propose ses bons offices pour aider aux discussions intra-chiites, tandis que l’UPK participe toujours à l’alliance rivale avec le «Cadre de coordination»: une constante depuis 2003, les partis kurdes jouent un rôle important sur l’échiquier politique irakien. Mais parallèlement, le gouvernement fédéral de Bagdad et le gouvernement régional d’Erbil (GRK) s’affrontent de plus en plus durement sur deux points: la gestion des ressources pétrolières et l’administration des territoires à population mixte situés au sud du Kurdistan, dits «territoires disputés».
Ces deux facettes des relations Bagdad-Erbil sont cependant liées: le PDK, qui domine le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) où il est allié à l’UPK, accuse du harcèlement militaire et juridique qu’il subit les anti-sadristes pro-Iran voulant lui faire abandonner son alliance avec le leader chiite. En particulier, le GRK accuse la «Cour suprême» de Bagdad d’avoir invalidé sa loi pétrolière le 15 février dernier pour des raisons plus politiques que constitutionnelles. Depuis, les attaques contre les installations pétrolières du Kurdistan n’ont pas cessé. Rien qu’entre les 22 et 24 juin, le complexe gazier de Khor Mor, une installation de la société émiratie Dana Gaz a ainsi été visé par trois tirs de roquettes. Bien que l’attaque n’ait pas été immédiatement revendiquée, les milices pro-iraniennes demeurent les principales suspectes, d’autant plus que les tirs de missiles iraniens du 13 mars sur Erbil semblaient déjà viser la résidence du responsable de Dana…
L’attaque sur Khor Mor n’a fait ni victimes ni dégâts matériels, bien qu’un incendie se soit déclaré. Mais les peshmergas, craignant que l’armée irakienne n’en profite pour prendre le contrôle de l’installation, se sont mis en état d’alerte: le site est très proche de la ligne de front entre les deux forces. Selon une source anonyme, une délégation militaire irakienne de haut niveau est d’ailleurs arrivée à l'aéroport de Halwa (Tuz Khurmatu) deux jours après la dernière frappe pour demander aux commandants peshmergas de se retirer du poste de contrôle et de le remettre à l'armée, mais ceux-ci ont refusé et se sont opposés sur le terrain à toute avance irakienne… Le 25 juillet, le site a de nouveau été bombardé, pour la quatrième fois en moins d'un mois (WKI).
Attaques juridiques et militaires ont continué à alterner: le 4 juillet, un tribunal de commerce saisi par le ministère du Pétrole de Bagdad a invalidé comme «non-conformes à la décision de la Cour suprême fédérale» quatre contrats pétroliers conclus par la Région du Kurdistan avec des compagnies canadienne, américaine, britannique et norvégienne. Le GRK a réagi en intentant deux actions en justice, dont une visant le ministre irakien du Pétrole, Ihsan Ismaïl, accusé de vouloir «intimider» les entreprises étrangères opérant au Kurdistan (AFP).
Le 23, Mustafa al-Kadhimi a reçu à Bagdad Masrour Barzani, qui faisait là sa première visite depuis 2019. Prenant probablement conscience de l’effet négatif sur les investisseurs étrangers de l’incertitude résultant de leur conflit, et notamment de l’annulation de contrats déjà signés, les deux dirigeants ont indiqué privilégier le «dialogue» pour résoudre leurs différends, admettant la nécessité de renforcer la «coordination» pour «attirer les investissements». Le communiqué du bureau du Premier ministre irakien a également évoqué un accord pour «œuvrer à des solutions conjointes et réaliser la complémentarité dans la gestion des hydrocarbures», une première. Ceci n’a pas empêché 2 jours plus tard la nouvelle frappe sur Khor Mor…
Un autre événement a pu contribuer à rapprocher les points de vue des deux interlocuteurs: la frappe, imputée à la Turquie, qui a fait fait neuf morts à Zakho le 20. Les deux dirigeants ont souligné l’importance d’une «vision unifiée» à propos de cette attaque…
La présence et les opérations militaires turques dans le Nord de l’Irak deviennent en effet de plus en plus pesantes et intrusives.
Le 17, un drone turc a détruit un véhicule et tué ses cinq occupants à l'ouest de Mossoul. Le gouverneur de la province, Najim Al-Jabouri, a dénoncé l'attaque et demandé au gouvernement irakien de «protester contre de tels actes». Plusieurs sources pro-turques ont affirmé que les cinq victimes appartenaient au PKK.
Mais l’événement le plus grave du mois a été sans conteste la frappe d’artillerie turque qui a fait 9 morts et au moins 28 blessés, tous civils, dans le parc de loisirs de Perex (Barakh) près de Zakho (province de Dohouk), ombragé et nanti de plusieurs plans d’eau. Un premier bilan faisait état de 3 femmes et 2 enfants parmi les morts. La plupart des victimes sont des touristes irakiens venus passer quelques jours au Kurdistan pour échapper aux chaleurs caniculaires du Centre et du Sud du pays. Un rescapé a raconté à l’agence irakienne INA: «Plus de vingt autocars sont entrés dans le parc et 15 minutes plus tard il y a eu de violents bombardements, pas moins de cinq roquettes».
L’attaque a suscité l'indignation et provoqué des manifestations antiturques dans tout le pays, de Najaf à Kirkouk, ou le centre de délivrance de visas turcs a dû fermer, en passant par Mossoul et Bagdad, où l’ambassade turque a été attaquée. À Kerbala, un drapeau turc a été brûlé devant le centre des visas, un autre à Nassiriya. Le président irakien a condamné la frappe, ainsi que le premier ministre, qui a également brandi la menace d’une riposte. Le ministre des Affaires étrangères, Fuad Hussein, a accusé la Turquie «d’occuper l’Irak» sous prétexte de combattre le PKK, avant de déposer auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies une plainte visant à mettre fin à l'invasion et aux attaques continuelles de la Turquie sur le territoire irakien. Par ailleurs, l’Irak a rappelé pour consultations son chargé d’affaires à Ankara, et le Conseil ministériel de sécurité nationale irakien a exigé des excuses officielles de la Turquie et «le retrait de ses forces armées de l'ensemble du territoire irakien» (AFP). Jusqu’à présent, ce type de demandes a toujours été complètement ignoré par Ankara…
Le soir même, la Turquie a nié toute implication dans l’attaque, tentant d’y impliquer le PKK. Mais en Turquie même, le Bureau exécutif central du parti «pro-kurde» HDP a blâmé le gouvernement turc pour la frappe, déclarant qu’il était «politiquement et juridiquement responsable de ce massacre, qui restera dans l'histoire comme le deuxième massacre de Roboski». Le 28 décembre 2011, l'aviation turque avait tué 34 villageois qui ramenaient des marchandises de contrebande du Kurdistan d’Irak vers leurs villages de Roboski et Becuh côté turc…
Le 21, Paris a dénoncé une «frappe indiscriminée» contre «une aire de loisirs», rappelant «son attachement à la souveraineté de l'Irak et à la stabilité de la région autonome du Kurdistan» (L’Express), et Berlin a qualifié une frappe contre des civils d’«inacceptable» et appelé à «faire la lumière sur les responsabilités» (AFP). Le département d’État américain a également condamné l’attaque, mais son communiqué a été jugé «décevant» par le Président de l'Institut kurde de Washington, Sirwan Nejmedine Karim, car il «ne mentionne pas la Turquie comme l'auteur de l'attaque».
Alors que les dépouilles des victimes étaient reçues à Erbil par le président du Kurdistan, accompagné par un grand nombre de responsables régionaux, le Premier ministre irakien a décrété une journée de deuil national pour le lendemain (WKI). Les cercueils, transférés par avion vers Bagdad, ont été accueillis à l’aéroport de la capitale par le Premier ministre.
Pour autant, note l’AFP, le GRK trouvera difficile de s’en prendre directement à la Turquie, seule voie d’exportation de ses hydrocarbures vers les marchés internationaux…
Les actions antiturques se sont prolongées jusqu’à la fin du mois. Le 22, deux drones piégés ont été abattus au matin près de la base militaire turque de Bamarnê (Dohouk), au Kurdistan d’Irak. La tentative n’a pas été revendiquée, mais une chaîne Telegram pro-Iran s’est félicitée d’une action de «la résistance irakienne». Enfin, la nuit du 27, quatre obus de mortiers ont visé les abords du consulat de Turquie à Mossoul, endommageant des véhicules garés dans le secteur. Là encore, il n’y a pas eu de revendication (AFP). Quasiment au même moment, en tenant compte du décalage horaire, au Conseil de sécurité des Nations Unies, réuni à la demande de l’Irak, le pays renouvelait sa condamnation de «la présence illégale des forces militaires turques sur [son] territoire», demandant leur «retrait total». Le Conseil de sécurité a «fermement condamné» le bombardement. Ankara s’est promis de poursuivre sa lutte contre les «terroristes» en Irak.
La Turquie a aussi continué à envoyer régulièrement des drones frapper le camp de réfugiés de Makhmour, comme le 5, où c’est un village proche qui a été visé. Les autorités du camp ont récemment restreint les déplacements des résidents hors du camp par mesure de sécurité.
La Turquie pourrait bien avoir un jour à répondre de ses activités hors de ses frontières, notamment en relation avec le génocide perpétré par Daech en 2014 contre la communauté yézidie. Après trois ans d’investigations concernant l’attitude de 13 pays durant cette période, le Yazidi Justice Committee (YJC), basé à Londres, a publié son rapport le 8 juillet (->). Celui-ci conclut à la négligence de la Syrie et de l’Irak : ces deux États n’ont pas pris les mesures qui auraient permis de prévenir le génocide. Mais le groupe de travail, présidé par Sir Geoffrey Nice QC, ancien procureur principal au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et qui comprend des députés, des universitaires et des juristes britanniques, va plus loin concernant Ankara: le rapport conclut en effet à la complicité de la Turquie dans le génocide et demande qu’elle soit poursuivie devant la Cour Pénale Internationale. Il reproche aux responsables turcs de n’avoir pas fermé leurs frontières pour stopper les déplacements des djihadistes et, pire encore, d’avoir fermé les yeux sur la vente, le transfert et la réduction en esclavage de femmes et d'enfants yézidis. Par ailleurs, la Turquie a participé à la formation des combattants de Daech pour qu’ils puissent combattre les Kurdes de Syrie, renforçant ainsi les auteurs du génocide (The Guardian).
La veille, la Commission d'enquête du Parlement allemand sur le cas des Yézidis avait remis au Président de celui-ci son propre rapport, qui recommandait la reconnaissance officielle du génocide de 2014 par le Bundestag. Celui-ci a rapidement approuvé un vote de la commission des pétitions demandant cette reconnaissance, en attendant un vote en session plénière qui achèvera la procédure de reconnaissance. L'Allemagne, où vit une importante diaspora yazidie, est l'un des rares pays à s'être saisi judiciairement des exactions commises par Daech contre cette minorité. C’est en Allemagne que, pour la première fois dans le monde, un djihadiste irakien a été condamné pour génocide en novembre dernier (AFP).
Dans les territoires disputés irakiens, l’organisation djihadiste a poursuivi ses attaques, même si elle perd progressivement de la puissance. Le 1er juillet, la Sécurité de Kirkouk a annoncé l’arrestation d’un leader djihadiste nommé «Abu Talha», tandis qu’une frappe aérienne éliminait 2 djihadistes près de Dibis. Le 8, les djihadistes ont libéré un berger enlevé le 17 juin près de Daqouq, après paiement d’une rançon de 100.000 $. Le 25, ils ont attaqué des pylônes de la ligne électrique Kirkouk-Tikrit. Le lendemain, ils ont blessé 2 policiers fédéraux au Sud-Ouest de Daqouq. Près de Makhmour, alors que la coordination kurdo-irakienne tarde toujours à se mettre en place, ils restent dangereux. Les monts Qara Chokh, qui se trouvent à proximité, sont devenus l’une de leurs principales bases d’opérations… Cependant, la coordination irako-kurde fait de timides progrès. Le 13, un détachement de peshmergas est intervenu pour assister des militaires irakiens attaqués, dont 3 ont été grièvement blessés. Le 19, le Conseil de sécurité de la région du Kurdistan (KRSC) a annoncé qu'une opération de 2 jours dans cette zone avait permis d’éliminer 4 djihadistes, grâce à la coordination avec la coalition internationale et les forces irakiennes. Une première, les forces irakiennes et les peshmergas ont fait leur jonction dans la région, éliminant tout vide sécuritaire entre leurs lignes. À Khanaqin, une délégation militaire irakienne a rencontré les peshmergas entre Khanaqin et Kalar le 26. Selon un communiqué de ceux-ci, les discussions ont concerné la situation sécuritaire dans la région et l’élimination du vide sécuritaire entre les deux parties. On ne peut qu’espérer que cette tendance se confirme.
Par contre, notamment à Kirkouk, les Kurdes sont toujours confrontés à la reprise de la politique d’arabisation. Le 1er juillet, 2 nouveaux postes de direction à la Société pétrolière d’État ont été retirés à des Kurdes pour être attribués à un irakien arabe et un turkmène. Depuis le 16 octobre 2017, lorsque Bagdad a repris militairement le contrôle de la province, ce sont ainsi plus de 125 postes gouvernementaux qui ont été retirés aux Kurdes. Le 15, le responsable kurde du personnel au tribunal de Kirkouk a été remplacé par un arabe, et le 27, le gouverneur a poursuivi sa politique favorisant l’embauche des Arabes en attribuant à ceux-ci 60% de 1000 nouveaux postes…
Le 3, le gouverneur intérimaire, nommé par Bagdad en 2017, a ordonné la confiscation des cartes de résidents de toute personne ne possédant pas de maison à Kirkouk. Cette mesure priverait près de 200.000 Kurdes chassés par le régime précédent et revenus après 2003 de cartes de résidence et donc de rations alimentaires. La colère publique et l’intervention des députés kurdes ont obligé Al-Jabouri à suspendre cette décision pour le moment. La 18, la représentante du Parti du Conseil arabe, Tahrir Al-Obeidi, dont le chef n’est autre que le gouverneur, a déposé au nom des colons arabes une plainte demandant l’attribution de terres appartenant à des Kurdes, c’est-à-dire la reprise officielle de la politique d’arabisation de Saddam Hussein! Elle est la fille d’un ancien officier du Renseignement ba’thiste toujurs recherché par les Américains pour une prime de 200.000 $. Avant elle, Hanan Jassim, directrice du bureau juridique du ministère de la Justice, avait bloqué la restitution aux Kurdes de terres attribuées aux colons. Elle est également la fille d'un ancien fonctionnaire de l’époque ba’thiste…
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En Turquie, l’épidémie de COVID, quelque peu oubliée des médias depuis 6 mois, y a refait une apparition lorsque le ministère turc de la Santé a indiqué mi-juillet que le nombre de cas avait été multiplié par 10 en un mois, après avoir doublé chaque semaine durant juin. Ainsi, alors qu’on avait recensé 10.954 cas la semaine du 13 au 19 juin, le chiffre a sauté à 57.113 du 27 juin au 3 juillet… Le 18 juillet, le ministre de la santé Fahrettin Koca, cette fois sans donner de chiffres, a indiqué au sortir d’une réunion de cabinet que durant les 4 ou 5 dernières semaines, le nombre de cas quotidiens avait été multiplié par 40! (Bianet)
Ce retour d’inquiétudes sur le front sanitaire vient s’ajouter à une situation économique toujours aussi catastrophique. Le taux officiel d’inflation, pourtant très sous-estimé, a dépassé les 78% en juin selon l’agence TürkStat, une augmentation mensuelle des prix de 4,95%, annuelle de 44,54%. L’alimentation fait partie des secteurs les plus impactés avec un taux annuel de 93,9%, d’où un quotidien de plus en plus insupportable pour les ménages. Mais même ces chiffres, déjà préoccupants, sont dépassés par ceux du groupe d’économistes indépendant ENAG, qui a quant à lui calculé une inflation annuelle de 175,55% en juin (Bianet). Ces calculs ont valu à son fondateur le licenciement par son université, mais ENAG n’en continue pas moins à publier courageusement ses résultats…
C’est que, face à ces mauvaises nouvelles, le président turc a choisi comme réponse la censure et la répression systématiques des voix critiques: il est plus simple de faire taire le porteur de mauvaises nouvelles que de s’attaquer aux causes des problèmes.
Ainsi la grande campagne de répression des journalistes, en réalité déjà en cours depuis des mois, s’est-elle encore intensifiée. Alors que l’organisation Reporters sans Frontières exhortait le 1er la Turquie à mettre fin aux violences contre les journalistes, demandant au ministère de l’Intérieur de «respecter le travail des journalistes couvrant les manifestations, de cesser de les arrêter et de les soumettre à des violences», le pouvoir s’en est pris à la presse étrangère en censurant le même jour les sites web de Voice of America (VOA) et Deutsche Welle (DW).
En février dernier, l’instance de régulation turque des médias, le RTÜK, avait demandé à VOA, DW Turkish et Euronews de déposer une demande de licence sous 72 heures. L’organisme avait retiré sa demande en avril pour Euronews après que la chaîne avait apporté quelques modifications à son site web. Par contre, les deux autres médias avaient indiqué que non seulement ils n’obtempéreraient pas mais qu’ils engageraient une action en justice. Le Directeur de DW avait déclaré: «Les médias titulaires d'une licence en Turquie sont tenus de supprimer les contenus en ligne que le RTÜK considère comme inappropriés. C'est tout simplement inacceptable pour un radiodiffuseur indépendant». Le 6, le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a indiqué sur Tweeter que son administration regrettait une décision turque qui «étendrait encore le contrôle du gouvernement sur la liberté d'expression et la liberté des médias en Turquie», ajoutant: «Une presse libre est essentielle à une démocratie robuste» (Bianet). Mais qui peut encore parler de la Turquie comme une «démocratie robuste»?
Les 4 et 5, plusieurs journalistes se sont rassemblés Place Ulus à Ankara à l’appel de la Dicle Fırat Journalists' Association (DFG) et de la Mesopotamia Women Journalists Platform (MKGP) pour protester contre les récentes arrestations de journalistes kurdes (16 d’entre eux arrêtés le 16 juin à Diyarbakir pour «propagande terroriste»). La police a violemment attaqué le rassemblement, empêchant les participants de lire la déclaration qu’ils avaient préparée, et les a dispersés ou encerclés, battant plus particulièrement puis arrêtant 3 d’entre eux. Il s’agit de Deniz Nazlım, reporter pour l'agence Mezopotamya (MA) à Ankara, Yıldız Tar, et Sibel Yükler (Bianet), une journaliste féministe qui venait de publier sur le site de la Heinrich Böll Stiftung d’Istanbul un texte sur la criminalisation des LGBT concomitante au retrait turc de la Convention d’Istanbul…
Les journalistes ayant échappé à l’arrestation se sont rassemblés au syndicat DISK-Presse pour préparer un communiqué de protestation qui a aussi été signé entre autres par le député HDP d’Adana, Tülay Hatimoğulları, et le coprésident de l’Association des droits humains İHD, Öztürk Türkdoğan. La lecture publique de la déclaration a donné lieu à plusieurs prises de parole, dont celle du journaliste Özgür Paksoy pour la DFG, qui a déclaré: «Nous sommes très habitués à la violence de l'État. Nous continuerons à défendre le droit du peuple à recevoir des informations. Nos lieux de travail sont soumis à un blocus policier depuis 28 jours. Ils essaient de trouver quelque chose qui incrimine nos amis. Ils n'ont encore rien trouvé. Nous allons continuer sur cette voie qu'ils définissent comme un crime. Nous continuerons à écrire!» (Mezopotamya)
Le 11, la police a terminé la perquisition lancée dans les locaux de 2 sociétés de presse le 8 juin, durant les raids qui ont ensuite mené à l’arrestation des 16 journalistes kurdes. Les raids du 8 avaient concerné 4 sociétés, l’agence JinNews et les sociétés de production Pel, Piya et Ari. Une importante quantité de matériel audiovisuel et informatique avait été confisquée à des fins d’enquête. La fouille des deux dernières sociétés aura donc pris plus d’un mois, exactement 32 jours… (Bianet).
Le 29, un tribunal a bloqué l'accès à 130 articles en ligne et d'autres contenus concernant un ancien avocat du Président turc, Mustafa Doğan İnal. Celui-ci avait déposé plainte en alléguant que ses droits personnels avaient été violés.
Les magistrats ont censuré les articles incriminés en considérant qu’ils ne pouvaient relever de la liberté d'information, car ils ne présentaient pas de preuves de ce qu’ils avançaient, à savoir que l’avocat aurait été impliqué dans des «négociations de corruption». Cependant, ils n’ont pas demandé leurs preuves aux médias concernés… Les articles maintenant interdits d’accès se trouvent sur une vingtaine de médias différents, auxquels il faut ajouter plusieurs «posts» sur Twitter, Instagram, et Facebook et des vidéos YouTube. L’association pour la liberté d’expression a recensé pour 2020 un total de 819 ordonnances de blocage d'accès pour 5.645 adresses web et 58.809 sites (Bianet).
Ce harcèlement permanent des médias n’a nullement enrayé la chute de l’AKP dans les sondages, puisque selon le dernier il est maintenant tombé à 27,7% des intentions de votes... (WKI)
À côté de ses attaques contre la presse, le pouvoir poursuit également le harcèlement du HDP, le «Parti démocratique des Peuples». En début de mois, celui-ci a tenu à Ankara son 5e congrès, au cours duquel Pervin Buldan et Mithat Sancar ont été réélus respectivement comme coprésidente et coprésident. Cette année, des dizaines de milliers de personnes étaient présentes pour le congrès, dont des milliers d’invités et plus d’une centaine de participants venus de l’étranger, entre autres de plusieurs pays d’Europe (Allemagne, Angleterre, Écosse, Espagne, France, Grèce, Suède…) mais aussi du monde arabe (Maghreb: Algérie, Maroc, Tunisie, et Koweit…). Parmi les banderoles déployées dans la salle du congrès, on pouvait lire entre autres: «La presse libre ne peut être réduite au silence», «Solution démocratique de la question kurde», «Ni faim ni pauvreté, mais répartition équitable», ou encore «Nous ne renoncerons pas à la Convention d'Istanbul».
Dans son bref discours d'ouverture, Pervin Buldan a notamment déclaré, en critique des nouveaux projets d’invasion du Président turc: «Le Moyen-Orient et la Syrie ne seront pas façonnés par votre hostilité contre les Kurdes, mais par la volonté du peuple kurde en faveur de la coexistence, et par les alliances démocratiques qu'il forme avec les peuples qu'il côtoie. […] Les prochaines élections ne consisteront pas à choisir le président ou le premier ministre. Il s'agira de construire un nouvel ordre démocratique et égalitaire en Turquie». Mithat Sancar a de son côté averti le gouvernement AKP: «Ne jouez pas sur l'isolement de M. Öcalan, n'utilisez pas une question aussi sensible pour vos objectifs de pouvoir. Ne parlez pas au nom d'İmralı, n'induisez pas le public en erreur et ne créez pas de faux agendas. Laissez le public savoir ce que pense Öcalan» (HDP). Plusieurs personnalités politiques étrangères et dirigeants d'organisations internationales venus assister au congrès ont prononcé des discours de soutien au HDP. Peu après le congrès, la police a arrêté quatre personnes après que le bureau du procureur a ouvert une enquête sur les slogans et les banderoles du congrès. Séparément, la police turque a arrêté 37 Kurdes à Adana, principalement des partisans du HDP (WKI).
Le 12, un tribunal pénal de Manisa a condamné deux cadres du HDP, Mesuti Bökü et Naile Gümüştaş, à plus de six ans de prison chacun pour «appartenance à une organisation terroriste».
Le même jour, est parue une tribune signée depuis sa cellule par l'ancien coprésident du HDP Selahattin Demirtaş, dans laquelle il critiquait l’opposition pour avoir exclu le HDP de l’accord passé entre ses 6 composantes et l’appelait au «changement»: «Le changement en politique nécessite du courage», a notamment écrit Demirtaş, accusant implicitement l’opposition d’en manquer… De son côté, la vice-présidente du groupe HDP, Meral Danış Beştaş, s'est dite prête à soutenir un candidat de l'opposition, mais à condition que l’exclusion du HDP cesse: «Un candidat unique est possible, mais cette possibilité est de la responsabilité de chacun». Elle a averti que si le HDP ne pouvait participer aux «discussions», il ne soutiendrait aucun candidat d’opposition à la présidentielle de 2023… (WKI)
Le 18, Selahattin Demirtaş a de nouveau pris la parole, cette fois en répondant aux questions du journaliste de Murat Sabuncu, du site T24. Il a notamment déclaré que son parti n'est pas «une extension» du PKK, qu’il a parallèlement appelé à «faire taire les armes» (WKI). Le site de VOA en langue turque a donné de larges extraits de cette interview. «Un parti qui mène une politique démocratique ne peut pas être affilié à une organisation armée», a notamment déclaré le leader emprisonné.
Pour échapper à la tactique du pouvoir qui cherche à utiliser la peur des Turcs pour faire du HDP un bouc émissaire, Demirtaş pense que le parti devrait «donner davantage de messages de paix»: «Une partie importante de la société vit dans la peur de la division, des armes, de la violence et du terrorisme. Le gouvernement excite constamment ces peurs et dirige la colère vers le HDP. Par conséquent, le HDP est transformé en bouc émissaire. Pour sortir de cette emprise, il conviendrait que le HDP délivre davantage de messages d'unité et de paix et rende concrète et visible sa politique en ce sens». Concernant la question kurde, Demirtaş a indiqué: «L'approche du HDP au problème kurde et ses propositions de solutions sont différentes de celles de nombreux partis et sont les plus réalistes. Notre proposition de solution n'est pas une opération militaire, mais le dialogue et la négociation. Il faut savoir bien expliquer à la société que le dialogue et la négociation sont les seules solutions».
À propos de la fin de la lutte armée, il a indiqué: «Notre expérience a montré que ce n'est pas facile, malheureusement», déclarant que deux obstacles «que tout le monde devrait connaître» s’opposent au dépôt des armes par le PKK: premièrement, le gouvernement turc, qui souhaite prolonger la confrontation armée, refuse la discussion, et maintient l’isolement d’Öcalan à İmralı: «La personne qui peut convaincre le PKK est Öcalan, et ils l'ont gardé en isolement pendant des années. Malgré ces obstacles, je serais heureux si le PKK faisait taire ses armes». […] «Si le gouvernement parle à Öcalan pour faire taire les armes, il fera ce qu'il faut. Sauver la vie des enfants de ce pays, c’est une chose à laquelle personne ne peut s'opposer», a poursuivi Demirtaş. «Il serait moralement et politiquement répréhensible de s'opposer à la paix simplement parce que l'effusion de sang apportera des voix à l'AKP. Je ne sais pas si [la paix] profitera à l'AKP, mais elle profitera à la société turque, tout le monde va respirer» (VOA Turc).
En réaction, Kemal Kiliçdaroglu, chef du CHP (opposition kémaliste), qualifiant les déclarations de Demirtaş d’«importantes», a demandé sa libération en tant que «prisonnier politique». Côté médias pro-gouvernementaux par contre, l’interview a provoqué une nouvelle campagne de calomnie accusant le HDP d’être «une extension du PKK» (WKI).
Le 21, le HDP a dénoncé la frappe turque en Irak qui a fait 9 morts et des dizaines de blessés à Zakho en déclarant «Zakho est le second massacre de Roboski», demandant que les responsables soient révélés et jugés pour leurs actes. Le parti a par ailleurs demandé une session d’urgence du parlement sur l’incident, argumentant que puisque c’est lui qui a autorisé les opérations militaires transfrontalières, c’est à lui d’en examiner les conséquences. Le Comité exécutif du HDP a rappelé dans une déclaration écrite que depuis 2015, les frappes turques au Kurdistan d’Irak ont fait au moins 112 morts civils. Par ailleurs, les barreaux de six provinces à majorité kurde du pays, Diyarbakir, Urfa, Şırnak, Van, Mardin et Bingöl, ont demandé aux autorités de révéler les responsables. Le Barreau de Diyarbakır a déclaré qu'il déposerait des plaintes pénales pour l'identification et la punition des responsables de l'attaque (Bianet).
La répression s’est rapidement abattue sur les personnes qui dénonçaient l’attaque de Zakho. À Antalya, la police a arrêté le 28 sept membres du Conseil des jeunes du HDP. Le lendemain, 12 personnes ont été arrêtées à Istanbul. Par ailleurs, le HDP a annoncé préparer un rassemblement le 6 août à Diyarbakir pour demander l’arrêt des guerres du gouvernement contre les Kurdes.
Par ailleurs, les prisons turques continuent à connaître des morts suspectes, que l’administration pénitentiaire classifie toujours comme des suicides. Le 18, un détenu récemment libéré a témoigné de manière anonyme auprès de Mezopotamya à propos de la mort d’un autre prisonnier. Yılmaz Ekinci, 28 ans, s’était «suicidé» le 13 janvier dans la prison d’Aydın. Selon la version officielle, ce prisonnier qui mesurait 1,70 m se serait pendu à une barre métallique placée à 1,48 m du sol. Mais le témoin a indiqué qu’une autre raison rendait le suicide encore plus invraisemblable: «Dans la salle d'observation, ils vous prennent même vos chaussures, alors pas question de trouver de quoi se pendre! Je pense qu’on lui a brisé le cou et qu'ils ont maquillé ça en suicide.», a-t-il affirmé. La famille du défunt n’a jamais obtenu les images de la caméra filmant la porte de la salle d'observation… Le 21, l’administration de la prison de Diyarbakir a annoncé à la famille de Kadri Ekinci, incarcéré depuis 5 ans, qu’il avait été retrouvé mort dans la cellule d’isolement où il avait été placé après s’être ouvert les veines. Mais les proches ont refusé de croire à cette version: où Ekinci aurait-il pu trouver un objet coupant pour s’entailler les poignets, et surtout, comment aurait-il pu s’ouvrir les veines alors qu’il avait le bras droit cassé, alors qu’il n’arrivait plus à se raser sans se faire des entailles au visage? «Ce n'est pas un suicide, ils ont exécuté mon neveu», a déclaré son oncle. «Nous n'abandonnerons pas cette affaire. Le seul responsable de cette mort est l'État» (Bianet).
La mainmise de la présidence turque sur le système judiciaire a suscité ce mois-ci de nouvelles condamnations de l’étranger. La Grande chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), bras judiciaire du Conseil de l'Europe, a conclu le 11 qu’Ankara avait violé l’article 46 de la Convention européenne des droits de l'homme en refusant d’exécuter l’arrêt de la CEDH ordonnant la libération d’Osman Kavala. Le Conseil de l'Europe a le jour même réitéré sa demande à la Turquie de le libérer «immédiatement». C'est seulement la deuxième fois de son histoire que la CEDH condamne par un arrêt de la Grande Chambre l'un de ses 46 États membres au terme d'une procédure pour manquement (Le Point). Non contente de maintenir Kavala en détention, la Turquie a en avril dernier condamné Kavala à la perpétuité sur un dossier d’accusation vide. Le 29, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, en visite à istanbul, a eu un premier échange plutôt tendu avec son homologue turc lorsqu’elle a déclaré que la décision de la CEDH concernant Osman Kavala devait être appliquée. Loin de se démonter, M. Çavuşoglu a répliqué en accusant l’Allemagne d’«encourager tous les pays à exclure la Turquie du Conseil de l'Europe».
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Le 5 juillet, pour la première fois, la France a effectué un rapatriement massif de ses ressortissants détenus en Syrie. C’est une importante rupture avec la politique du «cas par cas» suivie jusqu’alors. Deux avions spéciaux affrétés par le gouvernement français, dont un sanitaire, ont atterri à l’aube à Paris avec à leur bord 16 mères, âgées de 22 à 39 ans, et 35 mineurs, tous rapatriés des camps de détention du Nord-Est de la Syrie. Parmi les femmes, certaines sont des épouses de djihadistes mais d’autres sont elles-mêmes des djihadistes, comme Emilie König, 37 ans, l’une des plus connues.
Jusqu’à présent, Paris n’avait accepté de rapatrier que des enfants isolés, orphelins ou dont la mère avait accepté de renoncer à ses droits parentaux. Craignant d’être abandonnées sur place – ou refusant d’assumer les conséquences judiciaires de leurs actes –, la grande majorité des mères avaient refusé de se séparer de leurs enfants. Seuls 35 enfants présumés orphelins avaient été rapatriés, les derniers en janvier 2021. Avant ce qui n’est peut-être qu’un premier rapatriement, environ 80 femmes et 200 enfants se trouvaient encore dans les camps gérés par l’Administration kurde (AANES).
Juste après l’atterrissage, les femmes et les enfants ont été séparés. Huit femmes et un mineur de 17 ans ont été immédiatement placées en garde à vue, en attendant d’être mises en examen par un juge antiterroriste dans les prochains jours. Huit autres femmes faisant l’objet de mandats d’arrêt devraient également rapidement être mises en examen, dont Emilie König. Les enfants ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance des Yvelines et après un long processus d’évaluation sanitaire et psychologique, seront confiés à des familles d’accueil (Le Monde).
Le revirement de Paris s’explique par l’isolement croissant de la France sur cette question des rapatriements. La Belgique, la Finlande, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas et l’Allemagne avaient décidé de rapatrier l’intégralité de leurs enfants, en compagnie de leurs mères quand cela était possible. Fin juin, la quasi-totalité des ressortissantes belges étaient ainsi rentrées. Aussi, les condamnations nationales et internationales s’étaient multipliées. Le 29 avril, la Défenseure des droits avait demandé «le rapatriement dans les plus brefs délais de tous les enfants français»; la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait pris position pour le rapatriement; la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) devait se prononcer sur les recours déposés par plusieurs familles françaises: une condamnation de la France n’était peut-être plus très loin. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU avait constaté début février que la France avait «violé les droits des enfants français détenus en Syrie en omettant de les rapatrier», une position identique à celles d’Amnesty International et Human Rights Watch.
Par ailleurs, la situation dans les camps n’a cessé de se dégrader depuis plusieurs mois, et ils constituent de fait un véritable «Mini-État Islamique» où non seulement des meurtres sont commis régulièrement, mais de plus, les jeunes peuvent être recrutés et endoctrinés.
Y aura-t-il d’autres rapatriements? Le lendemain du rapatriement, Laurent Nunez, coordinateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, a indiqué qu’il restait encore en Syrie une centaine de femmes et près de 250 enfants français. Pour des raisons de sécurité, il est partisan de la poursuite des rapatriements, car, note-t-il, la zone est «de plus en plus instable» et il y a «des menaces peut-être d'opérations turques». Il a aussi mentionné le danger que Daech puisse libérer les détenus (AFP). Les personnes rapatriées constitueraient donc bien moins un danger que «dans la nature» en Syrie… De son côté, l’avocate Marie Dosé, qui défend plusieurs femmes, a réagi auprès de l’AFP en déclarant qu’il fallait «poursuivre l’opération, et vite». «Ce matin encore, les enfants qui sont toujours dans les camps répétaient : ‘Pourquoi pas moi?’ On ne peut pas laisser les enfants penser ça tout l'été dans une tente sous 50 degrés», a-t-elle ajouté. Le procureur général François Molins, lui aussi, considère que la France a un devoir envers les enfants: «Ces enfants qui sont Français, dont certains sont nés là-bas, n'ont rien demandé, subissent une situation dont ils ne sont pas responsables et qui met en danger leur santé, leur sécurité et leur éducation», a-t-il déclaré sur RTL.
Autre aspect, le retour permet aux enquêteurs de recueillir des dépositions afin de reconstituer les parcours des jihadistes et alimenter les investigations: il met de fait fin à l’impunité.
L’Administration autonome du Nord-Est Syrien (AANES) qui gère les camps demande depuis des mois le rapatriement des ressortissants étrangers et sur le plan juridique, la constitution d’un tribunal international qui permettrait de juger les djihadistes sur place. L’une ou l’autre de ces deux solutions doit être choisie, mais jusqu’à présent, les appels de l’AANES n’ont pas été entendus.
Le 30, un djihadiste canadien d’origine saoudienne, Mohammed Khalifa, 39 ans, dont la «voix off» servait la propagande de Daech dans les vidéos de propagande et de recrutement de l’organisation, a été condamné à la réclusion à perpétuité par la justice américaine. Certaines des vidéos en question comportaient des images des attentats de l'organisation en France et en Belgique. Capturé en 2019 par les Forces Démocratiques Syriennes, Khalifa, qui ne manifestait aucun regret pour ses actes, voulait rentrer au Canada mais pas y être jugé. Remis en 2021 aux autorités américaines et transféré aux Etats-Unis, c’est finalement là qu’il a été condamné (AFP).
Le 25, l’AANES a remis à l'ambassadeur du Tadjikistan au Koweït Zabidullah Zabidov 146 femmes et enfants de familles de combattants de Daech qui se trouvaient dans les camps d'Al-Hol et de Roj.
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Les 100.000 Kurdes installés en Suède sont inquiets. Le 5 juillet, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a officiellement lancé le processus d'intégration à l’Alliance atlantique de la Suède et de la Finlande. Il avait souligné la veille: «Nous nous préparons à accueillir deux nouveaux alliés dotés de forces et de capacités militaires formidables», ajoutant: «À 32, nous serons encore plus forts».
Pour en arriver là, il aura fallu de longues négociations tripartites entre la Suède et la Finlande d’une part, et la Turquie d’autre part. Ce n’est pas l’adhésion elle-même qui inquiète la communauté kurde de Suède, mais le fait que le gouvernement suédois ait dû préalablement signer le 28 juin – littéralement in-extremis – un accord avec la Turquie par lequel il s’engage à soutenir le combat turc contre le terrorisme et notamment contre le PKK, sous peine de blocage par Ankara du processus d’adhésion. Plus particulièrement, Helsinki et Stockholm se sont engagées à traiter «de manière approfondie» les demandes d’extraditions de personnes soupçonnées de terrorisme par Ankara, «en tenant compte des informations, des preuves et des renseignements fournis par la Turquie». C’est ce dernier point qui provoque l’inquiétude des Kurdes de Suède, qui forment une communauté certes moins nombreuse qu’en Allemagne (près d’un million de personnes) ou qu’en France (250 000), mais culturellement et politiquement très active, à preuve, huit députés de l’actuel Parlement suédois sont d'origine kurde. Comparativement, avec une disapora kurde plus restreinte (environ 15.000 personnes), les inquiétudes sont moins fortes en Finlande.
Chacun sait qu’il suffit en Turquie de quelques mots sur les réseaux sociaux ou d’une mention du «mot en K», c’est-à-dire «Kurdistan», pour être étiqueté «terroriste». Comme l’ont encore démontré les récentes condamnations à perpétuité sur des dossiers vides de la sociologue Pınar Selek et du philanthrope Osman Kavala, après l’emprisonnement abusif de Selahattin Demirtaş, la justice turque n’est maintenant guère plus qu’une coquille vide totalement aux ordres du «Sultan» Erdoğan.
Mais la cause de l’inquiétude la plus forte ne concerne pas en fait la diaspora kurde en Suède: dans le cadre de l’accord tripartite, la Turquie a également obtenu l’engagement des gouvernements suédois et finlandais à «ne pas apporter de soutien» au Parti de l’Union Démocratique kurde (PYD) en Syrie et sa branche armée (YPG) pourtant alliés de la coalition internationale anti-Daech au sein des Forces Démocratiques Syriennes (FDS). Par ailleurs, la Suède a accepté de mettre fin à l’embargo sur les ventes d’armes à la Turquie qu’elle avait décidé après l’attaque turque d’octobre 2019 sur le Rojava. Il faut se rappeler que l’industrie d’armement suédoise, avec un chiffre d’affaires de 3,5 milliards d’euros en 2017, est loin d’être négligeable. Elle résulte paradoxalement de la neutralité du pays, qui ne voulait dépendre d’aucun bloc pour sa défense. Cette reprise des exportations arriverait au plus mauvais moment, alors même qu’Ankara menace l’AANES d’une nouvelle attaque. Cependant, en 2018, quelques années après la contestation d’un projet de construction d’usine de missiles en Arabie saoudite, le Parlement a intégré au processus d’approbation de ventes d’armes à l’étranger un «critère démocratique» selon lequel le pays destinataire est évalué. Cependant, les armes proprement dites sont distinguées des autres équipements à usage militaire, comme les radars d’alerte, qui font l’objet de contrats importants dont la Suède souhaitait conserver les bénéfices…
Il faut noter que le président turc conserve un moyen de pression sur les 2 nouveaux membres, car le protocole d'adhésion leur accorde pour l’instant «seulement» le statut de pays invité. La Suède et la Finlande ne deviendront membres à part entière de l’Alliance que lorsque chacun des 30 États membres aura ratifié le protocole. La Turquie est donc toujours en mesure d’exercer son blocage: il suffit que M. Erdoğan refuse de transmettre le texte au parlement turc, et il ne s’est pas privé de la rappeler après la signature…
À l’issue du sommet de l’OTAN, le Président turc a également déclaré (clairement à l’usage de son opinion intérieure) qu’il attendait de la Suède qu’elle tienne ses promesses, notamment l'extradition de «73 terroristes». À son retour de Madrid, la Première ministre suédoise, Magdalena Andersson, a été soumise à un feu roulant de questions, en particulier des partis de gauche: s’est-elle effectivement engagée sur une telle promesse? Refusant de démentir les propos du Président turc, elle a simplement répété que le pays continuerait à respecter le droit national et international et qu’il resterait fidèle à sa position historique, à savoir qu’aucun ressortissant suédois ne peut être extradé. Enfin, elle a rappelé l’indépendance de la justice: la décision reviendra à des autorités et des tribunaux indépendants du pouvoir.
Le Parti de Gauche suédois, qui avait été le moteur en 2019 de la décision d’imposer à Ankara un embargo pour les armes, et demeure opposé à l’adhésion à l’OTAN, n’a guère été convaincu. Ses députés craignent que l’adhésion n’entraîne un infléchissement de la politique étrangère du pays, et en particulier que le renforcement prévu de la coopération entre services de renseignement suédois et turc n’aboutisse à des extraditions de Kurdes ayant pourtant besoin de protection. «C'est une énorme trahison que de permettre à la Turquie d'avoir autant d'influence sur la politique étrangère suédoise», peut-on lire sur son site.
On a pu voir par ailleurs comment l’existence de l’accord avec Ankara commençait à impacter non pas la politique étrangère suédoise, mais bien sa politique intérieure. Lorsque le 21, plusieurs députés du Parti de Gauche ont posé lors d’une université d’été avec des drapeaux du PKK, une organisation considérée comme terroriste par l’Union européenne, mais aussi des YPG (combattants kurdes hommes en Syrie) et des YPJ (combattantes femmes), qui ne le sont pas, la Première ministre a réagi en déclarant: «Le PKK est sur la liste des organisations terroristes, pas seulement en Suède mais aussi dans l'UE, et poser avec ce genre de drapeaux est extrêmement déplacé». Dès le 23, l’ambassadeur suédois en Turquie a été convoqué au ministère des Affaires étrangères à Ankara pour justifier l’usage de cette «propagande terroriste» au profit du PKK…
Pour en revenir aux inquiétudes concernant les extraditions comme les ventes d’armes, il existe bien des mécanismes de protection démocratique et des contre-pouvoirs susceptibles de protéger les Kurdes de la diaspora (dont une grande partie a acquis la nationalité suédoise) et les résidents du Rojava de l’hostilité d’Ankara. Plus que jamais, la question de cette protection et de la démocratie apparaissent liées. Mais ces mécanismes en eux-mêmes n’assurent pas de protection s’il n’y a pas de volonté politique de les mettre en œuvre – ou s’il y a à l’inverse une volonté politique de les contourner. Concernant le Rojava, l’absence de réactions concrètes de la communauté internationale, et particulièrement des membres de l’OTAN et de l’Union européenne face aux précédentes opérations militaires turques en Syrie présagent de manière défavorable pour l’avenir. Si des armes suédoises (ou allemandes…) devaient être utilisées dans une prochaine attaque turque contre l’AANES, les gouvernements concernés iraient-ils cette fois au-delà de simples condamnations verbales?
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Le 5 au soir, après la démission fracassante de son ministre des Finances Rishi Sunak, le Premier ministre britannique Boris Johnson a nommé pour le remplacer celui qui était jusqu’alors ministre de l’Éducation, Nadhim Zahawi, dont la reine Elizabeth II a rapidement approuvé la nomination.
Zahawi, né en 1967 à Bagdad de parents kurdes, était arrivé au Royaume-Uni à l’âge de 9 ans sans parler un mot d'anglais lorsque ses parents avaient émigré pour fuir le régime de Saddam Hussein. En Angleterre, il a étudié le génie chimique, dont il a obtenu une licence. En 1991, Zahawi et son compatriote kurde britannique Broosk Saib ont été les assistants de Jeffrey Archer lors de la campagne Simple Truth de ce dernier pour aider les victimes kurdes de la guerre du Golfe.
Concernant sa vie professionnelle, il a participé en 2000 avec Stephan Shakespeare à la création du prestigieux institut de sondage YouGov, puis a rejoint en 2015 la Gulf Keystone Petroleum, une société d'exploration et de production de pétrole et de gaz, en tant que directeur de la stratégie à temps partiel.
Ayant entamé une carrière politique dans les milieux conservateurs à Londres, après plusieurs postes électifs dans des Conseils locaux durant les années 90, il a été élu en 2010 député de Stratford-on-Avon, ville natale de William Shakespeare, où il a été réélu en 2015, 2017 et 2019. Il a assuré la vice-présidence du groupe parlementaire multipartite (APPG) de soutien à la Région du Kurdistan d’Irak.
Secrétaire d'État à l'Éducation nationale de 2021 à 2022, il est devenu avec l’apparition du COVID-19 Sous-secrétaire d'État parlementaire chargé du déploiement du vaccin contre la pandémie. Le succès de la campagne de vaccination britannique lui a valu une grande popularité.
Après sa nomination comme ministre des Finances, il a indiqué au micro de la chaîne britannique SkyNews qu’il ferait tout son possible pour s’assurer que le pays pourrait «renouer avec la croissance».
Un peu moins de 48 heures après sa nomination, Zahawi a retiré son soutien à Boris Johnson et l'a publiquement appelé à démissionner, ce que Johnson a fait peu après.
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